Transformation de l’industrie

J’ai expliqué à plusieurs reprises ici que la baisse tendancielle des effectifs de l’industrie ne résultait pas d’un déménagement massif vers
les pays en développement mais, pour une bonne part, d’une tendance des entreprises industrielles à externaliser un nombre croissant d’activités auprès d’entreprises relevant des services
(
dernier billet en date ici).

Le dernier numéro d’Insee Première illustre plutôt bien le propos, en se focalisant sur la sous-traitance des
tâches liées aux nouvelles technologies. Il montre qu’en 2006, 29% des entreprises de plus de dix salariés confient de telles tâches à des prestataires extérieurs. Tous les secteurs sont bien sûr
concernés, à commencer par l’énergie et la finance. S’agissant de l’industrie, la proportion des entreprises ayant sous-traité de telles tâches est de 33%.

On apprend également que 94,9% des prestataires sollicités sont localisés en France, 6,7% dans l’UE et 2,8% hors UE : on externalise beaucoup, mais très peu à l’international. Ceci ne signifie
pas nécessairement qu’il n’y a pas de problématique spatiale : ce point n’est pas traité dans l’étude, mais on peut penser que les entreprises externalisant des fonctions TIC s’en remettent à des
prestataires localisés de manière privilégiée dans de grandes agglomérations. D’où problème éventuel pour les territoires “périphériques”, qui peuvent perdre des effectifs industriels, non
compensés par une hausse des effectifs du tertiaire industriel.

La proportion de 29% observée en France est sensiblement inférieure à la moyenne de l’UE à 27 (proportion de 44%, qui monte jusqu’à 76% au Danemark). Cet écart n’est pas synonyme de “retard”, il
peut s’expliquer par exemple par des différences de spécialisation. On peut s’attendre néanmoins à un accroissement de la sous-traitance, dans ce domaine comme dans d’autres, et donc à une
poursuite de la baisse des emplois dans l’industrie, et de la hausse des emplois dans le tertiaire industriel. Les déclinologues pourront donc continuer à se lamenter, en ne regardant que la
première tendance. Et moi, je pourrais continuer à me lamenter de ces lamentations, en intégrant la deuxième…

Michel Edouard a-t-il poussé à la grève dans la grande distribution?

Curieux
billet
de Philippe Askenazy dans Le Monde, titré “pricing out”. Ou plutôt, curieuse application à la grande distribution. Je m’explique, en reprenant d’abord l’argumentation d’Askenazy.
Qu’est-ce que le pricing out?

“Un acteur menace votre position sur un marché grâce à des coûts plus faibles ou à un concept plus innovant. La solution : lui
faire augmenter ses prix, par exemple en accroissant ses coûts, et ainsi réduire sa capacité de nuisance sur vos propres marges. Votre concurrent est “pricé-out”. L’usage de cet outil est en
plein essor en France, en particulier dans le commerce.”

Appliqué à l’affaire Amazon/distributeurs classiques de livres, ça marche plutôt bien. Là où je tique, c’est quand Askenazy étend l’analyse à
la grande distribution :

“Depuis le lancement en 2005, par la Commission européenne, de la procédure contre la loi Raffarin, d’inventifs dirigeants de
grandes enseignes françaises ont mûri un plan B : le pricing out de ces dangereux concurrents en augmentant le coût du travail. Pour cela, il suffit d’améliorer la convention collective
de branche, qui, une fois étendue par le gouvernement, s’applique aux discounters.”


En clair, les responsables de la grande distribution verraient d’un bon oeil la grogne sociale, car celle ci conduirait à un accroissement du
coût du travail, ce qui dissuaderait la menace de nouveaux entrants.

Intuitivement, ça me semble un peu tiré par les cheveux. En réfléchissant un peu, ça me semble aussi tiré par les cheveux.

Supposons que pour les distributeurs en place le coût du travail par unité de chiffre d’affaires soit wL/CA avec w le salaire unitaire, L le nombre de personnes employées, et CA le chiffre
d’affaires. Dans le hard discount, on écrira w*L*/CA*.

Ce que semble dire Askenazy, c’est que dans le hard discount, le coût du travail pèse moins car les salaires sont plus faibles (“le
point commun entre ces nouveaux distributeurs est une stratégie “low cost”, qui assure la viabilité de leurs modèles économiques. En particulier, les salaires y sont plus faibles que dans les
enseignes classiques”). Autrement dit, si le coût du travail pèse moins, c’est parce que w*<w. En obligeant à un alignement de w* sur w, on comprend que les grands distributeurs réduisent la
menace d’entrée.

Mais supposons maintenant que le coût du travail pèse moins non pas en raison de salaires inférieurs, mais parce que l’intensité en travail dans le hard discount est plus faible. Autrement dit,
non pas parce que w*<w, mais parce que L*/CA*<L/CA. Ca ne me semble pas coomplètement stupide : on rend moins de services (moins de caisse, moins de conseil dans les rayons, moins de
personnes pour mettre en place de “jolis” rayons, etc…), on utilise donc moins de main d’oeuvre. A la limite, on pourrait supposer w=w* et w*L*/CA*<wL/CA.

Sous cette hypothèse (w et w* peu différents), un accroissement généralisé des salaires ne réduirait pas la menace d’entrée, elle l’augmenterait, car l’impact sur les coûts totaux unitaires dans
la grande distribution serait plus fort que dans le hard discount.  Les entreprises de ce dernier groupe devraient donc s’attendre à un gain de part de marché plus important, suite à
l’augmentation des salaires…

Bon, tout l’enjeu est de savoir quelle est l’hypothèse la plus crédible : coût unitaire du travail plus faible dans le hard discount, ou intensité en main d’oeuvre plus faible? On a peut-être un
peu des deux, mais je parie plutôt sur la deuxième hypothèse. Si quelqu’un a des chiffres en stock, je suis preneur.

transparence et modernité

Réunion particulièrement utile au Medef :

La présidente du Medef Laurence Parisot a estimé que sa rencontre vendredi avec une vingtaine de grands patrons avait fait émerger une “unanimité sur des principes
d’éthique, de transparence et de modernité”. (…) “C’est apparu de manière aussi évidente aussi unanime et aussi enthousiaste à la fois ce soir et dans toutes les conference call que
j’ai eues”

C’est qu’avant, il y en avait pour plaider publiquement l’immoralité, l’opacité et l’archaïsme?

Fonds de pension, piège à con?

On connait le discours largement diffusé en France sur  les investisseurs institutionnels (les “zinzins” pour faire court, les fonds de pension en étant une
partie),  développé par exemple par Frédéric Lordon, ou encore plus récemment par Patrick Artus et Marie-Paule Virard :
les zinzins prennent le pouvoir sur les marchés financiers, ils imposent des objectifs  collectivement irrationnels aux dirigeants (rentabilité financière à court terme, comportements
mimétiques), qui mettent en oeuvre, pour les atteindre, tous les moyens avouables ou inavouables. Dernier exemple en date, les propos de Michel Rocard dans sa tribune du Monde :

(…) La principale cause de ce drame planétaire est le réveil de l’actionnariat. Celui-ci, plutôt maltraité de 1945 à 1975, s’est réveillé et puissamment organisé
en fonds de pension, fonds d’investissements et fonds d’arbitrage ou hedge funds. Il a pris souvent le pouvoir et toujours de fortes minorités dans toutes les grandes entreprises de la planète.
Il a partout pressuré les revenus du travail pour assurer de meilleurs dividendes. (…)

On a vu depuis apparaître des contre-arguments sérieux, par exemple dans l’ouvrage de Thesmar et Landier.  Ainsi que
des études montrant l’hétérogénéité des zinzins,  la variabilité de leur horizon temporel, leur impact différencié sur les performances des entreprises, ainsi que leur poids très variable
selon les pays. Voir notamment le document de travail passionnant de Claude Dupuy et Stéphanie
Lavigne, ainsi que ce document de travail du CPER (€) sur le cas suédois.

Les déclarations sur le rachat de Charles
Jourdan par le fonds d’investissement Finzurich montrent une certaine versatilité des acteurs vis-à-vis des zinzins : toutes les personnes interrogées –Bénédicte Jourdan, petite fille du
créateur, les représentants du personnel, et Hervé Novelli, secrétaire d’Etat chargé des entreprises et du commerce extérieur– s’en félicitent, ce dernier expliquant que
c’est le seul repreneur qui offrait un projet industriel et une reprise d’emplois très importante”. Versatilité qu’on a pu observé en janvier dernier dans le positionnement de
Nicolas Sarkozy vis-à-vis des fonds souverains, qui assure, un jour, que la France assumerait “le choix politique, stratégique de protéger ses entreprises”, pour déclarer, le lendemain, que la
France “est ouverte aux fonds souverains”,
si leurs intentions sont “sans ambiguïté” et leur gouvernance “transparente”.

Quel que soit le sujet, je crois que c’est une constante : l’incapacité de beaucoup à prendre acte de la diversité du réel. Diversité sectorielle, diversité spatiale, diversité temporelle,
diversité des logiques à l’oeuvre, …, incapacité qui s’explique sans doute par la facilité avec laquelle on part d’un cas particulier pour en tirer une proposition que l’on croit
générale.

Les voitures neuves sont plus dangereuses que les voitures anciennes

Le saviez-vous?  90% des accidents de la route ont lieu  avec des voitures de moins de 20 ans. Les voitures anciennes sont donc plus sûres que les voitures
neuves. Toutes les publicités des constructeurs automobiles vantant les mérites de leurs nouveaux dispositifs de sécurité, ce n’est que du marketing pour booster leurs ventes. Ce n’est pas à
votre santé qu’ils pensent, c’est à leurs bénéfices. Moralité : revendez vite votre dernière acquisition, et surtout, méfiez-vous du lobby des industriels.

PS : spécial dédicace à Arrêt sur Images
et Plume de Presse. Pour des explications détaillées, voir ici.

Economies d’envergure

Les économies d’envergure (ou de champ) sont des réductions de coûts résultant de la mise en œuvre conjointe d’activités
distinctes qui possèdent certains points communs
. On peut les résumer ainsi :

c(x,y) < c(x) + c(y)

la production conjointe de deux biens x et y (plus généralement n biens) est moins coûteuse que leur production séparée.

Ces économies d’envergure s’expliquent notamment par le fait que les deux produits utilisent les mêmes équipements productifs, plus généralement les mêmes ressources
imparfaitement divisibles, qu’ils peuvent bénéficier d’une activité de R&D commune ou encore d’une marque commune.

Joli illustration en ce moment avec Carrefour, qui passe
d’une stratégie multi-enseigne (Carrefour, Champion, Shopi, Proxi, 8 à 8, Ed)  à une stratégie centrée sur la marque Carrefour, ce qui permettra de ne developper qu’une marque distributeur,
qu’une carte de fidélité commune, et de ne pas multiplier les campagnes de publicité, notamment à la télévision.
Cette stratégie, déjà mise en oeuvre en
Espagne, aurait permis de faire progresser les
ventes de 30%
.

Stock options

Les sociétés de capitaux se caractérisent par une dissociation croissante entre le collectif des actionnaires, propriétaires du capital social de l’entreprise, et le
collectif des dirigeants, qui gèrent l’entreprise au quotidien.

 

On sait depuis Berle et Means (1932) que cette dissociation pose
problème : i) actionnaires et dirigeants ont des objectifs divergents (les actionnaires ont un objectif de profit pendant que les dirigeants ont, prioritairement, un objectif de haut
revenu), ii) les dirigeants, qui sont quotidiennement dans l’entreprise, bénéficient d’asymétrie d’information ; iii) ils peuvent donc prendre les décisions leur permettant d’atteindre leurs
propres objectifs plutôt que ceux des actionnaires.

 

 Pour réduire ce problème, certains préconisent l’instauration de stock-options. Il s’agit d’attribuer aux dirigeants une option sur un certain nombre de titres
de l’entreprise, option que l’on peut exercer ou non après une date donnée. Si le cours de l’action de l’entreprise augmente, le dirigeant a intérêt à exercer son option, sinon, il ne l’exerce
pas. Cette solution semble pertinente : en octroyant des stock-options aux dirigeants, on réconcilie leur objectif de haut revenu à l’objectif de profit des actionnaires, la divergence
d’intérêt initiale disparaît.

 

 Ce système de stock options pose cependant de sérieux problèmes (voir par exemple ici pour une recension des problèmes, p. 17 et 18). Il s’apparente notamment à un jeu asymétrique potentiellement dévastateur « pile je gagne, face je ne
perds rien ». En effet, si le cours de l’action n’augmente pas, le détenteur de stock options n’exerce pas son option, il ne perd rien ; si le cours de l’action augmente, il exerce
l’option et peut gagner beaucoup. Ce petit jeu incite donc surtout à prendre beaucoup de risques, parfois des risques inconsidérés.

 

 A la
vue des déboires EADS
, il semble qu’il existe une autre limite de taille à ce système, que je n’avais pas encore repéré dans les papiers sur la question : la diffusion croissante de
stock options auprès de ceux qui bénéficient nécessairement d’asymétrie d’information risque d’augmenter significativement la probabilité de délits d’initié, à plus ou moins grande échelle (je ne
connais pas d’étude sur le sujet, si quelqu’un a des références en stock…).

 

 Dans un éditorial pour les Echos du 4 octobre 2007, Patrick Lamm pose le
problème en ces termes : « comment veiller à ce que les informations données par les sociétés ne soient pas utilisées par certains tant que l’ensemble des intéressés n’ont pas été
prévenus ? ». Et il propose : « des déontologues devraient pouvoir s’assurer, au sein des conseils d’administration, de l’égalité de traitement non seulement entre les actionnaires
mais également entre toutes les parties prenantes de l’entreprise. Un devoir de transparence indispensable si l’on veut moraliser la vie des affaires. »

 

 Je doute un peu, car le problème n’est pas fondamentalement un problème de moralité : demander plus de transparence permettrait sans doute de limiter les
délits d’initiés, mais cela priverait dans le même temps l’entreprise d’une de ses ressources les plus stratégiques, l’information dont elle dispose et dont ne dispose pas encore ses concurrents.
Problème difficile à résoudre me semble-t-il…

La TVA sociale anti-délocalisation anti-chomage non inflationniste qui va faire payer les méchants étrangers

tva.jpg
La TVA sociale fait la une de l’actualité. Jean Arthuis défend l’idée depuis de nombreuses années, Nicolas Sarkozy et François
Fillon la reprennent à leur compte et semblent vouloir avancer sur le dossier après 2008. D’où ce petit billet, pour avancer dans la compréhension du problème.

Le mécanisme dit de TVA sociale consiste à basculer une partie du financement de la Sécurité sociale des entreprises vers les ménages, via une baisse des cotisations patronales et une hausse
simultanée de la taxe sur la valeur ajoutée. Du point de vue des finances publiques, ça ne change rien, il s’agit de financer d’une nouvelle façon la protection sociale. Croire que cela permettra
de couvrir automatiquement les nouvelles dépenses du gouvernement est donc erroné, ou alors ce sera au détriment du financement de la sécurité sociale. Ce qu’en attend le gouvernement, en fait,
c’est plutôt un avantage en termes de compétitivité – prix, que le
journal Le Monde explique ainsi,
reprenant sans doute l’argumentation de nos dirigeants : le « transfert de charges permettrait d’alléger le coût du travail en France, de taxer davantage les produits importés, notamment
ceux en provenance des pays à bas coûts, tout en favorisant les exportations ». Cette présentation appelle déjà quelques commentaires :
* sur le
premier point, effectivement, on aura automatiquement une baisse du coût du travail suite à la baisse des cotisations patronales,
* sur le deuxième point,
en revanche, la présentation est fortement biaisée : on ne taxe pas « les produits importés, notamment ceux en provenance des pays à bas coûts » (j’adore ce « notamment ceux
en provenance des pays à bas coûts »…), on taxe tous les produits. On attend simplement de la baisse du coût du travail un gain en terme de compétitivité prix pour les
entreprises installées en France,
* sur le troisième point, idem, la baisse du coût du travail doit permettre aux entreprises qui exportent d’être plus
compétitives en prix.

Bref, ce n’est pas une TVA sociale, c’est une TVA anti-délocalisations, comme nous le dit notre premier ministre.
Cependant, pour que cela fonctionne,
nous dit
Jean-François Copé
, il faut que “les entreprises jouent le jeu” et “baissent leurs prix” ; ce à quoi François Fillon ajoute : cette “TVA
anti-délocalisations” ne serait pas appliquée si elle entraînait une hausse des prix pour les consommateurs. “L’essentiel, c’est de trouver des mécanismes qui nous assurent qu’il n’y aura pas
d’augmentation des prix. Si la ‘TVA anti-délocalisations’ se traduisait par une augmentation des prix, alors naturellement elle n’aurait pas de sens et nous ne la mettrions pas en place”. (je
serais plus prudent : il est tout à fait possible que cette mesure n’ait pas de sens économiquement, mais qu’elle ait du sens politiquement, donc que le gouvernement la mette en
place).
 
Quelques remarques sur les effets attendus.
 
La TVA sociale n’est pas une arme anti-délocalisations…
On nous dit que la TVA sociale va permettre de lutter contre les délocalisations. C’est politiquement astucieux, car la plupart des citoyens sont persuadés que le
problème n°1 de la France, ce sont les délocalisations, et ils sont prêts à ce qu’on mette des barrières aux échanges vis-à-vis des pays pauvres (z’avaient qu’à pas être pauvres) pour lutter
contre. Economiquement ça ne tient pas la route, car les écarts de coût sont tels que si une entreprise a décidé de délocaliser dans les PVD (Chine, Inde, PECO, …), ce n’est pas la variation
attendue du coût du travail qui va l’en dissuader. Elle n’a pas de sens non plus, car comme expliqué à plusieurs reprises sur mon blog, le problème économique principal de la France n’est pas
celui des délocalisations vers les pays en développement. Mais encore une fois, politiquemen, c’est vendeur.
 
…mais plutôt une arme anti-Europe
Eventuellement, la mesure a du sens vis-à-vis des pays de même niveau de développement avec lesquels nous échangeons (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, …). C’est
d’ailleurs ce qu’a fait l’Allemagne, avec un certain succès, mais au détriment de l’Italie et de la France, notamment. Stratégie parfaitement opportuniste, soit dit en passant (je m’étonne
d’ailleurs de l’admiration béate de certains à l’égard de la politique allemande), qu’on peut bien sûr vouloir tenter, mais on s’expose forcément à des mesures de rétorsion : si, après
l’Allemagne, la France s’y met, tous les autres pays risquent de suivre, avec au final un jeu perdant/perdant. Vive l’Europe…
 
Des incertitudes sur la baisse des prix…
De plus, pour que cela marche, comme le souligne Jean-François Coppé, il faut que les entreprises traduisent la baisse des cotisations en baisse des prix.
Or :
i) certaines entreprises peuvent décider d’accroître leurs marges en ne modifiant pas le prix de vente. On peut toujours espérer que les entreprises “jouent le jeu”,
mais si elles peuvent éviter de le jouer, elles le feront, en dépit des injonctions de nos dirigeants…
ii) d’autres entreprises qui ont des processus productifs peu intensifs en main d’œuvre récupéreront peu sous formes de baisse des cotisations, elles ne pourront
donc baisser que relativement peu les prix de vente
iii) d’autres entreprises encore, qui fabriquent des produits dont le contenu en importations est élevé, ne pourront que difficilement baisser leurs prix,
On aura donc des effets différenciés selon les entreprises et les secteurs, avec un effet macroéconomique incertain. Aura-t-on nécessairement inflation ? Non,
si les entreprises parviennent à comprimer les salaires, mais alors on aura perte en termes de pouvoir d’achat. Oui si les salariés parviennent à négocier des augmentations de salaires pour
compenser la hausse des prix, mais c’est alors l’avantage en termes de compétitivité prix qui disparaît.
 
…et sur les effets quantités
Croire que cette réforme va permettre de réduire les importations et d’augmenter les exportations est un peu rapide, également : la TVA sociale, qui est
assimilable à une dévaluation, en présente les inconvénients. Notamment, les effets sur les quantités importées et exportées dépendront de la sensibilité des acheteurs aux variations de prix (ce
qu’on appelle les élasticités prix de la demande d’importation et d’exportation).
Si les élasticités prix des importations sont faibles, on continuera à acheter autant de produits étrangers, simplement on les paiera plus chers (ce sera le cas pour
tout un ensemble de produits, à l’évidence). Idem pour les biens qu’on exporte et qui sont peu sensibles aux prix, pas d’effet volume à attendre. Là encore, donc, effet macro-économique
ambigu.
 
De plus, c’est un très mauvais signal pour les entreprises
En favorisant la compétitivité prix, on incite les entreprises à adopter certains positionnements stratégiques, et on désincite à l’engagement dans des stratégies de
compétitivité hors prix. Or, le problème essentiel de la France est celui de la qualité de sa spécialisation, trop sur le premier type d’activité, pas assez sur le second.
Plus généralement, en réduisant la question de l’avantage concurrentiel des firmes à celle des différentiels de coût du travail, on occulte l’importance d’une part
des gains de productivité en vue de réduire les coûts salariaux unitaires (et des moyens de les soutenir : investissement en capital physique, humain, public, réorganisation des entreprises) et
d’autre part des stratégies de différenciation/innovation pour sortir de la concurrence en prix.
 
Qui va perdre ?
L’instauration d’une TVA sociale va se traduire mécaniquement par une hausse des prix, à moins qu’on ne fasse pression à la baisse sur les salaires.  Dans les
deux cas, cela va peser sur le pouvoir d’achat de certaines personnes. Quelles personnes ? Avant tout les personnes à faible revenu qui consacrent l’essentiel de leur budget à la
consommation de produits quotidiens qui seront taxés plus fortement. Ainsi que les personnes qui ont un faible pouvoir de négociation, et qui ne pourront pas obtenir de hausse des salaires pour
compenser la hausse des prix (ou qui seront victimes de la compression des salaires), autrement dit une partie des salariés et les petits retraités.
On peut toujours se dire que les gains des uns compenseront les pertes des autres, mais ce seront plutôt des gains à court terme, susceptibles d’être annulés très
rapidement (mesure similaire de nos partenaires zone euro, variation du change et/ou baisse des prix pour nos partenaires hors zone euro). Plus généralement, c’est l’économie française qui a
toutes les chances d’y perdre, car l’instauration d’une TVA sociale risque de freiner l’évolution de la spécialisation de l’économie française vers des secteurs plus innovants, créateurs de plus
de richesses et d’emplois et mieux à l’abri de la concurrence en coût.
 
Pour compléter, vous pouvez regarder l’avis de plusieurs économistes, sur lesquels je me suis appuyé pour rédiger ce billet (ordre alphabétique) :
 
Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de vous présenter l’argumentation de Jean Arthuis, ancien ministre de l’économie et président de la commission des
finances. Forcément compétent en économie, donc. Au journaliste qui l’interroge sur de possibles effets inflationnistes, il répond que les prix des produits fabriqués en France n’augmenteront
pas, puisque la baisse des cotisations compensera la hausse de la TVA mais qu’en revanche les produits importés seront plus chers. Et là, asseyez-vous bien : « Mais ceux qui les font
venir de l’étranger dégagent des marges telles qu’ils auront l’élégance de ne pas augmenter leurs prix de vente, concurrence oblige ». Je crois qu’il a perdu son dernier
neurone, notre ancien ministre de l’économie. En tout cas, j’ajoute immédiatement une section à mon cours d’économie de l’entreprise intitulée l’élégance économique

Les choix de localisation des firmes françaises


cepii.jpg
On connaît le discours ambiant : mon bon monsieur, avec les 35 heures, les impôts, les syndicats, les lourdeurs administratives, le coût du
travail –j’en passe et des meilleurs– pas étonnant que toutes nos entreprises aillent voir ailleurs (et puis nos
cerveaux
, et puis not’chanteur préféré) : en France, y’a plus d’avenir…

 La lettre du CEPII de février 2007
permet d’y voir un peu plus clair s’agissant des choix de localisation des filiales des firmes françaises. Ce travail est particulièrement intéressant, car il se focalise sur les déterminants de
la décision de l’investissement en intégrant, parmi les choix possibles qui s’offrent aux firmes françaises, le territoire français.

  Résultats :
 
1. sur les 21 500 créations de filiales industrielles sur la période 1987-2002, 18 000 correspondent à la création d’une
filiale en France, 3 500 sont des implantations à l’étranger,
 
2. la part des implantations étrangères augmente sur la période, passant de 9,5% en moyenne à la fin des années 1980 à 23% début
2000

3. les investissements hors de France se dirigent principalement en Europe (PECO de plus en plus)

4. le déterminant essentiel des investissements est l’accès au marché : on préfère produire et vendre sur
place, plutôt que d’exporter les biens. Le nombre d’implantations dans un pays donné dépend donc en première instance du potentiel de marché de ce pays

 
5. pour la France, le nombre d’implantation est encore supérieur, et significativement, à ce potentiel de marché. Il y a donc un
biais domestique important.

6. à partir de leur modèle explicatif des choix d’implantation, les auteurs montrent plus précisément que, pour une firme
française, la probabilité d’investir en France est dix fois supérieure à la probabilité d’investir dans un pays comparable en termes de marché, de coût de production, de
distance, …
 
7. ce biais domestique s’expliquerait en grande partie par la densité des relations financières et commerciales dont dispose une
firme dans son propre pays.
 
8. on peut penser que ce biais a tendance à se réduire, car les premiers engagements à l’étranger permettent aux firmes de
développer de tels réseaux financiers et commerciaux
Les auteurs finissent sur cette remarque : « le facteur explicatif crucial de la localisation des entreprises est le dynamisme de la demande. Même si des
mesures visant à réduire les coûts de production ou la charge fiscale ne sont pas à négliger, l’attractivité du territoire français dépend essentiellement des perspectives de long terme de la
demande française et européenne ».

Il y a des résultats complémentaires dans ce document de
travail du Cepii (en)
, dont le résumé en français est ici. Dans ce dernier document, les auteurs
expliquent notamment que « le choix d’investir à l’étranger plutôt qu’en France implique pour la firme d’avoir atteint un niveau de productivité et une taille suffisante (…) la
réduction relative de la propension des firmes à investir en France au cours de la période considérée pourrait [donc] refléter un accroissement de la productivité moyenne permettant à un nombre
accru d’entreprises d’investir sur les marchés étrangers
» (souligné par moi).

C’est typiquement le genre de résultat contre-intuitif qui vous fait aimer l’analyse économique : si les firmes françaises vont de plus en plus à l’étranger, c’est parce qu’elles seraient de plus
en plus productives en France, et non pas parce qu’en France, tout va mal et patati et patata…

Publicité spécial délocalisations…

Je suis en train de naviguer sur Internet pour prendre de l’info sur l’entreprise Jallatte,
fabricant de chaussures de sécurité et de bottes professionnelles, qui vient d’annoncer un plan social parachevant la délocalisation de la production vers la Tunisie.

Je tombe sur un article sur le site du Midi Libre (édition du 25 mai 2007),
et là, partie haute de l’article, je découvre une animation publicitaire de Gaz de France (les publicités changent régulièrement, pas sûr que ce soit celle que vous trouviez), qui commence par
cette image :


gdf1.gif

Suivent différents plans résumant les points à ne pas oublier, puis celui-ci :

gdf3.gif

Enfin, la solution :

gdf4.gif

Ils sont un brin cyniques, chez GDF

(annonce du plan social confirmée aujourd’hui, le sous-préfet demande la suspension du plan social, affaire à suivre…).