Désindustrialisation et 35 heures

Entendu hier sur France Info, un extrait des propos de Nicolas Sarkozy selon qui i) la France a perdu des millions
d’emplois industriels, ii) cette perte est particulièrement forte depuis 2000, iii) ce n’est pas un hasard, ça coïncide avec la mise en place des 35 heures, les entreprises préfèrent aller produire
ailleurs, iv) en disant cela, affirme-t-il, il ne fait pas de l’idéologie, il ne présente que les faits, la réalité, etc.

Le problème, c’est que les faits présentés sont faux.

i) oui, les emplois industriels ont fortement baissé depuis le début des années 1980, en gros, 2 millions d’emplois en moins,
ii) non, cette perte n’est pas plus forte depuis 2000 : sur l’ensemble de la période 1980-2007, c’est en moyenne 71 000 emplois par an qui ont été détruits dans l’industrie française. Sur la
sous-période 2000-2007, on est descendu à 65 000 emplois par an (voir ici,
page 5),
iii) dès lors, s’il considère que l’association de deux faits suffit comme démonstration, c’est la proposition inverse qu’il devrait défendre : la mise en place des 35 heures a coïncidé avec un
ralentissement de la désindustrialisation. Ce n’est pas de l’idéologie, ce sont des faits,
iv) non, la baisse des emplois industriels n’est pas due pour l’essentiel à un déménagement de l’activité industrielle vers l’étranger, les délocalisations n’expliquant environ que 10% de la
baisse. Il y a bien d’autres raisons, résumées dans ce billet.

Sinon, pour rebondir sur le dernier billet des éconoclastes, qui conseillent à
juste titre de se méfier du fétichisme industriel, j’ai le regret de leur dire qu’avec not’ président, c’est totalement raté (vous pouvez l’entendre ici)…

acharnement

Luc Chatel, Ministre de l’Education,
sur les retraites
:

Le porte-parole du gouvernement Luc Chatel a estimé mercredi que les critiques sur le montant de la
retraite chapeau versée par Veolia à son président Henri Proglio, nommé à la tête de l’électricien EDF, relevaient “de l’acharnement”. “On a un peu le sentiment que ça tourne à l’acharnement.
Que quelqu’un qui a passé près de quarante ans dans son entreprise touche sa retraite, ça ne me choque pas particulièrement“, a déclaré M. Chatel en rendant compte à la presse des travaux
du Conseil des ministres.

[Pour sûr, 40 ans à bosser comme un con, franchement… j’espère qu’ils ont pris en compte la
pénibilité du travail…
]

(…) Il est en effet prévu que le PDG d’EDF, qui a dû renoncer à ses 450 000 euros de salaire (pov’ p’tit
bonhomme…)
, conserve un complément de retraite de l’ordre d’un million d’euros par an, selon les calculs du Parisien. Le groupe Veolia a d’ailleurs récemment indiqué avoir provisionné 13,1
millions d’euros pour la retraite chapeau d’Henri Proglio.

[1 million d’euros par an, soit en un an au titre de sa retraite ce que gagne en 33 ans -une vie professionnelle, quoi!-
un enseignant chercheur au titre de ses salaires (on compare à ce qu’on peut, hein?), c’est pas top, quand même… surtout quand on pense à son utilité sociale…]


“Je comprends que le montant puisse paraître élevé pour un certain nombre de nos concitoyens, mais il faut avoir
en tête qu’Henri Proglio a consacré sa vie professionnelle à cette entreprise, il en a fait le géant mondial qu’il est aujourd’hui et il a cotisé pendant toutes ces
années
“.

[Ben moi, je trouve que c’est pas cher payé. On pourrait pas lui donner une p’tite médaille, quand
même???]


Patrick Ollier, député
UMP
dans une question de l’Expansion “Que faire face à ces entreprises qui font des bénéfices et qui licencient” :

La politique interventionniste du Président de la République est une bonne chose pour notre pays. Jusqu’à présent, les présidents français n’osaient rien faire de peur de froisser
l’ultra-libéralisme de la Commission européenne.
Mais désormais nous avons un Président qui tape du poing sur la table et demande des comptes à des industriels parfois peu scrupuleux. C’est
une chance.


Henri, c’est pas pareil : il est scrupuleux…

Rémunération des administrateurs

Chez Saint-Gobain, les administrateurs sont tellement compétents que, même quand ils ne siègent pas au conseil
d’administration, ils perçoivent 25 600€ par an. Gilles Pélisson, idem : directeur d’Accor, il siège chez Bic et TF1, perçoit 53 500€ l’année pour ces deux mandats, mais explique que “les
réunions du Conseil d’administration de TF1 demandent peu de préparation et durent deux heures en moyenne
“. Plein d’autres exemples aussi croustillants dans cet article de l’expansion… Il est beau,
le petit monde des dirigeants des grandes entreprises françaises

L’affaire Proglio

Quelques remarques sur l’affaire Proglio :

“Proglio est très bien payé parce qu’il dispose de compétences rares” (Copé sur France
Inter
)  : faux. Même si l’on s’en tient à la ligne de défense la plus robuste du niveau de rémunération des dirigeants, développée par Landier et Gabaix, les fortes rémunérations ne traduisent pas de forts écarts de compétences, mais
plutôt de fortes capitalisations boursières. Dès lors que la capitalisation d’une entreprise est très élevée, un écart minime de compétence se traduit par des gains/pertes importants, d’où la
nécessité de rémunérer fortement ces faibles écarts. Il serait donc plus correct de dire : “Proglio est très bien payé parce qu’il dispose de compétences un tout petit peu plus élevées que les
autres candidats potentiels”. Et encore… L’argumentation de Landier/Gabaix a un peu de plomb dans l’aile (voir ici et ) : i) la relation qu’ils établissent marche pour certaines périodes, pas pour d’autres, ii) elle est
robuste pour certaines variables de taille, pas pour d’autres, iii) elle repose sur l’idée q’un dirigeant d’entreprise change tout, alors qu’on sait bien que la performance d’une entreprise
dépend avant tout de l’investissement que chaque salarié y met, et de la qualité des interactions entre ces salariés, plutôt que du pedigree du PDG.

“que voulez-vous, c’est la concurrence, c’est le marché qui veut ça” (Copé, même source, Lagarde à
l’Assemblée
) : faux.  Croire que le marché des dirigeants est un marché qui fonctionne bien est vraiment risible, surtout si on s’intéresse au cas de la France… Premier point : le
marché des dirigeants, contrairement à ce que disent nos politiques ou le Medef, n’est pas un marché global, il est encore très marqué géographiquement, avec une surreprésentation de dirigeants
français en France, de dirigeants américains aux Etats-Unis, etc. Croire qu’il faut rémunérer nos dirigeants français comme leurs concurrents étrangers pour éviter qu’ils ne s’expatrient est
donc erroné : on peut toujours les payer moins qu’à l’étranger, ils auront bien du mal à s’expatrier, personne n’en veut de toute façon… Deuxième point : dans certains pays (Royaume-Uni par
exemple), on fait appel à des chasseurs de tête pour recruter les meilleurs dirigeants ou membres des conseils d’administration. En France, on préfère la cooptation. C’est le règne des réseaux
sociaux, avec comme effet induit des performances plutôt médiocres des entreprises (cf. cet article de Kramarz et
Thesmar). Le marché des dirigeants d’entreprise est encastré socialement, pour reprendre les termes de Granovetter (1985), et même surencastré, d’où ses performances médiocres. Ce qui n’est pas
sans lien avec la sous-représentation des femmes, soit dit en passant : plutôt que d’imposer des quotas histoire de faire joli, il conviendrait plutôt de mettre fin à ce système de cooptation. Le petit monde de l’élite économique française se retrouve dans les différents conseils
d’administration des grandes entreprises et, en l’absence de contre-pouvoirs, les administrateurs/dirigeants s’octroient des rémunérations de plus en plus délirantes (voir ce billet). Troisième point : même sans ce jeu des réseaux sociaux, le marché des
dirigeants reste, dans tous les pays, un marché très étroit. On préfère piocher les dirigeants soit dans le marché des dirigeants déjà en place, soit, très souvent, via de la promotion interne.
Ceci afin de réduire le risque de l’erreur de casting. Ceci confère aux candidats un pouvoir de marché important, qui explique pour partie le niveau de leur rémunération.

Quelle solution? Franchement, la plus simple et la moins coûteuse est sans doute celle proposée par Askenazy : plafonner la rémunération des dirigeants. Et encore une fois, la géographie du marché des dirigeants permet de l’instaurer dans un pays, même si les autres
pays ne le font pas immédiatement.

Dernier point, sur le cumul des fonctions de Proglio. Il traduit selon moi la cohérence de Sarkozy qui, je l’ai déjà signalé, est obsédé par la taille : il veut de grandes universités, un grand
Paris, de grandes entreprises. Dans cette affaire, il cherche à constituer un champion national de l’énergie avec, à terme, une fusion Véolia, EDF, Areva. Bon, bien sûr, laisser Proglio à
cheval sur Véolia et EDF, ça fait des conflits d’intérêts et ça réduit la concurrence dans le secteur. Mais bon, la concurrence, on s’en moque, non? Et puis si c’est pour disposer d’un
mastodonte de l’énergie à l’échellle mondiale, ca vaut le coup, n’est-ce pas?

Rémunération des dirigeants

Compte rendu sur La vie des
idées
d’une table ronde sur la rémunération des dirigeants. On y trouve notamment une vidéo de l’interview d’Augustin Landier.

A lire aussi, la
tribune d’Askenazy
qui plaide pour l’instauration d’un salaire plafond. Extrait : Que peut faire la puissance publique ? Interdire dans les conseils d’administration la présence de
dirigeants d’autres grandes sociétés casserait l’inflation, sans changer le mécanisme. D’où, l’idée d’établir un salaire maximum. Ce dernier peut être national car le “marché” des dirigeants
reste étonnamment local : les firmes américaines ne cherchent pas de managers français et, inversement, les sociétés de l’Hexagone sont presque exclusivement dirigées par des
nationaux.

Capitalisme financier et innovation

Un discours dominant en France, à droite comme à gauche, consiste à dénoncer les méfaits du capitalisme financier,
synonyme de prise du pouvoir par les investisseurs institutionnels (les “zinzins”), qui seraient uniquement obnubilés par la rentabilité financière à court terme. Ce court-termisme nuirait à la
croissance économique, car il pénaliserait les investissements de long terme, notamment en innovation.

Thesmar et Landier ont montré que nombre des arguments avancés par les auteurs de cette thèse sont démentis par les faits (voir la note de lecture de leur ouvrage sur Econoclaste). J’avais
également indiqué ici que plusieurs études montraient l’hétérogénéité des
zinzins,  la variabilité de leur horizon temporel, leur impact différencié sur les performances des entreprises, ainsi que leur poids très variable selon les pays.

Un nouvel article de Aghion, Van Reenen et Zingales (working paper du CEPR dont on trouve une synthèse ici) complète le tableau, en présentant des résultats particulièrement intéressants sur le lien entre poids des investisseurs
institutionnels et performances en matière d’innovation. Il montre d’abord que le poids des zinzins est passé, aux Etats-Unis, d’environ 5% en 1950 à plus de 60% en 2005, puis  (et surtout)
que les performances en matière d’innovation des entreprises sont positivement et fortement corrélées au poids des zinzins dans leur capital.

Comment expliquer ce lien? Selon les auteurs, les managers sont en général peu enclin à investir dans l’innovation, activité risquée par excellence, car en cas d’échec, ils seraient rapidement
désignés comme responsables.  Les zinzins seraient eux incités à collecter beaucoup plus d’informations sur l’effort réel des entreprises, et pénaliseraient moins les dirigeants malchanceux
dans leur activité d’innovation.

Pour tout dire, je ne suis pas totalement convaincu par l’explication, mais n’ayant pas lu en détail leur article, je me garderai bien de la contester. Et cela n’enlève rien à la corrélation
observée, suffisamment intéressante pour être signalée…

trouvé via Rationalité
Limitée

Microsoft licencie : interview pour Libé

Vittorio de Filippis de Libération m’a appelé hier soir au sujet du plan de licenciement de Microsoft. En m’indiquant que
Microsoft avait expliqué que ce plan n’était pas une remise en cause de son modèle industriel, mais une réponse à la demande des marchés financiers. Que penser de ce licenciement boursier? Mon
interview figure page 13 de l’édition papier, pas vue encore sur le net.

Pas beaucoup d’éléments pour répondre. Je lui ai quand même expliqué que l’argument de Microsoft était pour le moins surprenant, et ressemblait plutôt à une stratégie d’externalisation de la
faute : je licencie, mais c’est à cause des méchants marchés financiers… Les discours sur les licenciements boursiers sont tellement à la mode, que les dirigeants d’entreprise y recourrent
assez souvent pour se dédouaner de toute responsabilité.

J’ai ajouté qu’en ce moment, on pouvait redouter quelque chose comme des prophéties auto-réalisatrices : les entreprises se disent “c’est la crise partout, on va être touché”, elles réduisent la
voilure, accentuant donc le problème de base et participent à la réalisation de ce qu’elles redoutaient. Je ne dis pas que la récession actuelle relève entièrement de cela, mais disons qu’on a
accentuation du problème sous l’effet de ce type de comportement.

On peut bien sûr aussi recourir à des explications plus classiques, développées même page par Olivier Bomsel : Microsoft est assise sur une rente depuis plusieurs années, elle se repose sur ses
lauriers, peine à innover, et se fait doubler par des entreprises mieux différenciées. D’où le début de difficultés, baisse du bénéfice, baisse du cours de l’action, et annonce de réduction
d’effectifs pour “signaler” qu’on a compris et qu’on va réagir.

Incitation et contrôle, toujours

Tribune intéressante d’Yves Clot (psychologue) et Philippe Zarifian (sociologue) dans Le Monde du 18 décembre dernier, sur l’évaluation des performances dans l’entreprise.Extrait : Il existe un grand absent, un point aveugle : le travail lui-même, sa qualité et les conditions de son exercice. Cet aveuglement se construit dans les dispositifs de contrôle et d’évaluation des performances. La généralisation à l’ensemble des salariés de la démarche “fixation d’objectifs/contrôle de résultats” commence à produire des effets catastrophiques : les objectifs, dits de “performance”, sont peu discutés et peuvent, à tout moment, être modifiés, sans lien explicite avec des enjeux qualitatifs et durables. Les résultats, chiffrés, induisent une pression permanente.

L’évaluation est individualisée, niant ainsi les sources collectives de l’efficacité du travail. Enfin et surtout, ces dispositifs ignorent le travail réel : entre les objectifs d’un côté, les résultats de l’autre, on organise la mise en disparition de l’essentiel : du travail. Les salariés doivent se débrouiller pour parvenir aux résultats, sous tension des chiffres, et la connaissance de l’effort qu’ils accomplissent en travaillant disparaît de fait.


Quelques billets sur le même sujet :
Bonus des managers : ca innove en Allemagne
La crise pousse à la fraude
Les stratégies absurdes
Carotte ou bâton?

 

Bonus des managers : ca innove en Allemagne

Article intéressant de
l’Expansion
sur des innovations en matière d’incitation chez les constructeurs automobiles allemands.
Volkswagen “va introduire un « bonus long terme » dont le calcul tiendra compte de données aussi variées que le niveau de sécurité de l’emploi offert aux salariés, l’évolution des parts
de marché et des ventes, la réalisation des objectifs personnels mais aussi du résultat des enquêtes de satisfaction réalisées chaque année auprès des clients et des salariés”.
BMW, de son côté, “a annoncé qu’il entendait, dès 2010, synchroniser la progression des bonus de ses managers et de ses ouvriers. (…) l’objectif premier est de supprimer le sentiment
d’injustice qui règne au bas de l’échelle salariale et s’appuie sur une « fracture » qui grandit entre les salaires des managers et des ouvriers”.

Efforts louables en apparence, reste à savoir s’il s’agit de modifications cosmétiques ou de transformations un peu plus en profondeur du rapport salarial. On peut s’interroger également sur les possibilités, pour les managers, d’instrumentaliser ces nouveaux indicateurs, histoire de
récupérer les bonus sans faire d’efforts démesurés…