La répartition rural-urbain dans le temps long (1876-2021)

L’INSEE a publié une étude nationale sur l’évolution de la population entre 2015 et 2021  ainsi que des déclinaisons par région (voir ici). Le titre de l’étude nationale “la croissance démographique est deux fois plus élevée dans l’espace urbain que dans le rural”, me semble peu approprié, mais c’est malheureusement l’idée que de trop nombreuses personnes ont retenue, alors qu’en matière de dynamique de population, la répartition rural-urbain est particulièrement stable depuis 50 ans.

Pour preuve le graphique associé à ce billet, où j’ai exploité les données de l’INSEE sur les populations par commune (dans leur géographie actuelle) entre 1876 et 2021 (vous les trouverez ici. On y distingue les communes en fonction de leur degré de densité, des communes les plus denses (les grands centres urbains) aux communes les moins denses (les communes rurales à habitat dispersé).

Entre 1876 et 1975 on voit le poids de l’urbain augmenter continûment pour atteindre son maximum de près de 70% en 1975. Depuis, la part rural-urbain est particulièrement stable : 2/3 de la population environ vit dans l’urbain, 1/3 dans le rural). Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas de mouvements, il y en a, mais ils obéissent à d’autres logiques. Les dynamiques macro-territoriales, au profit de l’Ouest et du Sud du pays, notamment, également évoquées dans l’étude de l’INSEE, dominent très largement les différences rural-urbain.

Taux de croissance annuel moyen de la population entre 2015 et 2021, données recensement INSEE

La carte ci-dessus permet de visualiser le jeu de ces logiques macro-territoriales, avec des taux de croissance plus élevés le long de ce qu’on appelle le U de la croissance, qui descend le long du littoral atlantique, suit le Sud du pays et remonte jusqu’en Alsace.

Composition sociale des territoires : où vivent les catégories populaires ?

Louis Maurin m’a contacté il y a quelques jours pour me demander s’il était possible d’actualiser les chiffres datant de 2010 publiés dans cet article, sur la composition sociale des territoires. L’enjeu notamment est d’interroger un discours selon lequel les catégories populaires seraient concentrées dans le rural (la “France périphérique”), qu’elles auraient été chassées des plus grandes villes, au sein desquelles on ne trouverait plus qu’une élite mondialisée ou des bobos déconnectés.

Son mail est bien tombé, pile au moment d’une petite insomnie. J’ai donc décidé d’analyser la géographie des catégories sociales, avec un focus sur les différences rural-urbain. J’ai exploité pour cela les données sur la population active occupée du recensement millésime 2020 à la commune[1]. J’ai par ailleurs retenu comme définition du rural et de l’urbain la grille communale de densité : les communes dites urbaines sont les communes très denses ou de densité intermédiaire, les communes dites rurales sont les communes peu denses[2]. J’ai également introduit une distinction importante entre lieu de résidence et lieu de travail : des actifs peuvent en effet habiter une commune rurale mais travailler dans une commune urbaine, ou inversement.

Tableau 1. Localisation des actifs occupés par catégorie sociale, RP 2020, %

Toutes catégories confondues, un tiers des actifs occupés réside dans le rural et deux tiers dans l’urbain. Quand on analyse les lieux de travail plutôt que les lieux de résidence, les proportions sont respectivement d’un cinquième dans le rural et de quatre cinquièmes dans l’urbain, signe d’une concentration géographique de l’emploi dans l’urbain plus forte que celle de la population.

L’analyse par catégorie sociale montre que, sans surprise, les agriculteurs exploitants résident et travaillent essentiellement dans des communes rurales, autour de 85% (en creux, cela signifie quand même qu’environ 15% des agriculteurs sont des urbains). Pour toutes les autres professions, c’est la localisation dans l’urbain qui est majoritaire, dans des proportions certes variables, mais avec un minimum de 58% pour les ouvriers localisés à leur résidence.

On observe également des écarts importants entre lieux de résidence et lieux de travail pour toutes les professions, d’où l’intérêt de la distinction : l’écart monte à 15 points de pourcentage pour les professions intermédiaires, qui sont 17% à travailler dans le rural mais plus de 32% à y résider, il est encore de 10 points pour les cadres et professions intellectuelles supérieures, qui sont deux fois plus nombreux à résider dans le rural (20%) qu’à y travailler (10%).

Tableau 2. Composition sociale des territoires, RP2020, %

Le Tableau 2 présente en complément, à partir des mêmes chiffres, la composition sociale des territoires, au lieu de résidence et au lieu de travail. S’il existe des différences entre rural et urbain, il convient de ne pas les exagérer : les cadres et professions intellectuelles supérieures ne sont pas absents du monde rural, puisqu’environ 1 habitant sur 10 y travaille ou y réside, et inversement, les catégories dites populaires (employés et ouvriers) sont loin d’être absentes du monde urbain, puisqu’elles représentent autour de 45% de la population et de l’emploi de ces communes.

Tableau 3. Localisation (à la résidence) des actifs occupés selon la grille de densité à 7 niveaux %

Le Tableau 3 complète les deux premiers en présentant les résultats à un niveau plus détaillé de la grille de densité, du niveau de densité le plus fort (grands centres urbains) au niveau le plus faible (rural à habitat très dispersé). Les 4 premiers niveaux correspondent à l’urbain, les 3 derniers au rural. Si on se focalise sur les catégories dites populaires, on constate que plus d’un ouvrier sur 4 et plus d’un employé sur 3 habitent dans un grand centre urbain (le tableau reprend les chiffres au lieu de résidence, pas au lieu de travail).

Tableau 4. Composition sociale des territoires (au lieu de résidence) pour les 7 niveaux de la grille de densité, %

Le tableau 4 présente à partir des même chiffres la composition sociale des territoires (lecture colonne). Les ouvriers sont sous-représentés dans les grands centres urbains et les ceintures urbaines, mais ils représentent cependant une fraction non négligeable des habitants (a minima près de 15% des habitants des grands centres urbains). C’est encore plus vrai pour les employés.

Il convient donc de ne pas caricaturer la composition sociale des territoires (« les cadres sup sont tous dans l’urbain », « les classes populaires sont toutes dans le rural »), ni assigner les personnes à un type d’espace, alors que, souvent, elles circulent de différentes façons entre rural et urbain.

[1] Source : https://www.insee.fr/fr/information/7619431

[2] Pour des éléments de définition et une discussion de l’intérêt et des limites de cette définition, voir Olivier Bouba-Olga, « Qu’est-ce que le « rural » ? Analyse des zonages de l’Insee en vigueur depuis 2020 », Géoconfluences, mai 2021 (lien).

De quoi le PIB par habitant de l’Ile-de-France est-il le nom ?

L’INSEE vient de publier sa dernière analyse des PIB régionaux, où l’on apprend que le PIB par habitant, qui est en moyenne de 34 100€ en France, est de 57 600€ en Ile-de-France, contre 29 175€ ailleurs en France métropolitaine, soit un rapport du simple au double. Est-ce à dire qu’on est deux fois plus performant quand on est en Ile-de-France plutôt qu’ailleurs dans le pays ? Non, le PIB par habitant, dans sa déclinaison régionale, n’est pas le nom de la performance économique, pour plusieurs raisons que je vous propose de développer [1].

La première est que tous les habitants ne contribuent pas à la création de richesses, car tous ne sont pas en âge de travailler, et pour ceux qui le sont, tous ne travaillent pas. D’où la nécessité de décomposer le PIB par habitant en deux parties : le PIB par emploi (appelé aussi la productivité apparente du travail, plus proche de l’idée de performance économique, même si nous allons avoir ensuite que pas totalement, loin de là), d’un côté, et le ratio emploi par habitant, de l’autre. Le PIB par habitant est le produit de ces deux termes.

On constate alors que le PIB par emploi de l’Ile de France (111 073€) n’est plus égal à deux fois celui du reste de la France métropolitaine (72 886€), il est 1,5 fois plus élevé. Même si elle reste très importante, la différence est divisée par deux. Le reste est dû au ratio emploi par habitant, qui est 1,3 fois plus élevé en Ile-de-France (51,9 emplois pour 100 habitants) que dans le reste de la France métropolitaine (40 emplois pour 100 habitants). Le PIB par habitant est donc le nom, en partie, de choses très éloignées de la performance économique, en lien avec le rapport observé sur un territoire donné entre le nombre d’emplois et le nombre d’habitants, rapport sur lequel je reviendrai plus loin.

La deuxième raison est liée aux effets de spécialisation : un PIB par emploi supérieur en A à ce qu’il est en B peut résulter du fait non pas qu’on est plus performant en A qu’en B, mais que la région A est plus spécialisée que B dans les secteurs à forte productivité apparente du travail. Le PIB par habitant de l’Ile-de-France est donc le nom, aussi, de la division régionale du travail, avec certains secteurs plus présents dans la région capitale, et d’autres plus présents dans les autres régions, secteurs qui comprennent des établissements qui travaillent ensemble et qui rendent donc indissociables des territoires qu’on a trop tendance à séparer. L’agriculture est environ 20 fois moins présente en Ile-de-France qu’ailleurs, l’industrie 1,6 fois moins présente (notamment l’industrie agro-alimentaire plus de 3 fois moins présente), tandis que le secteur de l’information-communication y est près de deux fois plus présent et celui de la banque, de la finance et des assurances 1,8 fois plus.  Nous avions fait le calcul dans un article pour la revue de l’OFCE, à l’époque ces effets de composition réduisaient d’un tiers environ la surperformance apparente de l’Ile-de-France, on tomberait donc avec les chiffres actuels à un rapport autour de 1,3 fois le PIB par emploi hors effets de composition (ce serait à vérifier bien sûr, ça a pu changer un peu).

La troisième raison, non évoquée par l’INSEE, est d’une importance  cruciale : en fait, il n’est pas possible de calculer un PIB régional stricto sensu, c’est-à-dire de faire la somme des valeurs ajoutées des entreprises d’une région, parce que beaucoup d’entreprises détiennent des établissements dans plusieurs régions, et qu’on ne dispose pas d’une comptabilité par établissement, mais par entreprise. Comment calculer malgré tout un PIB régional ? Ce que fait l’INSEE, et c’est la moins mauvaise solution, c’est de ventiler la valeur ajoutée localisée au siège social de l’entreprise au prorata de la masse salariale versée dans ses différents établissements.

Cette façon de faire est acceptable si on considère que les différences de salaires correspondent à des différences de productivité, mais c’est une hypothèse quelque peu héroïque, notamment quand on parle des traders de la finance, de l’état-major des grands groupes, du salaire des superstars, …, pratiquement tous localisés en France dans la région capitale : toujours dans le même article, nous avions montré que les deux-tiers des 1% des salaires les plus hauts et les quatre cinquièmes du 0,1% des salaires les plus hauts étaient localisés en Ile-de-France. Ajoutons à cela le fait que les salaires parisiens sont en moyenne plus élevés parce que le niveau des prix est également plus élevé, d’environ 9% estime l’INSEE (voir ici par exemple), sans lien, là encore, avec les niveaux de productivité des salariés.

Pour autant, comme les masses salariales sont la clé de répartition de la valeur ajoutée, la région Ile-de-France récupère beaucoup de la valeur ajoutée des entreprises, si bien que le calcul de la productivité apparente du travail (le terme « apparent » devient particulièrement important) s’appuie sur des différences de salaires censées en rendre compte, alors que, pour partie, ces différences n’ont rien à voir avec elle. On peut donc dire que le PIB par habitant de l’Ile-de-France est aussi, pour partie, le nom de la concentration géographique de l’élite du pays (élite économique, artistique, médiatique ou encore de la haute administration), qui bénéficie de salaires peu liés à une quelconque productivité et plus généralement des inégalités de revenu issu du travail non liées totalement aux différentiels de productivité.

La ventilation de la valeur ajoutée au prorata des rémunérations versées pose un autre problème quand on veut parler de productivité : elle désavantage les régions où les processus productifs sont plus intensifs en capital et, en dynamique, celles pour lesquelles l’intensité capitalistique augmente. Imaginez une entreprise qui détient deux sites, dans deux régions différentes A et B. Le site de production en B investit dans de nouvelles machines, automatise le processus, réduit ses effectifs. Le site de commandement en A est inchangé. Implication : hausse de la valeur ajoutée et de la productivité apparente en A et baisse de la valeur ajoutée et de la productivité apparente en B. Pour pallier ce problème important, il faudrait évaluer la productivité totale des facteurs, mais on ne dispose pas des données pour cela à l’échelle des régions.

Revenons à l’autre ratio qui influe sur les différences de PIB par habitant : le ratio emploi par habitant. Il dépend lui-même de plusieurs éléments (sa décomposition est précisée dans le document), notamment du rapport entre le nombre d’emplois et le nombre d’actifs occupés, et le rapport entre le nombre de personnes en âge de travailler et le nombre d’habitants, deux ratios plus élevés en Ile-de-France que dans le reste de la France métropolitaine.

S’agissant du rapport entre nombre d’emplois localisés en Ile-de-France et nombre d’actifs occupés résidant en Ile-de-France, la valeur élevée du ratio (1,05 en Ile-de-France contre 0,96 ailleurs en France métropolitaine) s’explique par le fait que de nombreuses personnes travaillent dans la région capitale mais résident dans des régions limitrophes. Mécaniquement, ceci fait monter le ratio emploi par habitant et donc le PIB par habitant. J’ai cependant un problème avec la façon dont l’INSEE en parle, en disant que Paris « attire des travailleurs résidant dans les régions voisines, notamment en Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire et dans les Hauts-de-France », affirmation reprise par certains médias, par exemple ici. C’est aller bien vite en besogne d’affirmer que « Paris attire », car on peut tout aussi bien dire que « Paris repousse » des personnes qui travaillaient sur Paris, qui ne peuvent plus y vivre compte-tenu du prix de l’immobilier et qui donc s’éloignent, se localisent dans les régions limitrophes, en allongeant ce faisant leurs trajets domicile-travail. On ne peut pas trancher entre les deux processus, celui d’attraction par l’emploi ou de répulsion résidentielle, les deux existent, ils conduisent tous deux à l’augmentation du ratio emploi par habitant et donc à celui du PIB par habitant, qui est pour partie le nom des mobilités interrégionales domicile-travail. A noter que ce n’est pas la première fois que la façon dont l’INSEE mobilise le terme “attractif” me pose problème, j’en avais parlé au sujet de ce que je considère comme les très mal nommées “aires d’attraction des villes”.

S’agissant du rapport entre personnes en âge de travailler et nombre d’habitants, si sa valeur est forte sur l’Ile-de-France (65,5% contre 61,3% ailleurs en France métropolitaine), c’est aussi parce que les retraités quittent la capitale lors du passage à la retraite pour couler des jours heureux ailleurs, notamment sur les littoraux de l’Ouest et du Sud. Là encore, ceci se traduit par un PIB par habitant plus élevé que pour une région qui ne connait pas une telle « fuite » de ses retraités, le PIB par habitant est cette fois, pour partie, le nom des mobilités résidentielles des personnes passant à la retraite.

Au total, le PIB par habitant de l’Ile-de-France est le nom de processus géographiques complexes, non réductibles à une question de performance économique : il est le nom d’un vaste marché du travail où exercent des personnes qui pour partie résident ailleurs, par choix ou par nécessité ; il est le nom d’une région dans laquelle on ne reste pas pour finir ses vieux jours ; il est le nom de l’éclatement géographique des processus productifs et des spécialisations territoriales associées ; il est le nom de la concentration géographique de l’élite économique, politique, médiatique, …, à très hautes rémunérations ; il est le nom des inégalités de salaires non liées aux différentiels de productivité ; il est le nom de prix à la consommation plus élevés sur Paris qu’ailleurs. Avec comme enjeu évident l’analyse fine de ces processus complexes et interdépendants, et la nécessité d’en tirer des implications en termes d’action. Je ne suis pas sûr que cela soit réellement fait.


[1] Je m’appuie pour cela sur une analyse et une décomposition du PIB par habitant que nous avions proposée avec Michel Grossetti dans un article pour la Revue de l’OFCE, décomposition que l’INSEE reprend en partie.

Votes et gradient d’urbanité : une relation invalidée

Jacques Lévy est intervenu lundi 25 avril 2022 sur France Culture dans Le temps du débat, puis de nouveau le 1er mai, toujours sur France Culture, dans l’émission l’Esprit Public, pour commenter les résultats des élections. Son analyse s’appuie sur un travail cartographique conséquent visible ici.

Conformément à une thèse qu’il défend depuis longtemps (vous trouverez l’essentiel de ses idées appliquées au vote du 21 avril 2002 dans ce texte), il considère que les différences géographiques de vote s’expliquent avant tout par ce qu’il appelle les gradients d’urbanité, bien plus que par les différences de catégorie sociale, de diplôme ou d’âge.

Son idée forte est la suivante : l’urbain dense est le lieu de la diversité, de l’ouverture, de la tolérance, de la connexion au monde, dès lors, baigner dans des environnements à forte urbanité conduirait à voter pour des partis “de gouvernement”, “universalistes”, alors que quand l’urbanité est faible, on est enclin à voter pour des partis “protestataires”, “populistes”, “tribunitiens”. C’est cela qui expliquerait les votes, plus que le fait d’être jeune ou vieux, d’être diplômé du supérieur ou non diplômé, ouvrier, employé ou cadre supérieur.

Pour mesurer les gradients d’urbanité, Jacques Lévy s’appuie sur les zonages d’étude de l’INSEE, et dans ses dernières analyses, sur le zonage en aires d’attraction des villes. Chaque commune peut être rattachée à l’un des 8 gradients d’urbanité, qui sont définis sur la base d’une double distinction : en fonction de la tranche d’aire d’attraction des villes, d’une part, et de la situation de la commune par rapport à la commune centre de l’aire, d’autre part.

La commune qui présente le gradient d’urbanité le plus fort, c’est Paris, elle correspond au gradient 1. Suivent les communes de la banlieue de Paris, ainsi que les communes centres des aires de plus de 700 000 habitants, toutes étant de gradient 2 : les communes de la banlieue sont moins urbaines que Paris, mais elle bénéficient en quelque sorte de son ruissellement ; les communes centres des très grandes aires, ce n’est pas Paris, mais l’urbanité y est forte. Et ainsi de suite, jusqu’aux communes hors aires d’attraction des villes, de gradient 8, à l’urbanité la plus faible.

Pour mesurer l’impact des gradients d’urbanité, il procède à des analyses cartographiques, qui permettent de visualiser la géographie des votes en fonction de ces gradients, pour conclure le plus souvent que son analyse est validée. Il va cependant un cran plus loin : conscient que d’autres éléments peuvent jouer, notamment les effets de diplôme, de catégorie sociale ou d’âge, il affirme que les gradients d’urbanité sont plus explicatifs que ces autres éléments, sur la base d’un raisonnement quelque peu opaque et pour le moins curieux (voir ici, à partir de 5’30).

L’analyse de Jacques Lévy a fait l’objet de critiques sérieuses, depuis déjà longtemps (voir par exemple l’article de Fabrice Ripoll et Jean Rivière). Mon objectif ici est d’ajouter une pierre à la critique, en montrant qu’elle est invalidée empiriquement, sur la base des résultats du vote du premier tour des élections présidentielles 2022 de l’ensemble des communes de France métropolitaine.

Pour cela, il convient de définir précisément quels résultats on devrait obtenir si la “théorie” du gradient d’urbanité était vérifiée : on devrait observer i) un score des candidats de gouvernement qui augmente quand le degré d’urbanité augmente, ii) un score des candidats protestataires qui diminue quand le degré d’urbanité augmente, iii) un pouvoir explicatif du gradient d’urbanité supérieur au pouvoir explicatif d’autres distinctions (âge, CSP, niveau de diplôme), iv) un effet du gradient d’urbanité qui est observé à caractéristiques sociales égales par ailleurs.

Pour valider ou invalider ces propositions, je considère d’abord comme candidats de gouvernement Macron, Jadot, Pécresse et Hidalgo, et comme candidats protestataires les huit autres candidats, classés à gauche pour quatre d’entre eux (Mélenchon, Roussel, Poutou, Arthaud) et à droite pour les quatre autres (Le Pen, Zemmour, Lassalle, Dupont-Aignan). Sur cette base, je procède aux traitements suivants :

  1. j’analyse les scores moyens obtenus par chaque candidat, en fonction du gradient d’urbanité : si la théorie est vérifiée, le score moyen de Macron, Jadot, Pécresse et Hidalgo doit augmenter avec le degré d’urbanité, celui des huit autres candidats doit diminuer. Le gradient d’urbanité doit en outre expliquer une part importante des différences de vote observées entre communes,
  2. j’analyse parallèlement l’influence d’une autre variable que le gradient d’urbanité : la part des diplômés du supérieur par commune. Si la théorie est validée, cette variable doit expliquer une part moins importante du vote que le gradient d’urbanité,
  3. j’analyse dans un même modèle le gradient d’urbanité et la part des diplômés du supérieur, afin d’évaluer l’impact du gradient d’urbanité à niveau de diplôme donné. Si la théorie fonctionne, le gradient d’urbanité doit exercer l’influence attendue sur les scores des candidats de gouvernement et des candidats protestataires.

Commençons par cette première proposition, en mesurant l’impact du gradient d’urbanité sur les votes des 12 candidats. Dans le tableau, vous pouvez lire le score obtenu par chaque candidat dans la commune de Paris (gradient 1), puis l’écart à ce score pour les gradients de 2 à 8. La dernière ligne renseigne sur le pourcentage des différences de votes entre communes expliquées par le gradient d’urbanité.

Scores au 1er tour de l’élection présidentielle de 2022 par gradient d’urbanité (score moyen des communes du gradient 1 et écart à ce score pour les autres gradients)

A titre d’exemple de lecture, le score d’Emmanuel Macron dans la commune de Paris est de 35,3%, celui de Yannick Jadot est de 7,3%. En moyenne, dans les communes de la banlieue de Paris et dans les communes centre des aires de plus de 700 000 habitants, le score d’Emmanuel Macron est inférieur de 6,4 points de pourcentage au score qu’il obtient sur Paris, et celui de Yannick Jadot est inférieur de 2 points de pourcentage à son score parisien. Sur la dernière ligne de ces deux candidats, on constate que les gradients d’urbanité n’expliquent que 7% des différences communales de vote Macron, et 21% des différences pour Jadot.

Globalement, s’agissant des candidats de gouvernement, on constate que les scores hors Paris sont tous inférieurs au bloc sur Paris intra-muros, ce qui va dans le sens de la théorie, mais dans sa version extrême, où l’urbanité serait réservée au cœur de la capitale, point d’urbanité en dehors. De plus, le gradient d’urbanité n’explique qu’une faible partie des différences entre communes (variance expliquée inférieure à 10%), hormis pour Jadot, candidat pour lequel la théorie « marche » un peu mieux, puisque la variance expliquée par le gradient d’urbanité est de 21% et que son score est continûment décroissant quand on va du gradient 1 à 8.

Pour les candidats protestataires, la théorie fonctionne plutôt bien pour Marine le Pen puisque son score est continûment croissant avec le gradient (à l’exception du gradient 8, son score y est inférieur aux gradients 6 et 7) et il explique 46% des différences observées. En revanche, le résultat est inverse au résultat attendu pour Mélenchon (avec un pouvoir explicatif du gradient important, mais totalement contraire à l’attendu, de 46%) et pour Zemmour (mais avec un faible pouvoir explicatif du gradient d’urbanité, qui n’explique que 2% des différences de vote entre communes). Les résultats de Mélenchon et de Zemmour constituent clairement le premier élément d’invalidation de la théorie des gradients d’urbanité.

Deuxième temps de l’analyse, l’examen de la deuxième proposition, qui consiste à étudier le jeu d’une autre variable explicative considérée comme moins déterminante par Jacques Lévy que le jeu du gradient d’urbanité. J’ai retenu la part communale des diplômés du supérieur, qui exerce une influence certaine sur les votes. Je compare simplement la part des différences expliquées par le gradient d’urbanité, d’un côté, et la part expliquée par la part des diplômés du supérieur, de l’autre.

Variance expliquée par le gradient d’urbanité et par la part des diplômés du supérieur en pourcentage de la variance totale, dans les votes au 1er de tour de 2022. Pour la variable “part des diplômés du supérieur”, l’analyse a été faite en retenant la valeur continue de la variable, et également en constituant huit groupes de communes (1/8 des communes à plus faible part, puis 1/8 des suivantes, etc.), pour avoir un nombre de classes équivalent au nombre de gradient d’urbanité.

On constate que pour sept des douze candidats, la part des diplômés explique mieux les différences communales de score que le gradient d’urbanité, pour deux l’explication est équivalente (Hidalgo et Poutou), et c’est seulement pour 3 qu’elle est moins explicative que le gradient d’urbanité (Mélenchon, Lassalle et Dupont-Aignan), mais dans un sens contraire à l’attendu pour Mélenchon rappelons-le. L’écart est particulièrement fort pour Macron (+24 points de pourcentage d’explication) et pour Jadot (+32 points). Ces résultats constituent le deuxième élément d’invalidation de la théorie.

Dernier temps essentiel de la démonstration, l’analyse intégrée des deux effets. L’erreur principale de Jacques Lévy consiste en effet à étudier gradient d’urbanité, CSP, âge et diplôme séparément, en les considérant comme indépendants. Or, la composition sociale des territoires varie fortement selon le gradient d’urbanité. De ce fait, les différences de scores par gradient peuvent résulter non pas de sa théorie (on est plus tolérant quand on vit dans un environnement urbain, donc on vote moins pour les partis protestataires), mais de différences de caractéristiques sociales (on est plus diplômés, donc on vote moins pour les partis protestataires, qu’on habite dans l’urbain ou dans le rural). C’est à cette condition qu’on pourra éventuellement identifier le jeu d’un effet géographique « pur ».

Ecarts au score de gradient 1 pour les gradients 2 à 8 à part des diplômés du supérieur égale par ailleurs. Les valeurs soulignées sont non significativement différentes de 0 au seuil de 1%.

On constate que, quand on neutralise l’effet “part des diplômés du supérieur”, les résultats pour tous les candidats des partis de gouvernement sont contraires à la théorie : leur score est supérieur dans les communes hors Paris, il est même continument croissant pour Macron quand on passe du gradient 1 au gradient 8 d’urbanité (c’est le cas également pour Pécresse).

S’agissant des candidats protestataires, les résultats de Roussel sont maintenant contraires à la théorie (coefficients tous négatifs, mais leurs valeurs sont faibles), et ceux de Mélenchon le restent. A l’inverse, quand on neutralise l’effet de diplôme, le score de Zemmour devient un peu plus conforme à la théorie, il améliore ses scores quand l’urbanité diminue, mais la part des différences expliquées reste faible (7%).

Cette troisième série d’éléments va dans le même sens que les deux séries précédentes. Dès lors, il nous semble possible de conclure que la théorie du gradient d’urbanité, qui veut que vivre dans l’urbain incite à voter pour des partis de gouvernement et que s’éloigner de l’urbain le plus dense (Paris intra-muros) conduise à voter pour des partis protestataires, d’autant plus qu’on s’en éloigne, est invalidée empiriquement.

Le vote le Pen, un vote rural ?

Les résultats du vote à peine tombés, les analyses se multiplient. J’ai entendu, entre autres choses, à de nombreuses reprises, des commentateurs indiquer que le vote le Pen augmentait à mesure que l’on s’éloignait des villes. Est-ce bien le cas ? La réponse peut sembler en apparence paradoxale : oui, le vote le Pen est plus important dans le monde rural, mais non, ce n’est pas parce qu’on vit dans le monde rural qu’on vote plus le Pen. Or je pense qu’au moins certains commentateurs, et sans doute certains de ceux qui les écoutent, font la confusion entre ces deux idées.

Pour bien comprendre ce que je veux dire, je vous propose d’analyser la géographie du vote, à l’échelle des communes de France métropolitaine, en me focalisant sur le cas de Marine Le Pen, donc, et en comparant les résultats aux deux tours de l’élection, pour 2017 et pour 2022.

Mon objectif étant d’identifier l’influence éventuelle du degré de ruralité sur le vote, il convient de définir ce que l’on entend par commune rurale et par commune urbaine. Le mieux est de s’appuyer sur la nouvelle définition de la ruralité définie par l’Insee, définition basée sur la grille communale de densité : une commune rurale est une commune très peu dense ou peu dense, une commune urbaine est une commune très dense ou de densité intermédiaire (voir ici pour une présentation de cette nouvelle définition).

88% des communes sont rurales, elles concentrent 33% de la population au sens du recensement millésime 2019 et 37% des inscrits au 2ème tour de l’élection présidentielle de 2022.

Fort de cette définition, on peut comparer la moyenne des scores obtenus par Marine le Pen aux deux tours des deux dernières élections présidentielles. Commençons par comparer les résultats bruts, en dehors de toute autre considération.

Le tableau se lit de la façon suivante : le fait d’être une commune rurale plutôt qu’une commune urbaine augmente le score de Marine le Pen au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 de 6,6 points de pourcentage en moyenne.  En 2022, l’augmentation est en moyenne de 8,6 points de pourcentage. Résultats sans aucune ambiguïté : les scores de la candidate du rassemblement national sont en moyenne bien plus importants dans le monde rural que dans le monde urbain, de 7 à 9 points aux premiers tours, de plus de 10 points aux deuxièmes tours.

Il y a cependant une autre information importante contenue dans le tableau : la part expliquée par le caractère rural des communes dans l’ensemble des différences de scores que l’on observe entre ces mêmes communes. On constate alors que les différences moyennes de résultats entre communes rurales et communes urbaines sont certes importantes, mais cette caractéristique n’explique qu’une part relativement faible de l’ensemble des différences constatées, moins de 20% dans tous les cas. Dit encore autrement : entre 81% et 88% des différences de scores entre rural et urbain s’expliquent par autre chose que le caractère rural ou urbain des communes.

Par ailleurs, une analyse plus satisfaisante des différences de scores entre communes consiste à intégrer non seulement leur dimension rurale ou urbaine, mais aussi des variables permettant de saisir les différences de composition sociale des territoires. Supposons pour illustrer que le vote le Pen soit en moyenne moins important chez les jeunes. Si la part des jeunes est plus faible dans les communes rurales, on s’attendra à ce que le score de Marine le Pen y soit plus fort, toute chose égale par ailleurs, non pas en raison du caractère rural de la commune stricto sensu, mais parce que la composition par âge y est différente.

Dans cette perspective, j’ai  comparé à nouveau les moyennes de scores entre communes rurales et communes urbaines en neutralisant certains de ces effets de composition, à l’aide d’un nombre volontairement réduit de variables : la part des diplômés du supérieur, la part des personnes de 65 ans et plus, la part des personnes de 15 à 29 ans et la part des immigrés dans la population. J’ai également introduit une indicatrice régionale. La question est de savoir si, à caractéristiques sociales introduites dans le modèle égales, et à région identique, on observe encore, ou non, des différences entre communes urbaines et communes rurales.

L’introduction de ces nouvelles variables change tout : l’effet ruralité est significativement réduit, le fait d’être une commune rurale plutôt qu’une commune urbaine n’augmente le score de Marine le Pen que, au plus, d’un peu plus d’un point de pourcentage. On constate également que l’introduction de ces variables améliore considérablement l’explication des différences de vote qui atteint voire dépasse les 80%. Il s’avère donc que, à caractéristique sociale identique, le fait de vivre dans une commune rurale plutôt que dans une commune urbaine ne conduit que très peu à voter plus le Pen.

Pour mesurer plus précisément le jeu des différentes variables, vous trouverez ci-dessous le tableau complet des résultats. Le coefficient associé à chaque variable vous donne l’effet de la variable sur le score de Marine le Pen (tous les coefficients sont statistiquement significatifs).

Guide de lecture : quand la part des diplômés du supérieur augmente d’un point de pourcentage, le score de Marine le Pen diminue de 0,5 point au premier tour de 2017 et de 0,7 point au deuxième tour de 2022. Le fait d’être une commune bretonne plutôt qu’une commune d’Auvergne-Rhône-Alpes diminue en moyenne de 7,8 points de pourcentage son score au premier tour de 2017 et de 11,2 points au deuxième tour de 2022.

On constate que le vote de Marine le Pen diminue quand la part des diplômés augmente, quand la part des jeunes ou des personnes âgées augmente, et quand la part des immigrés dans la population augmente. On observe également des effets régionaux marqués : effet très négatif sur son score d’être une commune de Bretagne, des Pays de la Loire, puis de Nouvelle-Aquitaine, effet très positif sur son score d’être une commune de PACA, de Corse, des Hauts-de-France ou de Grand Est.

Au final, contrairement à ce qu’une analyse sommaire de la géographie des votes pourrait laisser penser, le fait de vivre dans le rural ne conduit pas à voter plus pour Marine le Pen, pas plus que le fait de vivre dans l’urbain ne conduit à voter moins pour elle. Si le score de Marine le Pen augmente quand on s’éloigne des villes, c’est avant tout lié à la composition sociale des territoires, ainsi qu’à des effets macro-régionaux.

Vote rural, vote urbain : une distinction peu opérante

Je reviens à la charge sur l’analyse des votes, suite à un message reçu sur Linkedin, qui renvoyait sur le post ci-dessous, représentatif de tout un ensemble d’interprétations du vote du premier tour (il ne s’agit donc pas de dénoncer les propos de l’auteur du post, mais de les déconstruire) :

La personne qui m’a écrit me demandait ce que je pensais de ce post, compte-tenu de ma tendance à critiquer les discours opposants métropoles, villes moyennes et monde rural. Or, le post semble interpréter les résultats à l’aune d’une fracture territoriale, qui opposerait monde urbain et monde rural (ou Métropoles et France périphérique pour reprendre le vocabulaire le plus usuel), et qui semble bien réelle. Voici des éléments d’analyse.

Le premier problème avec cette carte, c’est qu’elle donne à voir, pour chaque commune, le candidat arrivé en tête, si bien qu’on a l’impression, quand une commune est en bleue, que tous les habitants de ladite commune ont voté le Pen, et quand elle est en beige, que tous ont voté Macron, ce qui n’est pas le cas. Mieux vaut s’en remettre aux pourcentages obtenus par les candidats. En l’occurrence, je vous propose de me concentrer sur Macron et le Pen, et d’analyser les scores sur la base de la grille communale de densité, qui permet de distinguer le monde urbain (communes très denses et de densité intermédiaire) et le monde rural (communes peu denses et très peu denses).

votes obtenus par les deux premiers candidats au premier tour de la présidentielle de 2022 (%)

Les votes en France métropolitaine varient selon le degré de densité, un peu pour Macron, plus fortement pour le Pen, avec environ dix points d’écarts entre les communes très denses et les autres. Les résultats pour la Moselle sont peu différents, si ce n’est que le vote Macron y est un peu plus faible et que le vote le Pen y est plus nettement plus fort.

Le problème est que ces différences sont liées en partie aux différences de composition sociale des territoires : supposons que les ouvriers votent plus souvent le Pen que les autres catégories sociales, et qu’ils soient plus présents dans les communes peu denses et très peu denses, on s’attend à ce que le vote le Pen soit plus fort dans ces communes, non pas parce qu’elles sont « rurales », mais parce que la composition des personnes qui y vivent est différente.

Distinguer entre ces effets de composition et les effets de densité est essentiel, pour ne pas mésinterpréter les votes. Si on ne le fait pas, on s’expose à des interprétations du type : les personnes qui vivent dans le rural votent plus souvent pour le Pen, car ils sont moins tolérants, ils ne sont pas ouverts aux autres, moins ouverts à la diversité à laquelle ils ne sont pas confrontés au quotidien, ils pâtissent d’un faible degré d’urbanité, etc.

J’ai procédé ailleurs à une analyse qui permet de distinguer effets de composition et effets de densité. Méthodologiquement, il s’agit « d’expliquer » les votes en ne retenant que la densité comme variable (on obtient alors des effets bruts), puis en retenant d’autres variables à côté de la densité, pour obtenir des effets nets. Plus précisément, j’ai retenu dans mon analyse la part des personnes diplômées du supérieur, le taux de chômage, la part des plus de 65 ans, la part des 15-29 ans et la part des immigrés (j’ai également intégré une indicatrice régionale pour la France métropolitaine).

effets bruts et effets nets de la densité sur les scores des deux premiers candidats au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 (%)

La partie haute du tableau reprend les résultats pour l’ensemble de la France métropolitaine, la partie basse pour la Moselle. Je vous explique comment lire le tableau, en prenant l’exemple de sa partie haute , le chiffre de -1,4 de Macron pour les communes de densité intermédiaire : ce qu’il signifie, c’est qu’en moyenne, en France métropolitaine, le score de Macron est inférieur de 1,4 point de pourcentage dans les communes de densité intermédiaire, par rapport à son score dans les communes très denses (qui sont prises comme modalité de référence). Quand on neutralise les effets de composition, on constate que l’effet “densité intermédiaire plutôt que forte densité” passe de -1,4 à +0,1 point de pourcentage.

Que ce soit en France métropolitaine ou dans le département de la Moselle, le résultat principal est que l’effet de la densité sur le vote le Pen est très sensiblement réduit, il passe de plus de 10 points à 1 ou deux points. De plus, en Moselle, les coefficients attachés aux communes de densité intermédiaire, peu denses et très peu denses ne sont pas significativement différents de 0 (pas de différence statistiquement significative au seuil de 1% pour le score de le Pen entre les différents types de communes).

Un autre résultat intéressant pour la Moselle est que l’effet de densité s’inverse pour Macron : il est négatif quand on analyse l’effet brut, il devient positif quand on analyse l’effet net. Ceci signifie qu’à caractéristique identique, en Moselle, les personnes vivant dans les communes moins denses ont plus voté pour Macron que celles vivant dans des communes plus denses. Ce n’est pas le cas ailleurs en France, les effets de densité restent négatifs pour Macron quand la densité diminue.

A caractéristiques identiques, les écarts de vote entre monde rural et monde urbain sont donc limités. Si l’on observe des différences, c’est, pour l’essentiel, parce que les caractéristiques des populations qui y vivent diffèrent. On peut donc en déduire que les interprétations à coup de gradient d’urbanité sont à prendre avec d’infinis précautions, pour dire le moins.

Ceci étant, il reste des effets de densité en France métropolitaine, limités mais significatifs. Comment peut-on l’expliquer ? Première hypothèse : les variables mobilisées ne capturent qu’une partie des différences de composition sociale, si je pouvais les capturer totalement, les effets de densité disparaîtraient.  Deuxième hypothèse, qui a ma préférence : en dehors des effets de composition, il existe des différences significatives entre monde rural et monde urbain, notamment en matière d’accessibilité aux services et aux équipements, qui peuvent conduire à des différences dans les votes.

Ceci me permet d’insister pour finir sur un point important : je dénonce souvent l’opposition entre métropoles, villes moyennes, petites villes et monde rural, mais c’est sur le plan de la capacité à innover ou à créer des emplois. Ceci ne signifie pas qu’il n’existe aucune différence entre ces catégories de territoires : il en existe, notamment sur ce sujet des services à la population. Ce qui me conduit à plaider pour qu’on arrête de croire que l’horizon indépassable de la création de richesse et d’emploi, ce sont les métropoles, d’une part, et qu’on se focalise sur les enjeux d’aménagement et d’équipement des territoires, en se préoccupant de ceux qui pâtissent d’un déficit en la matière, d’autre part.

Suite à des demandes, voici en complément les résultats obtenus pour Jean-Luc Mélenchon :

Un « exode métropolitain » ? Une comparaison des inscriptions scolaires et des réexpéditions définitives du courrier

[version pdf de cet article disponible ici]

Assiste-t-on à un déménagement massif de personnes des plus grandes villes vers les villes moyennes et/ou les territoires ruraux ? Pour répondre à cette question, nous avons exploité, dans un travail précédent, les données sur les inscriptions scolaires avant crise et depuis la crise qui montrait que, sans pouvoir parler d’exode urbain, il se passait quelque chose, avec en apparence des mobilités de couples avec de jeunes enfants des plus grandes villes vers les villes moyennes et les territoires ruraux (voir cet article du Monde (€), cette map story et ce document de travail pour des précisions).

Parallèlement, des chercheurs ont travaillé sur le sujet, dans le cadre d’une étude pilotée par le Réseau Rural Français et le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), étude intitulée « Exode urbain : impacts de la pandémie de COVID-19 sur les mobilités résidentielles ». Les premiers résultats viennent d’être publiés sous la forme d’une note joliment titrée « Exode urbain ? Petits flux, grands effets ».

Parmi ces travaux, le plus proche du nôtre du point de vue méthodologique, réalisé par Marie Breuillé, Camille Grivault, Julie Le Gallo et Olivier Lision, a consisté à exploiter des données sur les réexpéditions définitives du courrier, qui permettent de calculer des soldes migratoires par territoire. Cette source peut sembler encore plus satisfaisante que celle sur les inscriptions scolaires, car elle concerne également des personnes sans enfant scolarisé.

L’une des questions que l’on se pose immédiatement est la suivante : les résultats de l’analyse des données sur les inscriptions scolaires et ceux sur les réexpéditions définitives de courrier sont-ils convergents ?

Pour y répondre, nous avons procédé à de nouveaux calculs sur les inscriptions scolaires, afin de nous caler sur des choix faits par les collègues chercheurs : i) nous avons calculé les taux de croissance des inscriptions aux mêmes dates qu’eux (2018-2019, 2019-2020 et 2020-2021)[1], ii) nous avons repris leur typologie de territoires, basé sur le découpage en aires d’attraction des villes, qui permet de distinguer 16 ensembles de communes.

Pour analyser l’effet de la crise Covid sur les comportements de mobilité, nous avons alors comparé l’évolution des taux de croissance des inscriptions scolaires d’une part, et des soldes migratoires des réexpéditions définitives du courrier, d’autre part, entre la période 2018-2019 et la période 2020-2021.

Prenons l’exemple d’une des catégories de territoires, l’ensemble des communes hors de l’aire d’attraction des villes, pour bien comprendre la démarche. Le taux de croissance des inscriptions scolaires de cette catégorie de communes était de ­‑2,29% entre la rentrée 2018 et la rentrée 2019, et de ‑1,37% entre la rentrée 2020 et la rentrée 2021[2]. L’évolution du taux de croissance est donc de ‑1,37% ‑ (‑2,29%) = +0,92%. Du côté des réexpéditions définitives du courrier, le solde migratoire pour cette catégorie de communes était de +7,4 pour mille ménages entre mars 2018 et mars 2019, il est passé à +9,7 pour mille entre mars 2020 et mars 2021, soit une variation de +9,7 – (+7,4) = +2,30 pour mille.

comparaison de l’évolution des dynamiques d’inscriptions scolaires dans le 1er degré et des dynamiques de réexpédition définitive du courrier avant et après crise

Le tableau ci-dessus synthétise les résultats pour les 16 catégories de communes (les dynamiques pour chaque sous-période et pour chacun des deux indicateurs sont reprises en annexe). Les deux premières colonnes reprennent les variations des taux de croissance des inscriptions scolaires d’une part et les variations des soldes migratoires des réexpéditions définitives du courrier, d’autre part. Les deux colonnes suivantes correspondent aux rangs de classement des différentes catégories de territoires : les communes hors aires d’attraction des villes sont celles qui ont connu l’évolution la plus favorable sur les deux indicateurs (rang 1 à chaque fois), la commune-centre de l’aire de Paris est celle qui a connu l’évolution la plus défavorable sur les deux mêmes indicateurs (rang 16 à chaque fois).

Qu’il s’agisse des inscriptions scolaires ou des réexpéditions définitives du courrier, les territoires de petite taille semblent en moyenne le mieux tirer leur épingle du jeu, qu’il s’agisse des communes hors des aires d’attraction des villes ou des communes des aires de moins de 50 000 habitants (commune-centre, communes de la couronne et autres communes du pôle principal de ces aires).  Viennent ensuite les communes de la couronne de Paris et les communes de la couronne des aires de 200 à moins de 700 000 habitants. A l’autre extrême, les communes centres et les autres communes du pôle principal des plus grandes aires d’attraction des villes (aires de plus de 700 000 habitants et aire de Paris) sont celles qui subissent les évolutions les moins favorables.

Dans tous les cas on constate que les rangs sont très proches entre les deux classements, qu’il s’agisse du classement sur les inscriptions scolaires ou de celui sur les réexpéditions de courrier. L’écart de rang ne dépasse que dans un cas la valeur de 3. Cette bonne corrélation est confirmée par le nuage de points ci-dessous et par le coefficient de corrélation de rang entre les deux séries de chiffres (r=0,87).

On observe cependant une exception, pour les communes de la couronne de l’aire de Paris : la variation de la dynamique de réexpédition semble très favorable (plus forte dynamique sur 2020-2021) alors que la variation de la dynamique des inscriptions est moins bonne (7ème rang).

Comment expliquer cet écart ? L’hypothèse que l’on peut formuler est que les mobilités observées dans la région capitale, profit des communes de la couronne francilienne, concerneraient pour une part non négligeable des personnes sans enfant scolarisés dans le premier degré.

Au final, les enseignements que nous avions tirés de l’analyse des inscriptions scolaires sont confirmés par les chiffres sur les réexpéditions définitives du courrier : la crise Covid semble se traduire par des mobilités de certaines des plus grandes villes vers certains territoires de taille moyenne et/ou ruraux.

Pour avoir une vue plus précise des évolutions à l’œuvre, il conviendrait d’analyser les deux séries de données non pas à l’échelle de ces grandes catégories de territoires, mais à l’échelle des communes. Il conviendrait également de croiser ces résultats avec d’autres, notamment sur les prix de l’immobilier : d’autres travaux de l’étude pilotée par le Réseau Rural Français et le PUCA, plus qualitatifs, montrent en effet que certains territoires voient les prix de l’immobilier augmenter sans que l’on assiste à des déménagements, l’achat des biens correspondant plutôt à des logiques d’investissement. Il serait donc utile de repérer les territoires où se conjuguent hausse des prix de l’immobilier et déménagements (donc hausse des inscriptions scolaires et des réexpéditions de courrier) et ceux pour lesquels on assiste seulement à une hausse des prix de l’immobilier.

[1] Il reste une légère différence cependant : les collègues ont travaillé sur des données de réexpédition de mars à mars, nous avons travaillé sur des données sur les inscriptions à la rentrée scolaire, soit de septembre à septembre.

[2] Rappelons que les inscriptions scolaires s’inscrivent dans un contexte de baisse générale depuis 2016, en raison, pour l’essentiel, de la dynamique démographique du pays.

Annexe

données sur les inscriptions scolaires dans le premier degré et sur les réexpéditions définitives de courrier

[version pdf de cet article disponible ici]

Géographie du monde d’après : assiste-t-on à un “exode urbain” ?

Difficile de répondre à cette question, car on ne dispose pas de données récentes sur les mobilités résidentielles. Pour contourner le problème, j’ai eu l’idée de travailler sur les inscriptions scolaires dans le premier et dans le second degré, avant la crise sanitaire (entre la rentrée 2016 et la rentrée 2019) et depuis le début de la crise (entre la rentrée 2019 et la rentrée 2020 puis entre la rentrée 2020 et la rentrée 2021).

J’en ai tiré une tribune que le Monde vient de publier. Résultat principal ? Si on ne peut évidemment pas parler d’exode urbain, il se passe quelque chose, malgré tout, notamment pour les inscriptions dans le premier degré (donc plutôt pour des couples jeunes) : alors que la dynamique des inscriptions des 22 métropoles était significativement supérieure à la moyenne avant la crise, elle est devenue significativement inférieure entre la rentrée 2020 et la rentrée 2021. Réciproquement, la dynamique observée dans les communautés de communes, significativement inférieure à la moyenne avant la crise, est maintenant dans la moyenne, et donc plus favorable que celle des métropoles (ceci dans un contexte de baisse globale des inscriptions).

Taux de croissance annuel moyen des inscriptions scolaires dans le premier degré (données Ministère, traitements Région Nouvelle-Aquitaine) – source.

Comme précisé dans la tribune, cette tendance moyenne masque des disparités : parmi les 22 métropoles, 12 connaissent une baisse plus faible que la moyenne et 10 une baisse plus forte, à commencer par Paris, qui est sans trop de surprise la métropole la plus affectée, mais aussi Grenoble, Clermont, Nancy et et Lyon.

En complément, j’ai regardé s’il y avait un lien entre évolution des inscriptions et proximité aux métropoles, la réponse est non, aucun lien statistique significatif, des territoires proches des métropoles et d’autres plus lointain ont des dynamiques plus favorables et d’autres moins favorables. La carte ci-dessous (version dynamique ici) permet de confirmer, vous pouvez y voir les intercommunalités dont les effectifs sont en croissance entre la rentrée 2020 et la rentrée 2021 (elles sont au nombre de 269, sur un total de 1231 intercommunalités).

Intercommunalités dont les effectifs ont augmenté entre la rentrée 2020 et la rentrée 2021 – version dynamique ici

Pour des développements sur ce que l’on a fait, vous pouvez regarder, en plus de la tribune, ce document de travail. Pour information également, je présenterai ces résultats dans le cadre d’un webinaire organisé par l’Observatoire des Impacts Territoriaux de la Crise, qui aura lieu jeudi 13 janvier de 10h30 à 12h30, inscriptions ici.

L’accessibilité aux services et aux équipements

C’est le titre de la Nouvelle étude que nous publions aujourd’hui, qui propose de répondre aux questions suivantes : quels sont les différents niveaux d’équipements et de services et où sont-ils situés géographiquement ? Quel est le temps d’accès moyen à chacun de ces niveaux ? Quelle est la situation des différentes régions et celle plus précise de la Nouvelle-Aquitaine en termes de niveaux de services et d’équipements et de temps d’accès ? Quels sont les territoires pour lesquels l’accessibilité est la plus faible ?

Nous mettons à votre disposition différents documents :

  • la brochure au format électronique, consultable et téléchargeable en pdf sur calaméo,
  • le document de travail associé, qui présente de façon plus classique et plus détaillée l’étude, également en pdf,
  • le jeu de données associé, qui vous permet de disposer de l’ensemble des temps moyens d’accès, pour toutes les communes et toutes les intercommunalités de France métropolitaine.

Dans le cadre de notre partenariat avec l’Espace Mendès France (EMF), nous présenterons cette étude mardi 14 décembre, de 18h à 20h, en présentiel (à l’Espace Mendès France de Poitiers) et en distanciel, en direct ou en différé, sur la chaîne YouTube de l’EMF. Sera également présentée une étude co-produite par l’INSEE et la DRAC de Nouvelle-Aquitaine sur le sujet plus précis de l’accessibilité aux équipements culturels. Tous les détails sont ici.

Pour ceux qui n’ont pas le temps de parcourir tous ces documents, voici les principaux points de l’étude :

  • Nous exploitons une base de données produite par l’INRAE et l’ANCT qui permet de distinguer 5 types de communes, de la moins équipée à la plus équipée, qualifiées respectivement de communes non centre (niveau 0), centres locaux (niveau 1), centres intermédiaires (niveau 2), centres structurants (niveau 3) et centres majeurs (niveau 4),
  • Pour chaque commune on sait où elle se situe dans la gamme de services et d’équipements, mais aussi le temps par la route en heure creuse qu’il faut pour se rendre dans la commune la plus proche de niveau(x) supérieur(s) si la commune elle-même n’est pas équipée, ce qui permet de calculer à toutes les échelles supra-communales des temps moyens d’accès,
  • L’accessibilité aux services et équipements est globalement moins bonne en Nouvelle-Aquitaine qu’en France métropolitaine : la part de la population équipée à l’échelle d’une commune est 5 points inférieure à la moyenne pour les niveaux 1 et 4 et 10 points inférieure pour les niveaux 2 et 3. Les temps d’accès aux communes équipées sont toujours supérieurs, mais dans des proportions faibles, de l’ordre de quelques minutes,
  • Cette moins bonne accessibilité s’explique par le caractère plus rural de la région : quand on intègre cet élément dans l’analyse, les différences de temps d’accès entre la Nouvelle-Aquitaine et les autres régions de province disparaissent,
  • A l’échelle des EPCI de Nouvelle-Aquitaine, on observe une hétérogénéité relativement forte des temps d’accès aux différents niveaux de la gamme : les EPCI les plus éloignés ont des temps d’accès entre 3 et 4 fois plus importants que les EPCI les mieux placées,
  • Les EPCI plus éloignés que d’autres pour accéder à un niveau de la gamme ne sont pas les mêmes selon les niveaux. Ceci plaide pour des actions territoriales différenciées en fonction du niveau de la gamme de services et d’équipements,
  • Le caractère rural et la taille des EPCI (mesurée par leur population) expliquent, selon leur niveau d’équipement, entre 24% et 43% des différences observées entre elles. Agir de manière différenciée sur les territoires ruraux s’avère donc important, mais cela n’épuise pas le sujet de l’accessibilité : à degré de ruralité et à taille identiques, certains territoires ont une accessibilité plus faible.

La mobilité résidentielle en France : une courte analyse sur longue période

La revue Population & Avenir vient de publier un article très intéressant de Jean-Marc Zaninetti (Professeur de géographie à l’Université d’Orléans) sur la proportion de personnes vivant en France métropolitaine dans leur département de naissance, de 1871 à 2017. En exploitant les données du recensement, il montre que cette part est passée de 80% en 1871 à 61% en 1968 et 50% en 2017 et en déduit que “la sédentarité qui dominait dans une France à dominante rurale a laissé la place à un maelström de migrations internes”.

J’ai trouvé ces chiffres particulièrement intéressants, sans toutefois savoir quoi dire sur la tendance : bien sûr, la mobilité interdépartementale a très fortement évolué entre 1871 et 2017, de 30 points de pourcentage. Pour autant, un français sur deux qui vit aujourd’hui dans son département de naissance, ce n’est pas rien (attention, ces personnes ont pu bouger entre leur naissance et la date du recensement). De plus, sur près de 50 ans (entre 1968 et 2017), la hausse de la mobilité a été de 10 points : est-ce beaucoup ? Est-ce peu ? Disons que nous ne sommes ni dans une France de sédentaires, ni dans une France d’hyper-mobiles.

J’ai lancé un petit sondage sur Twitter et sur LinkedIn, pour savoir ce que vous répondriez si on vous interrogeait sur la valeur de cette part (en passant, j’en ai profité pour poster de manière très légèrement différente la question sur les deux réseaux, pour voir si cela changeait un peu les résultats : sur Twitter, j’ai proposé comme parts 10%, 25%, 50% et 75%, alors que sur LinkedIn, j’ai  proposé 25%, 50%, 75% et 9%). Voici les résultats.

Selon vous, quelle est la part des personnes qui résident dans leur département de naissance, en France, aujourd’hui ? (Sondage réalisé du dimanche 5/12/2021 au lundi 6/12/2021)

Les répondants ont vu globalement juste, avec une majorité pour la bonne proportion de 50%. Ensuite vient une tendance à la sous-estimation (40% des répondants sur Twitter, 36% sur LinkedIn).

J’ai commencé à compléter l’analyse de Jean-Marc Zaninetti, pour savoir un peu mieux comment s’organisent ces mobilités interdépartementales. Sur la période la plus ancienne, j’ai pu récupérer des données supplémentaires dans un fichier proposé par l’INSEE sur cette page, le fichier T229, colonnes CD à CJ (ne me demandez pas comment je suis tombé dessus, je ne sais plus). Si bien que je dispose des taux de mobilités interdépartementales pour 1861, 1871, 1881, 1891, 1901, 1911 et 1921.

Sur la période plus récente, allant du recensement de 1968 à celui de 2017, les chiffres sont ici. Je les ai exploités en ajoutant les codes des anciennes Régions, ce qui me permets de distinguer trois types de mobilités interdépartementales :

  • les mobilités entre deux départements de la même Région ancienne définition (22 régions de France métropolitaine),
  • les mobilités entre deux départements qui n’appartiennent pas à la même ancienne Région mais qui appartiennent à la même nouvelle Région (13 Régions de France métropolitaine),
  • les mobilités entre deux départements qui appartiennent à des Régions (nouvelle définition) différentes.

Sur la base de ces deux compléments, j’ai construit le graphique ci-dessous.

La mobilité interdépartementale est passée selon ces données de 12% en 1861 à 49% au recensement millésime 2017. Soit une part de personnes “non mobiles” passant de 88% à 51%. L’intégration de l’échelle régionale montre que 13% des personnes qui ne résident pas dans leur département de naissance résident dans un département de la même ancienne Région. On peut y ajouter les 2% de personnes qui résident dans un département de la même nouvelle Région.

Au total, à l’échelle des Régions nouvelle définition, on aurait donc en 2017 un total de 35% de personnes “mobiles” et 65% de personnes “non mobiles”. Ceci me conduirait à dire que si la mobilité a augmenté tendanciellement, elle reste relativement limitée, puisque deux tiers des français restent durablement dans la même Région.

Pour finir, je signale qu’il y a matière à compléter : 1) en produisant des analyses région par région, par exemple, 2) en exploitant des données complémentaires disponibles dans les fichiers 1968-2017 le genre des personnes, leur niveau de diplôme, leur âge, leur nationalité, leur profession, etc., 3) en distinguant la mobilité interdépartementale entre départements limitrophes et départements non limitrophes plutôt qu’entre Régions institutionnelles, ou bien en calculant la distance entre les centroïdes des départements de naissance et de résidence, pour juger autrement de la mobilité.