Impact économique du confinement : quels territoires sont les plus touchés ? (épisode 27)

C’est le titre d’un petit article rédigé pour la Revue L’actualité Nouvelle-Aquitaine, que vous pouvez lire ici. Je reprends ce que j’avais expliqué dans ce billet, en détaillant sur la méthode en annexe, et en présentant surtout une carte à l’échelle des intercommunalités.

Vous pouvez télécharger le fichier excel avec les pertes d’activité par département et par intercommunalité en cliquant ici.

 

La densité favorise-t-elle l’épidémie ? (épisode 26)

J’ai vu passer différentes analyses et travaux qui posent la question du lien entre la densité des territoires et l’épidémie en cours, la plupart du temps en supposant qu’une densité supérieure se traduirait par une propension à être contaminé, ou par un taux de mortalité, plus forts.

Je dis bien la plupart du temps, car le premier a en avoir parlé, Jacques Levy, pronostiquait l’inverse fin mars, dans un texte visible ici :

« En France, c’est le Grand Est et la Bourgogne-Franche-Comté qui ont les taux de mortalité les plus élevés et, même en tenant compte de la pyramide des âges, l’Île-de-France reste relativement épargnée ». (…) « On peut se demander si les citadins bénéficient d’une immunité particulière qui serait liée à leur forte exposition permanente à des agents pathogènes multiples. En tout cas, l’habitat dans une zone à forte urbanité (densité + diversité) apparaît plutôt protecteur. » (souligné par moi)

Il semble qu’il ait été démenti depuis : l’urbanité parisienne n’a pas protégé ses habitants.

A l’inverse, Jean-Pierre Orfeuil, dans un texte disponible ici, brasse tout un ensemble de statistiques par département pour évaluer l’impact de la densité sur la mortalité, sur la base desquelles il croit pouvoir affirmer en conclusion que “l’impact de la densité des territoires sur la mortalité Covid apparaît au moins égal et probablement supérieur à celui des facteurs de comorbidité comme l’âge”. Nadine Levratto, Mounir Amdaoud et Giuseppe Arcuri, dans ce qui constitue à ma connaissance le premier travail économétrique sur données françaises cherchant à expliquer les différences géographiques relatives à l’épidémie, estiment également l’impact de cette variable, parmi d’autres, variable qui joue significativement dans leurs différents modèles. Sur cette base, certains en vont même jusqu’à affirmer que “la ville dense a trahi ses habitants”.

J’aurai personnellement tendance à être très prudent sur ce lien supposé. D’abord parce que si des villes très denses sont touchées (New-York, Paris, Londres, …), d’autres le sont beaucoup moins (Los Angeles, Singapour, Shangaï, …). Ensuite parce que, dans le cas chinois, Wanli Fang et Sameh Wahba montrent clairement que la densité des villes n’influe pas sur le nombre de cas de Covid 19, mais que la distance à Wuhan, en revanche, joue un peu.

Creusons un peu sur le cas français, en nous appuyant sur les données départementales fournies par Santé publique France d’une part, et celles sur la densité fournies par le recensement de la population millésime 2016, d’autre part.

La carte des densités est la suivante :

La densité varie de 14,8 habitants au km² en Lozère, à 20 860,3 à Paris, en passant par 564,7 dans le Rhône, ou 454,2 dans le Nord. On peut ensuite représenter sous forme de nuage de points le lien entre densité (le logarithme de la densité plus précisément) et le taux de mortalité :

On voit clairement ressortir des départements d’Ile-de-France, qui allient forte densité et forte mortalité, mais aussi des départements à densité plus faible, qui pâtissent d’une mortalité au moins aussi forte (Territoire de Belfort, Haut-Rhin, Moselle, Vosges) pendant que d’autres (Nord, Rhône, …) ont une mortalité comparativement faible. Bref : c’est un peu le bazar.

Pour valider ou invalider ce sentiment, j’ai testé le lien entre le taux de mortalité, d’un côté, et la densité de population de l’autre : lorsqu’on estime la relation en prenant en compte l’ensemble des départements, le R² n’est pas totalement négligeable, il est de 23% (et le coefficient associé à la densité est positif et significatif au seuil de 1%). Ceci signifie que les différences de densité “expliquent” 22% des différences de taux de mortalité. Quand on teste la même relation en enlevant les départements d’Ile-de-France, le R² tombe à 4% (et le coefficient n’est plus significatif qu’au seuil de 5%). En dehors de l’Ile-de-France, la densité semble donc peu explicative.

Pour compléter, on peut identifier les départements pour lesquels la relation joue le moins bien, en calculant ce que l’on appelle les résidus : s’ils sont très négatifs, cela signifie que le taux de mortalité est très inférieur à ce que l’on attend vu la densité du département, et inversement pour les résidus très positifs. Dans le premier cas, on trouve la Haute-Garonne, le Vaucluse, le Finistère, l’Ile-et-Vilaine, la Loire-Atlantique et l’Hérault : taux de mortalité plus faible qu’attendu vu la densité. Dans le deuxième cas, on trouve le Territoire de Belfort, le Haut-Rhin, les Vosges, la Moselle et la Meuse.

La carte des résidus montre sans surprise une opposition, non pas entre les départements denses et les départements moins denses, mais entre un grand quart Nord-Est plus touché et des parties Ouest et Sud largement épargnées.

Une réflexion plus générale, sur la base de ces éléments : je crois que nous sommes face à une épidémie qu’il faut voir comme un processus, avec des territoires touchés les premiers en raison “d’accidents historiques” (le hasard dit autrement,  comme le rassemblement religieux ayant eu lieu sur Mulhouse, qui aurait pu avoir lieu ailleurs), au sein desquels s’enclenchent ensuite des processus cumulatifs locaux. Sans doute que la densité joue un peu ensuite sur l’ampleur du processus cumulatif local, comme pourrait jouer l’âge moyen pour le taux de mortalité, mais on ne peut pas en faire des facteurs explicatifs de la géographie de l’épidémie, qui reste pour une très large part le produit de processus multifactoriels et largement contingents.

Covid 19, épisode 25 : variations régionales et départementales

Petit billet pour faire un point sur l’évolution régionale et départementale de l’épidémie, à partir des chiffres de Santé publique France datés du 26 avril 2020. Je commence par deux graphiques à l’échelle des régions, sur le nombre de personnes hospitalisées et le nombre de décès.

On observe, comme je l’ai indiqué à de multiples reprises, une forte concentration géographique de l’épidémie : l’Ile-de-France, où réside 19% de la population, concentre 38% des hospitalisations et 39% des décès. Le taux de mortalité y est de 460 décès par million d’habitants. Seul Grand Est a un taux de mortalité plus élevé (507), cette région, où réside 8% de la population, concentre 16% des hospitalisations et 19% des décès. A elles deux, ces régions concentrent 54% des hospitalisations et 59% des décès. Deux autres régions présentent des taux de mortalité proches ou supérieurs à la moyenne (221) : la Bourgogne Franche-Comté (taux de mortalité de 287) et les Hauts-de-France (220). A elles quatre, ces régions concentrent 67% des hospitalisations et 74% des décès (alors qu’elles ne représentent que 41% de la population).

L’autre constat important est que l’évolution des hospitalisations comme des décès semble suivre une courbe en cloche : après un accroissement des indicateurs jusque début avril, la tendance, fort heureusement, est à la baisse. Pour le confirmer, j’ai procédé à un peu d’économétrie, qui montrent que la tendance s’est inversée le 29 mars pour les hospitalisations dans le Grand Est et le 4 avril pour les décès ; les dates sont respectivement le 4 avril et le 9 avril pour l’Ile-de-France.

J’ai reproduit les deux séries de graphique précédents pour les départements des deux régions les plus touchées (le Grand Est et l’Ile-de-France).

On constate là encore une forte concentration spatiale, à une échelle plus fine, de l’épidémie. Les taux de mortalité varient pour ce sous-ensemble de départements de 166 pour les Ardennes à 922 pour le Haut-Rhin.

Si l’on raisonne sur l’ensemble des départements de France métropolitaine, on constate que le Territoire de Belfort reste le plus touché, avec un taux de mortalité de 1 042 décès par million d’habitants. On constate également que les 10 départements comptant le plus grand nombre de décès (Paris, Val-de-Marne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Haut-Rhin, Moselle, Val-d’Oise, Bas-Rhin, Rhône, Seine-et-Marne – tous sauf un dans les deux régions les plus touchées), concentrent 50% de l’ensemble des décès, pour seulement 21% de la population.

Compte-tenu de ces résultats, l’hypothèse d’un déconfinement par région ne m’aurait pas semblé totalement farfelue…

En 2020, une mortalité plus forte et une géographie différente (épisode 24)

L’Insee a livré hier les chiffres sur la mortalité toutes causes confondues jusqu’au 13 avril 2020. La tendance observée la semaine dernière selon laquelle la mortalité en mars-avril est plus forte cette année que l’an dernier, mais aussi qu’en 2018, année de grippe longue et virulente, se confirme. Cette surmortalité s’inscrit cependant de manière spécifique dans l’espace, car contrairement à d’autres épidémies, elle continue de se caractériser par une forte concentration géographique, qui n’est pas sans interroger.

S’agissant de la surmortalité, j’ai reproduit le graphique de l’Insee sur le nombre de décès quotidien, pour la période du 1er mars au 13 avril. On constate que sur cette période, la mortalité en 2018 est sensiblement supérieure à celle de 2019, et que celle de 2020 les dépasse à partir de mi-mars, pour atteindre 2700 décès par jour au 1er avril, et redescendre heureusement depuis. Sur cette période, la surmortalité 2020 est supérieure de 25% à celle de 2019 et de 13% à celle de 2018. Étant entendu qu’elle a été limitée par le confinement, dont certains collègues estiment qu’il a évité plus de 60 000 décès.

Contrairement à ce que l’on observe dans le cas des grippes saisonnières, cette mortalité n’est cependant pas distribuée de manière homogène dans l’espace, elle est fortement concentrée, à commencer par le Grand Est et l’Ile-de-France. Pour le montrer, j’ai calculé un indicateur de concentration géographique des décès pour les trois années, qui vaut 1 en cas de concentration maximale et 100 en cas de concentration minimale.

Premier constat : même si la mortalité en 2018 est sensiblement supérieure en mars-avril à celle observée en 2019, les indices de concentration spatiale sont très proches, avec des valeurs relativement élevées qui oscillent autour de 67%. L’épidémie de grippe de 2018, plus virulente et plus longue que celle de 2019, s’est donc déployée de manière homogène dans l’espace.

Pour l’épidémie actuelle, ce n’est pas la même histoire : la valeur de l’indice de concentration décroche de la tendance quand la mortalité 2020 dépasse celle des années précédentes. L’indice descend jusqu’à 50%, signe d’un accroissement de la concentration spatiale des décès, qui se déploient de manière hétérogène dans l’espace.

Ce constat fait sur l’ensemble des décès est confirmé, et même sensiblement renforcé, si l’on analyse les données sur le Covid 19 de Santé publique France, en calculant le même indice de concentration spatiale.

L’indice augmente certes en début de période, mais il prend des valeurs faibles et ne dépasse jamais les 30%, signe d’une forte concentration spatiale de l’épidémie, relativement stable dans le temps.

Jusqu’à présent, lorsque je suis interrogé sur ce double résultat (forte concentration spatiale de l’épidémie, stabilité de cette concentration), je réponds qu’il faut y voir au moins en partie l’effet bénéfique du confinement. Il semble cependant que le confinement ne puisse pas tout expliquer : une telle concentration spatiale de l’épidémie se retrouve en effet dans des pays qui n’ont pas ou peu mis en œuvre le confinement, comme la Suède ou les Pays-Bas par exemple.

source : https://legrandcontinent.eu/fr/observatoire-coronavirus/ (site consulté le 25/04/2020)

[allez sur le site qui présente cette carte pour visualiser en survolant les régions le taux de décès et la proportion de cas]

Ce constat est au cœur des interrogations d’Antoine Flahault (merci à twitter, plus précisément à Tristan Klein, de m’avoir transmis le lien vers son interview), dont l’hypothèse explicative est que les personnes asymptomatiques joueraient un faible rôle dans la diffusion de l’épidémie, contrairement à ce que l’on observe pour les grippes saisonnières.

Pour la grippe, que je connais bien pour avoir participé à la mise en place du réseau Sentinelles en France : quand survient un pic épidémique, toute la France est concernée de manière synchrone (…), tout le pays connaît le pic durant la même semaine ou presque. Comment l’expliquer ? Mon hypothèse est que l’ensemencement préalable par le virus de la grippe est important avant le démarrage visible de l’épidémie saisonnière et qu’il est causé par les personnes asymptomatiques, donc silencieuses, qui vont déclencher l’épidémie finalement visible au même moment partout dans toute l’Europe.

(…) Cette particularité du coronavirus sur le virus grippal est importante, car beaucoup de modèles mathématiques utilisées pour COVID sont des modèles recyclés de la grippe qui repose sur une hypothèse forte de pan-mixage. Or, elle pourrait s’avérer moins valable pour COVID, s’il s’avère que les personnes asymptomatiques n’ensemencent pas le pays de façon massive comme dans le cas de la grippe.

Ceci ne signifie bien sûr pas que le confinement ne sert à rien, il a sans conteste permis d’éviter un nombre important de contamination et de décès. Mais il semble bien qu’il n’explique pas tout. Et force est de constater que les raisons de cette concentration spatiale de l’épidémie ne sont pas, pour l’heure, totalement claires.

Covid 19, épisode 23 : nouvelle évaluation de l’impact économique de l’épidémie

L’Insee a publié hier une nouveau point de conjoncture pour mesurer la perte d’activité lié à la pandémie et au confinement. Par rapport à une semaine normale, la perte d’activité serait de 35% pour l’ensemble des secteurs et de 41% pour le sous-ensemble du secteur marchand.

Les pertes par secteurs sont également actualisées :

J’ai reproduit l’exercice consistant à spatialiser ces pertes, ce qui donne la carte par département suivante :

Il y a très peu de changement par rapport à la dernière fois : la corrélation entre les estimations du 9 avril et celles du 23 avril est supérieure à 98%. Les départements les moins impactés restent la Lozère, la Creuse et la Meuse, ceux les plus touchés la Seine-et-Marne, la Savoie et les Hauts-de-Seine.


Épisodes précédents : Episode 1 (comparaisons régionales)|Episode  2 (résidences secondaires)|Episode 3 (sur la mortalité)|Episode 4 (comparaison France Italie)|Episode 5 (cas américain et espagnol)|Episode 6 (diffusion spatiale de l’épidémie)|Episode 7 (géographie des Ehpad)|Episode 8 (prévision décès Ehpad)|Episode 9 (sur la mortalité, suite)|Episode 10 (diffusion spatiale, suite)|Episode 11 (taux de mortalité)|Episode 12 (l’impact économique)|Episode 13 (confinement et mobilités départementales)|Episode 14 (chiffres Insee sur la mortalité)|Episode 15 (distanciation sociale)|Episode 16 (impact économique)|Episode 17 (taux de mortalité)|Episode 18 (des pneumatiques aux respirateurs)|Episode 19 (géographie des décès en Ehpad)|Episode 20 (actualisation chiffres Insee sur la mortalité)|Episode 21 (géographie aux États-Unis)|Episode 22 (classement régions françaises et pays de l’UE28)

Covid 19, épisode 22 : le positionnement des régions françaises dans le concert des pays de l’Union

Petit billet pour présenter autrement les taux de mortalité : j’ai construit un tableau avec les taux de mortalité des 28 pays de l’Union, du taux de mortalité le plus élevé (509 décès par million d’habitants en Belgique) au plus faible (2 décès par million d’habitants en Slovaquie), et j’ai intercalé les régions de France métropolitaine.

source des données sur la population : Eurostat ; source des données sur les décès : John Hopkins University et Santé publique France

La région Grand Est, la plus touchée, se situe ainsi entre la Belgique et l’Espagne. La Nouvelle-Aquitaine, région la moins touchée, pâtit d’un taux de mortalité inférieur à ce que l’on observe en Allemagne et en Autriche.

Covid 19, épisode 21 : la géographie de l’épidémie aux États-Unis

Petit billet pour faire un point sur le cas américain, à partir des données à l’échelle du pays, des États puis des Comtés (les données sont disponibles ici).

On assiste d’abord, à l’échelle du pays, à une véritable explosion du nombre de décès, qui a dépassé les 40 000 hier.

Attention à ne pas aller trop vite en besogne avec ces comparaisons entre des pays dont les tailles diffèrent sensiblement, mieux vaut rapporter à la population, pour comparer non pas le nombre de décès, mais les taux de mortalité.

Le taux de mortalité aux Etats-Unis reste sensiblement inférieur à celui observé en Espagne, en Italie, en France ou au Royaume-Uni.

Qu’observe-t-on à une échelle plus fine ? Le constat essentiel est celui d’une forte concentration spatiale de l’épidémie, comme pour les cas européens.

A l’échelle des États américains, d’abord, l’État de New-York, le plus touché, concentre 45% des décès, et celui du New-Jersey 11%. Les taux de mortalité dans ces États sont respectivement de 757 et 491 décès par million d’habitants. Seuls 6 États dépassent le taux de mortalité moyen du pays : les deux déjà cités, auxquels s’ajoutent le Connecticut (315 décès par million d’habitants), la Louisiane (279), le Massachusetts (244) et le Michigan (237).

Si l’on se focalise à l’échelle plus fine des comtés (les États-Unis sont découpés en plus de 3 000 comtés), on constate que 62% des comtés sont pour l’instant épargnés (aucun décès) et que seulement 7% (222 comtés) dépassent le taux de mortalité observé en moyenne dans le pays. Le comté le plus touché est celui de New-York, avec un taux de mortalité de 2 490 décès par million d’habitants. Il concentre à lui seul plus de 36% des décès alors qu’il ne représente que 1,7% de la population. A titre de comparaison, les deux régions les plus touchés d’Europe, la Lombardie et la région de Madrid, ont des taux de mortalité respectifs de 1 214 et de 1 089.

Pour analyser l’évolution de la concentration géographique de l’épidémie, j’ai calculé comme dans d’autres billets un indice de concentration spatiale qui varie entre 1% en cas de concentration maximale de la variable analysée et 100% en cas de concentration minimale. A l’échelle des États, pour la variable population, l’indice vaut 43% : tout se passe comme si la population des États-Unis était répartie de manière homogène entre 43% des États américains. Pour les décès au 19 avril 2020, l’indice vaut 8,6% : les décès sont donc 5 fois plus concentrés géographiquement que la population.

Courant mars, on a observé une diffusion spatiale de l’épidémie, l’indice passant de 2% à 14%. Attention, ceci reste un pourcentage relativement faible, équivalent à celui observé en Italie (autour de 15%) et inférieur à celui observé en France et en Espagne (autour de 25%). Depuis le 24 mars, de plus, la concentration spatiale a plutôt tendance à augmenter, ce qui est plutôt bon signe : l’épidémie semble pour l’instant contenue dans les États les plus touchés.

Covid 19, épisode 20 : la mortalité 2020 a dépassé celles de 2019 et de 2018

L’Insee a livré pour la troisième semaine consécutive les chiffres de la mortalité toutes causes confondues (voir ici pour la première livraison des chiffres et là pour la deuxième), cette fois pour la période du 1er mars au 6 avril. Jusqu’à présent, la mortalité en 2020 était inférieure à celle de 2018, année où la grippe avait été longue et virulente. Ce n’est plus le cas : on comptabilise 76 246 décès entre le 1er mars et le 6 avril 2020, contre 63 686 en 2019 (+20% entre 2019 et 2020) et 71 003 en 2018 (+7% entre 2018 et 2020). Ceci s’explique par l’accélération des décès sur la période (voir le graphique ci-dessous) : on est passé de 1830 décès par jour du 1er au 15 mars, à 2250 du 16 mars au 31 mars, puis à 2470 du 1er au 6 avril.

Pour un sous-ensemble de communes, l’Insee dispose de chiffres plus récents, jusqu’au 10 avril. Ceci permet de faire un constat un peu plus rassurant : on observe une baisse du nombre de décès du 4 au 10 avril de 9% par rapport à la semaine du 28 mars au 3 avril, le plus dur est peut-être passé.

Cette surmortalité reste très concentrée géographiquement : par rapport à 2019, la hausse des décès est particulièrement forte en Ile-de-France (+72%), dans le Grand Est (+55%) et dans une moindre mesure en Bourgogne Franche-Comté et dans les Hauts-de-France (+20%).

A l’échelle des départements, la hausse est supérieure à 50% dans tous ceux d’Ile-de-France, ainsi que dans le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, les Vosges, la Moselle et l’Oise. Les parties ouest, centre et sud du pays sont relativement préservées, on observe même une baisse de la mortalité pour de nombreux département d’un grand quart Sud-Ouest.


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Covid 19, épisode 19 : la géographie des décès en Ehpad, proche de celle en hôpitaux

Pour dire des choses sur la géographie du Covid 19 en France, j’exploite depuis le départ les seules statistiques disponibles, celles fournies par Santé publique France, qui nous renseignent sur les décès en hôpitaux, et en hôpitaux seulement, à l’échelle des régions et des départements. Depuis deux semaines environ, le Ministère mentionne cependant chaque jour, en plus des décès en hôpitaux, le nombre de décès France entière recensés dans les établissements sociaux et médicaux-sociaux (Esms), composés notamment des Ehpad. A la date du 16 avril, on comptabilise ainsi un total de 17 920 décès, dont 11 060 en hôpital et 6 860 en Esms, soient des proportions respectives de 60% et 40% environ.

Jusqu’à présent, on ne disposait donc pas de chiffres précis sur la géographie des décès en Esms, alors qu’on peut légitimement se demander si cette géographie est la même que celle des décès en hôpitaux, ou non. Cette lacune est en partie réparée par la publication des points épidémiologiques régionaux sur le site de Santé publique France. Je dis bien en partie, car il m’a fallu dépouiller les 13 documents des régions de France métropolitaine pour trouver des chiffres, qui de surcroît ne sont pas tous mentionnés de la même façon : dans certains documents, on nous donne le nombre de décès en Esms sans plus de précisions, dans d’autres documents (dans 7 cas sur 13) on distingue les décès en Esms et ceux en hôpitaux de résidents des Esms.

J’ai me suis donc “amusé” à collecter les informations pour les 13 régions métropolitaines en retenant le nombre total de décès de résidents Esms sur la période du 1er mars au 14 avril 2020 (décès en hôpitaux ou non), j’ai calculé le poids dans l’ensemble de chaque région, puis je les ai rapporté aux poids de ces mêmes régions dans les décès en hôpitaux sur la même période. J’obtiens ainsi un indice qui vaut 1 si le poids d’une région dans les décès de résidents Esms est le même que son poids dans les décès en hôpitaux, et qui est supérieur à 1 (respectivement inférieur à 1) si son poids dans les décès Esms est supérieur (respectivement inférieur) à son poids dans les décès en hôpitaux. Si les chiffres diffèrent sensiblement de 1, c’est que les deux géographies, celle des décès en hôpitaux et celle des décès en Ehpad et autres Esms, diffèrent sensiblement.

J’obtiens le tableau suivant :

Données Santé publique France, période du 1er au 14 avril 2020

De manière générale, les deux géographies sont relativement proches. On observe cependant quelques différences : Auvergne Rhône Alpes et Centre Val de Loire pèsent 40% de plus dans les décès en Esms que dans les décès en hôpitaux et l’Ile-de-France 20% de plus. A l’inverse, Grand Est et Bourgogne Franche-Comté, deux régions très touchées quand on analyse les taux de mortalité en hôpitaux seulement, pèse un peu moins dans les décès en Esms. On constate que la plupart des régions de l’Ouest et du Sud (Pays de la Loire, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, PACA), qui accueillent un nombre importants d’établissements sociaux et médicaux sociaux, et qui sont jusqu’à présent peu touchées par l’épidémie, pèsent encore moins dans les décès en Esms que dans les décès en hôpitaux.

Au final, la forte concentration géographique des décès liés au Covid 19 qu’on observe en analysant les seuls décès en hôpitaux n’est donc pas sensiblement modifiée par les chiffres sur les décès de résidents d’Esms.


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Covid 19, épisode 18 : des pneumatiques aux respirateurs

[billet écrit sur une idée de Stéphane Ménia]

La crise sanitaire en cours a conduit de nombreuses entreprises à proposer leur aide pour faire face à l’épidémie. Dans tout un ensemble de cas, l’aide octroyée n’a rien de surprenant : des entreprises disposant de stocks de masques, de charlottes, de sur-blouses, … les donnent aux hôpitaux ; des entreprises de l’industrie textile-habillement fabriquent puis donnent des masques ; un fabricant de pneus propose d’équiper les véhicules d’urgence ; etc. Dans d’autres cas, quand Michelin déclare qu’il va fabriquer 40 000 masques par semaine, ou que Valéo, équipementier automobile, s’engage dans la production de respirateurs, c’est en apparence plus surprenant.

Pour le comprendre, on peut faire un détour par l’économie d’entreprise, plus précisément les approches en termes de ressources (ou les approches en termes de compétences, ou la théorie évolutionniste, toutes très proches). L’idée de base est la suivante : une entreprise peut être vue comme un pool de ressources physiques (machines), humaines (salariés, dirigeants), immatérielles (marques, brevets, …), dont la combinaison permet de rendre des services dans différentes activités. Or, ce qui compte pour comprendre la vie de l’entreprise, ce sont moins les produits qu’elle fabrique ou les services qu’elle rend que les ressources et les compétences sous-jacentes qu’elle mobilise pour cela.

Notamment : une entreprise qui mobilise des ressources d’un certain type pour fabriquer tel produit pourra avantageusement se diversifier dans la fabrication d’un autre produit, qui peut être en apparence très différent, mais qui en fait mobilise les mêmes ressources. On parle alors de diversification cohérente. Les ressources de l’entreprise sont à la fois ce qui permet le changement (je passe d’une activité A à une activité B qui mobilise les ressources dont je dispose) et ce qui le limite (je ne vais pas m’engager dans une activité C qui demande de mobiliser des ressources trop différentes). On voit apparaître dès lors des phénomènes de dépendance de sentier : ce que je ferai demain dépend de ce que je fais aujourd’hui, qui dépend de ce que j’ai fait hier.

Avec ces petits outils conceptuels, on peut mieux comprendre l’engagement des entreprises sus-nommées dans la fabrication de masques ou de respirateurs. L’entreprise Michelin se lance dans la fabrication de masques FFP2 et de visières car elle dispose de ressources en impression 3D, de compétences en injection plastique et d’un réseau de sous-traitants qu’elle sait coordonner, qui lui ont notamment permis de prototyper puis de mettre en production rapidement un masque réutilisable équipé d’un filtre interchangeable. Ses ressources lui permettent également de fabriquer un “capteur de débit” pour les respirateurs d’Air Liquide qui risque la rupture de stock (source ici).

Autre exemple, le consortium composé d’Air Liquide, PSA, Valéo, et Schneider Electric,  censé fabriquer 10 000 respirateurs en 1 mois, alors que la production d’Air Liquide, seul fabricant français jusqu’alors, est de 200 par an. Ce passage à l’échelle est tout sauf simple, d’où le recours d’Air Liquide à d’autres entreprises, notamment dans l’automobile. C’est d’ailleurs là une des demande adressée par Air Liquide à Peugeot : trouver des fournisseurs dans l’automobile capable de fabriquer rapidement un grand nombre de pièces. Peugeot lui a ainsi conseillé de faire appel à l’entreprise Bontaz, dans la Vallée de l’Arve, pour fabriquer 7 000 pièces spécifiques pour respirateurs (je cite cet exemple car il m’a rappelé de vieux souvenirs : l’entreprise Bontaz est au coeur du documentaire passionnant Ma Mondialisation).

Que peut apporter Valéo, de son côté ? Cette entreprise dispose d’abord de compétences dans les systèmes thermiques (climatisation, boucle d’air dans les véhicules…), dont la fabrication “se rapproche de l’expertise nécessaire à la fabrication de respirateurs” déclare le porte-parole du groupe. Un respirateur est composé ensuite de plusieurs centaines de pièces livrées par une centaine de fournisseurs différents à trouver dans des délais réduits. Or, “nous avons l’habitude, chez Valeo, de gérer une chaîne d’approvisionnement très complexe avec des milliards de composants qui arrivent dans nos usines chaque jour, c’est pourquoi nous avons mis en place une équipe d’acheteurs avec des compétences en matière de plastique et d’électronique”. Valéo s’engage également, si une pièce venait à manquer, à mobiliser ses ingénieurs R&D en électronique, plastique et impression 3D pour “redessiner une pièce si nécessaire” (source des citations ici).

Au final, c’est à la mise en œuvre d’innovations collaboratives entre des entreprises disposant de compétences et de ressources complémentaires que l’on assiste. Reste à savoir si le pari des 10 000 respirateurs pour fin mai sera gagné. On peut également se demander s’il restera quelque chose de tout cela après l’épidémie, si les collaborations en cours donneront l’idée aux entreprises impliquées de travailler ensemble sur d’autres sujets.