Où fait-il bon vivre en France ? La copie très moyenne des Echos

Ça doit être l’effet vacances, pas d’étudiants, pas de copies à corriger, que voulez-vous, cela me manque… Alors quand j’ai vu le petit exercice cartographique des Echos, je n’ai pas pu m’empêcher de faire mon prof. Bilan? Copie moyenne, très moyenne…

Les Echos ont récupéré des données Insee par zones d’emplois pour 9 indicateurs (variation de la population, taux de chômage, revenu médian, espérance de vie, …), ils ont bâti un classement des zones sur chaque indicateur, puis ils ont calculé la moyenne de ces 9 classements et cartographié le résultat obtenu, ce qui donne cette carte :

carte_les_echosPremier problème, bien qu’affirmant travailler sur données zones d’emplois, on s’aperçoit que pour 4 des 9 indicateurs, ce sont en fait des données départementales. Or, le découpage par zones d’emploi ne respecte pas le découpage départemental. Mais rien n’est dit sur la façon dont les Echos ont procédé pour affecter des valeurs aux zones qui traversent les départements.

Deuxième problème, rien n’est dit sur le lien entre l’objectif de l’article (mesurer la qualité de vie des territoires) et les variables retenues. En quoi le fait qu’un territoire accueille plus de diplômés du supérieur améliore-t-il la qualité de vie sur ce territoire ? Ça manque de justification…

Troisième problème, faire des classements, calculer des moyennes de classements, ça n’a pas beaucoup de sens. Avec ce type de données hétérogènes, mieux vaut procéder à des analyses de données pour faire émerger des typologies. L’enjeu n’est alors plus de faire ressortir les meilleurs/moins bons, mais de faire émerger des classes de territoires semblables et de repérer les variables discriminantes. Moins vendeur mais plus utile. L’Insee s’était livré à ce type d’exercice, j’en avais parlé ici.

Troisième problème, je pressens des corrélations fortes entre les indicateurs mobilisés : taux de pauvreté, revenu médian, taux de chômage, … tout ça me semble un peu redondant. Pour preuve, je me suis contenté de récupérer le taux de chômage par zones d’emploi pour 2012 (j’avais ça en stock sur mon ordinateur) et j’ai cartographié ce simple indicateur, ça donne cette carte :

ma_carte_choJe vous laisse regarder, on retrouve globalement la même chose : situation mauvaise au Nord et dans le Sud-Est, bien meilleure en Rhône-Alpes, Alsace et dans l’Ouest. La carte des Echos est en gros la carte des taux de chômage.

Bref, peut mieux faire, je propose aux Echos de revenir en deuxième session…

 

 

De quels pays les régions françaises sont-elles proches ?

Une carte plutôt amusante circule sur twitter aujourd’hui : le nom de chaque région française est remplacé par le nom d’un pays au PIB équivalent.

carte_regions_pibCarte amusante, donc, mais attention à la lecture, l’indicateur est le PIB, l’association régions-pays donne une indication de la taille économique des régions, pas de leur niveau de vie.

Pour dire des choses sur le niveau de vie des régions françaises et leur situation par rapport aux niveaux de vie des pays, il convient plutôt de retenir comme indicateur le PIB par habitant, ce que je me suis empressé de faire. Plus précisément, j’ai récupéré les PIB par habitants des pays pour 2011, j’ai calculé ceux des régions françaises pour la même année, en retenant l’ancien découpage (en rouge) et le nouveau (en vert), puis j’ai procédé au classement de cet ensemble (côté pays je me suis arrêté à ceux un peu en dessous du niveau de vie de la plus faible région française). Ça donne ce tableau :

Pays/Région PIB par habitant (€) en 2011
Luxembourg 81 806
Quatar 69 327
Norvège 68 948
Suisse 58 681
Île-de-France 50 588
Australie 46 883
Saint-Marin 45 468
Emirats Arabes Unis 44 944
Danemark 42 177
Suède 40 715
Canada 35 670
Pays-Bas 35 472
Autriche 35 099
Singapour 34 804
Finlande 34 459
Etats-Unis 34 138
Irlande 34 111
Belgique 33 192
Japon 32 402
Allemagne 31 159
France 31 086
Koweït 30 885
Rhône-Alpes 30 689
Islande 30 437
Rhône-Alpes Auvergne 29 637
Alsace 28 593
Provence-Alpes-Côte d’Azur 28 547
Champagne-Ardennes 27 524
Pays de la Loire 27 473
Royaume-Uni 27 415
Brunei 27 220
Aquitaine 27 177
HauteNormandie 26 926
MidiPyrénées 26 923
Alsace Champagne-Ardennes Lorraine 26 362
Aquitaine Poitou-Charentes Limousin 25 939
Centre 25 915
Haute-Normandie Basse-Normandie 25 749
Bourgogne 25 726
Italie 25 618
Nouvelle-Zélande 25 411
Bretagne 25 361
Midi-Pyrénées Languedoc-Roussillon 25 293
Nord-Pas-de-Calais 25 204
Bourgogne Franche-Comté 25 170
Corse 25 046
Union Européenne 24 854
Poitou-Charentes 24 834
Auvergne 24 723
Nord-Pas-de-Calais Picardie 24 601
FrancheComté 24 392
BasseNormandie 24 281
Hong Kong 24 200
Lorraine 23 942
LanguedocRoussillon 23 524
Picardie 23 332
Limousin 23 139
Israël 22 852
Espagne 22 659
Chypre 20 252
Grèce 18 885
Slovénie 17 589

La région la plus pauvre, le Limousin, est proche du niveau de vie d’un pays comme Israël. La région la plus riche, l’Ile-de-France, est proche de la Suisse. L’Aquitaine est proche du Royaume-Uni, la Bourgogne de l’Italie ; la Lorraine de Hong-Kong.

Avec le nouveau découpage, la région la plus pauvre est l’ensemble Nord Pas de Calais Picardie. Mais le résultat principal n’est pas là. La fusion des régions fait remonter dans le classement les 6 régions françaises ayant le plus faible PIB par habitant : Limousin, Picardie, Languedoc-Roussillon, Lorraine, Basse-Normandie, Franche-Comté ; l’hétérogénéité interrégionale des PIB par habitant se réduit. Avec une conséquence (in)attendue : comme les aides européennes sont calculées en partie sur la base des PIB régionaux par habitant, le montant d’aide reçu par la France va diminuer. Je ne sais pas de combien, mais il paraît que ça pourrait ne pas être totalement négligeable. Heureusement que ces fusions vont permettre de booster la croissance française !

Le classement des villes universitaires où il fait bon étudier (“L’Etudiant” bashing)

Je ne connais pas la progression des ventes ou des visites du site du magazine l’Etudiant, mais à mon avis, c’est plutôt positif. Il faut dire qu’ils se sont mis sur un créneau porteur : produire des classements. Des lycées, des écoles d’ingénieurs, des écoles de commerce, des prépas Math spé, des prépas commerciales, etc.

Dernier exemple en date : le classement des villes universitaires où il fait bon étudier. Classement toutes catégories, classement métropole, classement grandes villes, classement villes moyennes.

Je te vois venir, lecteur perfide : tu te dis que, “ça y est, encore un chercheur mécontent du rang de la ville universitaire où il travaille, qui va dénigrer bêtement le classement produit mais en fait c’est parce qu’il n’est pas content, tout ça, tout ça”. Ben non : L’Etudiant titre justement “la consécration pour Toulouse, Montpellier et Poitiers”. Poitiers est au premier rang des villes de taille moyenne. Youpi…

Ce n’est donc pas le problème. Le problème, c’est que ce classement, c’est du grand n’importe quoi. Il suffit de jeter un oeil sur la méthodologie et de mobiliser quelques neurones (un ou deux peuvent suffire) pour s’en convaincre :

  • 37 critères sont retenus cette année (tiens, l’an passé c’était 39 critères?!), classés en 9 thèmes. 37 critères auxquels sont appliqués des coefficients de 1 à 4 (on ne connait pas les coefficients appliqués), ce qui permet de définir 4 catégories… Critères, thèmes, catégories, coefficient… Vous suivez? Peu importe : seul le classement compte, on fait confiance à la déontologie du producteur du classement pour le reste…
  • liste des critères ensuite, avec, à l’évidence, plusieurs corrélés entre eux : nombre d’étudiants, nombre de fauteuils de cinéma, nombre de bars, nombre de formations supérieures. Plein de fois la même information, donc, et je vous dis pas avec le jeu des coef. ce que ça donne…
  • critères corrélés entre eux, mais, de plus, corrélés avec la taille des villes et/ou des Universités. Big is beautiful, apparemment (pour le lecteur non informé, je rappelle que le nombre d’étudiants à Harvard est le même que le nombre d’étudiants à l’Université de Poitiers),
  • un classement avec des évolutions radicales : Poitiers est passé du rang 3 au rang 1 des villes moyennes en 1 an, Bordeaux à gagné 5 places, Nancy, 6 places, Dijon en a perdu 5, etc. Quand vous vous intéressez à des éléments structurels, qui bougent lentement par définition, et que vous vous apercevez que le classement change très vite, une conclusion s’impose : votre “thermomètre” est pourri. Si vous voulez faire un meilleur boulot, il faut changer de thermomètre. Si les ventes sont bonnes, il faut le conserver.
Invité l’an dernier à intervenir lors d’une journée sur l’attractivité et le rayonnement des villes universitaires, j’avais déjà commencé mon topo sur ce classement pour faire les mêmes remarques. En amont de la préparation de mon intervention, en expliquant à l’un des organisateurs tout le bien que je pensais de ce classement, je m’étais exposé à la remarque classique “ah oui, comme vous êtes mal classés, etc” (d’où ma digression ci-dessus). J’avais également envoyé un mail à L’Etudiant, afin qu’ils me transmettent leurs données de base. Mail resté sans réponse.
Lors de la conférence, après mon intervention, la personne de l’Etudiant qui produit ce classement a réagi (elle était présente dans la salle, je ne savais pas). Pour me dire que oui, sans doute, ce classement avait des limites, mais que c’était juste de l’information donnée aux lecteurs, que c’était sans prétention, que les gens pouvaient ensuite en faire ce qu’ils voulaient, etc. Un côté naïf presque touchant, je dirais.
Bon, c’est pas tout ça, faut que je vous laisse : un article à réviser pour publication, histoire de faire monter mon Université dans le classement de Shangaï…

Attractivité et rayonnement des villes universitaires

J’ai participé en mars dernier à un colloque sur l’attractivité et le rayonnement des villes universitaires, organisé par l’Avuf (Association des Villes Universitaires de France). La synthèse de cette journée est disponible ici (format pdf). Petit résumé de mon propos page 4. Je vous invite également à lire la synthèse des propos de Michel Grossetti page 8 et 16.