En 2020, une mortalité plus forte et une géographie différente (épisode 24)

L’Insee a livré hier les chiffres sur la mortalité toutes causes confondues jusqu’au 13 avril 2020. La tendance observée la semaine dernière selon laquelle la mortalité en mars-avril est plus forte cette année que l’an dernier, mais aussi qu’en 2018, année de grippe longue et virulente, se confirme. Cette surmortalité s’inscrit cependant de manière spécifique dans l’espace, car contrairement à d’autres épidémies, elle continue de se caractériser par une forte concentration géographique, qui n’est pas sans interroger.

S’agissant de la surmortalité, j’ai reproduit le graphique de l’Insee sur le nombre de décès quotidien, pour la période du 1er mars au 13 avril. On constate que sur cette période, la mortalité en 2018 est sensiblement supérieure à celle de 2019, et que celle de 2020 les dépasse à partir de mi-mars, pour atteindre 2700 décès par jour au 1er avril, et redescendre heureusement depuis. Sur cette période, la surmortalité 2020 est supérieure de 25% à celle de 2019 et de 13% à celle de 2018. Étant entendu qu’elle a été limitée par le confinement, dont certains collègues estiment qu’il a évité plus de 60 000 décès.

Contrairement à ce que l’on observe dans le cas des grippes saisonnières, cette mortalité n’est cependant pas distribuée de manière homogène dans l’espace, elle est fortement concentrée, à commencer par le Grand Est et l’Ile-de-France. Pour le montrer, j’ai calculé un indicateur de concentration géographique des décès pour les trois années, qui vaut 1 en cas de concentration maximale et 100 en cas de concentration minimale.

Premier constat : même si la mortalité en 2018 est sensiblement supérieure en mars-avril à celle observée en 2019, les indices de concentration spatiale sont très proches, avec des valeurs relativement élevées qui oscillent autour de 67%. L’épidémie de grippe de 2018, plus virulente et plus longue que celle de 2019, s’est donc déployée de manière homogène dans l’espace.

Pour l’épidémie actuelle, ce n’est pas la même histoire : la valeur de l’indice de concentration décroche de la tendance quand la mortalité 2020 dépasse celle des années précédentes. L’indice descend jusqu’à 50%, signe d’un accroissement de la concentration spatiale des décès, qui se déploient de manière hétérogène dans l’espace.

Ce constat fait sur l’ensemble des décès est confirmé, et même sensiblement renforcé, si l’on analyse les données sur le Covid 19 de Santé publique France, en calculant le même indice de concentration spatiale.

L’indice augmente certes en début de période, mais il prend des valeurs faibles et ne dépasse jamais les 30%, signe d’une forte concentration spatiale de l’épidémie, relativement stable dans le temps.

Jusqu’à présent, lorsque je suis interrogé sur ce double résultat (forte concentration spatiale de l’épidémie, stabilité de cette concentration), je réponds qu’il faut y voir au moins en partie l’effet bénéfique du confinement. Il semble cependant que le confinement ne puisse pas tout expliquer : une telle concentration spatiale de l’épidémie se retrouve en effet dans des pays qui n’ont pas ou peu mis en œuvre le confinement, comme la Suède ou les Pays-Bas par exemple.

source : https://legrandcontinent.eu/fr/observatoire-coronavirus/ (site consulté le 25/04/2020)

[allez sur le site qui présente cette carte pour visualiser en survolant les régions le taux de décès et la proportion de cas]

Ce constat est au cœur des interrogations d’Antoine Flahault (merci à twitter, plus précisément à Tristan Klein, de m’avoir transmis le lien vers son interview), dont l’hypothèse explicative est que les personnes asymptomatiques joueraient un faible rôle dans la diffusion de l’épidémie, contrairement à ce que l’on observe pour les grippes saisonnières.

Pour la grippe, que je connais bien pour avoir participé à la mise en place du réseau Sentinelles en France : quand survient un pic épidémique, toute la France est concernée de manière synchrone (…), tout le pays connaît le pic durant la même semaine ou presque. Comment l’expliquer ? Mon hypothèse est que l’ensemencement préalable par le virus de la grippe est important avant le démarrage visible de l’épidémie saisonnière et qu’il est causé par les personnes asymptomatiques, donc silencieuses, qui vont déclencher l’épidémie finalement visible au même moment partout dans toute l’Europe.

(…) Cette particularité du coronavirus sur le virus grippal est importante, car beaucoup de modèles mathématiques utilisées pour COVID sont des modèles recyclés de la grippe qui repose sur une hypothèse forte de pan-mixage. Or, elle pourrait s’avérer moins valable pour COVID, s’il s’avère que les personnes asymptomatiques n’ensemencent pas le pays de façon massive comme dans le cas de la grippe.

Ceci ne signifie bien sûr pas que le confinement ne sert à rien, il a sans conteste permis d’éviter un nombre important de contamination et de décès. Mais il semble bien qu’il n’explique pas tout. Et force est de constater que les raisons de cette concentration spatiale de l’épidémie ne sont pas, pour l’heure, totalement claires.

Covid 19, épisode 23 : nouvelle évaluation de l’impact économique de l’épidémie

L’Insee a publié hier une nouveau point de conjoncture pour mesurer la perte d’activité lié à la pandémie et au confinement. Par rapport à une semaine normale, la perte d’activité serait de 35% pour l’ensemble des secteurs et de 41% pour le sous-ensemble du secteur marchand.

Les pertes par secteurs sont également actualisées :

J’ai reproduit l’exercice consistant à spatialiser ces pertes, ce qui donne la carte par département suivante :

Il y a très peu de changement par rapport à la dernière fois : la corrélation entre les estimations du 9 avril et celles du 23 avril est supérieure à 98%. Les départements les moins impactés restent la Lozère, la Creuse et la Meuse, ceux les plus touchés la Seine-et-Marne, la Savoie et les Hauts-de-Seine.


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Covid 19, épisode 22 : le positionnement des régions françaises dans le concert des pays de l’Union

Petit billet pour présenter autrement les taux de mortalité : j’ai construit un tableau avec les taux de mortalité des 28 pays de l’Union, du taux de mortalité le plus élevé (509 décès par million d’habitants en Belgique) au plus faible (2 décès par million d’habitants en Slovaquie), et j’ai intercalé les régions de France métropolitaine.

source des données sur la population : Eurostat ; source des données sur les décès : John Hopkins University et Santé publique France

La région Grand Est, la plus touchée, se situe ainsi entre la Belgique et l’Espagne. La Nouvelle-Aquitaine, région la moins touchée, pâtit d’un taux de mortalité inférieur à ce que l’on observe en Allemagne et en Autriche.

Covid 19, épisode 20 : la mortalité 2020 a dépassé celles de 2019 et de 2018

L’Insee a livré pour la troisième semaine consécutive les chiffres de la mortalité toutes causes confondues (voir ici pour la première livraison des chiffres et là pour la deuxième), cette fois pour la période du 1er mars au 6 avril. Jusqu’à présent, la mortalité en 2020 était inférieure à celle de 2018, année où la grippe avait été longue et virulente. Ce n’est plus le cas : on comptabilise 76 246 décès entre le 1er mars et le 6 avril 2020, contre 63 686 en 2019 (+20% entre 2019 et 2020) et 71 003 en 2018 (+7% entre 2018 et 2020). Ceci s’explique par l’accélération des décès sur la période (voir le graphique ci-dessous) : on est passé de 1830 décès par jour du 1er au 15 mars, à 2250 du 16 mars au 31 mars, puis à 2470 du 1er au 6 avril.

Pour un sous-ensemble de communes, l’Insee dispose de chiffres plus récents, jusqu’au 10 avril. Ceci permet de faire un constat un peu plus rassurant : on observe une baisse du nombre de décès du 4 au 10 avril de 9% par rapport à la semaine du 28 mars au 3 avril, le plus dur est peut-être passé.

Cette surmortalité reste très concentrée géographiquement : par rapport à 2019, la hausse des décès est particulièrement forte en Ile-de-France (+72%), dans le Grand Est (+55%) et dans une moindre mesure en Bourgogne Franche-Comté et dans les Hauts-de-France (+20%).

A l’échelle des départements, la hausse est supérieure à 50% dans tous ceux d’Ile-de-France, ainsi que dans le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, les Vosges, la Moselle et l’Oise. Les parties ouest, centre et sud du pays sont relativement préservées, on observe même une baisse de la mortalité pour de nombreux département d’un grand quart Sud-Ouest.


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Covid 19, épisode 19 : la géographie des décès en Ehpad, proche de celle en hôpitaux

Pour dire des choses sur la géographie du Covid 19 en France, j’exploite depuis le départ les seules statistiques disponibles, celles fournies par Santé publique France, qui nous renseignent sur les décès en hôpitaux, et en hôpitaux seulement, à l’échelle des régions et des départements. Depuis deux semaines environ, le Ministère mentionne cependant chaque jour, en plus des décès en hôpitaux, le nombre de décès France entière recensés dans les établissements sociaux et médicaux-sociaux (Esms), composés notamment des Ehpad. A la date du 16 avril, on comptabilise ainsi un total de 17 920 décès, dont 11 060 en hôpital et 6 860 en Esms, soient des proportions respectives de 60% et 40% environ.

Jusqu’à présent, on ne disposait donc pas de chiffres précis sur la géographie des décès en Esms, alors qu’on peut légitimement se demander si cette géographie est la même que celle des décès en hôpitaux, ou non. Cette lacune est en partie réparée par la publication des points épidémiologiques régionaux sur le site de Santé publique France. Je dis bien en partie, car il m’a fallu dépouiller les 13 documents des régions de France métropolitaine pour trouver des chiffres, qui de surcroît ne sont pas tous mentionnés de la même façon : dans certains documents, on nous donne le nombre de décès en Esms sans plus de précisions, dans d’autres documents (dans 7 cas sur 13) on distingue les décès en Esms et ceux en hôpitaux de résidents des Esms.

J’ai me suis donc “amusé” à collecter les informations pour les 13 régions métropolitaines en retenant le nombre total de décès de résidents Esms sur la période du 1er mars au 14 avril 2020 (décès en hôpitaux ou non), j’ai calculé le poids dans l’ensemble de chaque région, puis je les ai rapporté aux poids de ces mêmes régions dans les décès en hôpitaux sur la même période. J’obtiens ainsi un indice qui vaut 1 si le poids d’une région dans les décès de résidents Esms est le même que son poids dans les décès en hôpitaux, et qui est supérieur à 1 (respectivement inférieur à 1) si son poids dans les décès Esms est supérieur (respectivement inférieur) à son poids dans les décès en hôpitaux. Si les chiffres diffèrent sensiblement de 1, c’est que les deux géographies, celle des décès en hôpitaux et celle des décès en Ehpad et autres Esms, diffèrent sensiblement.

J’obtiens le tableau suivant :

Données Santé publique France, période du 1er au 14 avril 2020

De manière générale, les deux géographies sont relativement proches. On observe cependant quelques différences : Auvergne Rhône Alpes et Centre Val de Loire pèsent 40% de plus dans les décès en Esms que dans les décès en hôpitaux et l’Ile-de-France 20% de plus. A l’inverse, Grand Est et Bourgogne Franche-Comté, deux régions très touchées quand on analyse les taux de mortalité en hôpitaux seulement, pèse un peu moins dans les décès en Esms. On constate que la plupart des régions de l’Ouest et du Sud (Pays de la Loire, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, PACA), qui accueillent un nombre importants d’établissements sociaux et médicaux sociaux, et qui sont jusqu’à présent peu touchées par l’épidémie, pèsent encore moins dans les décès en Esms que dans les décès en hôpitaux.

Au final, la forte concentration géographique des décès liés au Covid 19 qu’on observe en analysant les seuls décès en hôpitaux n’est donc pas sensiblement modifiée par les chiffres sur les décès de résidents d’Esms.


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Covid 19, épisode 18 : des pneumatiques aux respirateurs

[billet écrit sur une idée de Stéphane Ménia]

La crise sanitaire en cours a conduit de nombreuses entreprises à proposer leur aide pour faire face à l’épidémie. Dans tout un ensemble de cas, l’aide octroyée n’a rien de surprenant : des entreprises disposant de stocks de masques, de charlottes, de sur-blouses, … les donnent aux hôpitaux ; des entreprises de l’industrie textile-habillement fabriquent puis donnent des masques ; un fabricant de pneus propose d’équiper les véhicules d’urgence ; etc. Dans d’autres cas, quand Michelin déclare qu’il va fabriquer 40 000 masques par semaine, ou que Valéo, équipementier automobile, s’engage dans la production de respirateurs, c’est en apparence plus surprenant.

Pour le comprendre, on peut faire un détour par l’économie d’entreprise, plus précisément les approches en termes de ressources (ou les approches en termes de compétences, ou la théorie évolutionniste, toutes très proches). L’idée de base est la suivante : une entreprise peut être vue comme un pool de ressources physiques (machines), humaines (salariés, dirigeants), immatérielles (marques, brevets, …), dont la combinaison permet de rendre des services dans différentes activités. Or, ce qui compte pour comprendre la vie de l’entreprise, ce sont moins les produits qu’elle fabrique ou les services qu’elle rend que les ressources et les compétences sous-jacentes qu’elle mobilise pour cela.

Notamment : une entreprise qui mobilise des ressources d’un certain type pour fabriquer tel produit pourra avantageusement se diversifier dans la fabrication d’un autre produit, qui peut être en apparence très différent, mais qui en fait mobilise les mêmes ressources. On parle alors de diversification cohérente. Les ressources de l’entreprise sont à la fois ce qui permet le changement (je passe d’une activité A à une activité B qui mobilise les ressources dont je dispose) et ce qui le limite (je ne vais pas m’engager dans une activité C qui demande de mobiliser des ressources trop différentes). On voit apparaître dès lors des phénomènes de dépendance de sentier : ce que je ferai demain dépend de ce que je fais aujourd’hui, qui dépend de ce que j’ai fait hier.

Avec ces petits outils conceptuels, on peut mieux comprendre l’engagement des entreprises sus-nommées dans la fabrication de masques ou de respirateurs. L’entreprise Michelin se lance dans la fabrication de masques FFP2 et de visières car elle dispose de ressources en impression 3D, de compétences en injection plastique et d’un réseau de sous-traitants qu’elle sait coordonner, qui lui ont notamment permis de prototyper puis de mettre en production rapidement un masque réutilisable équipé d’un filtre interchangeable. Ses ressources lui permettent également de fabriquer un “capteur de débit” pour les respirateurs d’Air Liquide qui risque la rupture de stock (source ici).

Autre exemple, le consortium composé d’Air Liquide, PSA, Valéo, et Schneider Electric,  censé fabriquer 10 000 respirateurs en 1 mois, alors que la production d’Air Liquide, seul fabricant français jusqu’alors, est de 200 par an. Ce passage à l’échelle est tout sauf simple, d’où le recours d’Air Liquide à d’autres entreprises, notamment dans l’automobile. C’est d’ailleurs là une des demande adressée par Air Liquide à Peugeot : trouver des fournisseurs dans l’automobile capable de fabriquer rapidement un grand nombre de pièces. Peugeot lui a ainsi conseillé de faire appel à l’entreprise Bontaz, dans la Vallée de l’Arve, pour fabriquer 7 000 pièces spécifiques pour respirateurs (je cite cet exemple car il m’a rappelé de vieux souvenirs : l’entreprise Bontaz est au coeur du documentaire passionnant Ma Mondialisation).

Que peut apporter Valéo, de son côté ? Cette entreprise dispose d’abord de compétences dans les systèmes thermiques (climatisation, boucle d’air dans les véhicules…), dont la fabrication “se rapproche de l’expertise nécessaire à la fabrication de respirateurs” déclare le porte-parole du groupe. Un respirateur est composé ensuite de plusieurs centaines de pièces livrées par une centaine de fournisseurs différents à trouver dans des délais réduits. Or, “nous avons l’habitude, chez Valeo, de gérer une chaîne d’approvisionnement très complexe avec des milliards de composants qui arrivent dans nos usines chaque jour, c’est pourquoi nous avons mis en place une équipe d’acheteurs avec des compétences en matière de plastique et d’électronique”. Valéo s’engage également, si une pièce venait à manquer, à mobiliser ses ingénieurs R&D en électronique, plastique et impression 3D pour “redessiner une pièce si nécessaire” (source des citations ici).

Au final, c’est à la mise en œuvre d’innovations collaboratives entre des entreprises disposant de compétences et de ressources complémentaires que l’on assiste. Reste à savoir si le pari des 10 000 respirateurs pour fin mai sera gagné. On peut également se demander s’il restera quelque chose de tout cela après l’épidémie, si les collaborations en cours donneront l’idée aux entreprises impliquées de travailler ensemble sur d’autres sujets.

Covid 19, épisode 17 : nouvelles variations sur les taux de mortalité

Je m’interroge régulièrement depuis le début de cette série de billets sur le Covid 19 sur la meilleure façon de représenter l’information disponible : quel indicateur retenir ? quelle échelle géographique ? Comment présenter les résultats : sous forme de tableau, de carte, de graphique ?

S’agissant de l’indicateur, que l’on compare des régions ou des pays, j’avais attiré l’attention dès mon premier billet sur la nécessité de rapporter le  nombre de cas, d’hospitalisation ou de décès à la population des entités comparées, pour neutraliser les effets taille. Ce n’est pas toujours fait, je lis encore régulièrement des comparaisons entre les Etats-Unis, l’Italie, la France, …, en nombre de décès, ce qui n’a pas beaucoup de sens. Le nombre de morts aux Etats-Unis (22 014 au 12 avril 2020) a certes dépassé le nombre de morts en Italie (19 899), en Espagne (17 489) et en France (9 253), mais le taux de mortalité (65 morts par million d’habitants aux Etats-Unis toujours au 12 avril) est nettement inférieur au taux italien (330), lui-même inférieur au taux espagnol (373) malgré un plus grand nombre de décès, la France étant en position intermédiaire avec un taux de 138 (en comptabilisant les décès en hôpital seulement, en intégrant les décès en Ehpad le taux monte à 220).

S’agissant de l’échelle géographique, on est malheureusement limité par les données disponibles. Si je me concentre sur la variable “décès”, on dispose de données à l’échelle des régions et des départements pour la France, des régions pour l’Espagne et l’Italie et des États et des Comtés pour les Etats-Unis. Travailler à ces échelles permet de montrer que la géographie compte, comme le montre le tableau ci-dessous : les moyennes nationales masquent la forte hétérogénéité des taux de mortalité à des échelles infra, la concentration spatiale de l’épidémie conduisant à des taux de mortalité locaux qui peuvent être très forts, le “record” de mon échantillon étant détenu par le comté de New-York aux Etats-Unis, qui frôle les 1200 morts par million d’habitants. Mais on aurait idéalement besoin de travailler à des échelles encore plus fines (voir à ce titre le travail remarquable de collègues italiens sur le nombre de cas).

échelle géographique taux de mortalité maximal (décès par million d’habitants au 12/04/2020)
France Pays 138
Région 374
Département 792
Italie Pays 330
Région 1056
Espagne Pays 373
Région 967
Etats-Unis Pays 65
Etats 397
Comté 1189

S’agissant de la représentation des résultats, je vous propose aujourd’hui des graphiques sur les taux de mortalité par million d’habitants pour la France, l’Italie et l’Espagne, qui permettent de synthétiser mieux que je ne l’ai fait jusqu’à présent, me semble-t-il, l’information disponible.

taux de mortalité par million d’habitants, Espagne

taux de mortalité par million d’habitants, Italie

taux de mortalité par million d’habitants, France

Attention, l’échelle des axes des ordonnées n’est pas le même selon les pays : il va jusqu’à 1000 décès par million d’habitants pour l’Espagne et l’Italie, et seulement jusqu’à 400 pour la France. Les périodes couvertes diffèrent également, mais toutes vont jusqu’au 12 avril. Ces graphiques permettent de voir rapidement la concentration géographique relativement forte de l’épidémie pour les trois pays, et l’évolution observée région par région, avec pour certaines des courbes en S, pour lesquelles il semble que l’on arrive sur un plateau, alors que pour d’autres, l’évolution semble plus linéaire et continue.

J’ai procédé de même pour les départements des trois régions françaises les plus touchées par l’épidémie (sur la base de l’indicateur “taux de mortalité”), à savoir Grand Est (en bleu), l’Ile-de-France (en vert) et la Bourgogne Franche-Comté (en rouge).

taux de mortalité par million d’habitants, France

On constate que les valeurs régionales moyennes masquent de fortes disparités en leur sein (l’axe des ordonnées monte jusqu’à 800), le Haut-Rhin et le Territoire de Belfort ressortant clairement comme étant les territoires les plus touchés de France.


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Covid 19, épisode 16 : une nouvelle évaluation de l’impact économique de l’épidémie

Dans son point de conjoncture du 9 avril 2020, l’Insee propose une nouvelle évaluation de la perte d’activité consécutive à l’épidémie et aux mesures de confinement qui ont été prises. Tous secteurs confondus, la perte de plus d’un tiers du PIB (36% exactement) est confirmée.

Alors que dans son premier point de conjoncture en date du 26 mars, l’Insee proposait des prévisions en décomposant l’activité en 5 grands secteurs, il propose cette fois des estimations à une échelle sectorielle plus fine, en 17 secteurs d’activité, ce qui permet de recalculer avec des données plus précises l’impact économique attendue de la crise sanitaire en cours à une échelle infra-nationale.

Voici les prévisions par secteur proposées par l’Insee :

De la même manière que dans mon billet précédent, j’ai appliqué les pertes sectorielles d’activité observées nationalement aux poids des secteurs dans chaque département, ce qui permet d’obtenir les pertes attendues pour chacun d’eux compte-tenu de leurs spécialisations : les pertes seront  d’autant plus fortes que le territoire en question est très spécialisé dans les secteurs les plus touchés et/ou peu spécialisé dans les secteurs les moins impactés. Etant donné que j’utilise des données emplois pour pondérer les secteurs et non pas des données de valeur ajoutée, l’impact France entière obtenu diffère un peu de celui obtenu par l’Insee : il n’est pas de -36%, mais de -41%. A l’échelle des départements, les taux de croissance obtenus varient de -35% pour la Lozère, la Creuse et la Meuse à -47% pour la Savoie et -46% pour la Seine-et-Marne et la Savoie (chiffres détaillés ici). Pourquoi la Lozère est-elle moins impactée ? C’est en raison notamment du poids dans ce département des services non marchands, qui représentent 49% des emplois contre 32% France entière, services non marchands moins impactés que la plupart des autres secteurs. Pourquoi, à l’inverse, la Savoie est-elle si impactée ? En raison notamment du poids du secteur “hébergement et restauration”, secteur le plus récessif (-90% de perte d’activité), qui pèse 12% en Savoie contre 4% France entière.

A noter que la corrélation entre les résultats obtenus avec cette décomposition en 17 secteurs et celle obtenue il y a deux semaines avec la décomposition en 5 secteurs est plutôt bonne, le R² est près de 75%. Les départements qui s’écartent le plus de la relation sont les Deux-Sèvres et les Hauts-de-Seine  d’un côté (l’impact en 17 secteurs est plus faible qu’attendu compte-tenu de l’impact en 5 secteurs) et la Savoie et les Hautes-Alpes de l’autre (impact plus marqué qu’attendu, en raison là encore du secteur “hébergement et restauration”, très récessif, plus que le secteur agrégé “services marchands”).

Le résultat principal reste que l’impact est violent pour tous les départements, mais qu’il semble plus fort encore, compte-tenu de leurs structures productives, pour de nombreux départements de l’Est et de l’Ile-de-France, et relativement moins fort dans la partie Ouest du pays.


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Covid 19, épisode 14 : actualisation des chiffres de l’Insee

Comme la semaine dernière, et comme la précédente, l’Insee vient de livrer les chiffres de la mortalité en France, toutes causes de décès confondues, cette fois pour la période du 1er au 30 mars 2020.

Voici les principaux points que je retiens :

  • France entière, la mortalité observée entre le 1er et le 30 mars 2020 est supérieure à celle observée sur la même période en 2019 (57 441 décès contre 52 011 en 2019), mais elle reste toujours inférieure à celle observée en 2018 (58 641 décès),
  • A l’échelle régionale, on observe une très forte hausse de la mortalité (plus de 39%) pour Grand Est et l’Ile-de-France et une forte hausse (plus de 10%) pour les Hauts de France et Bourgogne – Franche-Comté. Seules la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie voient la mortalité baisser.
  • A l’échelle des départements, les plus touchés sont ceux des régions Grand Est et Ile-de-France. On observe cependant une augmentation du nombre de départements concernés par une hausse de la mortalité : de 24 départements il y a deux semaines, on est passé à 48 la semaine dernière et 57 cette semaine. Si on limite aux départements ayant connu une hausse de plus de 10% de la mortalité, les chiffres sont respectivement de 9, 16 et 33 (voir également la carte ci-dessous),
  • La hausse des décès ralentit dans la région Grand Est, elle reste vive en Ile-de-France.

Par rapport aux semaines passées, l’Insee a procédé à différents approfondissements, avec des indications sur les décès en fonction du sexe, de l’âge et du lieu du décès. On apprend ainsi que la moitié des décès concernent des personnes de plus de 85 ans et seulement 13% des personnes de moins de 65 ans. L’augmentation de la mortalité toutes causes confondues est plus forte pour les hommes que pour les femmes, ce qui est cohérent avec le fait que l’épidémie touche beaucoup plus les premiers. L’Insee observe enfin un excès de mortalité en établissement pour personnes âgées en Île-de-France, dans le Grand Est et dans une moindre mesure dans les Hauts-de-France.


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Covid 19, épisode 13 : l’effet du confinement sur la mobilité de la population

L’Insee et Orange viennent de finaliser un travail très intéressant sur l’impact du confinement sur la mobilité de la population, qui permet d’actualiser ce que je disais dans un billet précédent. Vous trouverez les principaux résultats de leur travail ici et le détail de la méthode et des résultats . Voici ce que j’en ai retenu.

Sur la méthode, d’abord : grâce à des données de téléphonie mobile, les auteurs ont calculé le nombre de nuitées passées dans les départements français 3 jours avant le confinement et 3 jours après le début confinement. Sur la base de l’adresse de résidence principale des personnes, de la localisation des personnes avant le confinement, et de leur localisation après le confinement, on peut calculer différentes écarts entre la situation après et la situation avant le confinement.

On peut commencer par calculer l’écart total de nuitées après/avant : 31 des 96 départements présentent un écart total négatif, c’est-à-dire que moins de gens y ont dormi après le confinement qu’avant. On y trouve deux types de départements : i) les départements hébergeant les stations de ski, qui ont fermé après le confinement (Savoie, Haute-Savoie, Hautes-Alpes, Hautes-Pyrénées, …), ii) les départements des grandes villes françaises (départements d’Ile-de-France, Rhône, Haute-Garonne, Gironde, Hérault, …).

Attention cependant à ne pas aller trop vite en besogne dans l’interprétation pour la catégorie des grandes villes, car plusieurs processus sont à l’œuvre. Les données collectées permettent notamment de distinguer dans les nuitées celles passées par les personnes ayant leur résidence principale dans le département, celles de ceux dont la résidence principale est localisé dans d’autres départements, et celle enfin de résidents étrangers.

Il s’avère alors que dans l’ensemble des 96 départements de France métropolitaine, seuls 2 voient baisser le nombre de nuitées passées dans le département par des résidents du même département entre avant et après le début du confinement : Paris d’une part (baisse de 209 000 nuitées) et les Hauts-de-Seine d’autre part (baisse de 20 000 nuitées). Dans tous les autres départements, l’évolution est positive, signe que de très nombreuses personnes qui résidaient avant le confinement dans d’autres départements (pour des raisons que j’évoquerai après) ont réintégré leurs pénates. C’est notamment vrai dans les grandes villes que j’évoquais plus haut, mais comme ils ont vu partir de chez eux encore plus de personnes dont la résidence principale est dans d’autres départements, l’écart total des nuitées est négatif. A noter également pour tous les départements concernés la baisse des nuitées des résidents étrangers.

Pourquoi dans les grandes villes accueillait-on de nombreuses personnes dont la résidence principale était située dans d’autres départements ? Parmi eux, on peut penser qu’il y a des touristes qui séjournaient dans les grandes villes, des personnes en emploi qui y résidaient pour leur travail, ou encore des étudiants dont la résidence principale déclarée à leur opérateur téléphonique est celle de leurs parents. J’en oublie peut-être, n’hésitez pas à compléter.

Quant à l’effet résidence secondaire, il joue à l’évidence, et de manière très forte, pour Paris (11% des parisiens résidaient hors de leur département après le début du confinement) et, dans une moindre mesure, pour les Hauts-de-Seine. Sans doute trouve-t-on aussi des parisiens sans résidence secondaire qui sont allé rejoindre le domicile de leurs parents, d’autres membres de leur famille ou bien d’amis. Pour les autres grandes villes, ces processus peuvent jouer, mais ils ne dominent pas le retour des habitants de ces villes après le début du confinement.

Pour preuve de cet effet, les cartes ci-dessus proposées par les auteurs montrent que la présence des parisiens dans les départements de province suit plutôt bien l’emplacement de leurs résidences secondaires.