Covid 19, épisode 17 : nouvelles variations sur les taux de mortalité

Je m’interroge régulièrement depuis le début de cette série de billets sur le Covid 19 sur la meilleure façon de représenter l’information disponible : quel indicateur retenir ? quelle échelle géographique ? Comment présenter les résultats : sous forme de tableau, de carte, de graphique ?

S’agissant de l’indicateur, que l’on compare des régions ou des pays, j’avais attiré l’attention dès mon premier billet sur la nécessité de rapporter le  nombre de cas, d’hospitalisation ou de décès à la population des entités comparées, pour neutraliser les effets taille. Ce n’est pas toujours fait, je lis encore régulièrement des comparaisons entre les Etats-Unis, l’Italie, la France, …, en nombre de décès, ce qui n’a pas beaucoup de sens. Le nombre de morts aux Etats-Unis (22 014 au 12 avril 2020) a certes dépassé le nombre de morts en Italie (19 899), en Espagne (17 489) et en France (9 253), mais le taux de mortalité (65 morts par million d’habitants aux Etats-Unis toujours au 12 avril) est nettement inférieur au taux italien (330), lui-même inférieur au taux espagnol (373) malgré un plus grand nombre de décès, la France étant en position intermédiaire avec un taux de 138 (en comptabilisant les décès en hôpital seulement, en intégrant les décès en Ehpad le taux monte à 220).

S’agissant de l’échelle géographique, on est malheureusement limité par les données disponibles. Si je me concentre sur la variable “décès”, on dispose de données à l’échelle des régions et des départements pour la France, des régions pour l’Espagne et l’Italie et des États et des Comtés pour les Etats-Unis. Travailler à ces échelles permet de montrer que la géographie compte, comme le montre le tableau ci-dessous : les moyennes nationales masquent la forte hétérogénéité des taux de mortalité à des échelles infra, la concentration spatiale de l’épidémie conduisant à des taux de mortalité locaux qui peuvent être très forts, le “record” de mon échantillon étant détenu par le comté de New-York aux Etats-Unis, qui frôle les 1200 morts par million d’habitants. Mais on aurait idéalement besoin de travailler à des échelles encore plus fines (voir à ce titre le travail remarquable de collègues italiens sur le nombre de cas).

échelle géographique taux de mortalité maximal (décès par million d’habitants au 12/04/2020)
France Pays 138
Région 374
Département 792
Italie Pays 330
Région 1056
Espagne Pays 373
Région 967
Etats-Unis Pays 65
Etats 397
Comté 1189

S’agissant de la représentation des résultats, je vous propose aujourd’hui des graphiques sur les taux de mortalité par million d’habitants pour la France, l’Italie et l’Espagne, qui permettent de synthétiser mieux que je ne l’ai fait jusqu’à présent, me semble-t-il, l’information disponible.

taux de mortalité par million d’habitants, Espagne

taux de mortalité par million d’habitants, Italie

taux de mortalité par million d’habitants, France

Attention, l’échelle des axes des ordonnées n’est pas le même selon les pays : il va jusqu’à 1000 décès par million d’habitants pour l’Espagne et l’Italie, et seulement jusqu’à 400 pour la France. Les périodes couvertes diffèrent également, mais toutes vont jusqu’au 12 avril. Ces graphiques permettent de voir rapidement la concentration géographique relativement forte de l’épidémie pour les trois pays, et l’évolution observée région par région, avec pour certaines des courbes en S, pour lesquelles il semble que l’on arrive sur un plateau, alors que pour d’autres, l’évolution semble plus linéaire et continue.

J’ai procédé de même pour les départements des trois régions françaises les plus touchées par l’épidémie (sur la base de l’indicateur “taux de mortalité”), à savoir Grand Est (en bleu), l’Ile-de-France (en vert) et la Bourgogne Franche-Comté (en rouge).

taux de mortalité par million d’habitants, France

On constate que les valeurs régionales moyennes masquent de fortes disparités en leur sein (l’axe des ordonnées monte jusqu’à 800), le Haut-Rhin et le Territoire de Belfort ressortant clairement comme étant les territoires les plus touchés de France.


Episodes précédents : Episode 1 (comparaisons régionales)|Episode  2 (résidences secondaires)|Episode 3 (sur la mortalité)|Episode 4 (comparaison France Italie)|Episode 5 (cas américain et espagnol)|Episode 6 (diffusion spatiale de l’épidémie)|Episode 7 (géographie des Ehpad)|Episode 8 (prévision décès Ehpad)|Episode 9 (sur la mortalité, suite)|Episode 10 (diffusion spatiale, suite)|Episode 11 (taux de mortalité)|Episode 12 (l’impact économique)|Episode 13 (confinement et mobilités départementales)|Episode 14 (chiffres Insee sur la mortalité)|Episode 15 (distanciation sociale)|Episode 16 (impact économique)

Covid 19, épisode 11 : variations sur les taux de mortalité (Espagne, France, Italie)

Je vous propose aujourd’hui de présenter autrement les chiffres sur les décès en Espagne, en France et en Italie, en calculant des taux de mortalité : il s’agit pour cela de diviser le nombre de décès pour une région ou un pays par le nombre d’habitants de cette même entité. Étant donné que le nombre de décès est très faible par rapport au nombre d’habitants, je ne vais pas raisonner en pourcentage, mais en décès par million d’habitants.

Il ne s’agit que d’une autre façon de présenter les chiffres : jusqu’à présent, je proposais le plus souvent de situer une région en rapportant son poids dans les décès à son poids dans la population. Or, ce ratio est aussi égal au taux de mortalité de la région considérée divisé par le taux de mortalité moyen. Un ratio de 2 par exemple signifie que la région en question pèse deux fois plus dans les décès que dans la population ; il signifie aussi que le taux de mortalité de la région est le double de celui observé dans l’ensemble de référence. Mais je pressens que présenter les taux de mortalité retiendra plus votre attention.

A l’échelle des trois pays de mon échantillon, les différences sont sensibles : à la date du 5 avril, on compte 278 décès par million d’habitant en Espagne, 263 en Italie et “seulement” 88 en France. Attention cependant à ne pas surinterpréter ces résultats : la comptabilité française que j’exploite (la seule qui permette des traitements à la région) se limite aux décès en hôpital. En comptant l’ensemble des décès, les différences sont en partie atténuées. Pour preuve, à l’échelle du pays, si j’ajoute aux chiffres des hôpitaux les décès actuellement recensés dans les Ehpad (un peu plus de 2 000 au 5 avril, ma prévision n’était pas trop mauvaise), le taux de mortalité français passe à 120.

Le point sur lequel je souhaitais insister : les moyennes nationales masquent de très fortes variations régionales. Je vous présente ci-dessous un tableau assez long, qui reprend les taux de mortalité pour les régions espagnoles (en vert), françaises (en bleu) et italienne (en noir) et les valeurs nationales (en rouge). Les régions et pays sont classés des taux de mortalité les plus élevés aux taux les plus faibles.

Taux de mortalité par million d’habitants, au 5 avril 2020

Seules deux régions ne comptent aucun décès (la Guyane et la Réunion). Les taux varient ensuite de 7 décès par million d’habitants pour Mayotte à 885 décès par million d’habitants pour la Lombardie. Une région comme Grand Est pâtit d’un taux de mortalité proche des moyennes espagnoles et italiennes. En France métropolitaine, la région la moins touchée est la Nouvelle-Aquitaine, dont le taux de mortalité est plus de 13 fois plus faible que celui de Grand Est, région au taux le plus fort. Le ratio entre la région la plus touchée d’Italie (la Lombardie) et celle la moins touchée (la Sicile) est de 38 pour 1. Pour l’Espagne, il est de 32 pour 1 entre la région de Madrid et Melilla.

Pour finir, notons que j’aurais pu intercaler dans ce classement les départements français. Ce qui aurait permis de constater que les départements les plus touchés sont près des taux de mortalité de la Lombardie et de la région de Madrid, avec un taux de 616 pour le Haut-Rhin et de 614 pour le Territoire de Belfort. Les Vosges et la Moselle arrivent ensuite, avec un taux pratiquement deux fois moindre de 325.

Jolis graphiques hauts en couleur

Comme je sais que certains d’entre vous dépriment à la veille de la fin du monde, que d’autres dépriment à voir déprimer des gens à cette idée, que d’autres encore dépriment pour de meilleures raisons, j’ai décidé d’égayer votre journée avec quelques graphiques hauts en couleur.

Graphique 1, le taux de mortalité par agression dans différents pays développés, entre 1960 et aujourd’hui :

Graphique 2, déclinaison par régions américaines, car il existe une forte variabilité régionale (données de moins longue période, problème de disponibilité) :

Graphique 3, pour dire que cette variabilité régionale ne doit pas masquer le fait que la région US la plus vertueuse est beaucoup moins vertueuse que le moins vertueux des pays de l’OCDE :

Graphique 4, enfin, pour dire que ces variations géographiques sont sous-tendues pour une bonne part par des variations ethniques :

Je me demande ce qu’ils pensent des prédictions Mayas, ou des tribulations de Gégé chez les Belges, les noirs américains du sud des Etats-Unis…

Source, trouvé via @SH_lelabo.