« Petit » énervement sur la politique “Enseignement Supérieur et Recherche” de la France

Hier matin Frédérique Vidal a twitté ce message :

Je n’ai pas lu l’interview (payante), mais le message suffit à comprendre que la politique de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche vise à continuer à mettre le paquet sur un nombre limité de site pour que la France rayonne, rayonne, rayonne (ou bien que le tweet n’est pas représentatif du contenu, ce qui serait au mieux ballot).

Quelques observations, je ne développe pas outre mesure :

  1. Cette politique de concentration des moyens sur quelques sites est en grande partie le produit du buzz médiatique autour du classement de Shanghai depuis le début des années 2000, dont les faiblesses ne sont plus à démontrer, voir par exemple les travaux d’Yves Gingras,
  2. L’analyse de l’évolution de la géographie de la recherche, à l’échelle mondiale, montre que la tendance lourde et générale est à la déconcentration de la recherche, voir les travaux de Maisonobe, Grossetti, Milard, Jegou, Eckert dont le CNRS s’est fait l’écho mais pas jusqu’au sommet du Ministère apparemment,
  3. Se donner pour objectif de monter dans le classement de Shanghai ou dans quelque autre classement, cela me fait penser à l’objectif que se fixent quelques grandes villes d’être plus grosses que leurs voisines ou leurs concurrentes supposées, parfois depuis un demi-siècle. La question est : pourquoi ?
  4. Marion Maisonobe a réagi au tweet de notre ministre avec une question et une carte, on attend la réponse :

  1. Je suggère à nos politiques de suivre les recommandations de base d’un économiste niveau débutant : un investissement se juge sur l’effet marginal. Un euro supplémentaire dépensé à Albi, à Corte ou à Niort, j’en fais le pari, sera plus utile qu’un euro supplémentaire dépensé à TSE. On peut généraliser,
  2. Le plus drôle, pour finir : la France veut monter dans le classement de Shangaï, pour attirer des étudiants étrangers. Une fois formés à moindre coût (car, en France, la puissance publique prend en charge l’essentiel des dépenses), on dira à une bonne partie de ces étudiants qu’ils ne peuvent pas rester, car, vous comprenez, il y a du chômage, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, ce genre de choses… Bref : on investit dans la formation de personnes de qualité à qui on demandera d’aller voir ailleurs après la fin de leurs études, au bénéfice de pays qui vont récupérer sans coût le fruit de notre investissement. La France est un pays futé.

Mon sentiment : l’enjeu majeur n’est pas de monter dans le classement de Shangaï, ou dans un autre classement, mais de faire monter le niveau général de formation de la « jeunesse », plus globalement de la population. Sortir des classements stupides, des comparaisons stériles, entre territoires, Universités, etc., au profit de politiques plus trop à la mode mais un peu importantes d’équipement des territoires, de formation des personnes, du plus grand nombre de personnes possibles, toussa, toussa, je ne sais pas vous, mais moi, ça me semble plus utile.

Bordeaux, ton million m’interroge (message à d’autres, en passant)

En 2011, Alain Juppé, maire de Bordeaux, qui allait se succéder à lui-même quelques années plus tard, assignait un objectif simple à ses équipes : faire de Bordeaux une ville millionnaire, « comme Valence (Espagne) ou Zürich (Suisse), un objectif ambitieux et réaliste sur les 10 ou 15 prochaines années » (source).

Une quinzaine d’années plus tard, Bordeaux s’affole : les autocollants « Parisien rentre chez toi » ont défrayé la chronique, les prix au mètre carré flambent (source), les trajets domicile-travail s’allongent, les inégalités augmentent. Le comble étant que les projections réalisées par l’agence d’urbanisme nous apprennent que l’objectif du million pour 2030 risque de ne pas être atteint (source).

De quand date cet objectif ? De 2011, sous Juppé ? Pas du tout : j’ai retrouvé cette archive de l’INA, datée de 1965, savoureuse (en complément voir aussi cette vidéo de Chaban Delmas, sur le même thème, même année).

Chaban Delmas rêvait d’un Bordeaux millionnaire en 1965. Juppé, un demi-siècle plus tard, a fait le même rêve. Son successeur le vivra sans doute, et gageons qu’il visera alors le million et demi, où s’il est un peu fou, la barre des deux millions. Ce n’est pas réservé à Juppé, qui se rêve plus gros que Valence ou Zürich. Ni aux politiques bordelais : Paris veut être plus gros que Londres, n’est-ce pas. Poitiers se compare à Tours, la Rochelle ou Limoges, et réciproquement. Chaque agglomération, chaque ville moyenne, chaque petit village se compare à quelques points de référence, en espérant le dépasser.

Que se passe-t-il dans la tête d’un politique pour s’assigner pour objectif d’être plus gros que son voisin, proche ou lointain ?

J’hésite entre des interprétations psychanalytiques, peu flatteuses pour le genre masculin, et d’autres qui renvoient aux recherches en sciences sociales. Je vais me contenter des dernières.

Interprétation “géographie économique”, d’abord : la diffusion des discours sur la concurrence territoriale, la disponibilité de données de plus en plus nombreuses pour se comparer à d’autres, conduit à la multiplication des classements, facilite les points de comparaison, conduit à se focaliser sur quelques indicateurs dont on n’interroge plus le sens. Tout ce qui compte, c’est de croître plus que l’autre, d’être le premier dans le classement. On assimile à tort économie et compétition sportive (je ne développe pas ici, mais la différence essentielle est la suivante : l’économie est un jeu à somme positive, d’où l’intérêt de jouer avec l’autre et de gagner avec lui, les compétitions sportives sont des jeux à somme nulle, d’où l’intérêt de jouer contre l’autre et de le battre), on se rêve premier d’un classement qui n’a plus aucun sens, au risque de s’en étouffer.

Interprétation “économie de l’entreprise”, ensuite : dans les années 1960, des travaux menés par des psychologues et des économistes interrogeaient les dirigeants des grandes entreprises sur leurs motivations. Ce qui les motivait, c’était le prestige, le pouvoir, le sentiment de domination, de hauts revenus (arrivait ensuite, mais plus loin, un objectif de compétence). Des objectifs plutôt bien corrélés avec la taille de l’entreprise, d’où l’envie de manager de très grandes entreprises (je renvoie de nouveau à l’analyse psychanalytique, vu le côté genré des directions d’entreprises). Sans doute que la croissance des villes laisse penser à leur premier édile que leur prestige, pouvoir, sentiment de domination, …, augmente d’autant.

Bref : que Bordeaux s’assigne pour objectif de dépasser le million d’habitants m’interroge. Enfin quand je dis m’interroge…

Au risque de paraître naïf, je me dis que si les responsables de nos villes et de nos campagnes se donnaient pour objectif de faire en sorte que leurs administrés puissent couvrir leurs besoins, se sentir bien là où ils sont, s’engager dans les activités qui les motivent, et bien… ce serait pas mal… pas besoin de grandir pour cela, ni d’être plus gros que le voisin.

Plaidoyer pour Eric le Boucher

Stéphane Ménia a publié un billet un brin énervé suite à la chronique d’Eric le Boucher paru dans les Echos. N’écoutant que mon courage, j’ai décidé de le défendre (Eric, pas Stéphane).

  1. Eric le Boucher raconte n’importe quoi, c’est clairement documenté dans le billet de Stéphane Ménia, mais il a le mérite de la constance : cela fait des années que ça dure. Ne vaut-il pas mieux un incompétent constant qu’un compétent inconstant ? (je plaisante : les vrais arguments sont à suivre).
  2. Il s’adresse à des lecteurs, on est donc face à un problème offre/demande : qu’attendent les lecteurs des chroniques d’Eric le Boucher ? Mieux comprendre le monde ? Pas sûr. Question généralisable aux lecteurs de l’Humanité, de Libération, du Figaro, …, bref : à chacun d’entre nous. Sans doute cherchent-t-ils avant tout une sorte de prêt-à-penser allant dans le sens de leurs a priori, pour briller lors de soirées plus ou moins arrosées auprès de personnes partageant les mêmes a priori.
  3. S’adresse-t-il d’ailleurs à ses lecteurs ? Il y a des marchés ou les offreurs se désintéressent de la demande, ils regardent les autres offreurs et cherchent à trouver une niche confortable, leur permettant de se positionner dans l’espace des possibles, on est donc face à un problème offre/offre (d’où la référence à Denis Clerc dans le billet de le Boucher, sans doute). Eric le Boucher a trouvé une niche dans l’espace des chroniqueurs économiques, il ressasse les mêmes discours pour marquer son territoire, il ne s’adresse pas à ses lecteurs, mais à ses concurrents ou ceux qu’il juge comme tels.

Au final, Eric le Boucher me semble défendable : il raconte des inepties en s’appuyant au mieux sur des références périmées, qui caressent dans le sens de leurs convictions certains lecteurs, et préserve ce faisant son positionnement stratégique dans l’arène des chroniqueurs économiques. Il ne lira pas la chronique de Stéphane Ménia, et s’il la lit, il s’en moquera : pas plus que ses lecteurs, il ne cherche à comprendre le monde.

Après, si ce que vous voulez c’est mieux comprendre le monde, lisez le billet de Stéphane Ménia et les références associées.

Pourquoi je voterai pour François Fillon

Parce qu’en mars 2007, suite à un billet publié par François Fillon sur son blog d’alors (non disponible aujourd’hui, j’ai essayé, ça plante, site supprimé), qui évoquait le ralliement d’Olivier Blanchard à Nicolas Sarkozy, je postais en commentaire :

Certains économistes, comme certains acteurs, chanteurs, écrivains, sportifs, etc…, prennent position pour tel ou tel candidat : Blanchard pour Sarkozy, Piketty pour Royal, par exemple…

Chacun est libre de faire ce que bon lui semble, mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose, surtout quand on reprend le propos des uns ou des autres en soulignant leur pedigree. Voir ce billet de Bruno Amable, que je trouve plutôt convaincant . Sur le fond de l’argument de Blanchard, voir aussi ce billet d’Econoclaste. Je ne crois pas que ce soit le rôle des économistes de dire pour qui ils votent, où alors, ils doivent le faire en tant que citoyen, pas du haut de leur chaire. Je reprend la conclusion d’Econoclaste :

“les économistes sont plus utiles lorsqu’ils cherchent à comprendre et à faire comprendre le fonctionnement de l’économie que lorsqu’ils montent en chaire pour prendre des positions partisanes. Cela contribue à l’idée hélas largement répandue que l’économie n’est que l’énonciation péremptoire sous un verbiage incompréhensible de ses préjugés politiques.”

Et que François Fillon m’a répondu cela :

Je me doutais que monsieur Bouba-Olga serait le premier à réagir, lui qui démolit jour après jour le programme économique de Nicolas Sarkozy sur son blog !
Voilà une magnifique illustration de l’intolérance pour ne pas dire du totalitarisme de la gauche: massacrer le programme économique de l’UMP c’est porter un jugement objectif, mais en dire du bien, c’est “monter en chaire pour prendre des positions partisanes”.
A vous de juger!

(bon, j’avais répondu, voir ici pour la source et pour la suite).

Que donc, avoir été ainsi apostrophé par un politique d’envergure nationale, à l’époque ardent défenseur du programme économique de Nicolas Sarkozy, qui allait devenir son premier ministre pendant cinq ans, et qui risque de devenir demain Président de la République, comment dire… ça ferait bien dans mon CV, en termes de visibilité, ça boosterait mon H index, par la suite, je suis sûr, alors autant voter pour ça, alors autant voter pour lui, non ?

Mépris de classe, mépris de place : réflexions sur la géographie du populisme

L’élection de Donald Trump a donné lieu a de nombreuses analyses cherchant à expliquer la montée du populisme, passée et à venir, là-bas et ailleurs. Certaines analyses se sont focalisées sur la géographie du vote : Clinton gagne dans les grandes agglomérations, Trump dans les Etats à dominante rurale.

Résultat en phase avec une idéologie globale, très diffusée en France, dont on trouve une version dans le billet posté par Pierre-Yves Geoffard sur Libération, dans la droite ligne de la note pour le Conseil d’Analyse Economique co-écrite par Philippe Askenazy et Philippe Martin, dont j’avais parlé, un poil critique, il y a quelques temps. Elle sous-tend également les propos de Jacques Levy, dans une tribune pour Le Monde, je ne résiste pas à l’envie de reprendre l’un des morceaux du texte, juste exceptionnel :

L’urbanité ou son rejet, l’espace public contre l’espace privé font résonance avec d’autres éléments très forts : éducation, productivité, créativité, mondialité, ouverture à l’altérité, demande de justice, présence du futur d’un côté ; de l’autre, mépris de l’intellect, enclavement économique, absence d’innovation, appel au protectionnisme, peur de l’étranger, affirmation d’une d’identité fondée sur la pureté biologique, la loyauté communautaire, le respect de l’autorité et la référence nostalgique à un passé mythifié – toutes choses qui ne définissent pas une approche différente de la justice, mais une alternative à l’idée même de justice.

Nous avions commencé à échanger sur le sujet avec Michel Grossetti, couchant sur le  papier quelques idées, car cette idéologie globale fait beaucoup de mal, selon nous. En gros, elle oppose des “talents”, mobiles, localisés dans les métropoles, innovants, modernes, inscrits dans la mondialisation, et puis les autres, tous les autres, sédentaires, embourbés hors métropoles, pas trop aidés, quoi. Avec deux discours branchés sur cette idéologie, deux discours qui sont en fait les deux faces de la même pièce.

Un discours  progressiste, dont le billet de Pierre-Yves Geoffard est l’exemple parfait : la mondialisation est source de progrès, elle suppose pour la France d’innover, l’innovation est portée par les talents/créatifs/productifs hyper-mobiles qui n’aiment rien tant que les métropoles, c’est donc bien de soutenir le mouvement mais il faut quand même faire attention aux exclus, à ceux localisés hors métropole, qui perdent, donc à charge pour les nomades d’accepter de payer l’impôt pour dédommager les perdants, leur payer des écoles pour leurs enfants, le médecin, le dentiste, ce genre de choses. Sinon populisme assuré.

Un discours réactionnaire, de l’autre côté, porté côté recherche par un Christophe Guilluy, récupéré allègrement par le Front National ou un Nicolas Sarkozy, qui accepte exactement (je graisse, italique et souligne, au risque d’être lourd) le même schéma explicatif, mais se focalise sur les perdants supposés, les sédentaires (blancs de souche) de nos campagnes, qu’il ne faudrait pas oublier, tout de même, donc votez pour nous, on va défendre le petit peuple.

Sauf que cette idéologie ne tient pas la route. Empiriquement, je veux dire. Car sinon, côté cohérence interne, enchaînements, ça coule, ça roule. D’où sa diffusion, côté soleil ou côté ombre (je digresse : un problème important en France est l’attrait pour les discours à cohérence apparente, aux enchaînements logiques, peu importe les éléments de preuve. Les gens sont fascinés par la figure historique de l’intellectuel français, qui parle trop bien, donc ça doit être vrai). Alors bon, on s’est fendu d’une tribune pour Le Monde, histoire de montrer où ça grippe.

Car oui, quand on passe à l’épreuve des faits les enchaînements, ça grippe. Grave, même. A plein de niveaux. On insiste dans notre tribune sur l’une d’entre elles : les différences moyennes de productivité entre métropoles et hors métropoles sont dues à des effets de composition ; en France, elles opposent Paris et la province, mais ce n’est pas que les parisiens sont plus modernes, plus innovants, plus talentueux, plus performants, etc : c’est que Paris concentre certains métiers à hauts salaires, des cadres des grands groupes et des cadres de la banque et de la finance, notamment.

La montée du populisme, oui, c’est la faute de certains politiques, de certains médias. Mais de certains chercheurs en sciences sociales, aussi. Qui devraient commencer par réfléchir à leurs sujets de recherche : pourquoi est-il plus « noble » pour un économiste de travailler sur la mondialisation, l’innovation, la finance internationale, les start-up, les firmes multinationales, Paris, Los Angeles, Tokyo, …, que sur le commerce et l’artisanat, la fonction publique, les PME, le monde rural, Lorient, Figeac, Belfort et Montbéliard ? Des chercheurs qui devraient faire attention aux données qu’ils mobilisent, aux indicateurs et aux méthodes qu’ils utilisent ; qui devraient aller voir sur le terrain, aussi, ça éviterait d’interpréter à tort quelques régularités ; qui devraient faire preuve, aussi et surtout, d’un peu de réflexivité…

Notre billet est visible ici. Commentez ici où là-bas.

Dis, Le Monde, si tu passes par là, ce billet je ne l’ai pas écrit tout seul, il est co-écrit avec Michel Grossetti, c’est même lui qui a commencé ! Regarde dans tes boîtes mails, je te l’ai signalé ce matin, tu pourrais corriger très vite ? Tu veux que je me fâche avec un sociologue, toulousain, d’origine Corse ?! C’est (partiellement) corrigé !

Réussir la réforme des Régions

Mercredi 9 novembre 2016, j’interviendrai aux Journées de l’Économie organisées à Lyon dans le cadre d’une table ronde intitulée “Réussir la réforme des Régions”. Voici quelques idées en vrac que j’aimerais défendre.

  1. l’un des arguments avancés pour soutenir la fusion des régions consistait à dire que les régions françaises étaient trop petites, comparativement à leurs homologues allemandes, les fusionner allait permettre de leur faire atteindre une “taille critique”. Cet argument “taille critique”, que l’on retrouve pour le soutien aux métropoles, mais qui sous-tend aussi la réorganisation des Universités, ne tient pas la route empiriquement, comme expliqué à de nombreuses reprises sur ce blog ou ailleurs (voir ici pour la recherche, ou là pour des analyses à l’échelle des régions et des villes),
  2. cet argument tient d’autant moins pour les régions que, même après la fusion, les régions françaises restent toutes petites, comme expliqué dans ce billet : elles sont grandes en termes de superficie ou de population, elles restent des naines en termes de budget. Ceci est d’ailleurs rappelé dans l’annonce de la table ronde : “A ce jour, les Régions françaises représentent 1,3% du PIB contre 9,2% du PIB pour les Länder autrichiens et 12,8% du PIB pour les Länder allemands”,
  3. un autre argument beaucoup plus recevable consistait à supprimer la clause générale de compétence des collectivités, afin d’éviter la duplication des efforts sur les mêmes thèmes (au hasard : en matière de développement économique), notamment entre département et région.  Mais les départements, très fâchés, semblent quelque peu contourner le système. Petit exemple près de chez moi, la création par le département de la Vienne de “l’Agence de créativité et d’attractivité du Poitou”, où l’on nous explique que tourisme et économie sont indissociables et complémentaires, et que “C’est pourquoi, l’Agence Touristique de la Vienne présente une modification de ses statuts en vue de l’extension de son objet à la prospection et au développement économique”. Ce n’est pas près de ne plus doublonner.

Est-ce à dire qu’il n’y a rien à attendre de positif de cette réforme ? Peut-être parce que je suis d’un naturel optimiste, je dirais que non. Rien d’automatiquement positif, mais des potentialités, à charge pour les acteurs de s’en saisir :

  1. si je prends l’exemple de la Nouvelle Aquitaine, cette région est tellement grande qu’animer le développement économique depuis Bordeaux est impossible (alors que le développement économique de la Région Poitou-Charentes était largement animé depuis Poitiers). Il n’est donc pas exclu que le développement économique soit analysé et animé à des échelles plus fines qu’auparavant, ce qui, compte-tenu de la géographie des spécialisations économiques, me semble être une bonne chose,
  2. les Régions rédigent désormais des schémas prescriptifs, autrement dit des schémas qui s’imposent aux autres collectivités. Certaines collectivités s’en inquiètent, elles ont peur de tomber sous la dictature du Conseil Régional, je pense que cela peut surtout obliger à un peu plus de coordination et de cohérence dans ce qui est fait aux différentes échelles (Région, Métropole, EPCI),
  3. j’observe également que les rivalités locales souvent calamiteuses entre communes ont tendance à s’estomper, les intercommunalités se développent et s’organisent, pour pouvoir mieux négocier et contractualiser avec les Conseils Régionaux. C’est une très bonne chose, car à l’échelle locale, il existe clairement des économies d’échelle statiques en matière de gestion des services publics (transports, eau, écoles, zones commerciales, …),
  4. l’émergence de grandes régions (ainsi que de métropoles) peut avoir un autre effet bénéfique, car il conduit à l’émergence de contre-pouvoirs face à l’Etat central. Certes, les régions disposent de moyens financiers limités, comme expliqué plus haut, mais des politiques d’envergure nationale semblent penser qu’une carrière à gérer une grande région ou une grande ville vaut aussi bien qu’un poste temporaire de Ministre. Si ceci peut réduire un peu le jacobinisme à la française, ce ne sera pas un mal.

Bref : le pire n’est pas sûr, même s’il n’est pas à exclure non plus. Tout va dépendre de comment les régions vont s’organiser et penser leur développement économique. Comme je le dis souvent, ma crainte est que l’on reproduise à l’échelle des régions des “France en plus petit”, c’est-à-dire un développement économique exclusivement centré autour d’une métropole, au mépris des potentialités de développement économique qui existent sur de nombreux territoires non métropolitains. Si on évite ce travers et que l’on essaie d’inventer d’autres formes de développement, basées sur une meilleure connaissance des réalités locales et sur le développement de coopérations aux différentes échelles, ma foi, cette réforme peut déboucher sur des choses positives.

Vu le bazar actuel sur les territoires, cependant, une chose est sûre : ça va prendre du temps…

Présidentielle 2017, répétition, pédagogie et sourire nostalgique…

Évocation rapide de quelques sujets connexes.

Taux de chômage des jeunes

J’ai lancé mon blog en 2006, pendant les manifestations autour du CPE, fac bloquée, plein de temps pour tester ce que c’était qu’un blog. Mon sujet favori, en plein dans l’actualité, était d’écrire des billets pour expliquer la méconnaissance des politiques sur ce qu’était un taux de chômage. Avec un taux de chômage de 25%, la plupart des politiques, de droite comme de gauche, affirmaient à l’antenne qu’un quart des jeunes étaient au chômage. En fait, non, pas du tout, pas 1 sur 4, plutôt 1 sur 12. Parce que si le taux de chômage des jeunes est élevé, ce n’est pas parce que beaucoup de jeunes sont au chômage, mais parce que peu de jeunes sont actifs.

Parce que, pour rappel, le taux de chômage, c’est le rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre d’actifs, c’est-à-dire les personnes en emploi et les personnes à la recherche d’un emploi. Et que les étudiants ne sont pas des actifs. Et que les “jeunes”, c’est 15-24 ans. Donc le taux de chômage des jeunes il augmente mécaniquement quand plus de jeunes poursuivent leurs études. Que donc c’est un indicateur qui ne veut rien dire pour cette classe d’âge, c’est mieux de regarder la part des jeunes au chômage.

C’est donc avec un brin de nostalgie et un léger sourire que j’ai découvert, dix ans plus tard, dans l’interview d’Alain Juppé pour Le Monde daté d’hier, cette affirmation (source ici) :

Ce qui casse le modèle social, c’est d’avoir 600 000 chômeurs en plus depuis quatre ans et 24 % de jeunes sans emploi.

Parents, rassurez-vous, il n’y a pas 24% de jeunes au chômage, cf. supra. 8 ou 9% plutôt.  Dix ans après, les politiques n’ont rien appris. Mais bon, comme on dit, la répétition est la base de la pédagogie. Ça vous a un côté fatiguant de répéter toujours les mêmes choses, mais en même temps, c’est reposant : je vais refaire un topo sur le sujet devant des étudiants lundi, je peux être sûr que ça leur sera utile.

L’électeur médian

Analyse pas inintéressante de Bruno Roger Petit sur le match Sarkozy-Juppé : le premier serait plus futé, il joue le premier tour, il se moque de ce que les gens pensent à gauche, ce sera pour l’entre deux-tours, donc il clive. Le deuxième se trompe, il nous joue un remake de Jospin 2002 affirmant que son programme n’était pas socialiste, il est déjà dans le deuxième tour alors que pour y être, il faut passer le premier.

Pas faux, je me dis, pas très nouveau non plus, ça s’interprète très bien avec la théorie de l’électeur médian, basée sur le modèle de Hotelling, publié en … 1929… J’avais écrit un billet sur le sujet pour les élections 2007, il faudrait l’adapter au contexte actuel, mais franchement, rien de nouveau non plus.

La seule chose intéressante, c’est peut-être celle-là : le plus stratège des deux n’est peut-être pas celui qu’on croit. Jouer les impulsifs, les sanguins, les incontrôlables, ça peut être jouer, toujours, pour gagner, bien sûr.

Retour d’expérience

Cours en Master 1 hier. J’ai donné une consigne aux étudiants, hier, je ne développe pas, ce serait un peu long. Ils devaient faire des choses en autonomie, après. Je passais derrière eux, voir ce qu’ils faisaient. Je me suis rendu compte qu’un des étudiants se plantait grave dans ses recherches.

Plutôt que de redonner la consigne, j’ai demandé à un autre étudiant d’expliquer au groupe la consigne que j’avais donnée (pour tout dire, si j’ai eu cette idée, c’est grâce à un complice de footing du dimanche matin, enseignant au lycée de profession, à qui je racontais mes déboires avec d’autres étudiants, qui ne semblaient pas avoir compris ce que je leur demandais. “Tu leur as demandé de reformuler la consigne”, m’a t’il dit ?). L’étudiant a reformulé.

Un troisième étudiant a réagi, avant que je n’ai rien dit, en expliquant que ce n’était pas ça, la consigne. Un quatrième a réagi, en désaccord avec les précédents, puis un cinquième, puis un sixième, d’accord avec le troisième. Six étudiants, cinq consignes. Je n’en avais donné qu’une. “Nous voilà bien”, ai-je lâché. Rires dans la salle. Je crois que j’ai vécu l’une de mes plus belles expériences d’enseignant.

Conclusion

La répétition est la base de la pédagogie, c’est sûr. Je continuerai donc à expliquer ce que c’est qu’un taux de chômage, pourquoi en se focalisant sur le taux de chômage des jeunes, on rate l’essentiel, que ceux qui souffrent ce sont surtout les personnes sans qualification, que ce serait bien de s’y intéresser, quel que soit leur âge. Que le diplôme compte trop, en France, aussi, que trop de choses sont écrites lorsque l’on a vingt ans.

Je continuerai aussi à expliquer la différence entre “rationalité économique” (que faut-il faire pour que la situation économique, en termes de création de richesses, de réduction du chômage, d’amélioration du bien-être des individus, …, s’améliore) et “rationalité politique” (que faut-il faire pour être élu, quitte à passer pour un illuminé, dire à peu près n’importe quoi, …, si cela peut servir?). Que le modèle de Hotelling, aussi cynique soit-il, n’est pas trop mal pour ça.

Je demanderai plus souvent qu’auparavant aux étudiants, en revanche, ce qu’ils ont compris de ce que je leur ai dit, des consignes passées, de ce qu’ils ont retenu. Il y a loin entre ce que l’on dit et ce qu’ils entendent. Plutôt que de s’en désespérer, je crois que l’essentiel, c’est d’en discuter. Parce que l’essentiel, pour moi, je crois : ce n’est pas qu’ils pensent quelque chose, c’est qu’ils sachent le défendre et expliquer pourquoi.

Le cas Alstom : la question du sens de la causalité

Alstom a annoncé il y a quelques jours devoir fermer son site de Belfort dédié à la fabrication de locomotives et de motrices. Pourquoi? Plus de commande. Le gouvernement s’agite pour sauver le site, l’objectif étant de trouver de nouvelles commandes, auprès de la SNCF, de la RATP et/ou pour la fabrication de trains régionaux. Si cela aboutit, tout le monde se réjouira de l’enchaînement : 1) Alstom va mal en raison de l’absence de commande, 2) le gouvernement s’agite, 4) Alstom décroche de nouvelles commandes, 3) le site de Belfort est sauvé.

Étant donné qu’Alstom est en concurrence sur certains de ces marchés avec d’autres entreprises (le canadien Bombardier et l’espagnol CAF), je me demande naïvement si on ne peut pas inverser le sens de la causalité : 1) Alstom veut décrocher ces commandes, 2) Alstom annonce devoir fermer le site, 3) le gouvernement s’agite, 4) Alstom décroche les nouvelles commandes, 5) le site de Belfort est sauvé.

Au moment où le Made in France revient dans les débats, quelle importance, me direz-vous, tant pis pour les canadiens et les espagnols, tant mieux pour les français. Sauf que Bombardier dispose de la plus grande usine ferroviaire de France à Crespin, dans le Nord, et que CAF a son usine à Bagnères-de-Bigorre, dans les Haute-Pyrénées. Ce n’est donc pas le Canada où l’Espagne, qui vont perdre, mais certains territoires français contre d’autres. Mais le symbole Alstom à Belfort est trop fort pour que le gouvernement ne vole pas au secours de ce site.

Donc bravo au PDG d’Alstom. Ce n’est qu’une hypothèse, bien sûr.

Loi El Khomri : Battle entre économistes

Joli débat entre économistes, par tribunes pour le Monde interposées (hélas en édition abonnés seulement). Première tribune datée du 4 mars, signée par Aghion, Algan, Benassy-Quéré, etc, favorables à la réforme, même si les auteurs estiment qu’elle doit être complétée. Deuxième tribune datée du 8 mars, signée par Askenazy, Bacache, Behaghel, etc, défavorables à la réforme, même si les auteurs notent quelques points positifs.

Qui a raison ? Pour trancher, certains seront tentés de “compter les galons”, car on sent bien que chaque groupe a cherché à rassembler de prestigieuses signatures, mais comment départager entre Aghion, Tirole, Blanchard, …, d’un côté et Piketty, Cohen, Askenazy, …, de l’autre ? Il y a plus intelligent que ce genre de comptabilité… D’autres encore vont peut-être tenter de repérer le positionnement politique des uns ou des autres, se dire que ceux les plus proches de leurs propres convictions ont certainement raison… Pas beaucoup plus intelligent…

La troisième façon de faire, la plus pertinente selon moi, celle que j’ai proposé à un groupe d’étudiants qui souhaitent échanger sur le sujet la semaine prochaine dans le cadre d’un cours, consiste à recenser les arguments des uns et des autres, identifier les points de convergence et de divergence et, surtout, de s’interroger sur les éléments de preuve avancés par les deux “camps”.

A ce jeu, l’une des tribunes m’apparaît plus convaincante. Mais je ne vous dirai pas laquelle : livrez-vous à l’exercice, rien n’est plus formateur.

Pourquoi avons-nous de si mauvais politiques (en France) ?

C’est ce que je me suis dit, en écoutant Justin Trudeau, Premier Ministre du Canada (en anglais puis en français)…

C’est ce que je me suis redis en écoutant Barack Obama, Président des Etats-Unis (anglais sous-titré anglais)…

 

Quelqu’un a entendu un politique français tenir un discours similaire ?

Sur l’analyse économique des migrations, voir mes précédents billets, ou bien cette excellente émission, à écouter ou lire (en anglais).

Bon, ben… joyeux Noël et bonne année…