Développement économique : la solution territoriale

cnerLe CNER (fédération des agences de développement économique) a organisé le 2 juillet dernier un colloque intiitulé “Développement économique : la solution territoriale”. L’ouverture du colloque a été assurée par Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation. J’ai ensuite participé à un débat avec Philippe Estèbe sur le thème “Décentraliser l’action économique, pourquoi?”.

L’ensemble des propos des intervenants sont repris dans ce document. Mes échanges avec Philippe Estèbe, animés par Eric Valmir, sont repris de la page 7 à la page 11, suivis page 12 de quelques questions/réponses avec la salle.

 

Inversion de la courbe du chômage : Issoire et Bar-le-Duc y sont déjà !

L’Insee vient de publier les taux de chômage par zones d’emploi pour le deuxième trimestre 2013.

L’occasion de regarder autrement la situation de l’économie française : plutôt que de se focaliser sur un indicateur macro-économique (taux de chômage pour l’ensemble de l’économie française), on peut analyser la distribution des taux de chômage par zone d’emploi, car les situations sont très hétérogènes selon les territoires.

A titre d’illustration, j’ai collecté les taux de chômage pour le 2ème trimestre 2012 et pour le deuxième trimestre 2013 des 304 zones d’emplois de France métropolitaine. On peut alors construire ce graphique :

GraphTous les indicateurs augmentent : taux de chômage minimum (de 4,7% à 5,2%), taux de chômage maximum (16,8% à 17,9%), la médiane (9,6% à 10,3%).

Au deuxième trimestre 2013, les taux de chômage les plus faibles sont observés pour Houdan (5,2%), Les Herbiers (5,9%) et Wissembourg (6,1%). Les plus forts pour Agde – Pézenas (17,9%), Calais (17,7%) et Lens – Hénin (17,7%).

Certaines zones sont-elles déjà parvenues à inverser la courbe du chômage ? Sur les 304 zones, seules 2 sont dans cette situation, toutes les autres ont vu leur taux de chômage augmenter. Il s’agit de Bar-le-Duc (passage de 9% à 8,9%) et Issoire (9,6% à 9,5%). On pourrait ajouter Saint-Gaudens (12,8% aux deux dates). La dégradation la plus forte concerne Morteau, avec une hausse de plus de 21% du taux de chômage, mais ils partaient de bas (passage de 6,1% à 7,4% du taux de chômage).

Les métropoles, avenir économique de la France ?

Vous pensez peut-être que l’essentiel du travail d’un chercheur consiste à produire des connaissances nouvelles ? Hélas non : il faut aussi rappeler que certaines connaissances communes, véhiculées parfois par des collègues eux-mêmes chercheurs, sont stupides contestables.

Exemple parmi d’autres : l’idée que la croissance économique passe nécessairement par la concentration des activités dans quelques métropoles, dans le cas de la France : l’Ile de France, avec comme argument en apparence imparable le fait que le PIB par habitant de la région capitale est nettement supérieur à la moyenne des région, preuve d’une évidente sur-productivité.

Michel Grossetti vient de publier un petit billet sur le sujet, dont je recommande vivement la lecture (en complément, voir aussi ce billet que j’avais écrit il y a quelques temps). Ce qui est cocasse, dans l’histoire, c’est que Laurent Davezies, qui est l’un des premiers à avoir critiqué l’utilisation de cet indicateur comme mesure de la performance des régions (page 3 et suivantes), tombe à pieds joints dans les travers qu’il dénonçait. Le côté schizophrène des chercheurs, sans doute (plus vraisemblablement son côté parisien).

Qu’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas que d’une bataille entre chercheurs : j’ai été invité à réagir la semaine dernière aux travaux de la Datar relatifs aux “villes intermédiaires” dans le cadre du travail de prospective “Territoires 2040”, j’ai pu constater que ce discours sur “les métropoles sont l’avenir de la France” et “L’Ile de France est la région la plus productive” imprégnait méchamment les esprits, des gens de la Datar, tout au moins. Dans le même sens, ce qui se prépare côté lois de décentralisation repose aussi très largement sur cette idée reçue.

Sur un sujet proche (“Vive la concentration!”), je recommande la lecture de cette interview de Christine Musselin sur la création des communautés d’Universités. On comprend l’intérêt du Ministère, qui veut réduire le nombre d’interlocuteurs. Croire dans le même temps qu’un nombre réduit de sites permettra d’augmenter la performance du système est une idée aussi stupide contestable que la précédente (voir cet autre billet de Michel Grossetti).

La première idée, comme la deuxième, ne tiennent pas la route empiriquement. J’insiste : elles ne tiennent pas la route empiriquement. Ce ne serait donc pas mal que les politiques publiques qui sont en train d’être définies évitent de reposer sur des idées invalides, je trouve…

Fallait-il sauver le soldat Heuliez ?

Il n’aura échappé à personne que l’entreprise Heuliez fait l’objet de toutes les attentions du Conseil Régional de Poitou-Charentes depuis de nombreuses années et que régulièrement ce dossier fait la une des médias régionaux (ici par exemple tout récemment), bien sûr, mais aussi nationaux (là, fin septembre).

En bon économiste soucieux de l’utilisation de l’argent public et de l’évaluation des politiques mises en oeuvre sur les territoires, on peut se demander si cette attention est légitime et surtout si les sommes engagées l’ont été à bon escient.

A ce titre, je souhaite mettre en évidence un point particulier rarement évoqué dans les médias et dans le débat public : Heuliez est une entreprise localisée dans le Nord Deux-Sèvres, plus précisément dans le bocage Bressuirais. Quelle importance, me direz-vous ?

L’importance est grande : venir au secours d’une grande entreprise située sur un territoire connaissant un taux de chômage important et où les possibilités de redéploiement des personnes perdant leur emploi sont faibles, c’est une chose ; procéder de même sur un territoire où le taux de chômage est faible et où les personnes perdant leur emploi en retrouve rapidement un autre, c’en est une autre. D’où la question : qu’en est-il du Bressuirais ?

Pour y répondre, j’ai collecté les taux de chômage trimestriel, par zone d’emploi, de 2003 à 2013, pour différentes zones d’emploi de Poitou-Charentes. Pour faciliter l’analyse des chiffres, j’ai construit pour chaque zone un indicateur compris entre 0 et 100% qui permet de la situer dans l’ensemble national : si l’indice de la zone est compris entre 0 et 10%, c’est que la zone fait partie des 10% des zones d’emploi ayant le plus faible taux de chômage. Si son indice est compris entre 90% et 100%, la zone fait partie des 10% des zones ayant le plus fort taux de chômage.

Voici ce que ça donne pour les zones d’emploi sélectionnées :

heuliez.png

Surprise : la zone d’emploi de Bressuire est celle qui connaît le plus faible taux de chômage de la Région depuis le premier trimestre 2003 et ce sans discontinuer. C’était vrai avant, depuis longtemps en fait. Elle fait partie en gros des 10% des zones d’emploi françaises qui connaissent les plus faibles taux de chômage.

Comment l’expliquer ? Le Bressuirais est en fait très proche du choletais et fonctionne de manière assez similaire : on y trouve de très nombreuses PME et les salariés circulent plutôt bien entre ces entreprises. Quand Heuliez va mal, les PME alentours peuvent recruter certains de ses salariés (et quand Heuliez va bien, les PME alentours ont toutes les peines du monde à trouver la main d’oeuvre dont elles ont besoin…). Pour ceux qui veulent en savoir plus sur ce territoire, je vous invite à parcourir l’étude que nous avions mené il y a quelques temps, en ligne sur le site de mon laboratoire (dédicace spéciale à Benjamin Guimond qui a fait un travail colossal sur cette étude).

A contrario, la situation des zones d’emploi de Rochefort, Royan et dans une moindre mesure La Rochelle est… comment dire… problématique… Les deux premières font partie des 20% des zones d’emploi ayant les plus forts taux de chômage. Forte dégradation sur Châtellerault entre 2007 et 2009, lente décroissance (relativement à l’ensemble national) depuis. Cognac a vu sa situation se dégrader un peu en 2009 (effondrement des ventes de Cognac), mais les choses se sont globalement rétablies. Niort et Poitiers vont bien, merci (un peu moins bien que sur le Bressuirais, mais ça va).

On pourra m’objecter que c’est précisément l’activisme du Conseil Régional qui permet d’observer cette situation sur le Bressuirais. Acceptons cette idée d’une intervention particulièrement efficace des instances régionales : on a très envie, alors, de leur demander de se pencher rapidement sur les cas de Rochefort, Royan, La Rochelle, Angoulême et Châtellerault. Autrement dit sur les cinq zones d’emploi de la Région qui, depuis plus de dix ans, souffrent le plus…

NB1 : merci à Olivier C. pour l’idée de ce graphique comparant les différentes zones de la Région, j’étais parti au départ sur la seule courbe du Bressuirais, cette version est beaucoup plus saisissante.

NB2 : après quelques échanges entre chercheurs de l’Université de Poitiers, nous nous sommes dit que le cas Heuliez était un cas particulièrement intéressant pour traiter de la dynamique économique de certains territoires et de la pertinence des politiques publiques. Nous allons nous atteler à la tâche dans les prochains mois, des suites à ce billet sont donc à attendre.

Futuroscope : ceci n’est pas un technopôle

magritte_ceci-n-est-pas-une-pipeL’Insee vient de publier les résultats d’une étude sur le Futuroscope, intitulée  “Technopôle du Futuroscope : plus de 10 600 emplois directs et induits”. Etude réalisée en partenariat avec le Conseil Général de la Vienne.

La méthodologie déployée par l’Insee est une méthodologie classique dans les études d’impacts économiques : il s’agit de dénombrer les emplois directs (salariés des entreprises de la zone), indirects (salariés de leurs fournisseurs et sous-traitants au prorata du volume d’activité concerné) et induits (emplois liés aux dépenses des deux premières catégories). Pour le Parc stricto sensu, on dénombre 800 emplois directs, 240 emplois indirects et 560 emplois induits. Sur l’ensemble de la zone, le total des emplois est de plus de 10 000, comme indiqué dans le titre (estimation plancher car des données manquent sur les emplois indirects des entreprises autres que le Parc).

Le plus intéressant n’est pas là, mais dans la recension des activités présentes sur la zone. Je me concentre sur les emplois directs. La zone du Futuroscope, c’est 1040 emplois pour le Parc, 300 dans l’hôtellerie-restauration et 2840 dans les centres d’appel. Soit plus de 60% du total de la zone. C’est ensuite 1360 emplois dans le domaine de la formation-recherche, notamment le CNED (500 personnes), le CNDP (250), l’ENSMA (230) et l’Université (160). C’est enfin 1000 emplois dans les services aux entreprises (assurances, informatique, autres services aux entreprises) et 300 dans les administrations publiques (Conseil Général et CCI de la Vienne).

En quoi est-ce intéressant ? Disons que les chiffres montrent que le Futuroscope est certes une zone d’activité économique importante du département de la Vienne, mais n’a rien d’un technopôle, que l’on peut définir comme un site destiné à accueillir des entreprises de haute technologie bénéficiant d’interactions locales avec le monde de la recherche et de la formation. Les laboratoires de recherche présents travaillent certes avec des entreprises, mais pas ou très peu avec des entreprises de la région, plutôt des entreprises de Midi-Pyrénées ou d’Ile de France. A contrario, les emplois privés ne relèvent pas de la haute technologie, il s’agit massivement d’emplois des centres d’appels.

C’est grave docteur ? Oui et non. Non car il s’agit d’emplois qui font vivre des milliers de personnes ainsi que leurs familles et c’est très bien. Oui, car affirmer que la zone est remplie d’entreprises high tech, i) ça relève du déni de réalité, ii) c’est considérer que certaines activités sont moins nobles et qu’il vaut mieux les cacher, iii) c’est se détourner de l’analyse des menaces et opportunités qui pèsent sur les entreprises effectivement présentes.

A ce titre, si les chiffres du document sont très clairs, certaines formulations prêtent à sourire. Notamment quand dans le chapeau de l’article, on nous indique que “les trois axes du développement souhaités à l’origine : Formation-Recherche, loisirs et nouvelles technologies sont toujours bien présents aujourd’hui”,  ou encore et surtout quand les auteurs expliquent que la concentration sur la zone des secteurs de la formation et de la recherche vise à “créer un effet “cluster” qui attire des organismes extra-régionaux”. C’était certes l’intention initiale, mais on a vraiment du mal à voir un quelconque effet cluster…

Au final, le Futuroscope n’est pas un technopôle, elle n’en n’a que l’image. Encore une fois, ce n’est pas grave. C’est même plutôt logique, vu la spécialisation du Parc.

Comment réduire le chômage?

C’est le titre d’un point de vue sollicité par L’Humanité, qui avait demandé un texte court (3800 signes) sur le lien emploi et territoires. Texte co-écrit avec Emilie Bourdu, Chargée d’études à la Fabrique de l’Industrie et chercheure associée au CRIEF.

N’hésitez pas à commenter ici où là-bas.

La géographie de Facebook ? La suite d’une longue histoire…

Toujours en train de préparer ma conférence de lundi prochain, où il sera notamment question de la géographie des réseaux sociaux, j’ai découvert une animation pas inintéressante : pour un pays donné, on peut voir dans quels autres pays, prioritairement, sont localisés les “amis” Facebook.

Sans surprise, on découvre que le monde n’est pas plat, que la géographie de Facebook est même très marquée, elle s’explique notamment par des effets de proximité géographique, des effets de proximité linguistique, qu’elle s’explique plus généralement par l’histoire longue des pays. Pour la France, ça donne cette configuration :

Je vous laisser découvrir les résultats pour le pays de votre choix : c’est ici.

La classe créative au secours des villes ?

Je pense que l’une des choses qui m’exaspère le plus, c’est la tendance à succomber aux effets de mode. Je parle de politique publique, de création de richesses, d’emplois. Je parle de la mode des systèmes productifs locaux, des pôles de compétitivité, de l’économie résidentielle, des créatifs… Chaque mode est, d’une certaine façon, une défaite de la pensée.

Puisqu’il faut bien réagir à l’exaspération, je vous signale un lien vers un article intéressant, paru sur la vie des Idées, également disponible en pdf (les tableaux sont plus lisibles). J’aime bien le résumé :

La notion de classe créative a servi à formuler des politiques publiques misant le développement urbain sur les infrastructures susceptibles d’attirer les « concepteurs » de nos sociétés. Mais comme le montrent les résultats d’une enquête européenne, l’hypothèse ne tient pas : développer l’éducation et les infrastructures susceptibles de servir l’ensemble de la population serait une politique bien plus féconde.

Deux remarques : i) l’évidence est plus complexe à démontrer qu’il n’y paraît, ii) le politique a du mal avec l’évidence.

Dis-moi où tu habites, je te dirai pour qui tu votes

Article intéressant dans Le Monde sur les intentions de vote en faveur des trois principaux candidats en fonction de la distance aux grandes agglomérations (Un ensemble plus complet de résultats est disponible sur le site de l’IFOP) :

En forçant le trait, courbe en U pour Hollande et courbes en U inversé pour Sarkozy/Le Pen (dont les courbes sont proches).

Comment expliquer cela? Avant tout par la sociologie, car les inégalités sociales ont une géographie… Pour en trouver une petite preuve dans l’étude de l’IFOP, je me suis amusé à construire un graphique qui reprend les pourcentages de réponse positive à la question suivante :

Les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment.

Sur une des diapositives, on trouve le pourcentage de réponse positive en fonction de l’éloignement aux grandes agglomérations, pour toutes les catégories de personne. Sur une autre diapositive, on trouve ces mêmes pourcentages, mais seulement pour les ouvriers. En compilant, on obtient ce graphique :

 

La courbe est beaucoup plus plate pour les ouvriers que pour l’ensemble de la population (coefficient de variation de 6% pour la population totale contre 3% pour le sous-ensemble des ouvriers). C’est donc moins l’éloignement aux grandes agglomérations que l’appartenance à certaines catégories sociales qui semble compter.

Le titre pourrait donc être : dis-moi où tu habites, je te dirais qui tu es et donc pour qui tu votes…

Poitou-Charentes, région leader

Ce qui est bien avec les statistiques, c’est qu’on peut toujours montrer qu’une région est meilleure que toutes les autres dans au
moins un domaine. Pour Poitou-Charentes, je viens de trouver l’indicateur adéquat : le rapport entre le taux de chômage des femmes et le taux de chômage des hommes. Ce rapport est de 0,7, ce qui
signifie que le taux de chômage des femmes est égal à 70% du taux de chômage des hommes (6,8% contre 9,2%). Ce rapport est le plus faible de France (sur 21 régions = 22 régions métroplitaines
moins la Corse). 4 régions seulement ont un ratio inférieur à 1 (Centre, Limousin, Languedoc-Roussillon et, donc, Poitou-Charentes). A l’autre extrème, on trouve la Bretagne (1,4), l’Aquitaine
(1,3) et les Pays de la Loire (1,3).


choPC.jpg

 

Côté jeunes, elle n’est pas trop mal classée non plus : le ratio taux de chômage des jeunes sur taux de chômage total est de 2,3, ce
qui classe la région au 16ème rang (vous avez compris : plus on est loin dans le classement, mieux c’est). La Bretagne est encore une fois la “pire”, avec un ratio de 3,2. Mais la Lorraine fait
mieux que Poitou-Charentes : ratio de 2,1, meilleure région française (y’a peut-être plus beaucoup de jeunes en Lorraine, faut dire…).

 

Côté chômeurs de longue durée, en revanche, c’est moins bien : 41,7% de l’ensemble des chômeurs, soit le 9ème rang français. La
Bretagne a en revanche le taux le plus faible (26,2%). La Bretagne ne prend pas soin des femmes ni des jeunes, seulement de ses chômeurs de longue durée.

 

Au niveau de l’UE à 27, les ratios sont respectivement de 1 (taux de chômage femmes/taux de chômage hommes), 2,3 (taux de chômage
jeunes/taux de chômage total) et 40,1% (part des chômeurs de longue durée).

 

source.