Impact territorial de la crise : la situation à fin décembre 2020

Après une première analyse de la situation par région et zone d’emploi à fin juin 2020 et une deuxième analyse à fin septembre 2020, nous avons réalisé une étude de l’impact territorial de la crise à fin décembre 2020, à partir du même jeu de données, l’emploi privé hors agriculture, et en suivant la même méthodologie : analyse de l’évolution de l’emploi par territoire et par secteur et décomposition de cette évolution pour identifier l’ampleur respective des effets de spécialisation et des effets dits “locaux”.

Cette étude a cette fois été réalisée au sein du groupe “prospective et connaissance territoriales”  de Régions de France. Il s’agit d’une première note, qui a vocation à être suivie par d’autres. Vous pouvez en voir la synthèse et la télécharger ici. Ci-dessous une des cartes du document.

Elle est également disponible sur le portail des territoires, à la rubrique études et prospective, du site de la Région Nouvelle-Aquitaine. Quatre documents relatifs à l’impact économique de la crise sont désormais téléchargeables  :

Nous allons continuer à produire des analyses de cet impact. Prochaine livraison : une analyse à une échelle plus fine, non plus à l’échelle des zones d’emploi mais à celle des EPCI, d’ici fin juin 2021 si tout va bien.

L’impact territorial de la crise : une actualisation

Nous avions produit une première analyse de l’impact territorial de la crise à fin juin 2020, à l’échelle des zones d’emploi,  en exploitant les données de l’Urssaf sur l’emploi privé hors agriculture. Ces données à fin juin étaient disponibles fin septembre. Nous avons actualisé le travail pour évaluer l’impact à fin septembre 2020, à partir des données disponibles fin décembre 2020 sur le site open data de l’Urssaf. Attention dans l’interprétation des résultats  nous travaillons sur le sous-ensemble de l’emploi privé hors agriculture, et le choc sur l’emploi a été fortement atténué par les mesures prises par la puissance publique au sens large, à toutes les échelles territoriales.

Ceci nous a pris un peu de temps, car au-delà de la production de l’analyse, nous souhaitons mettre à disposition des documents de qualité, compréhensible par un public le plus large possible. Un gros travail de définition d’une charte graphique, puis de “traduction” des résultats, d’infographie, …, a donc été réalisé. Le délai pour réaliser la première note a donc été assez long, il fallait que l’on teste différentes choses. Désormais, nous allons être en mesure de produire des documents de ce type rapidement après la production “brute” des notes (merci à Patricia et aux collègues impliqués pour ce qu’ils ont fait, travail remarquable je trouve!).

Trois documents sont désormais disponibles sur le portail des territoires, à la rubrique études et prospective :

S’agissant du fond, sur la dernière note relative à l’impact de la crise à fin septembre, l’idée était de s’interroger sur l’impact de la reprise de l’été. en voici le résumé :

Le troisième trimestre 2020 s’est traduit par une forte reprise, de +1,77% France entière, soit 323 109 emplois privés hors agriculture supplémentaires. Cette reprise ne com-pense pas les pertes des deux premiers trimestres, de plus de 620 000 emplois. Le solde reste donc négatif sur l’ensemble de la période (297 307 emplois en moins), soit un taux de croissance trimestriel moyen de -0,53%, équivalent au taux observé lors de la crise de 2008-2009,

Toutes les régions sans exception ont bénéficié de la reprise, à commencer par les deux les plus touchées au premier semestre, la Corse et PACA. En dehors de ces deux cas, on n’observe cependant pas de relation très forte pour l’ensemble des régions entre la dynamique des deux premiers trimestres et celle du troisième trimestre. La Nouvelle-Aquitaine se situe en 8ème position au T3, alors qu’elle était au troisième rang des régions les moins touchées au premier semestre. Ces évolutions en T3 n’ont pas modifié le classement global des régions lorsqu’on compare le classement des deux premiers trimestres et celui des trois premiers trimestres, la Nouvelle-Aquitaine restant la 3ème région la moins touchée,

A l’échelle des secteurs, on retrouve la même idée : les secteurs ayant le plus souffert au premier semestre ont connu des dynamiques très fortes, notamment l’intérim, l’hébergement-restauration et les « Arts, spectacles et activités récréatives ». En dehors de ces secteurs, on n’observe cependant pas de relation générale très forte entre les évolutions du premier semestre et celle du troisième trimestre. Comme pour les régions, la reprise n’a pas modifié le classement des secteurs sur l’ensemble de la période,

A l’échelle des zones d’emploi, on observe une relation négative plus forte, pour un plus large ensemble de territoires, entre la période 2019T4-2020T2 et 2020T2-2020T3 : les zones d’emploi ayant le plus souffert ont le plus bénéficié de la reprise, les zones d’emploi ayant le moins souffert en ont le moins bénéficié. Ceci est vrai, avec une intensité plus forte, en Nouvelle Aquitaine,

Parmi les zones d’emploi de notre région, Sarlat-la-Canéda demeure une de celles qui a le plus souffert sur l’ensemble de la période, mais Parthenay présente désormais un score plus faible. Marmande reste la zone la moins touchée. Certains territoires (Bayonne, Pauillac, Bressuire et Périgueux) ont connu des dynamiques très favorables, elles se situent désormais parmi les zones les moins touchées. A l’inverse, Parthenay, Pau et Rochefort sont impactées très fortement et reculent nettement dans le classement des zones.

Les analyses structurelle-résiduelle que nous avons menées, à l’échelle des régions comme à l’échelle des zones d’emploi, montrent que les effets locaux dominent toujours les effets structurels. L’effet local positif de la Nouvelle-Aquitaine s’explique pour une bonne part par une dynamique moins défavorable de l’intérim, du commerce et par une dynamique plus favorable de l’industrie agro-alimentaire.

N’hésitez pas à nous faire part de tout retour, sur la forme et sur le fond, à l’adresse suivante : ditp(at)nouvelle-aquitaine(dot)fr

La fusion des régions : inutile, coûteuse et irréversible

France Culture vient de mettre en ligne les résultats d’une enquête sur la région Occitanie, fusion des anciennes régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, qui montre que les frais de fonctionnement ont explosé (dans une vidéo France Inter insérée dans l’article, on apprend que les frais de fonctionnement sont passés de 2,4 à 3,5 milliards). En fin d’article, il est également mentionné que, après fusion, les budgets régionaux restent tous petits : 30 milliards pour l’ensemble des régions françaises, contre 23 milliards pour la seule Catalogne.

Résultats tout sauf surprenant.

Cette fusion des régions, d’abord, était inutile : elle a été menée sous le prétexte que les régions françaises étaient trop petites, qu’il fallait absolument se rapprocher du modèle des länder allemands (les régions allemandes font rêver, pas la structure urbaine allemande, plus équilibrée que la structure française, soit dit en passant), car des régions plus grandes, effets “masse critique” obligent, seraient plus performantes. Pour réduire le “millefeuille” institutionnel français, ensuite, en supprimant la clause de compétence générale et en spécialisant les collectivités (les départements ne pouvant plus faire de développement économique notamment). Sur le premier point, après fusion, les régions françaises restent des nains, comme cela a été indiqué dès 2016. Sur le deuxième point, on ne peut pas dire que l’on ait beaucoup avancé, quand on observe la résistance des conseils départementaux pour continuer à exister sur le volet développement économique. De plus, rien n’empêchait de spécialiser les collectivités sans passer par une fusion des régions.

Une réforme coûteuse, ensuite, ce qui était également très prévisible : le cas de l’Occitanie est bien documenté par France Culture. Pour voir régulièrement ce qu’il en est en Nouvelle-Aquitaine, je dirais que le problème est au moins de même niveau, voire pire. J’ajouterais que le problème n’est pas que comptable : oui, les budgets de fonctionnement ont explosé après fusion, vu les déplacements que les agents doivent faire, mais en plus, ça épuise physiquement, ces déplacements. Ajoutons les problèmes de gouvernance liés à la gestion impossible d’organisations de si grande taille. Ce dernier élément est d’ailleurs assez cocasse : la plupart des réformes récentes dans la fonction publique visent à introduire des éléments de gouvernance dérivé de ce qui se fait dans le privé (définition d’indicateurs de performance, orientation des moyens en fonction de ces indicateurs, etc.), mais on oublie que dans le privé, vous ne trouverez plus d’entreprises de grande taille, vu les problèmes d’organisation interne que cela pose. Dans le public, que l’on parle des régions ou des universités, on fait strictement l’inverse, d’où un renforcement de la bureaucratie. L’idée selon laquelle en fusionnant on va disposer d’entités de plus grande taille qui vont pouvoir faire des économies d’échelle est de mon point de vue contestable : on aurait mieux fait de favoriser les collaborations interrégionales pour grouper certaines commandes publiques et profiter d’économies d’échelle sans faire tomber tout le monde dans un tel bazar organisationnel.

Inutile, coûteuse, mais irréversible : il en va ainsi de certaines réformes, on s’aperçoit assez vite de leurs lacunes, mais faire machine arrière coûterait plus cher, donc il faut s’en accommoder. Ce ne serait pas inutile, quand on décide d’une nouvelle politique, de mesurer son degré d’irréversibilité, et de ne mettre en œuvre ladite politique que si l’on a pris le temps d’évaluer précisément son intérêt. En l’occurrence, avoir mis en œuvre une politique à la fois inutile, coûteuse et irréversible, comment dire… ça relève de l’exploit.

La Catalogne, moteur économique de l’Espagne ?

Lors de sa déclaration d’indépendance-enfin-on-sait-pas-trop, Carles Puigdemont a affirmé que depuis la mort de Franco, la Catalogne était le moteur économique de l’Espagne.

Cet argument économique, même s’il n’est pas le seul, est souvent repris par les régions pour revendiquer leur indépendance. En gros, l’idée est la suivante : on en a marre de créer les richesses, de se les faire piquer par l’État central qui les redistribue aux régions pauvres peuplées de fainéants. Cf. l’Italie du Nord (vs. l’Italie du Sud), la Flandre (vs. la Wallonie), la Catalogne (vs. les autres régions espagnoles).

Mais, dans le cas de la Catalogne et de la période actuelle, est-ce le cas ? Pour en juger, on peut collecter des données sur les PIB, le nombre d’habitants, l’emploi, etc., calculer les PIB par habitant, les décomposer en PIB par emploi et emploi par habitant, en suivant la méthodologie que Michel Grossetti et moi avions proposé pour le cas français dans cet article de la Revue de l’OFCE.

C’est à cet exercice que nous nous sommes livrés avec Emmanuel Nadaud, en nous concentrant sur les pays de l’Union à quinze, soit 214 régions NUTS2, avec des données 2011. Nous en avons tiré un article présenté en juillet dernier à Athènes, qui insiste sur la diversité des contextes régionaux.

Source : Nadaud E., Bouba-Olga O., 2017, “La richesse des régions européennes : au-delà du PIB par habitant”, Colloque ASRDLF, Athènes, juillet. Lien : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01533348/document

[Edit : paragraphe modifié, erreur de lecture de la carte, c’est corrigé (17/10/2017)] Les zones en rouge correspondent aux régions présentant les plus faibles valeurs de l’indicateur concerné (1er quintile), les zones en vert foncé présentent les plus fortes valeurs (5e quintile). La Catalogne est quant à elle dans une situation médiane (3ème quintile) pour le PIB par habitant et pour le ratio emploi par habitant. Deuxième quintile en revanche pour le PIB par emploi (la productivité apparente du travail). Plusieurs régions espagnoles sont visiblement dans une meilleure situation.

Je suis retourné aux chiffres précis, en rapportant les valeurs observées pour les régions espagnoles à la moyenne de l’Union à 15 pour construire des indices qui valent 100 si la valeur observée dans la région est égale à la valeur observée en moyenne.

Le PIB par habitant de l’Union à 15 est de 30 219€ en 2011, le PIB par emploi monte à 66 814€. La Catalogne est sensiblement en dessous, avec des indice de 89 pour le premier indicateur (le PIB par habitant de la Catalogne est donc égal à 89% du PIB par habitant de l’Union à 15) et de 87 pour le deuxième.

Surtout : la Catalogne arrive en quatrième position des 19 régions espagnoles pour le PIB par habitant, derrière la région de Madrid (indice de 103), le Pays Basque (99) et la Navarre (95). Elle passe même au 5ème rang pour la productivité apparente du travail : le Pays Basque est en première position (indice de 95), devant la région de Madrid (93), la Navarre (92) et la Rioja (88).

Difficile, dès lors, d’affirmer que la Catalogne est le moteur économique de l’Espagne.

C’est grave docteur ? Non. Comme expliqué dans mon petit livre, il faudrait sortir de ces analyses qui voient les territoires comme des entités en concurrence les unes avec les autres. Les processus productifs traversent les frontières, chaque territoire pouvant être vu comme un petit bout de petit monde, spécialisé de manière plus ou moins avantageuse sur des fragments de processus productifs. Plutôt que de penser ce qui sépare, mieux vaut comprendre ce qui relie.

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Réussir la réforme des Régions

Mercredi 9 novembre 2016, j’interviendrai aux Journées de l’Économie organisées à Lyon dans le cadre d’une table ronde intitulée “Réussir la réforme des Régions”. Voici quelques idées en vrac que j’aimerais défendre.

  1. l’un des arguments avancés pour soutenir la fusion des régions consistait à dire que les régions françaises étaient trop petites, comparativement à leurs homologues allemandes, les fusionner allait permettre de leur faire atteindre une “taille critique”. Cet argument “taille critique”, que l’on retrouve pour le soutien aux métropoles, mais qui sous-tend aussi la réorganisation des Universités, ne tient pas la route empiriquement, comme expliqué à de nombreuses reprises sur ce blog ou ailleurs (voir ici pour la recherche, ou là pour des analyses à l’échelle des régions et des villes),
  2. cet argument tient d’autant moins pour les régions que, même après la fusion, les régions françaises restent toutes petites, comme expliqué dans ce billet : elles sont grandes en termes de superficie ou de population, elles restent des naines en termes de budget. Ceci est d’ailleurs rappelé dans l’annonce de la table ronde : “A ce jour, les Régions françaises représentent 1,3% du PIB contre 9,2% du PIB pour les Länder autrichiens et 12,8% du PIB pour les Länder allemands”,
  3. un autre argument beaucoup plus recevable consistait à supprimer la clause générale de compétence des collectivités, afin d’éviter la duplication des efforts sur les mêmes thèmes (au hasard : en matière de développement économique), notamment entre département et région.  Mais les départements, très fâchés, semblent quelque peu contourner le système. Petit exemple près de chez moi, la création par le département de la Vienne de “l’Agence de créativité et d’attractivité du Poitou”, où l’on nous explique que tourisme et économie sont indissociables et complémentaires, et que “C’est pourquoi, l’Agence Touristique de la Vienne présente une modification de ses statuts en vue de l’extension de son objet à la prospection et au développement économique”. Ce n’est pas près de ne plus doublonner.

Est-ce à dire qu’il n’y a rien à attendre de positif de cette réforme ? Peut-être parce que je suis d’un naturel optimiste, je dirais que non. Rien d’automatiquement positif, mais des potentialités, à charge pour les acteurs de s’en saisir :

  1. si je prends l’exemple de la Nouvelle Aquitaine, cette région est tellement grande qu’animer le développement économique depuis Bordeaux est impossible (alors que le développement économique de la Région Poitou-Charentes était largement animé depuis Poitiers). Il n’est donc pas exclu que le développement économique soit analysé et animé à des échelles plus fines qu’auparavant, ce qui, compte-tenu de la géographie des spécialisations économiques, me semble être une bonne chose,
  2. les Régions rédigent désormais des schémas prescriptifs, autrement dit des schémas qui s’imposent aux autres collectivités. Certaines collectivités s’en inquiètent, elles ont peur de tomber sous la dictature du Conseil Régional, je pense que cela peut surtout obliger à un peu plus de coordination et de cohérence dans ce qui est fait aux différentes échelles (Région, Métropole, EPCI),
  3. j’observe également que les rivalités locales souvent calamiteuses entre communes ont tendance à s’estomper, les intercommunalités se développent et s’organisent, pour pouvoir mieux négocier et contractualiser avec les Conseils Régionaux. C’est une très bonne chose, car à l’échelle locale, il existe clairement des économies d’échelle statiques en matière de gestion des services publics (transports, eau, écoles, zones commerciales, …),
  4. l’émergence de grandes régions (ainsi que de métropoles) peut avoir un autre effet bénéfique, car il conduit à l’émergence de contre-pouvoirs face à l’Etat central. Certes, les régions disposent de moyens financiers limités, comme expliqué plus haut, mais des politiques d’envergure nationale semblent penser qu’une carrière à gérer une grande région ou une grande ville vaut aussi bien qu’un poste temporaire de Ministre. Si ceci peut réduire un peu le jacobinisme à la française, ce ne sera pas un mal.

Bref : le pire n’est pas sûr, même s’il n’est pas à exclure non plus. Tout va dépendre de comment les régions vont s’organiser et penser leur développement économique. Comme je le dis souvent, ma crainte est que l’on reproduise à l’échelle des régions des “France en plus petit”, c’est-à-dire un développement économique exclusivement centré autour d’une métropole, au mépris des potentialités de développement économique qui existent sur de nombreux territoires non métropolitains. Si on évite ce travers et que l’on essaie d’inventer d’autres formes de développement, basées sur une meilleure connaissance des réalités locales et sur le développement de coopérations aux différentes échelles, ma foi, cette réforme peut déboucher sur des choses positives.

Vu le bazar actuel sur les territoires, cependant, une chose est sûre : ça va prendre du temps…

Les nouvelles Grandes Régions françaises sont toutes petites

Dossier très intéressant et bien documenté d’Alternatives Economiques dans le numéro de novembre, consacré à la réforme territoriale, je vous en recommande vivement la lecture. Bonne synthèse des débats en cours avec les thèses d’Askenazy et Martin, Davezies, Veltz, Frédéric Gilli et moi-même p. 56-59 (les propos de Frédéric Gilli me semblent particulièrement intéressants et complémentaires de ce que l’on raconte avec Michel Grossetti), beaucoup de cartes, statistiques, analyses sur différents sujets, bref, courez l’acheter!

Je cible juste sur un point évoqué page 68, consacré aux budgets des régions, avec des comparaisons entre certaines des nouvelles régions françaises et certaines régions européennes. On peut y lire le budget régional (en milliards d’euros) et la population régionale (en millions de personnes). Je me suis amusé à diviser les deux chiffres, pour avoir une idée de la dépense par habitant de chaque région.

En nombre d’habitants, les régions françaises sont plutôt grandes :

populationMais si l’on regarde le budget par habitant, ce sont des naines, elles restent entre 5 et 10 fois plus petites que leurs homologues européennes  :

budgetSi l’on considère que l’échelon régional est un bon échelon pour assurer le développement économique de la France, je ne sais pas vous, mais je crois que c’est moins le nombre d’habitants qui compte, que les moyens financiers dévolus afin d’assurer les missions confiées.

En dépit des apparences, la France reste un pays très jacobin…

Elle exporte quoi, votre région ?

Comme me l’a fait remarqué mon jeune (et néanmoins brillant) collègue Marc Pourroy, pour dire des choses sur les performances des territoires, les chercheurs traitent des données sur les PIB, la productivité des entreprises ou la croissance de l’emploi, mais très peu de données relatives au commerce international, alors qu’à l’échelle des pays, elles sont souvent utilisées, pour calculer par exemple ce qu’on appelle les avantages comparatifs révélés de telle ou telle économie.

N’écoutant que notre courage, nous avons donc décidé de nous y mettre, en commençant par exploiter des données fournies par les douanes, pour l’année 2014, disponibles à l’échelle des (anciennes) régions et des (futurs-ex ou ex-futurs-ex ou on ne sait pas trop) départements. Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer deux petites cartes réalisées sous Philcarto.

La première représente le premier secteur exportateur de chaque région de France métropolitaine, la taille des cercles étant proportionnelle à la valeur des exportations.

exports région.pngLa France exporte des avions, des voitures, du vin et des médocs, plus quelques autres petites choses. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les précautions de lecture : il s’agit de données pour 2014, le classement des secteurs peu changer d’une année à l’autre ; le fait qu’une région exporte tel ou tel bien ne signifie pas qu’elle en fabrique l’ensemble, la fabrication des Airbus exportés de Toulouse fait par exemple travailler de très nombreuses régions ; le Cognac se boit aussi en apéritif, par exemple avec du Schweppes ; etc.

Une autre limite de ce type de traitement est que, paradoxalement vu le contexte actuel, les régions françaises sont trop grandes pour saisir les logiques de spécialisation productive, qui se déploient à des échelles plus fines. Regardons donc à l’échelle des départements, en nous focalisant, si vous en êtes d’accord, sur la Grande Aquitaine, dont je vous avais déjà un peu parlé.

exports_gaOn retrouve le Bordeaux et le Cognac, mais aussi le papier-carton, les céréales, l’industrie de la viande, ainsi que, dans la Vienne, les instruments et appareils de mesure d’essais et de navigation. A l’échelle de l’ensemble des départements, on trouve 35 secteurs différents comme premiers secteurs de spécialisation, ce qui me semble plutôt important et témoigne de la diversité productive de la France.

Vous voulez connaître le premier secteur d’exportation de votre département et il ne figure pas sur cette carte ? Demandez-moi en commentaire, je vous donne la réponse !

De quels pays les régions françaises sont-elles proches ?

Une carte plutôt amusante circule sur twitter aujourd’hui : le nom de chaque région française est remplacé par le nom d’un pays au PIB équivalent.

carte_regions_pibCarte amusante, donc, mais attention à la lecture, l’indicateur est le PIB, l’association régions-pays donne une indication de la taille économique des régions, pas de leur niveau de vie.

Pour dire des choses sur le niveau de vie des régions françaises et leur situation par rapport aux niveaux de vie des pays, il convient plutôt de retenir comme indicateur le PIB par habitant, ce que je me suis empressé de faire. Plus précisément, j’ai récupéré les PIB par habitants des pays pour 2011, j’ai calculé ceux des régions françaises pour la même année, en retenant l’ancien découpage (en rouge) et le nouveau (en vert), puis j’ai procédé au classement de cet ensemble (côté pays je me suis arrêté à ceux un peu en dessous du niveau de vie de la plus faible région française). Ça donne ce tableau :

Pays/Région PIB par habitant (€) en 2011
Luxembourg 81 806
Quatar 69 327
Norvège 68 948
Suisse 58 681
Île-de-France 50 588
Australie 46 883
Saint-Marin 45 468
Emirats Arabes Unis 44 944
Danemark 42 177
Suède 40 715
Canada 35 670
Pays-Bas 35 472
Autriche 35 099
Singapour 34 804
Finlande 34 459
Etats-Unis 34 138
Irlande 34 111
Belgique 33 192
Japon 32 402
Allemagne 31 159
France 31 086
Koweït 30 885
Rhône-Alpes 30 689
Islande 30 437
Rhône-Alpes Auvergne 29 637
Alsace 28 593
Provence-Alpes-Côte d’Azur 28 547
Champagne-Ardennes 27 524
Pays de la Loire 27 473
Royaume-Uni 27 415
Brunei 27 220
Aquitaine 27 177
HauteNormandie 26 926
MidiPyrénées 26 923
Alsace Champagne-Ardennes Lorraine 26 362
Aquitaine Poitou-Charentes Limousin 25 939
Centre 25 915
Haute-Normandie Basse-Normandie 25 749
Bourgogne 25 726
Italie 25 618
Nouvelle-Zélande 25 411
Bretagne 25 361
Midi-Pyrénées Languedoc-Roussillon 25 293
Nord-Pas-de-Calais 25 204
Bourgogne Franche-Comté 25 170
Corse 25 046
Union Européenne 24 854
Poitou-Charentes 24 834
Auvergne 24 723
Nord-Pas-de-Calais Picardie 24 601
FrancheComté 24 392
BasseNormandie 24 281
Hong Kong 24 200
Lorraine 23 942
LanguedocRoussillon 23 524
Picardie 23 332
Limousin 23 139
Israël 22 852
Espagne 22 659
Chypre 20 252
Grèce 18 885
Slovénie 17 589

La région la plus pauvre, le Limousin, est proche du niveau de vie d’un pays comme Israël. La région la plus riche, l’Ile-de-France, est proche de la Suisse. L’Aquitaine est proche du Royaume-Uni, la Bourgogne de l’Italie ; la Lorraine de Hong-Kong.

Avec le nouveau découpage, la région la plus pauvre est l’ensemble Nord Pas de Calais Picardie. Mais le résultat principal n’est pas là. La fusion des régions fait remonter dans le classement les 6 régions françaises ayant le plus faible PIB par habitant : Limousin, Picardie, Languedoc-Roussillon, Lorraine, Basse-Normandie, Franche-Comté ; l’hétérogénéité interrégionale des PIB par habitant se réduit. Avec une conséquence (in)attendue : comme les aides européennes sont calculées en partie sur la base des PIB régionaux par habitant, le montant d’aide reçu par la France va diminuer. Je ne sais pas de combien, mais il paraît que ça pourrait ne pas être totalement négligeable. Heureusement que ces fusions vont permettre de booster la croissance française !

Les dérives de la réforme territoriale : quelles seront les capitales des nouvelles régions de France ?

Le Monde a publié hier un article intitulé “Quelles seront les capitales des nouvelles régions de France?”. Question très révélatrice de la façon dont on est en train de faire la réforme territoriale.

Roland Riès, maire de Strasbourg, affirme ainsi « Je ne peux accepter que Strasbourg, avec son statut européen, appartienne à une région dont elle ne serait pas la capitale ». Plus loin, le journaliste explique :

Sur la liste des villes qui perdront leur statut de capitale régionale figure également Clermont-Ferrand en Auvergne, qui pèse de peu de poids face à la métropole lyonnaise. Idem pour Limoges (Limousin) et Poitiers (Poitou-Charentes) qui, selon les mots d’un conseiller ministériel, « ne sont pas en mesure de disputer le leadership à Bordeaux », qui deviendra capitale de cette grande région du Sud-Ouest.

Dans le futur Nord-Pas-de-Calais-Picardie, c’est sans surprise Amiens qui devrait s’effacer devant la mairie de Lille, de Martine Aubry. Les métropoles devraient donc être les gagnantes du redécoupage régional.

(…) Quant à la future région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, « personne n’imagine que la capitale ne soit pas Toulouse », indique un connaisseur du dossier.

En clair, on s’oriente vers un processus de décentralisation qui consiste à faire émerger tout un ensemble de “France en plus petit”, avec au sein de chacun de ces petits pays, la Capitale régionale, pendant pour la région en question de ce qu’est Paris pour la France. Un modèle centre/périphérie, avec la concentration d’un maximum de pouvoirs dans la ville centrale, dotée du statut de métropole.

Tout ceci au mépris de l’ensemble des interdépendances qui traversent les régions françaises : on ne peut comprendre l’économie de la Picardie si on ne voit pas qu’une part importante de ses habitants travaillent en Ile-de-France (17% en 2011) ; on ne peut comprendre l’économie de la Lorraine si on ne voit pas qu’une part importante de ses habitants travaillent en Belgique, en Allemagne et surtout au Luxembourg (environ 10% des lorrains) ; idem pour la Franche-Comté vis-à-vis de la Suisse, la Bourgogne, l’Alsace, Rhône-Alpes ou encore l’Allemagne. On sait aussi que les processus productifs sont de plus en plus fragmentés, que leur organisation d’ensemble traverse les frontières régionales et même nationales.

Certains Conseil Régionaux avaient déjà tendance à se considérer comme de petits pays, s’indignant par exemple que les jeunes dont ils avaient financé la formation aillent travailler ensuite dans d’autres régions. J’ai peur que cette tendance se renforce à l’avenir.

Tout ceci au mépris du fait que le potentiel de croissance de l’économie française est loin de résider simplement dans ses métropoles, comme nous l’avons montré récemment en brassant tout un ensemble de statistiques, comme le constatera toute personne analysant de manière un peu précise l’économie des territoires : l’économie de Poitou-Charentes n’est pas riche que de Poitiers, ville essentiellement administrative, elle est riche aussi de l’industrie localisée autour de Cognac et du Nord-Deux-Sèvres, deux territoires qui s’en sortent plutôt très bien, sans être connectés de manière décisive à une quelconque métropole ; Midi-Pyrénées n’est pas riche que de Toulouse, elle est riche également de sa Mecanic Vallée, autour de Figeac-Decazeville, avec certes des sous-traitants pour Airbus, mais pour beaucoup d’autres entreprises, un peu partout dans le monde ; regardez également ce qui se passe sur Pau, sur le Territoire de Belfort, dans la Vallée de l’Arve, sur certains territoires littoraux, et sur de nombreux autres territoires.

On aurait pu rêver d’un peu d’imagination, de tentatives de gouvernance innovantes, permettant de tirer partie de la diversité des territoires français, de bien gérer ces interdépendances. Je crains qu’on s’achemine vers l’émergence de petits rois, à la tête de leur petit royaume.

L’Europe ressemble à un ensemble de pays égoïstes, repliés sur leurs intérêts nationaux, se faisant concurrence autant que de possible. La France et ses régions s’orientent vers ce modèle, dirait-on.

Régions Françaises : quel effort pour l’enseignement supérieur et la recherche?

Bien que les Régions françaises n’aient pas la compétence en matière de Recherche, toutes soutiennent ce levier essentiel de la croissance économique, notamment dans le cadre de leur compétence en matière d’action économique.

On peut alors s’interroger sur l’effort fourni par chacune d’elle. Premiers éléments de réponse fournis par L’ORS dans sa lettre de synthèse n°43 (non trouvée sur le web). Dans un premier tableau, on y trouve la part, dans l’ensemble du budget des régions, des dépenses dédiées à l’enseignement supérieur, à la recherche et à la technologie. Dans un deuxième tableau complémentaire figure la dépense “enseignement supérieur” par étudiant. En croisant les informations de ces deux tableaux, on peut construire le tableau suivant :

A titre d’illustration, la Région Poitou-Charentes dépense 104€ par étudiant contre 160€ en moyenne dans l’ensemble des régions, ce qui la place au 13ème rang des 22 régions métropolitaines. S’agissant du poids des dépenses consacrées à l’enseignement supérieur, à la recherche et à la technologie, il est de 2,3% en Poitou-Charentes, contre 3,5% France entière, ce qui la place cette fois au 18ème rang.

Pour compléter l’analyse, je suis allé chercher des données sur les populations régionales, afin d’identifier d’éventuels effets taille : est-ce que les plus grandes régions réservent une part plus importante de leur budget à l’enseignement supérieur et à la recherche? Effectuent-elles une dépense par étudiant plus importante? Réponse en image :

Pas de corrélation apparente entre ces différentes variables (ce qui est confirmé par les valeurs faibles des coefficients de corrélation de rang), l’effort régional en la matière semble indépendant de la taille des régions. Il  est affaire, sans doute plus, de volonté politique.