Dis-moi où tu habites, je te dirai pour qui tu votes

Article intéressant dans Le Monde sur les intentions de vote en faveur des trois principaux candidats en fonction de la distance aux grandes agglomérations (Un ensemble plus complet de résultats est disponible sur le site de l’IFOP) :

En forçant le trait, courbe en U pour Hollande et courbes en U inversé pour Sarkozy/Le Pen (dont les courbes sont proches).

Comment expliquer cela? Avant tout par la sociologie, car les inégalités sociales ont une géographie… Pour en trouver une petite preuve dans l’étude de l’IFOP, je me suis amusé à construire un graphique qui reprend les pourcentages de réponse positive à la question suivante :

Les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment.

Sur une des diapositives, on trouve le pourcentage de réponse positive en fonction de l’éloignement aux grandes agglomérations, pour toutes les catégories de personne. Sur une autre diapositive, on trouve ces mêmes pourcentages, mais seulement pour les ouvriers. En compilant, on obtient ce graphique :

 

La courbe est beaucoup plus plate pour les ouvriers que pour l’ensemble de la population (coefficient de variation de 6% pour la population totale contre 3% pour le sous-ensemble des ouvriers). C’est donc moins l’éloignement aux grandes agglomérations que l’appartenance à certaines catégories sociales qui semble compter.

Le titre pourrait donc être : dis-moi où tu habites, je te dirais qui tu es et donc pour qui tu votes…

Effort de Recherche : le match France-Allemagne

Pour mesurer l’effort de recherche des pays (ou régions, secteur, entreprise, etc.), on utilise le plus souvent comme indicateur l’intensité technologique, rapport des dépenses de Recherche et Développement au PIB. En 2000, l’Europe, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, s’est fixé pour objectif d’atteindre une intensité technologique de 3% pour… 2010. N’y étant pas parvenu, le même objectif est maintenant assigné pour 2020.

A l’heure où la référence ultime semble être l’Allemagne, on peut s’interroger sur l’évolution de l’effort de recherche entrepris en France comparativement à son voisin allemand. On obtient ce graphique (données Eurostat) :

Au milieu des années 1990, le “score” de la France était légèrement supérieur à celui de l’Allemagne. Il est depuis inférieur, pour représenter en 2010 environ 80% du ratio allemand.

Quitte à se situer dans une stratégie d’imitation vis-à-vis de l’Allemagne, je suggère à nos politiques de l’imiter sur ce plan là plutôt que sur d’autres…

 

Je ne suis pas d’accord avec moi-même…

Yves Jégo, ancien ministre, auteur d’un rapport sur les relocalisations, anime des “ateliers de l’innovation politique” intitulés La fabrique sociale. Le 7 février dernier, un article sur les délocalisations/relocalisations d’entreprises a été posté. Article dans lequel l’auteur me fait tenir les propos suivants :

Selon l’économiste Olivier Bouba-Olga les relocalisations ne seraient pas un phénomène marginal, «  Beaucoup d’entreprises s’engagent à l’étranger pour découvrir rapidement que leur choix n’était pas judicieux. »

Ce qui m’avait quelque peu énervé, car je passe mon temps à dire que les relocalisations sont un phénomène quantitativement marginal. Je m’étais donc empressé de poster un commentaire, en renvoyant à cet article du Figaro au titre explicite…

Eh bien figurez-vous que je découvre aujourd’hui, grâce à la sagacité d’un de mes lecteurs (merci Thomas F.!), que mon commentaire a été supprimé et que l’article n’a en rien été modifié… Je fais comment pour qu’il m’écoute Yves Jégo??? Je reposte un commentaire qu’il va s’empresser de supprimer de nouveau??? En matière d’innovation politique, il fait fort, Yves Jégo…

Régions Françaises : quel effort pour l’enseignement supérieur et la recherche?

Bien que les Régions françaises n’aient pas la compétence en matière de Recherche, toutes soutiennent ce levier essentiel de la croissance économique, notamment dans le cadre de leur compétence en matière d’action économique.

On peut alors s’interroger sur l’effort fourni par chacune d’elle. Premiers éléments de réponse fournis par L’ORS dans sa lettre de synthèse n°43 (non trouvée sur le web). Dans un premier tableau, on y trouve la part, dans l’ensemble du budget des régions, des dépenses dédiées à l’enseignement supérieur, à la recherche et à la technologie. Dans un deuxième tableau complémentaire figure la dépense “enseignement supérieur” par étudiant. En croisant les informations de ces deux tableaux, on peut construire le tableau suivant :

A titre d’illustration, la Région Poitou-Charentes dépense 104€ par étudiant contre 160€ en moyenne dans l’ensemble des régions, ce qui la place au 13ème rang des 22 régions métropolitaines. S’agissant du poids des dépenses consacrées à l’enseignement supérieur, à la recherche et à la technologie, il est de 2,3% en Poitou-Charentes, contre 3,5% France entière, ce qui la place cette fois au 18ème rang.

Pour compléter l’analyse, je suis allé chercher des données sur les populations régionales, afin d’identifier d’éventuels effets taille : est-ce que les plus grandes régions réservent une part plus importante de leur budget à l’enseignement supérieur et à la recherche? Effectuent-elles une dépense par étudiant plus importante? Réponse en image :

Pas de corrélation apparente entre ces différentes variables (ce qui est confirmé par les valeurs faibles des coefficients de corrélation de rang), l’effort régional en la matière semble indépendant de la taille des régions. Il  est affaire, sans doute plus, de volonté politique.

Attractivité et rayonnement des villes universitaires

Grand Poitiers et l’AVUF (Association des Villes Universitaires de France) organisent au Théâtre Auditorium de Poitiers (TAP), le vendredi 23 mars 2012, un colloque national sur l’attractivité et le rayonnement des villes universitaires.

J’interviendrai le matin, avec Christophe Demazière, entre 9h45 et 10h30. Michel Grossetti interviendra de 12h00 à 12h45.

Toutes les informations pour cette journée sont ici.

L’excellence des Universités : oui, mais quelle excellence ?!

update : texte publié également ici.

Ci-dessous un texte co-écrit avec Michel Grossetti sur la question de l’excellence. Billet court mais propos important, à contre-courant du discours dominant, nous semble-t-il, concernant la structuration de la recherche en France. En espérant que les politiques l’entendent, que ce soit à l’échelle nationale ou infra-nationale. A diffuser largement si vous le jugez utile (version pdf ici). 

L’excellence des Universités : oui, mais quelle excellence ?!

Olivier Bouba-Olga (Université de Poitiers) & Michel Grossetti (CNRS, Université de Toulouse 2)

Les Universités françaises, en matière de recherche, doivent viser l’excellence. Cependant, la conception de l’excellence mérite d’être précisée, car il nous semble qu’elle peut être dissociée des idées relatives à la « masse critique » et de la tendance à concentrer les moyens pour le motif d’éviter le « saupoudrage ». Notre réflexion s’appuie sur les travaux et réflexions de chercheurs spécialistes de la sociologie et de l’économie des sciences et des analyses bibliométriques. Elle se veut donc fondée empiriquement.

La métaphore de la masse critique[1]

Appliquée à des activités de recherche, la métaphore de la masse critique consiste à dire qu’il faut une densité suffisante de chercheurs dans une institution, une métropole ou une région pour que la qualité de la recherche soit bonne, les chercheurs étant censés avoir besoin de nombreux collègues à proximité pour échanger des idées et être stimulés dans leur travail. Quelques tentatives ont été effectuées pour établir un lien entre le nombre de chercheurs rassemblés dans une même ville ou région et le nombre moyen d’articles publiés par chercheur[2]. Elles n’ont pas pu établir ce lien et tout semble indiquer que la masse critique en matière de recherche n’est rien d’autre qu’une idée reçue, sans fondement empirique. A une échelle agrégée, le nombre de publications d’une ville ou d’une région est en général quasiment une fonction linéaire du nombre de chercheurs, lequel résulte des évolutions de l’enseignement supérieur et des politiques conduites à l’échelle nationale ou locale. Autrement dit, jusqu’à preuve du contraire, tout semble indiquer que la masse critique nécessaire à la réalisation d’une recherche de qualité s’établit très précisément à 1. C’était d’ailleurs exactement l’effectif des spécialistes de théorie physique au bureau des brevets de Berne en 1905. Mais le physicien de cette administration, Albert Einstein pour ceux qui ne l’auraient pas reconnu, n’était pas pour autant isolé car il correspondait avec de nombreux savants : il était donc inscrit dans un réseau d’échanges intellectuels. C’est le réseau qui est important, non la concentration.

La loi de Lotka

Une autre proposition souvent entendue, partiellement liée, consiste à prôner la concentration des moyens sur une petite proportion des auteurs des publications et de leurs laboratoires d’appartenance, ceux à la visibilité scientifique la plus forte. Cette proposition s’appuie sur une régularité empirique, que l’on baptise en général « loi de Lotka »[3] : si 20% des chercheurs sont à l’origine de 80% des publications les plus significatives, pourquoi ne pas concentrer les moyens seulement sur ces 20% ? Ce type de préconisation relève d’un phénomène classique du monde social qui est la tendance au cumul des avantages, l’« effet Mathieu », analysé par le sociologue Robert Merton[4]. Ce type d’analyse occulte le fait que les chercheurs les plus cités sont la partie la plus visible d’un immense travail collectif réalisé par l’ensemble de la communauté scientifique. Pour reprendre une métaphore bien connue, les chercheurs les plus visibles sont des « nains juchés sur les épaules de géants »[5]. Si l’on coupait cette « élite » de sa « base », elle s’étiolerait très rapidement.

Saupoudrage ou arrosage ?

Nous considérons donc que l’excellence n’est pas la caractéristique d’une élite de chercheurs plus connus que leurs collègues, mais la qualité d’ensemble de la recherche d’une ville, d’une région ou d’un pays. Cette qualité ne se mesure pas par le nombre des citations obtenues (qui est seulement et approximativement un indicateur de visibilité), mais par la capacité des résultats produits à se révéler pertinents à l’épreuve du temps et du débat scientifique. De ce fait, il est essentiel de soutenir un large ensemble de laboratoires. Ce type de stratégie se heurte souvent à une incompréhension : soutenir l’ensemble des laboratoires, n’est-ce pas s’exposer au risque du saupoudrage des moyens ? Ne faut-il pas, encore une fois, se concentrer sur les « meilleurs » ? Ce type de réaction pourrait s’entendre si l’on était sûr que les meilleurs d’hier seront aussi les meilleurs de demain. Mais la recherche, c’est une de ses caractéristiques distinctives, est une activité marquée par une incertitude radicale, qui rend impossible l’identification de « l’élite » de demain. Prôner le soutien à l’ensemble des chercheurs, sur la base, pour l’essentiel, de la qualité des projets futurs plutôt que sur la récompense des succès passés, ne correspond pas à une stratégie de « saupoudrage », mais plutôt à une stratégie « d’arrosage » : nous ne pouvons pas savoir à l’avance où vont éclore les meilleures recherches de demain. En arrosant un seul endroit, nous pourrions nous priver de voir éclore l’excellence de demain…


[1] Pour un développement plus long, voir ce texte.

[2]Voir par exemple l’article suivant : Bonnacorsi A. et Daraio C., 2005, « Exploring size and agglomeration effects on public research productivity”, Scientometrics, Vol. 63, n°1, pp.87-120.

[3] LotkaAlfred J. (1926). “The frequency distribution of scientific productivity”. Journal of the Washington Academy of Sciences 16 (12): 317–324.

[4] Merton Robert (1968). The Matthew effect in science. Science 159:56–63. Pagereferences are to the version reprinted in Merton (1973). The Sociology of Science. Chicago University Press, Chicago.

[5] Cette citation attribuée à Newton peut s’entendre en dynamique : les chercheurs d’aujourd’hui (les « nains ») s’appuient sur les connaissances accumulées depuis des siècles par leurs prédécesseurs. Elle doit s’entendre également en statique : la qualité du travail de l’élite d’aujourd’hui (les « nains ») dépend étroitement de la masse du travail réalisé par la base actuelle…

Saga d’une relocalisation verte

Francis Bianconi m’a interviewé/filmé il y a quelques temps dans le cadre de la réalisation d’un documentaire qui va être diffusé demain matin sur LCP 24/24, à 7h55 (pour les lève-tôt), puis de nouveau le dimanche 19 février, à 1h50 (pour les couche-tard). Titre : saga d’une relocalisation verte. Je devrais apparaître quelques minutes pour évoquer le rapport Jego, le discours sur les relocalisations et celui plus récent sur le fabriqué en France.

Géographie des fainéants

Nicolas Sarkozy semble considérer qu’une des explications du chômage en France tient au fait que certains chômeurs refusent un peu trop facilement les formations où les emplois qu’on leur propose.

Propos pas vraiment nouveau à l’UMP, puisque lors de la dernière campagne présidentielle, en 2007, le futur Premier Ministre de la France déclarait :

la famille qui se lève tôt le matin pour aller “bosser” ne doit pas avoir le sentiment d’être lésée par celle qui, cumulant les aides et allocations, n’en ressent plus la nécessité.

Notre Président de la République et notre Premier Ministre étant des gens biens informés, on ne peut que les croire sur cet enchaînement. Etant donné que, parallèlement, l’Insee vient de publier les taux de chômage par zone d’emploi sur la période 2003-2010, on peut s’amuser à repérer les territoires où se concentrent les personnes qui n’ont décidément aucune envie de se lever tôt le matin. Une sorte de géographie des fainéants donc (car les fainéants ont tendance à se regrouper, c’est bien connu).

Voici le top ten :

ze libellé 2010
2203 Thiérache 16,2
3125 Calais 16,2
3122 Lens-Hénin 16
3117 Maubeuge 15,7
9107 Agde-Pézenas 15,3
3115 Valenciennes 15
2205 St-Quentin 14,9
3110 Roubaix-Tourcoing 14,9
9104 Alès 14,7
9112 Sète 14,6

Vous ne serez pas sans remarquer que le Nord Pas de Calais est bien représenté (5 des 10 zones d’emploi). Un effet Aubry, sans doute…

Bon, je vous vois venir : vous vous demandez où sont concentrés les courageux? Vos désirs sont des ordres, nouveau top ten :

ze libellé 2010
5304 Loudéac 5,9
8306 Saint-Flour 5,8
1112 Rambouillet 5,7
7304 Rodez 5,7
5217 Les Herbiers 5,5
7401 Tulle 5,4
8305 Mauriac 5,4
5314 Vitré 5,3
9113 Lozère 4,9
1109 Houdan 4,5

Le problème, c’est que la géographie des fainéants est particulièrement stable (ce qui est somme toute logique : les fainéants n’aiment guère se déplacer). Pour preuve ce nuage de point qui croise le taux de chômage en 2010 et celui de 2003 :

On remarque enfin que le taux de chômage en 2010 est assez systématiquement supérieur à celui de 2003. Petite vérification à partir des données : sur les 304 zones d’emploi, seules 17 voient leur taux de chômage diminuer entre les deux périodes (dont 4 zones d’emploi Corses…). Conclusion : la fainéantise est contagieuse.

Expérience de délocalisation

Voilà, c’est ici que je suis désormais installé. Ça change de mon ancienne localisation, n’est-ce pas? WorPress me semble plutôt pas mal, je ne fais que commencer à l’utiliser, plutôt envie de profiter de cette délocalisation pour innover (la délocalisation comme moteur d’innovation, joli sujet, tiens…). N’hésitez pas à poster des suggestions. Merci à l’équipe de l’Université de Poitiers pour l’accompagnement!