Présidentielle 2017, répétition, pédagogie et sourire nostalgique…

Évocation rapide de quelques sujets connexes.

Taux de chômage des jeunes

J’ai lancé mon blog en 2006, pendant les manifestations autour du CPE, fac bloquée, plein de temps pour tester ce que c’était qu’un blog. Mon sujet favori, en plein dans l’actualité, était d’écrire des billets pour expliquer la méconnaissance des politiques sur ce qu’était un taux de chômage. Avec un taux de chômage de 25%, la plupart des politiques, de droite comme de gauche, affirmaient à l’antenne qu’un quart des jeunes étaient au chômage. En fait, non, pas du tout, pas 1 sur 4, plutôt 1 sur 12. Parce que si le taux de chômage des jeunes est élevé, ce n’est pas parce que beaucoup de jeunes sont au chômage, mais parce que peu de jeunes sont actifs.

Parce que, pour rappel, le taux de chômage, c’est le rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre d’actifs, c’est-à-dire les personnes en emploi et les personnes à la recherche d’un emploi. Et que les étudiants ne sont pas des actifs. Et que les “jeunes”, c’est 15-24 ans. Donc le taux de chômage des jeunes il augmente mécaniquement quand plus de jeunes poursuivent leurs études. Que donc c’est un indicateur qui ne veut rien dire pour cette classe d’âge, c’est mieux de regarder la part des jeunes au chômage.

C’est donc avec un brin de nostalgie et un léger sourire que j’ai découvert, dix ans plus tard, dans l’interview d’Alain Juppé pour Le Monde daté d’hier, cette affirmation (source ici) :

Ce qui casse le modèle social, c’est d’avoir 600 000 chômeurs en plus depuis quatre ans et 24 % de jeunes sans emploi.

Parents, rassurez-vous, il n’y a pas 24% de jeunes au chômage, cf. supra. 8 ou 9% plutôt.  Dix ans après, les politiques n’ont rien appris. Mais bon, comme on dit, la répétition est la base de la pédagogie. Ça vous a un côté fatiguant de répéter toujours les mêmes choses, mais en même temps, c’est reposant : je vais refaire un topo sur le sujet devant des étudiants lundi, je peux être sûr que ça leur sera utile.

L’électeur médian

Analyse pas inintéressante de Bruno Roger Petit sur le match Sarkozy-Juppé : le premier serait plus futé, il joue le premier tour, il se moque de ce que les gens pensent à gauche, ce sera pour l’entre deux-tours, donc il clive. Le deuxième se trompe, il nous joue un remake de Jospin 2002 affirmant que son programme n’était pas socialiste, il est déjà dans le deuxième tour alors que pour y être, il faut passer le premier.

Pas faux, je me dis, pas très nouveau non plus, ça s’interprète très bien avec la théorie de l’électeur médian, basée sur le modèle de Hotelling, publié en … 1929… J’avais écrit un billet sur le sujet pour les élections 2007, il faudrait l’adapter au contexte actuel, mais franchement, rien de nouveau non plus.

La seule chose intéressante, c’est peut-être celle-là : le plus stratège des deux n’est peut-être pas celui qu’on croit. Jouer les impulsifs, les sanguins, les incontrôlables, ça peut être jouer, toujours, pour gagner, bien sûr.

Retour d’expérience

Cours en Master 1 hier. J’ai donné une consigne aux étudiants, hier, je ne développe pas, ce serait un peu long. Ils devaient faire des choses en autonomie, après. Je passais derrière eux, voir ce qu’ils faisaient. Je me suis rendu compte qu’un des étudiants se plantait grave dans ses recherches.

Plutôt que de redonner la consigne, j’ai demandé à un autre étudiant d’expliquer au groupe la consigne que j’avais donnée (pour tout dire, si j’ai eu cette idée, c’est grâce à un complice de footing du dimanche matin, enseignant au lycée de profession, à qui je racontais mes déboires avec d’autres étudiants, qui ne semblaient pas avoir compris ce que je leur demandais. “Tu leur as demandé de reformuler la consigne”, m’a t’il dit ?). L’étudiant a reformulé.

Un troisième étudiant a réagi, avant que je n’ai rien dit, en expliquant que ce n’était pas ça, la consigne. Un quatrième a réagi, en désaccord avec les précédents, puis un cinquième, puis un sixième, d’accord avec le troisième. Six étudiants, cinq consignes. Je n’en avais donné qu’une. “Nous voilà bien”, ai-je lâché. Rires dans la salle. Je crois que j’ai vécu l’une de mes plus belles expériences d’enseignant.

Conclusion

La répétition est la base de la pédagogie, c’est sûr. Je continuerai donc à expliquer ce que c’est qu’un taux de chômage, pourquoi en se focalisant sur le taux de chômage des jeunes, on rate l’essentiel, que ceux qui souffrent ce sont surtout les personnes sans qualification, que ce serait bien de s’y intéresser, quel que soit leur âge. Que le diplôme compte trop, en France, aussi, que trop de choses sont écrites lorsque l’on a vingt ans.

Je continuerai aussi à expliquer la différence entre “rationalité économique” (que faut-il faire pour que la situation économique, en termes de création de richesses, de réduction du chômage, d’amélioration du bien-être des individus, …, s’améliore) et “rationalité politique” (que faut-il faire pour être élu, quitte à passer pour un illuminé, dire à peu près n’importe quoi, …, si cela peut servir?). Que le modèle de Hotelling, aussi cynique soit-il, n’est pas trop mal pour ça.

Je demanderai plus souvent qu’auparavant aux étudiants, en revanche, ce qu’ils ont compris de ce que je leur ai dit, des consignes passées, de ce qu’ils ont retenu. Il y a loin entre ce que l’on dit et ce qu’ils entendent. Plutôt que de s’en désespérer, je crois que l’essentiel, c’est d’en discuter. Parce que l’essentiel, pour moi, je crois : ce n’est pas qu’ils pensent quelque chose, c’est qu’ils sachent le défendre et expliquer pourquoi.

Petit cours d’économie à l’attention des journalistes du Figaro et du Point qui disent n’importe quoi…

Le Figaro s’est fendu récemment du titre d’article le plus bête du monde : « Selon le FMI, neuf chômeurs français sur dix n’ont aucune chance de retrouver un emploi ». Le Point l’a repris immédiatement. La note du FMI sur laquelle s’est appuyée le Figaro est disponible ici. Elle ne dit pas du tout cela, comme l’explique bien Libération dans cet article.

Comme l’économie est une matière un brin complexe, je vous propose un petit cours, le plus simple possible, pour vous expliquer ce que dit la note, pourquoi le Figaro se trompe, et ce que l’on peut en déduire en matière de lutte contre le chômage.

L’économie française dispose d’un ensemble de ressources potentiellement mobilisables pour produire des biens et services vendus sur les marchés (nationaux et/ou mondiaux) : ressources naturelles, ressources en travail, ressources en capital, connaissances, … Elle se caractérise également par un certain degré de concurrence sur le marché des biens et des services, par certaines règles en matière de fonctionnement du marché du travail et des marchés financiers, par son système de formation, de recherche, par un système juridique, fiscal, social, …, qui influent bien sûr sur les comportements des acteurs. Tout ceci définit les contours de ce que l’on peut appeler les structures de l’économie française.

Compte-tenu de ces structures, on peut calculer la production nationale que l’on pourrait atteindre. Notons-là Y*. Compte-tenu de ce niveau de production potentielle, on peut en déduire un niveau d’emploi L* nécessaire pour l’atteindre, qui, ramené à la population active, permet de calculer un taux de chômage u*. Ce taux de chômage, on peut l’appeler le taux de chômage structurel.

Chaque entreprise ne s’amuse évidemment pas à calculer ce niveau macroéconomique de production pour savoir ce qu’elle va faire : elle s’en moque. Elle cherche plutôt à anticiper ses ventes et décide en fonction de son niveau de production, et donc d’investir ou pas, d’embaucher ou pas, etc. L’agrégation de ces décisions individuelles, les échanges réalisés ensuite sur les marchés, conduisent à la formation de la production non plus potentielle, mais effective. Notons-là Y. On peut déduire de ce niveau de production Y un niveau d’emploi L nécessaire pour l’atteindre, qui, ramené à la population active, permet de calculer un taux de chômage effectif u.

Rien ne garantit que le taux de chômage effectif soit égal taux de chômage structurel. Dans tout un ensemble de cas, en effet, les entreprises se trompent dans leurs anticipations, par exemple suite à une crise, elles ont tendance à se méfier de l’avenir, à investir moins qu’elles ne pourraient, ne serait-ce que par qu’elles « sentent » (ou pensent sentir) que les consommateurs eux-mêmes ont peur de l’avenir et qu’ils consomment moins qu’ils ne pourraient. On observe donc potentiellement un Y<Y* et donc un u>u*. La différence entre u et u* est le chômage que l’on peut qualifier de conjoncturel, résultant de ces inévitables erreurs d’anticipation.

Que dit la note du FMI, alors ?

Que le taux de chômage en France, qui est d’environ 10%, est pour une très large part structurel : le u* de la France serait de 9%. Dit autrement, 90% du chômage français serait d’origine structurelle, 10% d’origine conjoncturelle. C’est pour cela que le Figaro croit pouvoir dire que « 9 chômeurs sur 10 ne pourront jamais retrouver d’emploi ». Mais c’est faux. Éventuellement, on pourrait plutôt dire, si l’on en croit l’analyse du FMI : « 9 chômeurs sur 10 sont au chômage en raison des problèmes structurels de l’économie française ». Le titre du Figaro est sexy et faux, le titre que je propose est moins sexy mais juste. A vous de choisir.

Dire que 90% du chômage est d’origine structurelle, cela signifie que, si on veut le réduire, il faut mettre en place des politiques structurelles afin de faire monter Y* et donc de réduire u*, la note du FMI en listant quelques unes. Si, à l’inverse, le chômage est massivement d’origine conjoncturelle, il faut mettre en place des politiques conjoncturelles afin de rapprocher u de u*.

Prenons l’exemple de la loi El Khomri pour montrer que ces quelques éléments permettent de mieux comprendre les débats entre économistes.

Dans la tribune signée par Piketty et al., défavorable à la loi, le premier argument consiste à dire que la composante conjoncturelle du chômage est importante : la crise a fait passer le chômage en France de 7% à 10%, l’Europe aurait dû mettre en place une politique conjoncturelle (faire de la dépense publique par exemple) pour compenser le faible investissement et la faible consommation privés, ce qu’elle n’a pas fait.

Les autres arguments avancés dans le cadre du débat, ensuite, montrent que les économistes, s’ils reconnaissent tous la nécessité de mettre en place des politiques structurelles, ne sont pas d’accord sur les priorités. La tribune d’Aghion et al. considère que la loi va dans le bon sens en se focalisant sur certaines « règles du jeu » sur le marché du travail, l’autre tribune considère que non, qu’empiriquement il n’y a pas de lien entre protection des salariés et chômage, que le problème se situe plutôt côté système de formation et marché du logement. L’essentiel des débats entre économistes se situent là, d’ailleurs, quels que soient les sujets : quelles sont les politiques structurelles à mettre en œuvre en priorité ?

Je préconise une autre réforme structurelle, qui ne changera pas la face du monde, certes, mais qui ne serait pas inutile : renforcer l’enseignement de l’économie dans les formations suivies par notre élite politique et médiatique…

Inversion de la courbe du chômage : un nouveau petit point

L’Insee vient de mettre en ligne les taux de chômage trimestriels par zones d’emploi (304 zones en France métropolitaine) pour le 4ème trimestre 2015. L’occasion de refaire un point à l’échelle infra-nationale sur la question de l’inversion de la courbe du chômage.

A l’échelle du pays, c’est clair, le chômage stagne : la moyenne simple des taux de chômage par zone d’emploi était à 9,9% fin 2012, 9,8% fin 2013, 10,2% fin 2014 et 10,1% fin 2015. Mais rien ne dit que des choses ne bougent pas à des échelles plus fines.

La dernière fois que je m’étais livré à l’exercice, on observait peu de changement, moins d’une dizaine de zones avaient vu leur taux de chômage baissé. Cette fois, leur nombre est plus important : 75 des 304 zones d’emploi ont un taux de chômage au dernier trimestre de 2015 inférieur à leur taux de chômage au dernier trimestre de 2012. Dans certains cas, la variation est faible, dans d’autres cas, elle est relativement forte.

Pour le montrer, on peut commencer par cartographier l’écart entre les deux taux de chômage (taux 2012 – taux 2015). Une valeur positive signifie que le taux de chômage a baissé, d’autant plus que la valeur est élevée.

inversion

Les zones en bleu sont celles qui ont connu une hausse du chômage ; celles en jaune et en orange ont connu une baisse du taux : entre 0,1 et 0,6 points de pourcentage pour les zones en jaune, entre 0,6 et 1,2 points de pourcentage pour celles en orange.

Vous pouvez découvrir le détail des 75 zones d’emploi ici : le nom de la zone, sa région d’appartenance, le taux de chômage aux deux dates et la variation du taux. Elles sont classées de la plus forte variation à la plus faible. Les 15 zones en orange sont les suivantes :

zone d’emploi région  2012  2015 écart
Douai Nord-Pas-de-Calais-Picardie 14.8 13.6 1.2
Calais Nord-Pas-de-Calais-Picardie 16.8 15.7 1.1
Vesoul Bourgogne-Franche-Comté 10.0 9.1 0.9
Vallée de l’Arve Auvergne-Rhône-Alpes 10.5 9.6 0.9
Lens-Hénin Nord-Pas-de-Calais-Picardie 17.0 16.1 0.9
Ussel Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes 7.8 7.1 0.7
Verdun Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine 11.6 10.9 0.7
Saint-Flour Auvergne-Rhône-Alpes 6.6 5.9 0.7
Limoux Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées 13.6 12.9 0.7
Sens Bourgogne-Franche-Comté 11.3 10.7 0.6
Saint-Malo Bretagne 9.8 9.2 0.6
Château-Thierry Nord-Pas-de-Calais-Picardie 12.2 11.6 0.6
Vendôme Centre-Val-de-Loire 8.7 8.1 0.6
Bar-le-Duc Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine 9.0 8.4 0.6

On peut symétriquement regarder les zones qui ont connu la dégradation la plus forte de leur situation. En voici la liste :

zone d’emploi région 2012 2015 écart
Porto-Vecchio Corse 10.5 12.8 -2.3
Bastia Corse 10.0 11.6 -1.6
Autun Bourgogne-Franche-Comté 9.3 10.8 -1.5
Sartène-Propriano Corse 11.2 12.7 -1.5
Morteau Bourgogne-Franche-Comté 6.5 7.9 -1.4
Troyes Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine 11.2 12.4 -1.2
Ganges Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées 12.6 13.8 -1.2
Menton Vallée de la Roya Provence-Alpes-Côte d’Azur 8.8 10 -1.2
Montereau-Fault-Yonne Ile-de-France 11.0 12.1 -1.1
Guingamp Bretagne 9.5 10.6 -1.1
Carhaix-Plouguer Bretagne 9.4 10.4 -1.0
Montauban Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées 10.9 11.9 -1.0
Céret Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées 15.0 16 -1.0
Orly Ile-de-France 9.9 10.8 -0.9
Romorantin-Lanthenay Centre-Val-de-Loire 9.5 10.4 -0.9
Aubenas Auvergne-Rhône-Alpes 13.0 13.9 -0.9
Nice Provence-Alpes-Côte d’Azur 9.7 10.6 -0.9
Cavaillon-Apt Provence-Alpes-Côte d’Azur 12.4 13.3 -0.9

Comme dit dans un autre billet, attention cependant à l’interprétation des taux de chômage : certaines zones ont un faible chômage qui se conjugue à de faibles créations d’emploi, d’autres un fort chômage mais une dynamique forte de création d’emploi, etc. Il est aussi possible que sur certains territoires, le “renoncement” à chercher un emploi soit plus fort, ce serait à regarder. Cela semble quand même bouger un peu, en positif, notamment dans quelques zones de la nouvelle région “Hauts de France”, particulièrement exposées au problème du chômage.

Economie des migrations

Mercredi dernier, j’ai pris une heure de mon temps de cours auprès des deuxièmes années de licence de sciences économiques pour leur présenter une synthèse des études économiques consacrées à la question des migrations. Vu le contexte, c’était une façon de commencer à passer d’une phase “émotion” à une phase “réflexion”, en traitant un sujet connexe qui risque de resurgir, celui de l’impact des migrations sur l’économie d’un pays comme la France.

Comme je leur ai expliqué, si certains sujets font débat entre économistes, celui-ci, pas du tout : les résultats sont clairs et convergents et conduisent à rejeter les idées qui circulent sur la question (en France, les spécialistes du sujet, côté économie, sont notamment E. M. Mouhoud et L. Ragot, je vous conseille de les lire, vous trouverez rapidement certains de leurs écrits sur le net).

J’ai organisé mon propos en passant en revue quatre de ces idées : 1) la France et l’Europe accueillent toute la misère du monde, 2) l’immigration conduit à un accroissement du chômage, 3) les immigrés pèsent sur les budgets publics, compte-tenu des prestations qu’ils reçoivent, 4) l’immigration choisie serait cependant la solution. Je vous laisse découvrir mon diaporama (version pdf ici), avant de résumer les principales idées.

Sur le point 1, les migrations dominantes sur la planète ne sont pas les migrations Sud-Nord (37% de l’ensemble environ), mais les migrations Sud-Sud et Nord-Nord (60%). La France se situe dans la moyenne, assez loin dans le classement des pays de l’UE ou de l’OCDE si on raisonne sur la part des flux récents, un peu en dessous de la moyenne si on raisonne en stock.

Sur le point 2, sans doute le plus important car le plus contre-intuitif : l’immigration ne fait pas monter le chômage. Si vous pensez cela, il faut que vous pensiez aussi que la montée de l’activité des femmes doit faire monter le chômage, idem si on décale l’âge de départ à la retraite, puisqu’à chaque fois, ce sont des gens en plus qui peuvent participer. En fait, la faille dans le raisonnement banal, c’est que l’on considère que le nombre d’emplois disponibles dans une économie est comparable à un gâteau de taille donnée : si plus de gens veulent participer, il faudrait couper des parts plus petites (réduction du temps de travail par exemple) ou bien exclure certains convives, qui n’auront pas le droit de manger du gâteau, à commencer par les migrants (on l’entend moins pour les femmes aujourd’hui, mais je ne doute pas que certains le pensent encore).

Or, les choses ne marchent pas comme cela : des gens en plus qui participent, ce sont aussi des consommateurs en plus, qui font monter le niveau de l’activité économique et donc les besoins en emplois. Pour filer la métaphore, le système économique a ceci de “magique” que, si vous avez plus d’invités, votre gâteau grossit très rapidement. Toutes les études sur différents pays et différentes périodes le montrent, la migration n’a pas d’effet sur le niveau de chômage. Les seuls qui sont parfois lésés, ce sont en fait les générations précédentes de migrants, pas les natifs…

Sur le point 3, pour le cas français, les migrants rapportent plus qu’ils ne coûtent. Sur l’aspect chômage, ce n’est pas le cas, car ils ont un taux de chômage plus élevé et des salaires plus faibles en moyenne, dont ils reçoivent plus qu’ils ne cotisent. Mais ceci est plus que compensé par les budgets retraites et santé : les migrants sont jeunes, ils ont massivement entre 25 et 50 ans, ils sont donc très nombreux à cotiser pour la retraite mais très peu perçoivent des pensions. Côté santé, ils recourent moins au système de soins que les natifs. Au global, on estime qu’ils contribuent pour 12 milliards d’€ aux budgets publics, soit, en moyenne, 2250€ par immigré.

Sur le point 4, il y a un énorme problème de faisabilité dans le discours “immigration choisie” : qui choisit ? qui est capable d’anticiper les besoins de l’économie à horizon de 5 ans ? On reste dans le mythe d’un planificateur omniscient, qui n’existe pas. Si on passe sur ce problème, les études montrent que l’intérêt de “choisir” ses migrants peut être avantageux à court terme, moins à long terme. A court terme, puisque les migrants que l’on veut choisir sont plutôt des personnes qualifiées, qui vont donc percevoir des salaires plus élevés, leur contribution aux budgets publics sera plus forte que si l’on accueille des personnes à plus faibles qualifications, donc plus souvent au chômage et bénéficiant de salaires plus faibles. Mais à long terme, c’est moins évident : les personnes à plus haut revenu ont une espérance de vie plus longue et recourent plus au système de santé.

J’ai conclu en indiquant que les idées qui circulent sont largement démenties par les études sérieuses consacrées au sujet. Ce qu’aucun politique n’ose dire : certains font de l’immigration la source de tous nos maux, les autres en font un sujet tabou dont on ne parle pas. Je rêve d’entendre un responsable national le clamer haut et fort, j’ai peur que ce ne soit pas demain la veille…

Croissance de l’emploi et croissance du chômage : quelle(s) relation(s) ?

Dans mon dernier billet consacré à la géographie des taux de chômage, j’indiquais en conclusion qu’il ne fallait pas aller trop vite en besogne lorsqu’on observait un taux de chômage faible sur un territoire donné : un taux de chômage faible est compatible avec un territoire dynamique en matière de création d’emploi, mais aussi avec un territoire déprimé, les personnes à la recherche d’un emploi prospectant hors zone.

Pour avancer un peu sur cette question, j’ai collecté des données sur le chômage et sur l’emploi total par zone d’emploi (304 zones en France métropolitaine), sur la période la plus longue disponible sur le site de l’Insee, à savoir la période 2003-2012.

Première exploration très simple : j’ai calculé le taux de croissance annuel moyen pour les deux indicateurs et la corrélation entre ces deux variables. On s’attend à ce que le taux de croissance du chômage soit lié négativement au taux de croissance de l’emploi. Est-ce le cas ?

cho_empL’allure du nuage de points semble indiquer que c’est le cas, ce que confirme l’estimation de la régression : une hausse de 1% du taux de croissance de l’emploi se traduit par une baisse de 0,6% du taux de croissance du chômage, le coefficient est significatif au seuil de 1%. La qualité de la relation est cependant assez faible, le R² étant de 23% (en gros, les différences de taux de croissance de l’emploi n’expliquent “que” 23% des différences de taux de croissance du chômage).

Deuxième exploration, plus intéressante je trouve : je me suis focalisé sur le quart des zones d’emploi qui présentent les plus faibles taux de chômage en 2012. Pour cadrer les choses, en 2012, la moyenne simple des taux de chômage est de 9,4% ; la valeur minimale est de 4,5%, la valeur maximale de 16,8%. Le premier quartile, qui permet de repérer les 25% de zones aux plus faibles taux de chômage, est de 7,8%.

J’ai ensuite calculé la médiane du taux de croissance annuel moyen de l’emploi sur 2003-2012 : elle est de 0,06% (ce qui signifie que 50% des zones ont un taux de croissance inférieur à cette valeur et 50% un taux supérieur). Idem pour le taux de croissance du chômage, la médiane est de 2,1%. On peut alors ranger les 76 zones d’emploi qui ont les plus faibles taux de chômage dans quatre cases :

croissance du chômage
faible forte Total
croissance de l’emploi faible 11 14 25
forte 30 21 51
Total 41 35 76

Les situations attendues sont les 30 zones qui ont une forte croissance de l’emploi (c’est-à-dire un taux de croissance supérieur à la médiane)  et une faible croissance du chômage (croissance du chômage inférieur à la médiane) et les 14 zones qui ont une faible croissance de l’emploi et une forte croissance du chômage, soit 44 zones sur les 76. Situation moins attendue pour les 32 autres zones : 11 zones connaissent une faible croissance de l’emploi qui n’entame pas leur taux de chômage, on peut penser qu’il s’agit de zones peu dynamiques qui ont tendance à voir partir leurs actifs ; 21 zones connaissent une croissance forte de l’emploi et du chômage, elles restent cependant dans le quartile des plus faibles taux de chômage en 2012, signe peut-être que ces zones attirent des actifs mais ne peuvent répondre à l’ensemble de la demande.

J’ai construit la carte permettant de visualiser ces quatre ensembles de zones (la taille des cercles est proportionnelle au nombre d’emploi en 2012) :

carteLa situation sans doute la plus enviable concerne les zones en vert : forte croissance de l’emploi, faible croissance du chômage. On trouve quelques grandes villes (Nantes, Rennes, Grenoble, des zones d’Ile-de-France comme Saclay), des villes de taille moyenne (Niort, Besançon, Pau, …) et des territoires de plus petite taille (Le Blanc, Chinon, Pontarlier, Bressuire, …).

Les zones en jaune présentent une croissance de l’emploi et du chômage supérieure à la médiane. On y trouve principalement des villes de taille moyenne, comme Poitiers, La Roche-sur-Yon, Cholet, le Genevois Français, …

Les zones en rouge présentent une faible croissance de l’emploi et du chômage. Toutes (sauf la zone d’emploi de Houdan) présentent un taux de croissance de l’emploi négatif. On y trouve quelques zones d’Ile-de-France (Houdan, Rambouillet, Etampes), des villes de l’Est (Wissembourg en Alsace, Morteaux ou Saint-Claude en Franche-Comté) et du centre de la France (Ussel, Mauriac, Saint-Flour).

Les zones en bleu, enfin, combinent croissance faible de l’emploi et croissance forte du chômage. Presque toutes ont également un taux de croissance de l’emploi négatif, elles sont plutôt de moyenne et petite taille. On y trouve Nemours, Epernay, Laval, Tulle, Aurillac, …

Si vous voulez le détail de ces zones, vous pouvez télécharger ce document (pdf) qui reprend leur nom, l’emploi en 2012, les taux de chômage 2003 et 2012 ainsi que les taux de croissance de l’emploi et du chômage entre les deux dates.

Pour conclure : il y a toujours des limites à ce type d’exercice, on rate notamment ici les interdépendances entre les zones d’emploi. On voit sur la carte que des zones proches sont dans des situations différentes, sans doute certains mouvements entre zones expliquent-ils ce que l’on observe. Il faudrait pour le savoir travailler sur des données de flux, analyser par exemple l’évolution des déplacements domicile-travail entre ces zones. Affaire à suivre, donc…

Géographie des taux de chômage : entre inertie et mobilités

Je participe lundi après-midi à une table ronde intitulée “Quelles politiques pour favoriser l’activité et l’emploi partout en France ?” dans le cadre du colloque annuel du Conseil d’Orientation pour l’Emploi “Emploi et Territoires”. L’occasion d’échanger côté chercheurs avec Etienne Wasmer et Jacques Levy. Je me rends ensuite sur Lyon, dans le cadre des Journées de l’économie, pour participer à une table ronde intitulée “Métropoles : l’impact sur les territoires”, où j’échangerai notamment avec Eric Charmes.

Beaucoup de choses à dire dans les deux cas. Cela m’a donné envie également de creuser un peu sur la question de la géographie des taux de chômage de manière plus sérieuse que dans mon précédent billet, car on regarde assez peu le problème du chômage à des échelles fines, on se focalise un peu trop sur les analyses macroéconomiques me semble-t-il. Pour cela, j’ai collecté les taux de chômage annuels par zone d’emploi de France métropolitaine (304 zones d’emploi) sur la période 2003-2014. Voici quelques résultats.

On peut d’abord représenter la distribution d’ensemble des taux de chômage en 2003 et en 2014 ; on s’aperçoit d’une part qu’elle se déplace vers la droite, signe de l’accroissement généralisé du chômage entre les deux dates, et d’autre part que la distribution est plus aplatie, signe d’une dispersion plus grande des taux de chômage.

choOn peut ensuite calculer les quartiles ou les déciles de taux de chômage, ce qui permet de vérifier cette évolution d’ensemble et de mesurer plus précisément la forte variation des taux de chômage selon les territoires.

déciles 2003 2014
minimum 4 4.8
d1 5.5 7.3
d2 6.3 8
d3 6.7 8.6
d4 7.1 9.1
d5 7.6 9.75
d6 8.1 10.2
d7 8.6 10.9
d8 9.2 11.8
d9 10.5 13.1
maximum 14.7 17.9

10% des zones d’emploi ont un taux de chômage inférieur à 5,5% en 2003 et à 7,3% en 2014 ; 10% des zones ont un taux de chômage supérieur à 10,5% en 2003 et à 13,1% en 2014. Le rapport d9/d1 baisse un peu, mais il reste élevé, passant de 1,9 à  1,8. En gros, le chômage varie du simple au double selon les territoires.

Au-delà de ces quelques chiffres, je voulais surtout voir si la situation relative des zones avait évolué sur la période : les zones les moins performantes en 2003 sont-elles toujours les moins performantes en 2014 ? Quid pour les zones les plus performantes ?

Pour cela, une façon de faire consiste à ranger les zones d’emploi par quartiles ou déciles en 2003, refaire l’exercice en 2014 et voir si certaines zones passent d’une classe à l’autre entre les deux périodes. Voici ce que cela donne en retenant les quartiles :

q1 q2 q3 q4
q1 63 17 3
q2 14 42 22 1
q3 1 12 39 16
q4 3 15 56

Guide de lecture : 63 zones d’emploi appartenant au premier quartile de taux de chômage en 2003 appartiennent toujours au premier quartile en 2014, 17 sont passées au deuxième quartile, 3 au troisième quartile.

On peut calculer un “indicateur d’inertie”, correspondant à la part des zones restant dans la même classe entre les deux dates : il est de 66%, signe que la géographie des taux de chômage bouge lentement.

Elle bouge malgré tout : 19% des zones voient leur situation relative se dégrader, 15% s’améliorer. Mais attention, on peut avoir des effets de seuil, une zone juste en dessous d’un quartile en 2003 passant juste au-dessus en 2014. Pour éviter ce genre de biais, on peut regarder les zones qui se sont déplacés de plus d’une classe entre les deux dates : elles sont 4 dans chaque sens quand on se focalise sur les quartiles.

Gien, Carhaix-Plougher et Vesoul passe de la classe 1 à la classe 3 ; Digne-les-Bains de la classe 2 à la classe 4. Forte dégradation relative pour ces territoires. A contrario, Ajaccio passe de la classe 3 à la classe 1 ; Autun, Cherbourg-Octeville et Aix-en-Provence de la classe 4 à la classe 2. Forte amélioration pour ces territoires.

J’ai reproduit le même exercice en m’appuyant cette fois sur une typologie plus fine, celle des déciles. 227 zones (75%) restent dans le même décile ou passent dans un décile juste voisin ; 32 zones (10%) voient leur situation relative s’améliorer assez nettement (déplacement de plus de deux classes vers des classes à taux de chômage plus faibles) ; 45 zones (15%) voient leur situation se dégrader assez nettement (déplacement de plus de deux classes vers des classes à taux de chômage plus forts). Voici la carte représentant ces zones (je n’ai pas représenté la zone d’emploi de Paris pour que la carte soit plus lisible, cette zone est une de celles qui voient leur situation s’améliorer nettement, puisqu’elle passe de la classe 8 à la classe 4) :

carte_choLa taille des cercles est proportionnelle au nombre d’emploi en 2012. Les zones en rouge sont celles qui voient leur situation s’améliorer nettement, celles en bleues voient leur situation se dégrader nettement. Attention à ne pas faire de mauvaises interprétations : on ne sait pas dans quel classe initiale étaient ces zones, ce que permet de repérer la carte, ce sont les zones qui ont bougé le plus dans la distribution.

Si on veut repérer les zones qui sont dans la meilleure situation, on peut retenir plutôt celles qui appartiennent à la première classe de taux de chômage en 2014 (taux inférieur à 7,3%). Elles sont au nombre de 33. Parmi elles, 24 étaient déjà dans la première classe en 2003, 8 sont passées de la classe 2 à la classe 1 et une zone est passée de la classe 3 à la classe 1 (Limoux). Voici le tableau puis la carte associée :

code ZE nom ZE taux 2003 taux 2014
1109 Houdan 4.8 4.8
1112 Rambouillet 4.9 5.7
1113 Plaisir 5.6 6.3
1116 Saclay 5.5 6.4
2506 Avranches 5.1 6.8
2510 Saint-Lô 5.3 7.2
4201 Haguenau 5.9 7.2
4202 Molsheim-Obernai 4.6 6.7
4206 Wissembourg 5.5 6.1
4303 Morteau 5.4 6.8
4304 Pontarlier 5.5 6.9
4306 Lons-le-Saunier 5.3 6.5
5201 Ancenis 5.1 6
5206 Cholet 5.6 7.3
5208 Segré 4.4 7.2
5209 Laval 5 6.9
5210 Mayenne 4.6 6.7
5217 Les Herbiers 4 5.7
5304 Loudéac 4.3 6.9
5314 Vitré 4.2 5.4
5412 Bressuire 5.9 7
7213 Oloron-Sainte-Marie 6.3 7.3
7304 Rodez 4.4 6.3
7401 Tulle 4.4 6.4
7402 Ussel 6.5 7.3
8202 Bourg-en-Bresse 4.7 7.2
8213 Villefranche-sur-Saône 5.8 6.9
8218 Annecy 6.1 6.5
8221 Mont Blanc 5 6.2
8304 Aurillac 5.5 6.9
8305 Mauriac 5.7 5.5
8306 Saint-Flour 5.3 6.2
9113 Lozère 4.7 6

La carte :

carte2On observe des effets de proximité géographique plutôt intéressants. Là encore, prudence dans l’interprétation : certaines zones peuvent connaître de très faibles taux de chômage, parce que ces territoires “se vident”, les personnes recherchant un emploi prospectant hors zone. Ce n’est pas le cas de toutes les zones représentées, mais sans doute de certaines d’entre elles.

Pour aller plus loin, il faudrait en fait étudier le lien entre croissance de l’emploi et taux de chômage, toutes les combinaisons étant possibles (forte croissance de l’emploi et faible chômage, forte croissance de l’emploi et fort chômage, etc). Disons que ce sera pour un prochain billet.

Inversion de la courbe du chômage : où en est-on ?

Il y a deux ans, j’avais écrit un petit billet sur la question de l’inversion de la courbe du chômage, en brassant des statistiques non pas France entière, mais à l’échelle des zones d’emploi (304 zones d’emploi en France métropolitaine). A l’époque, seules deux zones d’emploi avaient vu leur taux de chômage baisser entre le deuxième trimestre 2012 et le deuxième trimestre 2013 : Issoire et Bar-le-Duc.

Etant “tombé du lit” plus tôt que prévu ce matin, j’ai décidé de refaire un petit point sur la question, plutôt que de chômer.

J’ai donc récupéré les données Insee par zones d’emploi (téléchargeables ici), la dernière livraison courant jusqu’au premier trimestre 2015. Je me suis concentré sur le premier trimestre de chaque année depuis 2012.

Pour dire des choses sur la distribution géographique des taux de chômage, on peut tout d’abord construire des “boîtes à moustaches”, qui permettent de visualiser la valeur minimale, la valeur maximale et les quartiles (le deuxième quartile correspondant à la médiane).

boxplotOn voit assez clairement une augmentation du taux de chômage entre 2012 et 2013 (min, max, médiane, quartiles), une légère baisse entre 2013 et 2014, puis une remontée en 2015.

On peut ensuite dénombrer les zones ayant connu une inversion de leur courbe de chômage entre le 1er trimestre 2012 et le 1er trimestre 2015, afin de voir si les choses ont changé depuis ma dernière analyse. Résultat ? Sur le nombre de zones, rien de changé, il n’y en a toujours que deux. Mais ce n’est plus Issoire et Bar-le-Duc, c’est Mauriac (le taux passe de 5,7% à 5,5%) et Nevers (de 9,6% à 9,3%).

Si je prends comme point de départ le deuxième trimestre 2012 (ce que j’avais fait la dernière fois) et comme point d’arrivée le premier trimestre 2015 (on peut s’y risquer car les données sont corrigées des variations saisonnières), elles sont huit :

zone d’emploi 2012 (T2) 2015 (T1)
Mauriac 5.6 5.5
Vallée de l’Arve 9.7 9.3
Ussel 7.5 7.4
Saint-Gaudens 10.9 10.6
Bar-le-Duc 8.8 8.6
Charolais 8.1 7.9
Nevers 9.7 9.3
Soissons 13.3 13.1

On retrouve Bar-le-Duc (mais pas Issoire) et différentes zones qui toutes ont connu une baisse du taux de chômage, mais avec des niveaux très hétérogènes.

Quelle conclusion peut-on tirer de tout cela ? D’abord que les taux de chômage varient fortement selon les territoires. Ensuite que l’évolution des taux de chômage sur les territoires semble suivre la tendance macro-économique, puisque rares sont les zones qui connaissent une évolution opposée à l’évolution nationale.

Pour finir, un petit zoom sur les zones d’emploi de Poitou-Charentes, qui confirme ces conclusions :

cho_pcLes différences sont fortes entre les zones, avec un taux faible sur Bressuire et assez faible sur Niort et Poitiers, et des taux forts sur Rochefort, Royan, Angoulême, Saintes et la Rochelle. Les évolutions sont de plus assez similaires, pas de bouleversement dans le classement.

Pour avoir commencé à regarder ces mêmes statistiques mais sur plus longue période (en gros depuis la fin des années 1980), ce n’est pas nouveau. Ce qui n’est pas sans poser la question de l’efficacité des politiques locales de l’emploi, soit dit en passant…

Hausse du niveau de formation et chômage : évitez de dire trop de bêtises…

Le Cereq a publié un document intitulé “Sortants du supérieur : la hausse du niveau de formation n’empêche pas celle du chômage”. Ce document exploite les enquêtes à trois ans des sortants du système éducatif de la génération 2004 (enquêtés en 2007) et de la génération 2010 (enquêtés en 2013).

Résultat : le taux de chômage augmente pour toutes les catégories de sortants, passant par exemple de 6,8% à 10,2% pour les Masters et de 7,3% à 11,2% pour les bacs +2 ou 3 ; seuls les docteurs voient leur taux de chômage reculer.

Pierre Dubois s’en inquiète sur son blog en titrant “sorties du sup : quel gâchis !”. Le Monde a également publié un article sur le sujet en interrogeant deux sociologues, Marie Duru-Bellat et Camille Peugny, la première dénonçant la course au diplôme et expliquant “Tout le monde ne peut pas être ingénieur ou manageur. Le marché des diplômés est mondial, et la concurrence est forte.” (sic…)

Je suis allé chercher les données dans le document du Cereq pour me livrer à quelques calculs complémentaires. En effet, déduire de la hausse du taux de chômage des diplômés de Master que faire un Master ne sert à rien est ridicule si, dans le même temps, la situation macroéconomique s’est dégradée, poussant à la hausse le taux de chômage de l’ensemble de la population. Il convient donc d’étudier l’évolution relative du taux de chômage par niveau de diplôme. D’où les deux tableaux suivants :

G2004 G2010 G2010/G2004
non diplômés de l’ESR 15,8 23,1 1,46
bac+2 et +3 7,3 11,2 1,53
M1 et M2 6,8 10,2 1,50
Doctorat 7 5,8 0,83
Ensemble 8,7 13 1,49
taux insee 7,1 9,9 1,39

Les cinq premières lignes de ce premier tableau reprennent les données Cereq par niveau de diplôme et pour l’ensemble des sortants (ligne “ensemble”). La dernière ligne correspond aux taux de chômage, récupérés sur le site de l’Insee, pour l’ensemble de la population. On constate que, hormis les docteurs, les taux de chômage ont tous été multipliés en gros par 1,5, un peu plus pour les bacs+2 et 3, un peu moins pour les non diplômés. Le résultat principal est ailleurs : la crise a affecté plus fortement les sortants du système éducatif que l’ensemble de la population, dont le taux de chômage n’a été multiplié “que” par 1,4.

Deuxième tableau, qui rapporte les taux de chômage de chaque catégorie au taux de chômage des non diplômés de l’enseignement supérieur :

G2004 G2010 G2010/G2004
non diplômés de l’ESR 1,00 1,00 1,00
bac+2 et +3 0,46 0,48 1,05
M1 et M2 0,43 0,44 1,03
Doctorat 0,44 0,25 0,57
Ensemble 0,55 0,56 1,02
taux insee 0,45 0,43 0,95

Ces ratios permettent de dire des choses sur l’intérêt de poursuivre ses études : être diplômé de l’enseignement supérieur plutôt qu’être non diplômé divise par plus de deux le risque d’être au chômage…

Conclusion? i) La crise explique une bonne part de l’évolution du taux de chômage des sortants du système éducatif, ii) elle les touche plus fortement que les générations déjà présentes sur le marché du travail, iii) poursuivre ses études reste le meilleur moyen de se prémunir du risque de chômage, la protection absolue est moins bonne mais la protection relative est globalement stable (comme le dit d’ailleurs Camille Peugny dans l’article du Monde).

Précision importante : dans les tableaux ci-dessus, les non diplômés sont les non diplômés de l’enseignement supérieur. Des jeunes qui ont entamé des études supérieures mais n’ont pas réussi à décrocher un diplôme. Dans cet autre document du Cereq, vous constaterez que les non diplômés dans leur ensemble ont vu leur taux de chômage être multiplié par 1,5 (il passe de 32% à 48%), quant aux diplômés du secondaire (CAP, BEP, Bac), il a été multiplié par 1,67 (de 15% à 25%). Ce sont les diplômés du secondaire qui ont vu leur situation se détériorer le plus et c’est l’ensemble des non diplômés qui est le plus exposé au risque de chômage (taux de près de 50%…).

Pour conclure, je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème avec le fonctionnement du marché du travail français et du système éducatif français. De manière générale, il me semble que les diplômes comptent beaucoup trop en France et qu’un jeune ayant raté la marche autour de ses 18 ans risque d’en souffrir toute sa vie professionnelle, bien plus que dans d’autres pays. Il n’en demeure pas moins que, dans ce contexte, poursuivre ses études reste le comportement le plus rationnel pour accéder à l’emploi et obtenir des rémunérations plus importantes.

La géographie des taux de chômage

L’Insee vient de publier les taux de chômage par zone d’emploi de 2003 à 2013. Les zones d’emploi (304 pour la France métropolitaine) sont un découpage géographique intéressant de l’espace français, basé sur les migrations domicile-travail.

Sur la base des chiffres publiés, on peut représenter la distribution des taux de chômage aux deux dates, en rouge la courbe pour 2003, en bleu la courbe pour 2013 :

tx_cho

Deux choses : i) la courbe se déplace vers la droite, signe d’un accroissement du taux de chômage pour la grande majorité des territoires français, ii) la distribution est plus étalée en 2013, signe d’une plus grande dispersion des taux de chômage.

Je me suis ensuite amusé (il en faut peu pour amuser un économiste) à calculer la corrélation entre le taux de chômage 2013 et le taux de chômage 2003. L’idée est la suivante : si la corrélation est très bonne, cela signifie que les zones qui avaient un plus fort taux de chômage en 2003 ont toujours un plus fort taux de chômage en 2013. Résultat des courses : la corrélation est très bonne, ce qu’on peut voir sur ce graphique.

corr

En clair, vous prenez le taux de chômage de 2003 de votre zone d’emploi, vous le multipliez par 1,07, vous ajoutez 1,58% et vous obtenez le taux de chômage 2013. Le R² est de 0,82, ce qui signifie en gros que les taux de chômage de 2003 “expliquent” 82% des différences de taux de chômage en 2013. Bref : ça ne bouge pas beaucoup…

Rien n’empêche cependant de regarder les zones pour lesquelles le taux de 2003 explique le moins bien le taux de 2013, soit en positif (elles devraient avoir un taux plus fort en 2013) ou en négatif (elles devraient avoir un taux plu faible). Je me suis concentré sur les 10% des zones les moins bien expliquées, 5% de chaque côté soit 15 zones.

Pour les zones dont le taux de chômage observé est plus fort que celui attendu, on obtient cela :

code libellé taux en 2003 taux en 2013 taux prédit
2416 Gien 6,3 11,0 8,4
2417 Montargis 8,1 12,9 10,3
9101 Carcassonne 8,6 13,1 10,8
2204 Laon 8,6 13,0 10,8
9102 Limoux 8,9 13,3 11,1
8220 Vallée de l’Arve 6,2 10,3 8,2
5307 Carhaix-Plouguer 5,7 9,7 7,7
4208 Mulhouse 7,4 11,5 9,5
2202 Tergnier 11,2 15,5 13,6
4114 Saint-Dié-des-Vosges 10,0 14,2 12,3
2203 Thiérache 12,8 17,2 15,3
4105 Commercy 8,0 12,0 10,2
7301 Foix-Pamiers 8,1 12,1 10,3
7302 Saint-Girons 8,6 12,6 10,8
4106 Verdun 7,8 11,7 10,0

Les deux premiers chiffres des codes des zones d’emploi correspondent à leur région d’appartenance. Les deux premières zones dont les scores sont les pires sont en région Centre (code 24), il s’agit de Gien et Montargis. On trouve également deux zones en Languedoc-Roussillon (code 91), deux en Picardie (code 22), deux en Lorraine (code 41) et deux en Midi-Pyrénées (code 73).

Pour les zones dont le taux de chômage est plus faible que le taux attendu, on obtient cet autre tableau :

code libellé taux en 2003 taux en 2013 taux prédit
9406 Corte 8,1 8,8 10,3
1108 Provins 8,5 9,2 10,7
8218 Annecy 6,1 6,6 8,1
2101 Charleville-Mézières 12,1 13,0 14,6
2607 Autun 9,0 9,6 11,3
2507 Cherbourg-Octeville 9,0 9,6 11,3
1109 Houdan 4,8 4,9 6,7
8305 Mauriac 5,7 5,8 7,7
9401 Ajaccio 8,3 8,5 10,5
9315 Toulon 10,5 10,7 12,9
9308 Aix-en-Provence 9,3 9,4 11,6
5303 Lannion 9,4 9,5 11,7
1101 Paris 8,7 8,7 10,9
2414 Romorantin-Lanthenay 10,3 10,0 12,6
9405 Calvi-L’Île-Rousse 11,3 10,4 13,7

Cette fois, les régions Corse (code 94) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (code 93) dominent (5 des 15 zones), effet économie résidentielle, peut-être. L’Ile de France (code 11) suit, avec Provins, Houdan et Paris.

En résumé : la géographie de l’économie bouge assez peu. C’est un résultat récurrent des recherches sur le sujet, qu’il convient de garder en tête : si un élu vous promet qu’il va tout changer en quelques années, soyez sûr d’une chose, il se trompe… Ce qui ne signifie pas pour autant que tout soit écrit : certains territoires connaissent des évolutions relatives plus favorables, d’autres moins favorables. Reste à en comprendre les raisons, ce que le petit exercice statistique auquel je viens de me livrer ne permet pas : il faut ensuite aller sur le terrain, pour comprendre la spécificité des évolutions observées. Ce que les économistes font rarement. Mais c’est un autre sujet.

Inversion de la courbe du chômage : Issoire et Bar-le-Duc y sont déjà !

L’Insee vient de publier les taux de chômage par zones d’emploi pour le deuxième trimestre 2013.

L’occasion de regarder autrement la situation de l’économie française : plutôt que de se focaliser sur un indicateur macro-économique (taux de chômage pour l’ensemble de l’économie française), on peut analyser la distribution des taux de chômage par zone d’emploi, car les situations sont très hétérogènes selon les territoires.

A titre d’illustration, j’ai collecté les taux de chômage pour le 2ème trimestre 2012 et pour le deuxième trimestre 2013 des 304 zones d’emplois de France métropolitaine. On peut alors construire ce graphique :

GraphTous les indicateurs augmentent : taux de chômage minimum (de 4,7% à 5,2%), taux de chômage maximum (16,8% à 17,9%), la médiane (9,6% à 10,3%).

Au deuxième trimestre 2013, les taux de chômage les plus faibles sont observés pour Houdan (5,2%), Les Herbiers (5,9%) et Wissembourg (6,1%). Les plus forts pour Agde – Pézenas (17,9%), Calais (17,7%) et Lens – Hénin (17,7%).

Certaines zones sont-elles déjà parvenues à inverser la courbe du chômage ? Sur les 304 zones, seules 2 sont dans cette situation, toutes les autres ont vu leur taux de chômage augmenter. Il s’agit de Bar-le-Duc (passage de 9% à 8,9%) et Issoire (9,6% à 9,5%). On pourrait ajouter Saint-Gaudens (12,8% aux deux dates). La dégradation la plus forte concerne Morteau, avec une hausse de plus de 21% du taux de chômage, mais ils partaient de bas (passage de 6,1% à 7,4% du taux de chômage).