Recrutement des enseignants-chercheurs : l’endorecrutement, c’est mal

Quand un docteur d’une Université est recruté par cette même Université, on parle de localisme ou bien, de plus en plus, d’endorecrutement. Le Ministère vient de publier les résultats de la campagne 2012 de recrutement : 21% d’endorecrutement pour les Maître de Conférences (p. 37). Proportion assez stable dans le temps depuis 2008. Un docteur sur cinq, en gros.

Pour nombre de commentateurs, l’endorecrutement, c’est mal. Pour preuve, le petit jeu auquel s’est livré Sophie Roux : tapez “localisme universitaire” sur Google, vous trouverez “fléau”, “plaie”, “tare”, “mal endémique”, “clientélisme”, “népotisme pervers”. Cependant, comme elle l’indique dans son (excellent) article, le débat sur le sujet manque sérieusement de preuves empiriques. 20-25% d’endorecrutement, c’est beaucoup? C’est peu? Quelle(s) incidence(s) en termes de performance du système de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche?

Je ne vais pas répondre à toutes ces questions, mais simplement avancer un ou deux chiffres pas inintéressants. J’avais déjà parlé du premier, tiré  d’un article que j’ai co-écrit sur le sujet, qui exploite les données issues des enquêtes Générations du Cereq : la mobilité géographique (changement de Région) des docteurs de la génération 1998 est de 41% pour les docteurs travaillant trois ans après dans l’ESR, contre 27,9% pour les docteurs travaillant hors ESR. Dans ce billet posté récemment, vous pourrez vérifier (voir le graphique du billet) que c’est toujours le cas pour les générations diplômées en 2001, 2004 et 2007.

Pour aller un cran plus loin dans la recherche d’éléments empiriques, j’ai analysé les résultats d’une enquête faite auprès des doctorants ayant bénéficié d’un financement CIFRE. Ce type de contrat lie un doctorant, un laboratoire de recherche et une entreprise (ou une institution). L’ANRT a enquêté les docteurs CIFRE de la période 2000-2011 en s’interrogeant sur leur insertion professionnelle. 1973 personnes ont répondu. Dans le graphique en bas de la page 14, vous découvrirez que 35% des répondants, suite à l’obtention de leur doctorat, ont été recrutés dans l’entreprise partenaire de la CIFRE ; 11% dans le laboratoire partenaire et 54% dans une autre entité.

En clair, le taux d’endorecrutement de 20-25% observé France entière dans l’Enseignement Supérieur est sensiblement inférieur à celui observé dans les entreprises partenaires d’une CIFRE, de 10 à 15 points au-dessus.

Petit exercice intellectuel à destination des collègues, pour finir : imaginez que vous croisez lors d’un colloque un jeune docteur, qui vous annonce que, suite à sa thèse (financement classique), il vient d’être recruté par son Université d’origine. Je pense que vous ne serez pas loin d’avoir tous un sentiment plutôt, voire très, négatif. Imaginez maintenant qu’il s’agisse d’un docteur ayant bénéficié d’une CIFRE et ayant travaillé dans un grand groupe, disons chez EADS. Il vous annonce qu’EADS l’a embauché. Je parie que votre sentiment sera d’emblée très positif…

NB : comme dit à de nombreuses reprises, il ne s’agit pas pour moi de défendre le recrutement local, je ne suis ni pour, ni contre. Je plaide pour qu’on puisse recruter la bonne personne au bon moment et au bon endroit. Que l’on donne donc les moyens aux Universités de mettre en place des processus de recrutement dignes de ce nom, qui vont au-delà de l’examen d’une dizaine de minutes des dossiers et d’auditions d’une vingtaine de minutes pour recruter à vie une personne…

Quand le journal Le Monde fait du (très) mauvais journalisme

Je viens de tomber sur cet article du Monde, consécutif à un appel à témoignage sur le thème “Bac+5, vous occupez un emploi inférieur à votre niveau de diplôme”. Une cinquantaine de personnes ont répondu. L’article est titré “Quand on est caissière avec un bac+5, on apprend l’humilité!”

Je trouve la démarche affligeante. Elle laisse penser que les études ne servent à rien, puisqu’on finit caissière ou vendeur de sushis. C’est ce que disent explicitement certaines personnes ayant témoignées. Ainsi que des commentateurs de l’article.

Un bon journaliste aurait pris soin, en début d’article, de donner quelques chiffres sur les taux de chômage, les niveaux de salaires et le type d’emploi occupé par les bacs+5, relativement aux personnes ayant arrêté plus tôt leurs études. C’est difficile à trouver, allez-vous peut-être me dire?

Pas du tout : le Cereq interroge régulièrement un échantillon représentatif des sortants du système éducatif, trois ans après l’obtention de leur dernier diplôme. La dernière génération enquêtée est la génération 2007, enquêtée en 2010 (la génération 2010 est actuellement enquêtée, résultats en 2014). Beaucoup de résultats sont disponibles ici, ça m’a pris 30 secondes pour trouver le tableau que je voulais :

cereq

9% de chômage chez les bac+5 contre 18% en moyenne pour l’ensemble des sortants. 79% en CDI contre 60% en moyenne. 94% sont cadres ou profession intermédiaire contre 52% en moyenne. Salaire médian net mensuel de 2000€, contre 1380€ en moyenne. Je vous laisse découvrir les chiffres pour tous les niveaux de diplôme.

C’était si compliqué de le dire? Rien n’empêche ensuite d’interroger des personnes atypiques, mais ce rappel introductif aurait tout changé. Sans ce rappel, cet article, c’est du grand n’importe quoi.

Une nouvelle quantification des délocalisations

L’Insee vient de publier les résultats d’une nouvelle étude qui vise à mesurer les délocalisations opérées par des entreprises françaises. Les chiffres portent sur la période 2009-2011.

On y apprend que 4,2% des entreprises de 50 salariés ou plus ont délocalisé, chiffre qui monte à 8,8% dans l’industrie manufacturière et les services de l’information et de la communication. Ces délocalisations ont lieu majoritairement dans l’Union Européenne (55% des opérations), avant tout dans l’UE à 15 (38%). L’Afrique arrive derrière (24%), suivi de la Chine (18%) et de l’Inde (18%).

Quel impact sur l’emploi? L’enquête estime à 20 000 le nombre d’emplois détruits sur 2009-2011 pour motif de délocalisation, soit 6 600 en moyenne par an, soit encore 0,3% de l’emploi salarié en 2011. Parmi eux, 11 500 relèvent de l’industrie manufacturière, soit 0,6% de l’emploi salarié de l’industrie manufacturière.

L’étude réalisé a également été conduite dans d’autres pays de l’Union Européenne, ce qui permet de construire ce graphique :

deloc

La France est l’un des pays les moins touché de l’échantillon.

Tous ces chiffres sont globalement conformes à ceux produits par d’autres études. Les délocalisations existent, mais elles pèsent beaucoup moins qu’on l’imagine et contribuent beaucoup moins que d’autres processus aux destructions d’emplois.

Enseignants-chercheurs : pourquoi il ne faut pas (nécessairement) recruter les candidats des meilleurs labos…

Article passionnant de John P. Conley and Ali Sina Onder trouvé via Freakonometrics.

Je vous explique la problématique : supposons qu’une faculté d’économie de province, au hasard Poitiers, doive recruter un maître de conférences. Des candidats issus de différentes facultés françaises vont postuler, certains issus des sites considérés comme les plus performants (disons Toulouse School of Economics (TSE) et Paris School of Economics (PSE) en France), d’autres de sites considérés comme moins performants. Vaut-il mieux recruter un candidat de “milieu de tableau” de PSE ou TSE, ou bien un candidat de “haut de tableau” d’un site moins performant? On pourrait supposer qu’un candidat de “milieu de tableau” de TSE ou PSE est préférable : ces sites sont très attractifs, ils attirent les meilleurs candidats en thèse, même les moyens doivent être très bons, meilleurs que les bons des universités moyennes, en tout cas. De plus, les formations qu’ils dispensent et l’encadrement doctoral assuré par les directeurs de thèse, eux-mêmes considérés comme étant les plus performants, doivent permettre de “produire” les meilleurs docteurs et les futurs meilleurs chercheurs.

C’est précisément ce type de problématique qui est traité dans l’article cité, qui s’appuie sur des données américaines. Les auteurs ont collecté des informations sur la productivité des docteurs, six ans après leur recrutement comme Assistant Professor et ont regardé si ce qui comptait le plus, dans leur performance, était le site d’origine (departmental rank) ou leur rang dans leur département d’origine (class rank).

Résultats :

  • c’est le class rank qui est déterminant, il vaut donc mieux recruter un très bon d’un site moyen qu’un moyen d’un site très bon,
  • la performance des docteurs décroît très vite dans tous les sites, le docteur médian issu d’Harvard obtenant un score loin de lui permettre d’obtenir une tenure (d’être titularisé en quelque sorte) dans quelque département que ce soit,
  • tout ceci semble indiquer que les meilleurs sites ne font pas un très bon travail en terme de formation puisque seuls leurs meilleurs étudiants vont réussir à devenir de très bons chercheurs.

Bien sûr, il s’agit d’un travail sur données américaines, la transposition au cas français est sujette à caution. Mais pour avoir participé à pas mal de jury de recrutement en économie, je le trouve instructif. Il est arrivé assez souvent que des candidats issus de sites très réputés ne comprennent pas, mais alors absolument pas, comment il était possible qu’ils se soient fait “doubler” par des candidats issus de petites universités de province. J’ai eu écho, également, de normaliens ou de polytechniciens devenus docteurs ne comprenant pas plus comment il était possible qu’ils ne soient pas recrutés, au profit de candidats issus de simples facs.  Dans tous les cas, leur tendance naturelle les conduit à dénoncer des systèmes de recrutement nécessairement mauvais, qui ne le sont pas toujours…

La mobilité des enseignants-chercheurs : Paris est-elle attractive?

Baptiste Coulmont a exploité des données du Ministère de l’Enseignement Supérieur sur les demandes de mutation des Maîtres de Conférences et des Professeurs des Universités. Il montre notamment la forte attraction de l’Académie de Paris, qui accueille plus de 450 personnes sur la période 2004-2011. Educpros en a tiré une interview, logiquement intitulée “la région parisienne reste très attractive pour les enseignants-chercheurs”.

Je précise que Baptiste Coulmont se borne à faire parler les chiffres disponibles, en précisant leurs limites et sans interprétation particulière. Mais bien sûr, certains vont y voir une validation de l’évidente supériorité des Universités parisiennes (elles attirent car elles sont attirantes, plus jolies, quoi), pour preuve le titre d’Educpros.

Interprétation beaucoup trop hâtive à mon goût… J’ai rapidement posté un commentaire sur le blog de Baptiste Coulmont, pour proposer l’interprétation suivante : les Universités parisiennes continuent à “produire” beaucoup de docteurs, mais les dynamiques démographiques favorisent plutôt la création de postes hors Ile de France. De ce fait, de nombreux docteurs franciliens trouvent un premier poste hors Ile de France. Ils demandent ensuite, dès qu’ils le peuvent, une mutation dans leur région d’origine. Michel Grossetti, dans un autre commentaire du même billet, attire l’attention sur un point complémentaire, qui pourrait fortement biaiser les résultats : les mutations vers l’Académie de Paris pourraient provenir pour une bonne part de personnes issues de l’Académie de Créteil ou Versaille. Dans les deux cas, on en viendrait à la conclusion que l’Ile de France attirerait avant tous… les parisiens…

En parcourant plus attentivement le document utilisé par Baptiste Coulmont, je me suis ensuite aperçu que les auteurs de l’étude posaient la même hypothèse, confirmée par ailleurs par une étude précédente : “Pour s’en tenir aux mutations des PR, ces dernières années, les auteurs ont avancé une tentative d’explication envisageant un mouvement circulaire : des MCF parisiens sont recrutés PR dans des universités de province et, quelques années plus tard, reviennent à Paris et en Ile-de-France par la voie d’une mutation. L’étude consacrée au bilan des recrutements des MCF dans le corps des PR entre 1993 et 2007 a confirmé cette hypothèse” (haut de la page 21).

Avec ce type de remarque, il s’agit d’attirer l’attention sur le fait que tous les débats sur la mobilité géographique des enseignants-chercheurs ne devraient pas se focaliser uniquement sur le mode de fonctionnement du système universitaire pour analyser les comportements de mobilité observés : la demande de mobilité (ou de non-mobilité) résulte aussi de déterminants sociaux très classiques, on peut penser par exemple qu’elle sera plus faible si le candidat est marié, que son conjoint travaille, qu’ils ont des enfants, etc. (En passant, c’est assez cocasse que ce soit un économiste qui attire l’attention sur ce point en commentant des analyses de sociologues). C’est un des points essentiels sur lequel j’insiste dans un article co-écrit avec Bastien Bernela, que nous venons de finaliser, qui prend pour point de départ le débat autour du localisme. La faible mobilité des enseignants-chercheurs résulterait sans doute moins des pratiques localistes que de la préférence pour l’inertie spatiale des docteurs.

Bastien Bernela continue dans cette direction, en analysant les comportements de mobilité géographique des sortants du système d’éducation, en fonction du niveau de diplôme, avec un focus sur les docteurs. Les données mobilisées sont les enquêtes génération du Cereq 2001, 2004 et 2007. Le focus sur les docteurs consiste à distinguer, parmi les docteurs d’une génération, ceux qui, trois ans après, sont dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche (docteursESR), ceux qui sont au chômage (docteursCho) et ceux qui travaillent hors Enseignement Supérieur et Recherche (DocteursNonEsr). On aboutit à ce graphique.

Taux de mobilité interrégionale trois ans après l’obtention du dernier diplôme (%)

bb

Plusieurs résultats intéressants, je trouve :

  • la mobilité géographique augmente dans le temps, pour tous les niveaux de diplôme et ce de manière substantielle sur une période aussi courte,
  • la mobilité est logiquement croissante avec le niveau de diplôme, mais seulement jusqu’au niveau Master, elle décroît ensuite pour les docteurs. Dans l’article déjà cité, nous montrons que ceci s’explique notamment par des déterminants sociologiques : par exemple, le fait d’avoir un enfant au moment de l’obtention de son diplôme réduit significativement la probabilité d’observer une mobilité trois ans après,
  • résultat le plus surprenant peut-être : la mobilité géographique des docteurs ESR est plus grande que celle des docteurs non ESR, elle-même plus forte que celle des docteurs au chômage.

Il reste bien sûr beaucoup de travail pour bien comprendre les déterminants de ces résultats (Bastien, arrête de regarder Game of Thrones, retourne au boulot!). Mais ils me semblent suffisamment saisissants pour s’interroger autrement sur la question de l’attractivité des Universités ou sur celle du localisme…

Economie du paquet de Granola

Retour en douceur sur le blog, avec un petit billet tout en image.

Le paquet de Granola vendu seul, prix au kilo de 5,55€ :

granola1l

Le paquet par lot de deux, prix au kilo de 6,05€ :

granola2l

Même nombre de gateaux par paquet, même parfum, même date de péremption, tout pareil. Sauf le prix, plus cher pour le produit par lot de deux, de 9% environ.

Pourquoi ? Dans certains cas, ce type de discrimination tarifaire peut se justifier. Dans d’autres cas, beaucoup moins. Le tout est  résumé dans cet ancien billet, à relire. En l’occurrence, ça ne justifie pas.

Voilà, c’est tout. Je vous avais dit : retour en douceur.

PS : il faut que je pense à reverser les 20 centimes à ma Juliette, qui a découvert la supercherie. Avec une prime de 80 centimes, pour ne pas avoir eu (trop) honte d’être à côté de son père en train de prendre des paquets de Granola en photo, un soir de semaine, dans les rayons d’Auchan, Poitiers Sud…

La réussite des bacs professionnels et des bacs technologiques à l’Université (complément au billet précédent)

Dans mon billet précédent, j’indiquais que la probabilité de réussite des bacheliers professionnels et des bacheliers technologiques à l’Université hors IUT était quasi-nulle pour ne pas dire nulle.

Yannick Lung m’a transmis une infographie très intéressante du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, présentée par Geneviève Fioraso lors de son déplacement à Reims le 7 mars dernier, qui permet de nuancer un (petit) peu et de compléter le diagnostic sur d’autres points (l’infographie est aussi disponible directement sur le site du ministère).

On y apprend que le taux de réussite des bacs professionnels en Licence est de 4,5% et celui des bacs technologiques est de 13,5%. En appliquant ces taux, le nombre de sacrifiés est donc de 33000, non pas de 37000 :

Bacs professionnels Bacs technologiques Ensemble
effectifs 2011  12 829  24 259  37 088
taux de réussite 4,60% 13,50%
taux d’échec 95,40% 86,50%
nombre de “sacrifiés”  12 239  20 984  33 223

On y apprend également que dans l’ensemble des bacs professionnels ayant demandé d’entrer en STS en 1er voeu, seuls 43,3% ont été retenu. Soit près de 45000 bacs professionnels qui n’y accèdent pas. Pour les bacs technologiques souhaitant aller en IUT, les ratios sont un peu meilleurs : 61% de ceux ayant émis comme 1er voeu d’aller en IUT y accèdent. Cela fait cependant 7505 lycéens souhaitant y accéder mais n’y accédant pas. C’est pour une bonne part ces bacheliers que l’on retrouve à l’Université hors IUT.

Dans son intervention, Geneviève Fioraso insiste sur la nécessité de donner la priorité aux bacs technologiques en IUT et aux bacs professionnels en STS. Je souhaite vivement qu’elle y parvienne. Très rapidement. Ce serait bien pour les dizaines de milliers de lycéens qui, sinon, vont échouer sur les bancs de la fac.

Au fait, combien de lycéens allons-nous sacrifier cette année?

C’est l’heure des choix pour les lycéens : que faire après le bac? Université hors IUT? IUT?  STS? Classes Prépas? Autres formations? Travailler? Question angoissante, bien sûr, à laquelle il leur faut répondre via le portail Admission Post-Bac.

En France, il y a trois grands types de bac : les bacs généraux, les bacs technologiques et les bacs professionnels. Les bacs généraux ont plutôt vocation à faire des études longues, à l’Université ou dans les grandes écoles. Les bacs technologiques ont plutôt vocation à faire des études courtes, de type STS ou IUT, prolonger éventuellement par une licence professionnelle puis aller sur le marché du travail. Les bacs professionnels ont vocation, quant à eux, à aller sur le marché du travail, ou bien à poursuivre un peu en STS, éventuellement en IUT.

Mais le système de l’enseignement supérieur français marche sur la tête. J’avais parlé de ce sujet en septembre dernier, suite à un article du Monde sur les bacs professionnels. Comme les IUT et les STS sont sélectifs alors que l’Université hors IUT ne l’est pas, un nombre très important de (bons) bacs généraux préfèrent commencer par ce type de formation avant de continuer à l’Université ou dans les Ecoles. Pendant ce temps, un nombre important de bacs technologiques et de bacs professionnels, qui voulaient faire ces formations courtes mais voient leur route barrée par ces autres lycéens, atterrissent sur les bancs de la fac (hors IUT) et échouent.

A partir de ce document du Ministère, je me suis “amusé” à faire quelques calculs sur les bacheliers 2011. Dans l’ensemble de leurs effectifs, les IUT ont accueillis 69% de bacs généraux, 28% de bacs technologiques et 3% de bacs professionnels. Tout va bien… Côté STS, les chiffres sont de 21%, 52% et 27%. C’est mieux quand même, mais bon…

Le point essentiel de mon billet n’est cependant pas là : il est plutôt du côté des bacs technologiques et des bacs professionnels qui, encore une fois, ne sont pas retenus dans ces filières courtes qui leur sont destinées, qui vont se retrouver sur les bancs de la fac et vont échouer, avec une probabilité de 1, au mieux de 0,99. Autant de lycéens sacrifiés, donc. Combien sont-ils en 2011?

30% des bacs professionnels qui poursuivent leurs études vont en Université hors IUT. 25% des bacs technologiques font de même. Côté bacs professionnels, cela fait donc 12829 jeunes bacheliers qui vont échouer avec certitude. Côté bacs technologiques, le nombre est de 24259, échec quasi-certain également. Pas loin de 38000 jeunes bacheliers ont donc été sacrifié en 2011.

On devrait en sacrifier un peu plus sur l’année universitaire 2012-2013, puisque la part des bacs professionnels qui continuent à l’Université hors IUT est passée de 8,3% à 8,4%. On nous annonce 8,9% en 2016 et 9,5% en 2021. Augmentation également pour les bacs technologiques, qui passent de 18,8% en 2011 à 19% en 2012, 19,2% en 2016 et 19,3% en 2021.

Bons voeux aux lycéens qui sont en train de naviguer sur Post-Bac. Et bon travail aux collègues chargés de sélectionner en IUT et STS : surtout, ne changez rien à vos pratiques.

Le qualifié, l’évaporé, le faux évaporé et le quasi-évaporé…

Rappel des épisodes précédents et élargisemment de la problématique : Pour être recruté dans l’enseignement supérieur en France, il faut passer par une phase nationale de qualification, puis candidater sur les postes ouverts au concours dans les différentes Universités.

Baptiste Coulmont a montré dans cet article que dans l’ensemble des personnes qualifiées,  certaines ne candidataient pas. Sur la campagne 2012, le taux d’évaporés est de 43,5%. Taux qui monte avec le temps, puisqu’il n’était que de 34% en 2007. J’avais un peu complété dans mon billet précédent pour montrer que ce taux d’évaporation était lié positivement au taux de qualification (plus une section qualifie de personnes, plus la proportion d’évaporés augmente) et du taux de pression (plus le rapport candidats/postes est élevé, plus il y a d’évaporés). On observe également des effets disciplinaires (plus d’évaporés en Sciences et Pharmacie).

Ce matin, Gaia Universitas reprend ce chiffre pour alimenter un autre débat : faut-il supprimer la qualification, comme le suggère le rapport Berger? Les phases de qualification mobilisent en effet de nombreux collègues qui pourraient sans doute être plus utiles à faire de la recherche, à préparer des cours, à expertiser des projets de recherche, etc. Quand on constate que 43,5% des qualifiés ne candidatent même pas, on se dit que franchement…

Hier soir, enfin, Baptiste Coulmont a posté un message twitter en exploitant un autre chiffre du même document du Ministère :

Ce à quoi Mixlamalice répond :

Si on garde en tête la question de la suppression de la qualification, ça en rajoute une couche : non seulement une bonne part des qualifiés ne candidatent jamais, mais une bonne part de ceux qui candidatent ne sont jamais recrutés… Ça commence à faire cher pour pas grand chose…

Cependant, je pense qu’il faut être prudent avec ces chiffres. D’où ce petit billet, qui exploite un autre tableau du Ministère, celui sur la cohorte des qualifiés de 2008, suivis jusqu’en 2012 (tableau utilisé par Baptiste Coulmont pour son message twitter).

43,5% d’évaporés?

Les chiffres que Baptiste Coulmont et moi-même avons utilisé dans nos premiers billets concernent la cohorte des qualifiés de 2013. On obtient effectivement un taux d’évaporation de 43,5% pour l’ensemble des sections CNU. Petit complément en passant, ce taux varie fortement selon les sections :

Section taux d’évaporation
Lettres 28,3%
Droit 22,8%
Pharmacie 50,8%
Sciences 50,7%

Comme on le voit, il est fort en Sciences et Pharmacie, bien plus faible en Lettres et Droit. Dans tous les cas, il y a une limite à ces chiffres : si certains qualifiés n’ont pas candidaté cette année, rien ne nous dit qu’ils ne vont pas candidater l’an prochain… Les données sur la cohorte 2008 nous aident à aller plus loin.

Si on regarde les chiffres de cette cohorte, on peut d’abord refaire le même calcul que pour la génération 2013 : combien de qualifiés 2008 n’ont pas candidaté en 2008? On obtient un chiffre de 35%.

Mais les chiffres sur la cohorte nous permettent de dénombrer les personnes qui certes n’ont pas candidaté en 2008, mais qui ont candidaté en 2009, 2010, 2011 ou 2012 (une qualification est en effet valable quatre ans). Les vrais évaporés sont ceux qui, qualifiés en 2008, n’ont jamais candidaté sur toute la période de validité de leur qualification. Les autres sont des faux évaporés. Le taux d’évaporés n’est alors plus de 35%, mais de 21%, ce qui est nettement plus faible…

Comment expliquer que des qualifiés en 2008 ne candidatent pas en 2008, mais en 2009 ou après? Je pense que certains docteurs, au moment où ils tentent la qualification, sont déjà engagés dans des contrats de type post-doctorat. Même s’ils obtiennent la qualification, ils terminent d’abord leur post-doc d’un à deux ans et candidatent au retour. Dans certaines disciplines, le passage par la case post-doc est d’ailleurs obligatoire. Peut-être y-a-t-il d’autres explications, je suis preneur.

L’Université ne recrute pas ses docteurs?

On peut regarder les mêmes chiffres autrement, pour se concentrer sur les recrutés. Dans l’ensemble des qualifiés 2008, seuls 34,2% sont recrutés avant 2013. Est-ce à dire, comme le suggère @mixlamalice, que l’Université n’aime pas ses docteurs? Là encore, les choses me semblent plus compliquées…

D’abord, ce chiffre concerne les qualifiés Professeurs et Maîtres de Conférences. Il est en fait un peu plus faible si on se concentre sur la catégorie des Maîtres de Conférences : il est de 31%. Mais attention, les vrais évaporés sont comptabilisés! Si on exclut (logiquement) les personnes qui ne candidatent jamais, le ratio n’est pas de 31%, mais de 39%, ce qui est un peu mieux…

On peut même sans doute aller un cran plus loin : en plus de la distinction entre vrais évaporés et faux évaporés, je propose d’introduire la catégorie des quasi-évaporés : des personnes qualifiées, qui candidatent une fois en 2008, ne sont pas retenus et ne candidatent jamais ensuite. On peut considérer que ces personnes ont trouvé un emploi hors Université qui leur convient plutôt, puisqu’ils ne retentent pas leur chance. Je sais, ça peut être plus compliqué, mais cette hypothèse n’est pas aberrante. Difficile en tout cas de considérer que l’Université ne veut pas d’eux… Si l’on rapporte le nombre de recrutés non plus à l’ensemble des qualifiés mais à cet ensemble moins les vrais évaporés et les quasi-évaporés, le chiffre monte alors à 49%. En procédant de même pour les personnes candidatant deux fois de suite et ne candidatant plus ensuite, il monte à 55%.

Bref, des conclusions à nuancer parfois et une incitation forte à poursuivre l’analyse (les comportements de la cohorte 2008 sont sans doute très différents selon les disciplines). Dans cette perspective, Baptiste Coulmont a demandé au Ministère s’il pouvait mettre à notre disposition des données individuelles anonymisées, pour mieux cerner cette question de l’évaporation. J’espère sincèrement qu’ils vont accepter. Ce serait ballot que le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche nous empêche de développer de nouvelles connaissances, surtout lorsqu’il s’agit de mieux comprendre le comportement d’acteurs dont ils financent en grande partie le doctorat…

L’évaporation académique : les qualifiés non postulants

Billet intéressant de Baptiste Coulmont sur l’évaporation académique. Petite explication : pour décrocher un poste à l’Université, il faut, avant de postuler, passer par une phase de qualification en déposant un dossier auprès du CNU. Si on est qualifié, on peut candidater là où des postes sont ouverts.

Baptiste Coulmont a collecté des statistiques sur le site du Ministère sur le nombre de candidats à la qualification, le nombre de personnes qualifiées, le nombre de personnes qui candidatent une fois qualifiées et le nombre de poste, le tout par section disciplinaire. A partir de ces chiffres, il est possible de calculer différents ratio :

  • le taux de qualification, rapport entre le nombre de personnes qualifiées et le nombre de candidats à la qualification,
  • le taux d’évaporation, rapport entre le nombre de candidats qualifiés qui ne postulent pas ensuite et le nombre total de candidats qualifiés,
  • le taux de pression, rapport entre le nombre de candidats qualifiés postulant et le nombre de postes ouverts.

En quelques graphiques, Baptiste Coulmont montre que le taux d’évaporation est corrélé postivement au taux de qualification : les sections les plus “laxistes” sont celles pour lesquelles l’évaporation est la plus forte. Il est également corrélé positivement au taux de pression : plus le ratio candidats/postes est fort, plus l’évaporation est forte, des personnes qualifiées ne prennent sans doute pas la peine de postuler lorsqu’ils savent que les chances de décrocher un poste sont particulièrement faibles. Il semble cependant que le lien soit plus fort entre taux d’évaporation et taux de qualification qu’entre taux d’évaporation et taux de pression, ce que je me suis empressé de vérifier en construisant une petite matrice des corrélations :

tx_evap tx_qua~f tx_pre~n
tx_evap 1.0000
tx_qualif 0.7156 1.0000
tx_pression 0.4604 0.4759 1.0000

Intuition vérifié, le coefficient est sensiblement plus fort. Cependant, à bien y regarder, il y a une section atypique dans l’ensemble des sections disciplinaires : la section 72 (Epistémologie, histoire des sciences et des techniques). Elle prend des valeurs “aberrantes”, aussi vaut-il mieux l’exclure des calculs (Baptiste Coulmont l’a d’ailleurs enlevée pour construire ses graphiques). On obtient cette nouvelle matrice :

tx_evap tx_qua~f tx_pre~n
tx_evap 1.0000
tx_qualif 0.7357 1.0000
tx_pression 0.6439 0.4850 1.0000

L’écart se réduit sensiblement. On note également que la corrélation entre taux de qualification et taux de pression reste assez faible.

Dans son graphique le plus abouti, Baptiste Coulmont représente les trois indicateurs :

En abscisse ce que j’appelle le taux de pression, en ordonnée le taux d’évaporation, les codes couleurs permettent de différencier les taux de qualification.

Pour aller un cran plus loin, j’ai testé une petite régression avec comme variable expliquée le taux d’évaporation et en variables explicatives le taux de qualification et le taux de pression. J’ai également introduit une variable par grande discipline (Droit, Lettres, Sciences, Pharmacie), pour savoir s’il existait, au-delà de ces taux, des spécificités disciplinaires. La section 72 est toujours exclue des calculs. On obtient ceci :

Coefficient Ecart-type
tx_qualif 0,383 0,123 ***
tx_pression 0,012 0,003 ***
Lettres référence
Droit -0,063 0,055
Pharmacie 0,121 0,067 *
Sciences 0,084 0,039 **
Constante 0,011 0,076

Le modèle est plutôt bon, il explique près de 70% de la variance des taux d’évaporation. Les deux taux (taux de qualification et taux de pression) influent positivement sur le taux d’évaporation. On remarque également que par rapport aux sections “Droit”, les sections “Sciences” et “Pharmacie” influent positivement sur le taux d’évaporation. Pas de différence entre Droit et Lettres, en revanche.

J’ai testé le même modèle en introduisant une nouvelle variable pour intégrer la taille des sections. J’ai simplement ajouté le nombre de personnes qualifiées pour intégrer cet élément. Les résultats sur les autres variables sont peu modifiés, la variable introduite est elle-même significative et joue négativement : plus une section est grande, moins le taux d’évaporation est élevé.

Coefficient Ecart-type
tx_qualif 0,381 0,119 ***
tx_pression 0,011 0,003 ***
qualif -0,0003 0,000 **
Lettres référence
Droit -0,068 0,053
Pharmacie 0,122 0,065 *
Sciences 0,133 0,045 ***
Constante 0,056 0,077

Je ne pense pas qu’on puisse aller plus loin dans l’analyse avec les statistiques disponibles, mais comme suggéré dans le document du Ministère, une analyse plus poussée de ce phénomène d’évaporation ne serait pas inintéressant, une enquête auprès d’une cohorte de personnes concernées serait sans doute la meilleure stratégie dans ce sens.