Les politiques sociales aux Etats-Unis et ailleurs

http://www.harmattan.fr/catalogue/couv/j/9782296127395j.jpgLes politiques sociales aux Etats-Unis sont le sujet d’une présentation dans l’ouvrage   MARGINALITÉ ET POLITIQUES SOCIALES Réflexions autour de l’exemple américain, co-dirigé par Taoufik Djebali et Benoit Raoulx, paru chez l’Harmattan en 2011.

1.  Les régulations sociales   INTRODUCTION  Susan Finding (p.25-27)

La définition fonctionnelle de la politique sociale, définition qui correspond au mode de pensée et à la pratique empiriques anglo-saxons, se limite à l’analyse de la fourniture de services sociaux, l’efficacité et les moyens d’intervention adoptés. La définition institutionnelle met l’accent sur la relation entre les acteurs institutionnels [1]. Les deux approches utilisées dans les analyses présentes démontrent comment les régulations sociales américaines contribuent à renforcer l’idée d’un modèle social néo-libéral outre-Atlantique.

En période de crise économique, les gouvernements interviennent pour préserver leurs populations des effets dévastateurs par une protection sociale plus étendue. En période de croissance le désengagement de l’État de cette même protection sociale semble avéré. Le taux de chômage en baisse, le nombre d’assistés devient moins critique. Le désengagement de l’État de domaine social, pour des motifs idéologiques plus que pragmatiques lors des périodes de croissance, amène dans son sillon des changements importants.

http://t1.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcTg1bD7sUmnxFS-Jkiq-3YGM58sHTll0iw2HbGkCxOtW5lb1KLYxwDans les politiques sociales étudiées, on constate le transfert du soutien de l’État, en particulier de mères célibataires, aux réseaux de solidarité informels et aux ONG (retour vers les formes anciennes d’aide aux pauvres), l’alignement des salaires sur un minimum déterminé par le marché, en l’absence de salaire minimum réglementé, le travail intermittent des assistés et une couverture sociale et médicale réduite. Si, aux Etats-Unis, la Personal Responsibility and Work Opportunity and Reconciliation Act (1996) réussit à « réconcilier » l’assistance et le travail au lieu de les opposer, -les handicapés britanniques, français et américains bénéficient dorénavant de programmes d’insertion au travail en plus de prestations compensatoires (Advielle) – ni la famille ni le travail semblent avoir été renforcées par les mesures (Djebali).

Le travail, part essentiel du rêve américain, est malmené par les effets de la globalisation. La prestation américaine, la Trade Adjustment Assistance, à l’origine, une concession aux syndicats pour faire avaler la pilule de la libéralisation des accords d’échange dans les années 1960, pèse de plus en plus lourde.  Conséquences directes de la foi placée dans les bienfaits de la libre-échange, les pertes d’emplois sont concentrées dans les secteurs manufacturiers et dans les états où, en raison des compétences peu élevées requises par ces, industries, les travailleurs sont peu rémunérés. Mesure politique permettant de faire adopter une libéralisation croissante, sa genèse, sa mise en œuvre, son coût élevé et sa faible portée en font moins une mesure de protection sociale qu’un maquillage habile des effets néfastes d’une politique essentielle à la doctrine consensuelle au cœur du projet économique national.

L’étude de l’économie politique des soins confirme cette réflexion sur ‘la prééminence idéologique et politique des intérêts économiques dans la société américaine’ (Oueslati). L’histoire de l’assurance maladie aux Etats-Unis au 20e siècle se caractérise par une opposition continue entre les groupes d’assurés d’un côté, et la profession et l’industrie médicale de l’autre. Cette dernière réussit, dans le contexte de faiblesse des institutions fédérales et de manque de soutien des associations syndicales pour le projet des progressistes de Roosevelt à Clinton, à faire rejeter l’instauration d’une couverture maladie étendue organisée par l’état fédéral. Celle-ci est dépeinte comme contraire aux valeurs américaines, divisant l’unité nationale. L’American Medical Association (Oueslati) et les compagnies d’assurance (Pihet) mobilisent des moyens de communication exceptionnels au service d’un message calqué sur la culture dominante mettant l’accent sur l’opposition fondamental entre l’individu et l’état. L’industrie médicale s’adjuge ainsi le soutien des forces politiques conservatrices et chrétiennes et met en œuvre un lobbying puissant qui utilise l’argument anti-big government (Pihet) et une conception minimaliste du rôle de l’État (Advielle). La mobilisation des groupes favorables à la réforme est plus difficile à coordonner face à la multiplicité des facettes de l’impact de la réforme (Oueslati) L’intérêt général est sacrifié à l’intérêt particulier dès lors que la puissance d’un lobby particulier s’avère plus puissante que celle, plus diffuse, des groupes défendant des intérêts divers.  

Le ‘semi-État providence’ du modèle états-unisien réunit protection sociale fédérale, locale faible et protection privée développée. La couverture maladie n’y est pas un droit mais une éventualité. Un système de santé ‘exceptionnel’ où les inégalités et les ruptures sont nombreuses actent l’impossible réforme des programmes fédéraux Medicare et Medicaid (Oueslati, Pihet). L’augmentation des dépenses de santé publiques et privées est répercutée sur les assurés, la couverture se réduit. On estime qu’en 2003, 40% des américains se retrouvent sans assurance santé complète (Pihet). Cette exclusion médicale suit les contours socio-géographiques de la population, comme la Trade Adjustment Assistance (Azuelos). La inverse care law décrite par Julian Tudor Hart (The Lancet, 27 February 1971) est toujours opérante. Paradoxalement, en période de croissance économique, le désengagement de l’État américain, accompagné par un discours mettant en avant les valeurs du travail et de l’insertion, contribue au délitement des liens sociaux, à une exclusion accrue de populations faibles.


[1] KLEINMAN (Mark) A European Welfare State? European Union Social
Policy in Context
, Londres: Palgrave, 2002, p. 1.