En 2020, une mortalité plus forte et une géographie différente (épisode 24)

L’Insee a livré hier les chiffres sur la mortalité toutes causes confondues jusqu’au 13 avril 2020. La tendance observée la semaine dernière selon laquelle la mortalité en mars-avril est plus forte cette année que l’an dernier, mais aussi qu’en 2018, année de grippe longue et virulente, se confirme. Cette surmortalité s’inscrit cependant de manière spécifique dans l’espace, car contrairement à d’autres épidémies, elle continue de se caractériser par une forte concentration géographique, qui n’est pas sans interroger.

S’agissant de la surmortalité, j’ai reproduit le graphique de l’Insee sur le nombre de décès quotidien, pour la période du 1er mars au 13 avril. On constate que sur cette période, la mortalité en 2018 est sensiblement supérieure à celle de 2019, et que celle de 2020 les dépasse à partir de mi-mars, pour atteindre 2700 décès par jour au 1er avril, et redescendre heureusement depuis. Sur cette période, la surmortalité 2020 est supérieure de 25% à celle de 2019 et de 13% à celle de 2018. Étant entendu qu’elle a été limitée par le confinement, dont certains collègues estiment qu’il a évité plus de 60 000 décès.

Contrairement à ce que l’on observe dans le cas des grippes saisonnières, cette mortalité n’est cependant pas distribuée de manière homogène dans l’espace, elle est fortement concentrée, à commencer par le Grand Est et l’Ile-de-France. Pour le montrer, j’ai calculé un indicateur de concentration géographique des décès pour les trois années, qui vaut 1 en cas de concentration maximale et 100 en cas de concentration minimale.

Premier constat : même si la mortalité en 2018 est sensiblement supérieure en mars-avril à celle observée en 2019, les indices de concentration spatiale sont très proches, avec des valeurs relativement élevées qui oscillent autour de 67%. L’épidémie de grippe de 2018, plus virulente et plus longue que celle de 2019, s’est donc déployée de manière homogène dans l’espace.

Pour l’épidémie actuelle, ce n’est pas la même histoire : la valeur de l’indice de concentration décroche de la tendance quand la mortalité 2020 dépasse celle des années précédentes. L’indice descend jusqu’à 50%, signe d’un accroissement de la concentration spatiale des décès, qui se déploient de manière hétérogène dans l’espace.

Ce constat fait sur l’ensemble des décès est confirmé, et même sensiblement renforcé, si l’on analyse les données sur le Covid 19 de Santé publique France, en calculant le même indice de concentration spatiale.

L’indice augmente certes en début de période, mais il prend des valeurs faibles et ne dépasse jamais les 30%, signe d’une forte concentration spatiale de l’épidémie, relativement stable dans le temps.

Jusqu’à présent, lorsque je suis interrogé sur ce double résultat (forte concentration spatiale de l’épidémie, stabilité de cette concentration), je réponds qu’il faut y voir au moins en partie l’effet bénéfique du confinement. Il semble cependant que le confinement ne puisse pas tout expliquer : une telle concentration spatiale de l’épidémie se retrouve en effet dans des pays qui n’ont pas ou peu mis en œuvre le confinement, comme la Suède ou les Pays-Bas par exemple.

source : https://legrandcontinent.eu/fr/observatoire-coronavirus/ (site consulté le 25/04/2020)

[allez sur le site qui présente cette carte pour visualiser en survolant les régions le taux de décès et la proportion de cas]

Ce constat est au cœur des interrogations d’Antoine Flahault (merci à twitter, plus précisément à Tristan Klein, de m’avoir transmis le lien vers son interview), dont l’hypothèse explicative est que les personnes asymptomatiques joueraient un faible rôle dans la diffusion de l’épidémie, contrairement à ce que l’on observe pour les grippes saisonnières.

Pour la grippe, que je connais bien pour avoir participé à la mise en place du réseau Sentinelles en France : quand survient un pic épidémique, toute la France est concernée de manière synchrone (…), tout le pays connaît le pic durant la même semaine ou presque. Comment l’expliquer ? Mon hypothèse est que l’ensemencement préalable par le virus de la grippe est important avant le démarrage visible de l’épidémie saisonnière et qu’il est causé par les personnes asymptomatiques, donc silencieuses, qui vont déclencher l’épidémie finalement visible au même moment partout dans toute l’Europe.

(…) Cette particularité du coronavirus sur le virus grippal est importante, car beaucoup de modèles mathématiques utilisées pour COVID sont des modèles recyclés de la grippe qui repose sur une hypothèse forte de pan-mixage. Or, elle pourrait s’avérer moins valable pour COVID, s’il s’avère que les personnes asymptomatiques n’ensemencent pas le pays de façon massive comme dans le cas de la grippe.

Ceci ne signifie bien sûr pas que le confinement ne sert à rien, il a sans conteste permis d’éviter un nombre important de contamination et de décès. Mais il semble bien qu’il n’explique pas tout. Et force est de constater que les raisons de cette concentration spatiale de l’épidémie ne sont pas, pour l’heure, totalement claires.

Covid 19, épisode 9 : sur la mortalité, suite

J’avais indiqué dans un billet précédent, sur la base des chiffres diffusés par l’Insee, que l’épidémie ne se traduisait pas à la date du 16 mars par une surmortalité à l’échelle du pays. L’Insee vient de livrer les mêmes chiffres à la date du 23 mars, ce qui permet d’actualiser l’analyse. Il s’avère que le nombre de décès toutes causes confondues du 1er au 23 mars 2020 a dépassé le nombre observé en 2019 (40 684 contre 39 707), mais pas encore celui de 2018 (année caractérisée par un épisode de grippe long et virulent).

A l’échelle des départements, les choses évoluent également. Pour le montrer, j’ai rapporté le nombre de décès en 2020 au même nombre en 2019, afin d’identifier les départements connaissant une surmortalité. A la date du 16 mars, 24 départements connaissaient une surmortalité (dont 9 départements une surmortalité de plus de 10%). A la date du 23 mars, ce chiffre a doublé, 48 départements connaissent une surmortalité par rapport à 2019 (dont 16 de plus de 10%).

On ne peut cependant pas dire avec certitude que ces surmortalités sont liés à l’épidémie. Pour en juger un peu mieux, j’ai comparé la surmortalité calculée sur les données Insee aux chiffres de Santé publique France sur les décès cumulés en hôpitaux à la même date du 23 mars, afin de répondre à la question suivante : est-ce que les départements connaissant une surmortalité en 2020 par rapport à 2019 de plus de 10% (données Insee) sont ceux qui ont une part dans les décès liés au Covid 19 supérieure de plus de 10% à leur poids dans la population (données Santé publique France) ?

On obtient le tableau suivant :

Sur les 16 départements connaissant une surmortalité de plus de 10% d’après les données Insee, 11 en connaissent également une d’après les données Santé publique France (Haut-Rhin, Vosges, Aisne, Moselle, Bas-Rhin, Oise, Corse-du-Sud, Paris, Côte-d’Or, Hauts-de-Seine, Aude). Pour 5 départements, on a une surmortalité d’après les données Insee, mais pas d’après les données Santé publique France : c’est le cas de Mayotte, des Deux-Sèvres, de la Manche, de la Mayenne et des Yvelines. Le cas des Yvelines est cependant limite, car l’indice pour les données Santé publique France est proche du seuil de 10% (il est en fait de 7%). On trouve enfin 13 départements qui pèsent plus dans les décès en hôpital que dans la population (de plus de 10% je rappelle), sans que cela se traduise par une surmortalité de plus de 10% par rapport à 2019 d’après les données Insee. Pour 11 d’entre eux, cependant, on n’est pas loin du seuil de 10%, deux seulement ont une mortalité inférieure en 2020 à ce qu’elle était en 2019 (la Marne et la Saône-et-Loire).

Au final, il semble que les résultats issus des deux sources tendent à se rapprocher, et que l’on s’oriente vers une surmortalité liée à l’épidémie par rapport aux années précédentes, surmortalité qui touche cependant certains départements beaucoup plus que d’autres.