Prisonnier de Londres ou de fantômes français ?

 Régis Franc, London prisoner, Fayard Récit, 2012.

Le genre récit d’expatrié faussement ingénu n’est pas nouveau et des auteurs canoniques s’y sont prêtés ou l’ont parodié. Prétendre expliquer les autochtones avec des yeux de non-initié est somme toute le propre de tout récit de voyage et forme la base des études anthropologiques. Dans London prisoner (Fayard, 2012), Régis Franc brosse le portrait des quartiers de Londres et livre des vignettes d’une série de personnages rencontrés, censés être typiques de la faune londonienne.

Il aborde la capitale britannique avec de sérieux handicaps ou avantages, c’est selon. Premièrement, il ne parle pas anglais, mais alors pas du tout. Ce qui lui confère le privilège de pouvoir observer sans participer, sans parti pris, gauche mais intègre. On l’imagine « avé » son accent de méridionale du côté des Pyrénées méditerranéennes habitué aux « congs » s’essayant au teatime. Pour mieux rendre l’accent britannique, l’auteur fournit d’ailleurs sa version : Iouse, pleaze. Si Franc avoue « faire partie des estropieurs de langue anglaise », plus embêtant, dans un récit édité par une maison d’édition réputée, des erreurs de transcription de termes anglais ne sont pas corrigées : stripe[d] suit, estate [agent] employee, Financial Time[s], et nursery rimes [rhymes]. Ce qui pour un cinéphile et cinéaste est moins excusable : The Remains of the Days au lieu de Day et Jocker au lieu de Joker, ou encore le groupe Papa’s and Mama’s – il s’agit de (The) Mamas and (the) Papas, même si orthographié The Mama’s and the Papa’s sur leur premier album, l’ordre n’a jamais été inversé. Westminster College n’est pas une école privée huppée pour filles, l’équivalent féminin d’Eton (bien connu des cruciverbistes français), mais un vénérable établissement pour garçons, qui n’acceptent les filles qu’à partir de 16 ans. L’auteur doit penser à St. Paul’s.

Deuxièmement, le regard qu il porte sur Londres et l’Angleterre d’aujourd hui, est conditionnée par l’empreinte des années soixante : le film Blow Up, les Beatles, David Bailey, David Hemmings et Paul MacCartney ou A nous les petites anglaises. Son récit caricatural vire à la parodie, au pastiche, une version djeun des Grandes Vacances, où Louis de Funès s’initie à la cuisine anglaise. Imaginons un provincial qui débarque dans la capitale de son propre pays avec quarante ans de retard. Ce n’est plus une comédie  mais un conte de fée, un récit fantasque, de la science fiction a l’envers. Ce n’est sans doute pas un hasard si justement le couple fait l’acquisition d’une maison datant de l’après-guerre où tout lui rappelle « l’idée de l’Angleterre que pouvait se faire un « jeune ». Un « yéyé » » qui croit y entendre l’écho de Petula Clark. S’il assiste à un concert de Marianne Faithfull ou redevient funky et Chic avec Nile Rodgers, c’est pour mieux remémorer « ces années-là » quand lycéen il fut marqué à jamais par trois copines, parties à l’aventure, au bout du monde, au concert mythique de l’île de Wight,  revenues prophétesses du peace and love.

En dépit de ce décalage, il y a des morceaux d anthologie, des passages qui sonnent vrai sur les cours d’anglais dispensés par des immigré(e)s de la Baltique ou des Balkans, le milieu BCBG, les employés de la compagnie de gaz venus dépanner la chaudière, la politesse, le stoïcisme et la passivité apparente des anglais face aux contrariétés de la vie notamment la météo. Là où sa passion rejoint celles des britanniques, le jardin par exemple, les pages sont dépourvues de caricature : l’approche de Londres par le train depuis le tunnel sous le Manche, les nouveaux quartiers branchés de Shoreditch et Bermondsey, les quartiers verts de Richmond, Hampstead, Chelsea, Kew, sont croqués avec sympathie. La révélation du jardin de la Duchesse est décrite dans une envolée lyrique particulièrement réussie. Ailleurs, la plume devient plus acerbe pour dénoncer les abus de facturation et la lenteur volontaire des ouvriers responsables des travaux de rénovation de sa maison – même si, là, Franc, le bien-nommé, ne fait que rendre la monnaie de sa pièce à l’anglais, Peter Mayle, qui, d’Une année en Provence passée à restaurer une bicoque, fit un bestseller mondial illustré par des descriptions de ses voisins français aux mœurs étranges. Mais l’auteur décroche quelques flèches en direction de ses compatriotes : le snob parisien, les professeurs de l’Education nationale qui ont privatisé l’ascenseur social pour leurs rejetons.

Les vrais réussites de ce livre ne sont pas les passages sur l’étrange Albion. Le lecteur qui pense lire un guide touristique, glaner des adresses, se trompe et l auteur ne s’en cache pas, il suffit de bien prêter attention a la déclaration d’intention qui ouvre le récit : « Passé le pont, les fantômes vinrent a sa rencontre. » Et là j’adresse des reproches aux rédacteurs de billets qui ont encensé ce livre comme un ouvrage drôle et sympathique, débordant de bons mots sur les anglais. Les pages les plus sincères sont remplies de fantômes, des pages où transparaissent la nostalgie d’une adolescence méditerranéenne, de la province d’avant et le regret d’une France éprise de modernisme qui vendit son âme en achetant les complexes touristiques de bord de mer : engloutis les marais, les pêcheurs, les plages sauvages sous des vagues de macadam et de béton, perdue l’innocence d’antan. Rien de bien nouveau mais joliment rendu.

Pour ceux qui cherchent des lectures sur Londres en francais : Bethmont, Rene, Histoire de Londres. Aux sources d’une identité contradictoire, Tallendier, 2011. Clout, Hugo, Histoire de Londres, Que sais-je, 1999. London, Jack, Le peuple de l’abîme, 1903. Metzger, Rainer, Londres, les Sixties 1960-1970, Hazan, 2012, 400p. Ill. Morand, Paul, Londres suivi de Le nouveau Londres, Folio, 1990 (1962), 506p. Oudin, Bernard, Histoires de Londres, Perrin, 2003, 382p. Papin, D., Appert, M., Bailoni, M. Atlas de Londres, Autrement, 2012, 96p. Tames, Richard, Londres, Voyages dans l’histoire, National Geographic, 2012, 324p. Ill.

Ecosse, Irlande, pays de Galles : vers un royaume « dés-uni » ?

Publication d’un dossier sur L’Ecosse, l’Irlande, et le pays de Galles : vers un royaume « dés-uni » « ? avec des articles de collègues des universités de Bordeaux, Valenciennes, et l’ENA-IRIS,  membres du CRECIB (voir liens) dans

Diplomatie No. 57 Géopolitique du sport.
Compétitions, argent et diplomatie. Afghanistan/Pakistan : l’échec de l’administration Obama. Ecosse, Irlande, pays de Galles : vers un royaume « dés-uni » ? Colombie, Cuba, Pérou : l’épilogue de guérillas sud’américaines ?

 

Pour aller plus loin:

FINDING (Susan), JONES (Moya),CAUVET (Philippe)

‘Unfinished business’ – Governance and the Four Nations: Devolution in the UK

Presses universitaires de Bordeaux, 2011, 210 p.

 

 

Marie-Claire Considère-Charon, Irlande: une singulière intégration européenne, Economica, 2002

et Edwige Camp-Piétrain, La dévolution, Ecosse, pays de Galles, Atlande, 2006.

Union Jacks

Those who watched the Closing Ceremony of the London Olympics 2012 will have seen the Union Jack produced by Damien Hirst that was installed in the centre of the stadium. The crosses were used as ramps to the centre stage.

It is interesting to discover that the idea is not new, indeed for the 1911 Coronation Celebrations, a human flag was organised in Bristol, as a postcard posted by Paul Townsend on Flickr shows.

1805 Union Flag Flown at the Battle of Trafalgar

The history of the present Union Jack dates back to the 1801 Act of Union, incorporating Ireland, giving the full name United Kingdom of Great Britain & Ireland to the country.

A 1805 Union Jack which flew from the mast of HMS Spartiate during the Battle of Trafalgar recently made news when sold at auction in 2009.

Sex Pistols This torn and tattered relic is not dissimilar to the distressed reproduction the Sex Pistols used in 1976, at the time of the Silver Jubilee celebrations, showing a torn copy of the flag, adorned with the hallmark safety pins of the punk movement.

For more about this topic see a recent article in The Guardian, « Why the union flag is flying again » by Owen Hatherley, written at the time of the Queen’s Diamond Jubilee celebrations.

ÉLECTIONS AU ROYAUME-UNI, un cocktail détonnant

Le numéro 2 de Cogito, le magazine d’information de l’Université de Poitiers, a publié une version remanié de l’article « Un cocktail détonnant – les résultats de l’élection 2010 – nouvelle donne mais pas sans précédent » sur la configuration politique au Royaume-Uni publié ici y a quelques mois.

Voir également l’article Le bulldozer ou le bouledogue? dont voici un extrait :

Dans un article du Point (numéro 2041, du 27 octobre 2011), intitulé ‘Le Bulldozer Cameron’ Yves Cornu tente d’expliquer comment le premier ministre britannique parvient à imposer une ‘purge’ « bien plus sévère qu’en France » (ou du moins, avant les nouvelles mesures qui seront annoncées mi-novembre). Il s’étonne que le public britannique soit résigné, (…)

 

La Reine, la Couronne d’Angleterre, le(s) territoire(s) britannique(s)

Sans vouloir faire dans le matraquage médiatique autour du Jubilé (voir les billets postés précédemment De beaux jours pour la monarchie et Jubilé à Londres), je profite de l’occasion pour partager cette explication de droit de la mer et le statut des dépendances insulaires de la Couronne d’Angleterre (toutes les dépendances sont insulaires de nos jours, sauf le Territoire antarctique britannique – une leçon de géopolitique des possessions britanniques s’imposerait) mise en ligne par un collègue de l’Université de Poitiers, Jean-Paul Pancracio. Les subtilités du droit anglais et le statut du souverain y sont exposés de façon très claire. Les liens entre l’histoire britannique et son passé maritime sont légion et méritent qu’on s’y attarde plus longuement[1].

Jubilé. Les dépendances insulaires de la Couronne d’Angleterre

A l’occasion du jubilé de diamant de Sa  Majesté la reine Elisabeth II d’Angleterre

Les dépendances insulaires de la Couronne d’Angleterre

Pour bien comprendre cette affaire pleine de subtilités juridiques, il faut commencer par se dire que le Royaume-Uni est une chose et que la Couronne en est une autre. L’Etat et la Couronne sont donc deux personnes juridiques, en l’occurrence des personnes morales, distinctes ; et la reine est une troisième personne qui fait lien entre les deux premières.

La dissociation Royaume-Uni/Couronne/Personne royale

(…)

lire la suite sur le blog  Droit de la mer et des littoraux de Jean-Paul Pancracio.

 


[1] Voir par exemple Susan Finding, « Staging the memory of cities : the museography of British seaports » dans S. Finding, L. Barrow et F. Poirier, Keeping the Lid On : Urban Eruptions and Social Control since the 19th century, Newcastle, Cambridge Scholars, 2010, 93-114.

 

La résurgence du pacifisme : les études historiques et la politique contemporaine

La publication ou la réédition de deux livres et d’un article en anglais sur la question du « désarmement moral » de l’entre-deux-guerres[1],  ainsi que la teneur des comptes rendus publiés à leur propos[2], l’émission radiophonique sur France Culture[3] sur le pacifisme « à la française » ainsi qu’un article sur l’enseignement de l’histoire en France dans Histoire@Politique[4], montrent à quel point l’actualité façonne l’intérêt pour certains sujets. Les leçons de l’histoire du pacifisme sont-elles plus présentes et plus pressantes  depuis quelques années, alors que des troupes françaises et britanniques participent à des combats à l’étranger? Les chefs des dictatures du Moyen Orient – Saddam Hussein, Mouammar Khadafi, Bashar al Assad – sont parfois assimilés à Hitler par les interventionnistes. Quant aux mouvements de protestation contre la guerre en Irak, en Afghanistan et les interventions de l’OTAN en Libye, ils cherchent un soutien moral, une caution intellectuelle à leur combat. Les historiens eux-mêmes sont-ils plus sensibles à ces questions ? Ou bien, seraient-ce les lecteurs et les éditeurs qui prêtent plus d’attention à la publication d’ouvrages sur l’histoire du pacifisme dans de telles circonstances? Ainsi, Deborah Buffton, dans son compte rendu de l’ouvrage de Mona Siegel, met en exergue « Les leçons d’aujourd’hui, la paix est patriotique » (The Lessons for Today : Peace is Patriotic)[5].

Durant la période de l’entre-deux-guerres, la démilitarisation des esprits qui accompagna la démilitarisation de la vie de la nation contribua à une redéfinition des concepts de patriotisme et de pacifisme en Angleterre et en France. L’apaisement, synonyme pour certains d’un manque de fermeté face à des tyrans, comme le pacifisme, une philosophie autant qu’une attitude, furent opposés au nationalisme et au patriotisme. La révision de la version belliciste de l’histoire et la présence de pacifistes engagés dans les rangs du corps primaire en France est le sujet de l’ouvrage de Mona Siegel, réédité en version brochée, par les Presses universitaires de Cambridge.

Au-delà de l’histoire des manuels[6], de celle des instituteurs et des institutrices courageux qui bravèrent leur autorité hiérarchique et la ligne  «  officielle » , l’ouvrage approfondit les travaux d’historiens de l’enseignement et de la profession d’enseignant, tels ceux de Jacques Ozouf, Antoine Prost, Paul Gerbod, André Bianconi et Jacques Girault[7]. Les travaux qui concernent ce volet, celui du pacifisme des instituteurs, débute véritablement en 1977 avec la publication d’un article au titre provocateur : « From Patriots to Pacifists: the French Primary School Teachers 1880-1940 », car l’article en lui-même traite essentiellement de la période d’avant 1914[8].  L’ouvrage de Mona Siegel a le mérite de constituer un récit des questions relatives au pacifisme enseignant entre 1914 et 1940, auquel un seul de ses prédécesseurs avait consacré un ouvrage[9].  Le point de départ de Mona Seigel se situe dans l’analyse faite par Marc Bloch de la débâcle de 1940[10] – bien que celui-ci examine l’instruction et la culture militaires plus que la société en général – et le procès que les historiens – essentiellement américains – qui écrivirent dans les années 1970[11] avaient plus ou moins explicitement fait de l’école, pour avoir sacrifié la fibre patriotique sur l’autel de l’internationalisme et pour avoir ainsi contribué à faire perdre son âme à la nation et l’entraînant dans le déshonneur. Mona Seigel énonce clairement au départ ses conclusions générales : les instituteurs ne sont pas au banc des accusés. Ils ont fortement contribué à développer la démocratie, la liberté et le patriotisme (p. 9-10). Six chapitres sont consacrés au patriotisme et au pacifisme à l’école pendant la Première Guerre mondiale[12], à la mémoire de la guerre à l’école, à l’internationalisme socialiste et au pacifisme féministe, aux manuels scolaires, à l’enseignement patriotique et à l’école face aux développements internationaux de 1933 à 1940. Ses travaux l’ont conduite dans les Archives départementales de la Somme, du Nord, de l’Yonne et de la Dordogne, départements où l’histoire de l’institution scolaire entre les deux guerres était restée en friche. Elle a consulté la presse pédagogique et syndicale, et sa bibliographie est fournie.

Le livre de Mona Seigel peut, cependant, sembler superficiel et anecdotique, par moments, comparé aux travaux qui ont été consacrés à des périodes plus restreintes ou à des approches qui approfondissent ce que les linguistes appellent la « situation d’énonciation » des instituteurs. Le contexte d’avant 1914 est éludé, alors que les instituteurs avaient déjà été accusés d’avoir contribué à une « crise du patriotisme », dès 1904-1905, au moment de la Séparation de l’Église et de l’État. La formation dans les Écoles Normales avant 1914 distilla un patriotisme humaniste dont Ferdinand Buisson fut le chantre, et dont laïcité, républicanisme et patriotisme pacifique furent les maîtres mots. Pour se convaincre de la nécessité d’examiner cette période en prélude, il suffit de se rappeler la motion votée au congrès de Lille de la Fédération des Amicales d’Instituteurs en 1905 : « Les instituteurs français sont passionnément attachés à la paix, ils ont pour devise: Guerre à la guerre: mais ils n’en seraient que plus résolus pour la défense de leur pays le jour où il serait l’objet d’une agression brutale[13] » . Ou encore, la motion adoptée à la Chambre des Députés en décembre 1912, pendant l’affaire du ‘sou du soldat’, « fermement convaincue d’ailleurs du patriotisme des instituteurs et résolue à défendre contre toute attaque notre enseignement primaire national, qui doit être dominé par le culte de la Patrie…[14] »

Les caractéristiques éminemment politiques de l’exercice du métier d’instituteur pendant la période paraissent peu présentes dans l’analyse que fait Mona Seigel. L’instituteur et, à un moindre degré, l’institutrice, fonctionnaires de l’État, étaient les porte-parole du gouvernement dans les villages et les quartiers auprès de la population qui n’avait que peu de contact avec d’autres représentants de l’autorité. Profondément laïques, souvent radicaux ou socialistes, défenseurs d’une certaine idée de l’égalité, dont ils étaient eux-mêmes la preuve vivante, ils étaient les défenseurs de la République sur le terrain, dans une France encore régie dans les communes par des notables, de gauche et de droite, où l’Église catholique restait puissante.

De même, est absente la distinction entre les pacifistes féministes et/ou socialistes, très minoritaires, et les patriotes qui pouvaient, comme Voltaire, être en désaccord avec le fond de l’argument mais défendre leur droit d’expression. D’où une confusion entre pacifistes –  antimilitaristes, militants –  et internationalistes wilsoniens.  Louis Bouët d’un côté, leader syndicaliste de la très minoritaire Fédération de l’Enseignement –  environ 3000 membres en 1913[15] – et, de l’autre, Emile Glay et André Delmas, secrétaires généraux de la Fédération des amicales, devenu Syndicat national des instituteurs – largement majoritaire avec 90.000 membres à la même date[16]. Or, qu’avaient-ils donc en commun?

Le manque de discernement entre les différentes tendances dans la presse professionnelle est également à regretter. Citer l’article de Marie-Louise Cavalier et de René Vivès, paru en 1933 dans L’Ecole libératrice, – organe officiel du Syndicat national – , au début de la conclusion (p. 221), article dans lequel ils expliquent vouloir  « chasser les germes de la haine de l’esprit humain », sans avoir au préalable donné une idée du lectorat particulier à l’hebdomadaire, ni même avoir différencié cette publication du Manuel général et de L’Ecole et la Vie, cités ni l’un ni l’autre, alors qu’ils bénéficiaient d’une large diffusion, revient à attribuer à l’expression d’un pacifisme militant une audience bien plus grande que ce courant n’en réunissait réellement.

L’évolution de l’opinion au sein du corps enseignant revêt un aspect dynamique qui ne peut faire l’économie d’une interrogation de la place des instituteurs dans la société et dans l’échiquier politique de l’époque. Les quelques pages que Mona Siegel consacre à la féminisation du métier ne suffisent pas à combler cette lacune. Le  « désarmement moral » de la France, que le Maréchal Pétain, chef du gouvernement de Vichy, et Marc Bloch, prisonnier de guerre en Allemagne, accusèrent différemment les instituteurs d’avoir pratiqué, ne peut pas être étudié sans l’apport des travaux sur les nombreux et divers mouvements d’anciens combattants, sur les courants pédagogiques et leur évolution (également absents de ces pages) ainsi que sur le pacifisme ambiant entretenu par les politiques eux-mêmes. Pour contextualiser les travaux de Mona Siegel, l’étudiant du pacifisme et du monde enseignant de l’entre-deux-guerres se référera utilement aux ouvrages d’Olivier Lourbes[17], d’Yves Santamaria[18] et de Norman Ingram[19].

De ce fait, le glissement du soutien du corps enseignant au patriotisme pendant la première guerre, aux wilsonisme de l’immédiate après-guerre, puis progressivement à l’antibellicisme, à l’antimilitarisme de la fin des années 1920, et au pacifisme engagé des années 1930, n’est pas expliqué, malgré le titre de l’ouvrage et le souhait de vouloir contribuer à la redéfinition des concepts, redéfinition attribuée aux enseignants. Selon l’auteur, le fait le plus remarquable qui ressort de l’étude de l’enseignement primaire à la fin des années 1920 et pendant les années 1930 est que la guerre semble ne pas être présente et ne refait surface que très occasionnellement (p. 153). De même, soupçonnés d’avoir (mal) influencé des milliers de futurs appelés, les instituteurs sont décrits comme détachés et distants de ces préoccupations. Mona Seigel disculpe donc les enseignants des charges qui avaient été portées contre eux. Le titre de l’ouvrage laisse  planer plus qu’un doute.  Sans doute la publication du livre en 2004, en pleine période de réflexion sur l’intervention des armées américaines et de leurs alliés en Irak et sur le refus de la France, à l’ONU, le 14 février 2003, d’accepter la guerre, a-t-elle influencé ce choix ? Le soupçon de lâcheté dont la France est accusée est difficile à laver et le lien entre politique et histoire est toujours par trop visible.


[1] Daniel Hucker, Public Opinion and the End of Appeasement in Britain and France, Ashgate, 2011,  304 pages ; Mona L. Siegel, The Moral Disarmament of France. Education, Pacifism, and Patriotism, 1914-1940. Cambridge, Cambridge University Press, 2004, (édition broché 2011) 317 pages ; Robert Boyce, « The Persistence of Anglo-Saxonism in Britain and the origins of Britain’s appeasement policy towards Germany », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 15, septembre-décembre 2011.

[2] Sandi E. Cooper ; The Moral Disarmament of France: Education, Pacifism, and Patriotism, 1914-1940 by Mona L. Siegel, Cambridge University Press, Cambridge, UK, 2004, Peace & Change, 31, 2, 253-276; John S. Hill, « The Moral Disarmament of France: Education, Pacifism, and Patriotism, 1914-1940 », (Book review),  Canadian Journal of History, Spring-Summer 2007; Antoine Prost, « Compte rendu de Mona L. Siegel, The Moral Disarmament of France. Education, Pacifism, and Patriotism, 1914-1940, 2004 », Le Mouvement Social, http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document.php?id=1120, consulté le 20 décembre 2011 ; ou encore John Hellman, « The Moral Disarmament of France: Education, Pacifism, and Patriotism, 1914-1940 », (Book review), The Historian, March 2007.

[3] France Culture, « La fabrique de l’Histoire : Sur les chemins du pacifisme à la française », 1/4, 28.05.2007.

[5] Deborah D. Buffton, Review of Siegel, Mona L., The Moral Disarmament of France: Education, Pacifism, and Patriotism, 1914-1940, , H-Women, H-Net Reviews, September, 2005, http://www.h-net.org/reviews/showrev.php?id=10882, consulté le 20 décembre 2011.

[6] Christian Amalvi, « La guerre des manuels autour de l’école primaire en France 1899-1914 », Revue historique, 1979, oct-déc., 532, 359-398.

[7] Jacques Ozouf, Nous les maîtres d’école, Julliard, 1967 ; Jacques Ozouf, Mona Ozouf, La République des Instituteurs,  EHESS, 1992; Antoine Prost, Histoire de l’enseignement en France 1800-1967, Colin, 1968 ; André Bianconi, L’Idéologie du Syndicat national des instituteurs de 1920 à 1939, IEP Toulouse, 1984 ;  Paul Gerbod, Les enseignants et la politique, PUF, 1976 ; Jacques Girault, Instituteurs, professeurs: Une culture syndicale dans la société frandçaise (fin XIXe-XXe siècle), Presses de la Sorbonne, 1996.

[8] Journal of Contemporary History, 12 (1977), 413-434.

[9] Olivier Lourbes, L’école et la patrie. Histoire d’un désenchantement 1914-1940, Paris, Belin, 2001.

[10] Marc Bloch, L’étrange défaite, Société des Éditions Franc-Tireur, Paris, 1946.

[11] Stanley Hoffman, « Le désastre de 1940 », L’Histoire, 10, mars 1979, réédité dans L’Histoire, Études sur la France de 1939 à nos jours, Seuil, 1985 ; Eugen Weber, The Hollow Years : France in the 1930s, Norton, 1994 ; Barnett Singer, « From Patriots to Pacifists: The French Primary School Teachers, 1880-1940 », Journal of Contemporary History, 12, 1977, 413-434.

[12] Voir à ce titre, Susan Trouvé-Finding, « French State Primary Teachers during the First World War and the 1920s: Their Evolving Role in the Third Republic », Thèse de doctorat (Ph.D.), Université de Sussex, 1987, 464 pages ; Stéphane Audouin-Rouzeau, La guerre des enfants. 1914-1918. Essai d’histoire culturelle, Paris, Armand Colin, 1993.

[13] Cité dans François Bernard, Louis Bouët, Maurice Dommanget, Gilbert Serret, Le Syndicalisme dans l’Enseignement. Histoire de la Fédération de l’Enseignement des Origines à l’Unification de 1935, Grenoble, IEP, 1966 [1938], vol.1, p.18-19, p.23.

[14] Journal officiel, 13 décembre 1912.

[15] François Bernard, Louis Bouët, Maurice Dommanget, Gilbert Serret, Le Syndicalisme dans l’Enseignement. Histoire de la Fédération de l’Enseignement des Origines à l’Unification de 1935, Grenoble, IEP, 1966 [1938], vol.1, p.189.

[16] Annuaire de la Fédération des Amicales, Bulletin général de la Fédération des Amicales, 3, mars 1913.

[17] Olivier Lourbes, « À contre-histoire. Gaston Clémendot, instituteur pacifiste (1904-1952) », Histoire@Politique, no.3, novembre-décembre 2007; « L’école et les deux corps de la nation en France (1900-1940)  », Histoire de l’éducation 2010/2 (n° 126).

[18] Yves Santamaria, Le pacifisme, une passion française, Paris, Colin, 2005, 352 pages.

[19] Norman Ingram, The Politics of Dissent, Pacifism in France 1919-1939, Oxford, Clarendon, 1991.

De beaux jours pour la monarchie

Sous un ciel gris plus que menaçant, le public massé le long de la Tamise lors du défilé fluvial du dimanche 3 juin pendant les fêtes consacrées aux soixante ans de règne de la reine Elizabeth.

Photo prise près du pont de Blackfriars à Londres au passage de la barge royale.

A titre de comparaison, la vue aérienne de la même scène, publié par le quotidien The Mirror le 4 juin 2012.

Les réjouissances pour le Jubilé de la Reine furent l’occasion non seulement de fêter la souveraine mais ont également donné lieu à une célébration autour d’individus connus et moins connus, auteurs d’exploits ou simples membres du public actifs dans différents types d’association et d’activité. Etre reconnu(e) par la Reine, par une médaille, un titre, une invitation à pique-niquer sur son gazon dans l’enceinte du palais de Buckingham ou à participer au défilé fluvial aux accents historiques et contemporains. L’une des références les plus répondues fut celle de la toile montrant la flotille et barge du maire de Londres peint en 1746 par Canaletto.

La barque Gloriana, cadeau royal d’une valeur de £1m du Lord Stirling, – cela ne s’invente pas – (président de la compagnie maritime P&O, annobli sur suggestion de Mme. Thatcher en 1990) a été construit en 2012 sur le modèle des barques d’il y a deux cent ans.

Le sentiment de fierté, les expressions de dévouement envers la reine du devoir, la bonhomie, les versions spontanées et a capella de l’hymne national à l’honneur du souverain, entendus tout au long de ces quatre jours, ont souligné la popularité de l’institution. La monarchie parlementaire comme forme de gouvernement démocratique est toujours d’actualité. La longue histoire de la monarchie britannique – longue parce que souvent rapiécée – et les traditions inventées récentes et moins récentes (r)assurent.

La présence du drapeau britannique, symbolisant l’union des Royaumes d’Angleterre et d’Ecosse, la principauté du pays de Galles et l’Irlande du Nord, sur les mâts, dans les rues, sur les bâtiments, sur les vêtements et le visage, témoignent d’un regain d’identification avec une identité commune. Certains se sont réjouis que le drapeau avait été ainsi repris à l’extrême-droite raciste qui en avait fait son emblème.

Les républicains eurent droit à leur propre manifestation anti-monarchiste près du siège de la municipalité de Londres lors du défilé fluvial, mais à 1,200 contre 1,200,000 à Londres et 6 millions de personnes participant aux festivités – feux de joie, déjeuners populaires – à travers le pays d’après le quotidien The Guardian, la monarchie a de beaux jours devant elle.

Jubilé à Londres

En attendant de pouvoir rendre compte de l’événement auquel j’assisterai sur place, l’occasion pour les britanniques de célébrer leur souverain et de se remémorer les six décennies depuis son accession au trône, voici quelques liens vers des articles de presse française : Sept symboles pour le jubilé d’une reine  (La Croix); Jubilé de la Reine (petitjournal.com); Les britanniques jubilent! (Paris Match); Les britanniques s’apprêtent à jubiler pour la Reine (TF1).

Comprendre les enjeux de Londres et le Royaume-Uni avant les JO

Après l’Atlas géopolitique du Royaume-Uni (BAILONI M. et PAPIN D., 2009, Editions Autrement, Paris), Delphine Papin, Marc Bailoni, spécialiste de géopolitique à Nancy-Metz, Manuel Appert, géographe et urbaniste, Lyon, et Eugénie Dumas, cartographe, ont réussi un tour de force en publiant un nouvel ouvrage dans la collection Atlas aux éditions Autrement consacré à Londres, la « ville globale » (selon l’expression consacrée de Saskia Sassen).

La présentation de l’ouvrage résume les thèmes couverts par l’ouvrage :
« The world in one city », dit-on encore aujourd’hui : Londres se situe parmi les villes les plus cosmopolites du monde. Ville mondiale et connectée parce qu’elle est aussi une place financière majeure. S’y pressent les puissants de la planète, et les plus démunis d’Europe. Cité inégalitaire également, dotée d’infrastructures parfois anachroniques, où se côtoient les tours de verres, les maisons victoriennes, les friches, la City, le banglatown, club de l’Arsenal et pubs select… Quel est donc l’avenir de ce laboratoire urbain ? Londres devient-elle une nouvelle espèce de ville européenne, verticale ? La tenue des JO sera-t-elle l’occasion de garantir un développement sur le long terme ? Comment se mesure-t-elle désormais avec sa grande rivale Paris, en tous points contraire et pourtant voisine? Etrange, mouvante, contrastée, Londres n’en finit pas de fasciner. »
A une époque ou les images parlent autant que les paroles, les cartes et photographies  illustrent les enjeux et gageure que seront les Jeux olympiques pour cette ville de 8 million et demi d’habitants, poumon du sud-est de l’Angleterre, capitale politique du royaume,  « salle des machines du capitalisme mondiale » (Jonathan Coe, écrivain, interviewé dans L’Express du 30 mars 2011) et haut lieu culturel. Les textes qui accompagnent cette exploration visuelle donnent suffisamment d’explications pour comprendre les thèmes abordés et avoir envie d’aller plus loin. A emporter avec soi lors d’une exploration des quartiers et districts de Londres, à lire avant les Jeux olympiques pour visualiser la topographie des événements sportifs (marathon, triathlon, cyclisme sur route) qui auront lieu dans les rues et les parcs de la capitale.

Doctoriales de civilisation au Congrès de la SAES à Limoges

 Les doctoriales de civilisation au congrès annuel de la SAES (Société d’anglicistes de l’enseignement supérieur) du 11 au 13 mai 2012 ont ouvert le bal à la Faculté de Lettres et de Sciences Humaines, Université de Limoges. Le vendredi 11 mai 2012, quatre doctorants ont présenté leurs travaux dans la séance qu’on m’avait demandé de présider :

10h00 Myriam Yakoubi (Paris VIII – Vincennes-Saint-Denis – Collège de France)
« La représentation de l’altérité chez Lawrence d’Arabie: Enjeux épistémologiques et politiques de la transparence »
10h30 Gwennaëlle Cariou (Paris VII – Diderot)
« La création des musées afro-américains aux États-Unis ou le passage de l’invisible vers le visible »
11h00 Delphine Schneider (Aix-Marseille)
« Rétablissement de la hiérarchie catholique en Angleterre en 1850: enjeux officiels et officieux »
11h30 Emilie Berthillot (Toulouse II – Le Mirail)
« Le château de Dublin de 1850 à 1922: traître ou agent double? »

Pour mémoire, Delphine Scheider est également intervenue  le samedi 12 mai (matin) dans l’Atelier 8 Ecosse et pays de Galles « Le rétablissement de la hiérarchie écossaise: enjeux officiels et officieux »,   le samedi 12 mai 2012 (matin) dans l’Atelier 18, Civilisation du Commonwealth “Double-Edged Transparency and Easiness: The Case of the Establishment of the Catholic Hierarchy in Australia (1842-1850)” et le dimanche 13 mai (matin) dans l’Atelier 4 : Etudes victoriennes et éduardiennes (SFEVE) « La reine Victoria et le pape Pie IX, une amitié improbable? ».

Emilie Berthillot est également intervenue le vendredi 11 mai (après-midi) dans l’Atelier 8 Ecosse et pays de Galles (SFEEc) « Espionnage et contre-espionnage dans les rébellions jacobites ».