Un « exode métropolitain » ? Une comparaison des inscriptions scolaires et des réexpéditions définitives du courrier

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Assiste-t-on à un déménagement massif de personnes des plus grandes villes vers les villes moyennes et/ou les territoires ruraux ? Pour répondre à cette question, nous avons exploité, dans un travail précédent, les données sur les inscriptions scolaires avant crise et depuis la crise qui montrait que, sans pouvoir parler d’exode urbain, il se passait quelque chose, avec en apparence des mobilités de couples avec de jeunes enfants des plus grandes villes vers les villes moyennes et les territoires ruraux (voir cet article du Monde (€), cette map story et ce document de travail pour des précisions).

Parallèlement, des chercheurs ont travaillé sur le sujet, dans le cadre d’une étude pilotée par le Réseau Rural Français et le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), étude intitulée « Exode urbain : impacts de la pandémie de COVID-19 sur les mobilités résidentielles ». Les premiers résultats viennent d’être publiés sous la forme d’une note joliment titrée « Exode urbain ? Petits flux, grands effets ».

Parmi ces travaux, le plus proche du nôtre du point de vue méthodologique, réalisé par Marie Breuillé, Camille Grivault, Julie Le Gallo et Olivier Lision, a consisté à exploiter des données sur les réexpéditions définitives du courrier, qui permettent de calculer des soldes migratoires par territoire. Cette source peut sembler encore plus satisfaisante que celle sur les inscriptions scolaires, car elle concerne également des personnes sans enfant scolarisé.

L’une des questions que l’on se pose immédiatement est la suivante : les résultats de l’analyse des données sur les inscriptions scolaires et ceux sur les réexpéditions définitives de courrier sont-ils convergents ?

Pour y répondre, nous avons procédé à de nouveaux calculs sur les inscriptions scolaires, afin de nous caler sur des choix faits par les collègues chercheurs : i) nous avons calculé les taux de croissance des inscriptions aux mêmes dates qu’eux (2018-2019, 2019-2020 et 2020-2021)[1], ii) nous avons repris leur typologie de territoires, basé sur le découpage en aires d’attraction des villes, qui permet de distinguer 16 ensembles de communes.

Pour analyser l’effet de la crise Covid sur les comportements de mobilité, nous avons alors comparé l’évolution des taux de croissance des inscriptions scolaires d’une part, et des soldes migratoires des réexpéditions définitives du courrier, d’autre part, entre la période 2018-2019 et la période 2020-2021.

Prenons l’exemple d’une des catégories de territoires, l’ensemble des communes hors de l’aire d’attraction des villes, pour bien comprendre la démarche. Le taux de croissance des inscriptions scolaires de cette catégorie de communes était de ­‑2,29% entre la rentrée 2018 et la rentrée 2019, et de ‑1,37% entre la rentrée 2020 et la rentrée 2021[2]. L’évolution du taux de croissance est donc de ‑1,37% ‑ (‑2,29%) = +0,92%. Du côté des réexpéditions définitives du courrier, le solde migratoire pour cette catégorie de communes était de +7,4 pour mille ménages entre mars 2018 et mars 2019, il est passé à +9,7 pour mille entre mars 2020 et mars 2021, soit une variation de +9,7 – (+7,4) = +2,30 pour mille.

comparaison de l’évolution des dynamiques d’inscriptions scolaires dans le 1er degré et des dynamiques de réexpédition définitive du courrier avant et après crise

Le tableau ci-dessus synthétise les résultats pour les 16 catégories de communes (les dynamiques pour chaque sous-période et pour chacun des deux indicateurs sont reprises en annexe). Les deux premières colonnes reprennent les variations des taux de croissance des inscriptions scolaires d’une part et les variations des soldes migratoires des réexpéditions définitives du courrier, d’autre part. Les deux colonnes suivantes correspondent aux rangs de classement des différentes catégories de territoires : les communes hors aires d’attraction des villes sont celles qui ont connu l’évolution la plus favorable sur les deux indicateurs (rang 1 à chaque fois), la commune-centre de l’aire de Paris est celle qui a connu l’évolution la plus défavorable sur les deux mêmes indicateurs (rang 16 à chaque fois).

Qu’il s’agisse des inscriptions scolaires ou des réexpéditions définitives du courrier, les territoires de petite taille semblent en moyenne le mieux tirer leur épingle du jeu, qu’il s’agisse des communes hors des aires d’attraction des villes ou des communes des aires de moins de 50 000 habitants (commune-centre, communes de la couronne et autres communes du pôle principal de ces aires).  Viennent ensuite les communes de la couronne de Paris et les communes de la couronne des aires de 200 à moins de 700 000 habitants. A l’autre extrême, les communes centres et les autres communes du pôle principal des plus grandes aires d’attraction des villes (aires de plus de 700 000 habitants et aire de Paris) sont celles qui subissent les évolutions les moins favorables.

Dans tous les cas on constate que les rangs sont très proches entre les deux classements, qu’il s’agisse du classement sur les inscriptions scolaires ou de celui sur les réexpéditions de courrier. L’écart de rang ne dépasse que dans un cas la valeur de 3. Cette bonne corrélation est confirmée par le nuage de points ci-dessous et par le coefficient de corrélation de rang entre les deux séries de chiffres (r=0,87).

On observe cependant une exception, pour les communes de la couronne de l’aire de Paris : la variation de la dynamique de réexpédition semble très favorable (plus forte dynamique sur 2020-2021) alors que la variation de la dynamique des inscriptions est moins bonne (7ème rang).

Comment expliquer cet écart ? L’hypothèse que l’on peut formuler est que les mobilités observées dans la région capitale, profit des communes de la couronne francilienne, concerneraient pour une part non négligeable des personnes sans enfant scolarisés dans le premier degré.

Au final, les enseignements que nous avions tirés de l’analyse des inscriptions scolaires sont confirmés par les chiffres sur les réexpéditions définitives du courrier : la crise Covid semble se traduire par des mobilités de certaines des plus grandes villes vers certains territoires de taille moyenne et/ou ruraux.

Pour avoir une vue plus précise des évolutions à l’œuvre, il conviendrait d’analyser les deux séries de données non pas à l’échelle de ces grandes catégories de territoires, mais à l’échelle des communes. Il conviendrait également de croiser ces résultats avec d’autres, notamment sur les prix de l’immobilier : d’autres travaux de l’étude pilotée par le Réseau Rural Français et le PUCA, plus qualitatifs, montrent en effet que certains territoires voient les prix de l’immobilier augmenter sans que l’on assiste à des déménagements, l’achat des biens correspondant plutôt à des logiques d’investissement. Il serait donc utile de repérer les territoires où se conjuguent hausse des prix de l’immobilier et déménagements (donc hausse des inscriptions scolaires et des réexpéditions de courrier) et ceux pour lesquels on assiste seulement à une hausse des prix de l’immobilier.

[1] Il reste une légère différence cependant : les collègues ont travaillé sur des données de réexpédition de mars à mars, nous avons travaillé sur des données sur les inscriptions à la rentrée scolaire, soit de septembre à septembre.

[2] Rappelons que les inscriptions scolaires s’inscrivent dans un contexte de baisse générale depuis 2016, en raison, pour l’essentiel, de la dynamique démographique du pays.

Annexe

données sur les inscriptions scolaires dans le premier degré et sur les réexpéditions définitives de courrier

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L’impact économique de la crise Covid sur les territoires : une table ronde France Stratégie – Région Nouvelle-Aquitaine

Nous organisons une table ronde, jeudi 7 octobre 2021, de 18h30 à 20H30, à l’Espace Mendès-France de Poitiers, sur l’impact économique de la crise Covid sur les territoires de France, avec un focus particulier sur ceux de Nouvelle-Aquitaine. Cette table ronde est le premier produit de partenariats que le service “études et prospective” du pôle Datar de la Région Nouvelle-Aquitaine souhaite développer avec France Stratégie d’une part, et l’Espace Mendès-France d’autre part.

Cette table ronde, organisée en présentiel, en distanciel puis podcastable, sera découpée en deux parties : dans un premier temps, nous (France Stratégie et le service “études et prospective” de la Région) présenterons les résultats de nos études respectives. Dans un deuxième temps, des acteurs de deux territoires particulièrement impactés (Oloron-Sainte-Marie et Rochefort) et d’un territoire très largement épargné (la communauté de communes du Bazadais) témoigneront. Des temps d’échange entre les intervenants et avec les participants sont bien sûr prévus.

Vous trouverez sur cette page toutes les informations utiles : noms des intervenants, lien vers les études, lien pour assister à la table ronde à distance ou la visionner ultérieurement si vous n’êtes pas disponible jeudi. Ceux qui le souhaitent peuvent y assister en présentiel, nous mettrons à disposition pour l’occasion la dernière étude réalisée sur le sujet, dont vous avez le visuel de couverture en haut de ce billet (je partagerai le lien vers la version numérique dès qu’il sera disponible).