Rappel des épisodes précédents et élargisemment de la problématique : Pour être recruté dans l’enseignement supérieur en France, il faut passer par une phase nationale de qualification, puis candidater sur les postes ouverts au concours dans les différentes Universités.
Baptiste Coulmont a montré dans cet article que dans l’ensemble des personnes qualifiées, certaines ne candidataient pas. Sur la campagne 2012, le taux d’évaporés est de 43,5%. Taux qui monte avec le temps, puisqu’il n’était que de 34% en 2007. J’avais un peu complété dans mon billet précédent pour montrer que ce taux d’évaporation était lié positivement au taux de qualification (plus une section qualifie de personnes, plus la proportion d’évaporés augmente) et du taux de pression (plus le rapport candidats/postes est élevé, plus il y a d’évaporés). On observe également des effets disciplinaires (plus d’évaporés en Sciences et Pharmacie).
Ce matin, Gaia Universitas reprend ce chiffre pour alimenter un autre débat : faut-il supprimer la qualification, comme le suggère le rapport Berger? Les phases de qualification mobilisent en effet de nombreux collègues qui pourraient sans doute être plus utiles à faire de la recherche, à préparer des cours, à expertiser des projets de recherche, etc. Quand on constate que 43,5% des qualifiés ne candidatent même pas, on se dit que franchement…
Hier soir, enfin, Baptiste Coulmont a posté un message twitter en exploitant un autre chiffre du même document du Ministère :
34,2% des personnes qualifiées en 2008 par le CNU a été recruté comme enseignant-chercheur avant 2013 …dia.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/statistiq…
— coulmont (@coulmont) 4 mars 2013
Ce à quoi Mixlamalice répond :
@coulmont ça renforce l’image déplorable du Phd auprès des industriels employeurs:l’Univ délivre des PhDs dont elle ne veut pas elle même…
— mixlamalice (@mixlamalice) 4 mars 2013
Si on garde en tête la question de la suppression de la qualification, ça en rajoute une couche : non seulement une bonne part des qualifiés ne candidatent jamais, mais une bonne part de ceux qui candidatent ne sont jamais recrutés… Ça commence à faire cher pour pas grand chose…
Cependant, je pense qu’il faut être prudent avec ces chiffres. D’où ce petit billet, qui exploite un autre tableau du Ministère, celui sur la cohorte des qualifiés de 2008, suivis jusqu’en 2012 (tableau utilisé par Baptiste Coulmont pour son message twitter).
43,5% d’évaporés?
Les chiffres que Baptiste Coulmont et moi-même avons utilisé dans nos premiers billets concernent la cohorte des qualifiés de 2013. On obtient effectivement un taux d’évaporation de 43,5% pour l’ensemble des sections CNU. Petit complément en passant, ce taux varie fortement selon les sections :
Section | taux d’évaporation |
Lettres | 28,3% |
Droit | 22,8% |
Pharmacie | 50,8% |
Sciences | 50,7% |
Comme on le voit, il est fort en Sciences et Pharmacie, bien plus faible en Lettres et Droit. Dans tous les cas, il y a une limite à ces chiffres : si certains qualifiés n’ont pas candidaté cette année, rien ne nous dit qu’ils ne vont pas candidater l’an prochain… Les données sur la cohorte 2008 nous aident à aller plus loin.
Si on regarde les chiffres de cette cohorte, on peut d’abord refaire le même calcul que pour la génération 2013 : combien de qualifiés 2008 n’ont pas candidaté en 2008? On obtient un chiffre de 35%.
Mais les chiffres sur la cohorte nous permettent de dénombrer les personnes qui certes n’ont pas candidaté en 2008, mais qui ont candidaté en 2009, 2010, 2011 ou 2012 (une qualification est en effet valable quatre ans). Les vrais évaporés sont ceux qui, qualifiés en 2008, n’ont jamais candidaté sur toute la période de validité de leur qualification. Les autres sont des faux évaporés. Le taux d’évaporés n’est alors plus de 35%, mais de 21%, ce qui est nettement plus faible…
Comment expliquer que des qualifiés en 2008 ne candidatent pas en 2008, mais en 2009 ou après? Je pense que certains docteurs, au moment où ils tentent la qualification, sont déjà engagés dans des contrats de type post-doctorat. Même s’ils obtiennent la qualification, ils terminent d’abord leur post-doc d’un à deux ans et candidatent au retour. Dans certaines disciplines, le passage par la case post-doc est d’ailleurs obligatoire. Peut-être y-a-t-il d’autres explications, je suis preneur.
L’Université ne recrute pas ses docteurs?
On peut regarder les mêmes chiffres autrement, pour se concentrer sur les recrutés. Dans l’ensemble des qualifiés 2008, seuls 34,2% sont recrutés avant 2013. Est-ce à dire, comme le suggère @mixlamalice, que l’Université n’aime pas ses docteurs? Là encore, les choses me semblent plus compliquées…
D’abord, ce chiffre concerne les qualifiés Professeurs et Maîtres de Conférences. Il est en fait un peu plus faible si on se concentre sur la catégorie des Maîtres de Conférences : il est de 31%. Mais attention, les vrais évaporés sont comptabilisés! Si on exclut (logiquement) les personnes qui ne candidatent jamais, le ratio n’est pas de 31%, mais de 39%, ce qui est un peu mieux…
On peut même sans doute aller un cran plus loin : en plus de la distinction entre vrais évaporés et faux évaporés, je propose d’introduire la catégorie des quasi-évaporés : des personnes qualifiées, qui candidatent une fois en 2008, ne sont pas retenus et ne candidatent jamais ensuite. On peut considérer que ces personnes ont trouvé un emploi hors Université qui leur convient plutôt, puisqu’ils ne retentent pas leur chance. Je sais, ça peut être plus compliqué, mais cette hypothèse n’est pas aberrante. Difficile en tout cas de considérer que l’Université ne veut pas d’eux… Si l’on rapporte le nombre de recrutés non plus à l’ensemble des qualifiés mais à cet ensemble moins les vrais évaporés et les quasi-évaporés, le chiffre monte alors à 49%. En procédant de même pour les personnes candidatant deux fois de suite et ne candidatant plus ensuite, il monte à 55%.
Bref, des conclusions à nuancer parfois et une incitation forte à poursuivre l’analyse (les comportements de la cohorte 2008 sont sans doute très différents selon les disciplines). Dans cette perspective, Baptiste Coulmont a demandé au Ministère s’il pouvait mettre à notre disposition des données individuelles anonymisées, pour mieux cerner cette question de l’évaporation. J’espère sincèrement qu’ils vont accepter. Ce serait ballot que le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche nous empêche de développer de nouvelles connaissances, surtout lorsqu’il s’agit de mieux comprendre le comportement d’acteurs dont ils financent en grande partie le doctorat…