Faut-il prolonger ses études en période de crise?

C’est en quelque sorte la question traitée par l’Insee dans ce document qui vient juste de paraître. Avec plusieurs résultats intéressants :

  • les jeunes sont plus fortement affectés par la dégradation de la conjoncture (moins d’embauche, temps d’attente plus long, salaire moindre), ce qui pourrait les inciter à rester dans le système éducatif afin d’attendre des jours meilleurs,
  • ce n’est pas vraiment ce qu’ils font cependant : l’analyse empirique développée dans le document montre que seuls 0,4% des jeunes scolarisés de 16 à 24 ans prolongeraient d’un an leur scolarité quand le taux de chômage des jeunes augmente de 3 points. Le jeune est peu réactif, donc,
  • résultat essentiel : les effets d’une mauvaise conjoncture quand on entre sur le marché du travail s’estompent assez rapidement. Après quatre ans, les taux d’emplois et la part des emplois en CDI sont les mêmes, quelle que soit la conjoncture initiale,
  • différences hommes/femmes cependant : quand un homme de 15 à 24 ans entre sur le marché du travail, une hausse d’un point du taux de chômage baisse de 0,3% son salaire moyen. Pour les femmes, c’est 0,8%. Et alors que les différences s’estompent pour les hommes au bout d’un an, elles durent plus longtemps pour les femmes : cinq ans après leur sortie du système éducatif, elles sont plus fréquemment à temps partiel, notamment pour les plus diplômées. Dans ce contexte, ça peut valoir le coup de prolonger un peu…

L’absence (relative) de persistence des effets n’était pas gagnée d’avance. En effet, les résultats des travaux empiriques sur le sujet sont assez contrastés et varient selon les pays (voir ce document pour une revue de la littérature théorique et empirique). Dans certains cas, ce n’est pas top : effet de 6 ans dans une étude sur l’Allemagne, de 12 ans dans une autre étude japonaise, effet sur toute la période 25-36 ans de jeunes sortis entre 15 ans et 19 ans en Norvège. Ce qu’on peut expliquer par le fait que connaître une période de chômage peut être vu plus ou moins longtemps par les employeurs comme un signal négatif, ou par le fait que connaître une telle période de chômage, c’est accumuler moins de compétences que ceux qui, par chance, n’en connaissent pas et qui donc peuvent rester plus ou moins longtemps avantagés par rapport aux premiers.

Risque de pauvreté des enfants : la France vire en tête!

Eurostat vient de publier une note sur le risque de pauvreté et d’exclusion sociale dans l’Union à 27. On y découvre notamment, pour 2011,  le pourcentage d’enfants menacés de risque de pauvreté monétaire en fonction du lieu de naissance des parents (parents nés dans le pays de résidence vs. au moins un parent né à l’étranger).

Les chiffres pour la France ne sont pas inintéressants : 14,1% d’enfants menacés de risque monétaire quand les deux parents sont nés en France, mais 39,3% quand un des parents est né à l’étranger. Les moyennes pour l’UE27 sont respectivement de 18,3% et 31,5%.

Je me suis donc empressé de récupérer les données du tableau et de faire quelques calculs, en rapportant notamment les deux valeurs. Voici ce que j’obtiens :

Pays nés dans le pays de résidence au moins un parent né à l’étranger ratio
UE27 18,3 31,5 1,7
Belgique 12,1 33,9 2,8
Danemark 7,8 24,8 3,2
Allemagne 14,2 24,8 1,7
Estonie 19,7 16,9 0,9
Grèce 19,8 43,1 2,2
Espagne 23,2 45,5 2,0
France 14,1 39,3 2,8
Italie 24,4 33,5 1,4
Chypre 8,9 22 2,5
Lettonie 24,6 25,3 1,0
Lituanie 23,3 37,3 1,6
Luxembourg 11,4 24,5 2,1
Hongrie 22,9 21,4 0,9
Malte 21,3 17,9 0,8
Pays-Bas 10,9 29,6 2,7
Autriche 8,4 28,1 3,3
Portugal 20,6 26,7 1,3
Slovénie 12,8 23,8 1,9
Finlande 10 26,6 2,7
Suède 9,5 29,1 3,1
Royaume-Uni 16,2 23,2 1,4
Islande 10,2 18,7 1,8
Norvège 5,7 25,3 4,4
Suisse 12 22,7 1,9

Si on regarde la deuxième colonne, on s’aperçoit que la France a un des “scores” les plus mauvais : 3ème pays, derrière l’Espagne et la Grèce. Il ne fait pas très bon avoir un parent né hors de France, en France…

Mais ce n’est pas tout : je me suis amusé à regarder la position de la France sur la troisième colonne. De manière plutôt intéressante, on constate que les pays du Nord de l’Europe ont des ratios pourris élevés. La Norvège vire en tête, le Danemark est 3ème et la Suède 4ème (l’Autriche s’intercale en 2ème position). La France n’est pas loin derrière, en 6ème place, juste derrière la Belgique.

Pour combiner les deux informations, j’ai simplement ajouté le classement des pays sur les deux indicateurs. Pour la France, par exemple, on obtient un score de 9 : elle est 3ème sur le premier classement et 6ème sur le deuxième, d’où 6+3=9. On peut alors calculer le rang des pays sur ces nouveaux chiffres : la France arrive brillamment en tête, suivie de la Belgique et de la Grèce.

Qu’est-ce que cela veut dire? Que la France protège mal les enfants dont un parent est né à l’étranger du risque de pauvreté monétaire, c’est l’un des pires pays d’Europe, d’ailleurs. Et comme elle protège bien, dans le même temps, les enfants dont les deux parents sont nés en France de ce même risque, la situation non seulement absolue mais aussi relative des enfants dont un des parents est né hors de France est la pire de l’UE à 27. Oui, vous avez bien lu : la pire…

17,90€

C’est le salaire brut horaire moyen d’un salarié travaillant à temps complet, dans le secteur privé ou une entreprise publique, en France, en 2010, nous apprend l’Insee.

Sur cette autre page, toute une série de tableaux pas inintéressants sur la variation autour de cette moyenne de 17,90€  :

  • par Catégorie socio-professionnelle, le maximum est atteint pour les cadres administratifs et commerciaux, avec 35,1€, les ouvriers agricoles sont tout à la fin avec 11,3€ (les études ne servent à rien),
  • selon le genre, 16,2€ pour les femmes, 18,8€ pour les hommes,
  • selon l’âge, salaire continûment croissant, passant de 9,9€ pour les moins de 18 ans à 26,5€ pour les plus de 60 ans,
  • par secteur d’activité, le secteur “cokéfaction et raffinage” culmine à 30,5€, le secteur “hébergement et restauration” ferme la marche (13,1€, vive l’économie résidentielle, tiens!)
  • salaire continûment croissant avec la taille des entreprises, de 14,4€ pour les 1-4 postes à 25,4€ pour les 5000 postes et plus (small is beautiful),
  • dernière distinction : 17,9€ à temps complet, 14,9€ à temps non complet.

Il y a d’autres données détaillées ici, quelques croisements, des tableaux par région/département, etc.

En conclusion : une jeune femme ouvrière agricole à temps partiel dans une petite exploitation du fin fond de la Creuse, comment dire… c’est pas top côté salaire…

Pourquoi, mais pourquoi donc, avons-nous de si mauvais politiques?

Parfois, les bras m’en tombent… Je me dis que si nos politiques prenaient la peine de suivre un cours d’économie de 2 ou 3 heures, niveau deuxième année de licence, le monde irait mieux.

Dernier exemple en date, la fureur de Huchon et Pécresse au sujet des RER qui sautent des arrêts pour respecter l’horaire. L’article de Libé est confondant. Pour Huchon et Pécresse, je veux dire. Extrait de l’article :

«Je suis absolument furieux et je vais m’en occuper tout de suite», a-t-il affirmé. «On a signé des contrats donnant des obligations à la RATP et la SNCF (qui co-exploitent les RER, ndlr) moyennant un bonus ou un malus selon le respect de ces obligations, et la première est arriver à l’heure», a rappelé Jean-Paul Huchon.

«Actuellement sur certaines lignes, il y a des retards considérables et pas admissibles», a souligné le président PS de la région Ile-de-France, «c’est complètement stupide de la part de la direction de l’entreprise de donner éventuellement des consignes» de ne pas s’arrêter pour tenir les horaires. «Je vais reprendre le contact immédiatement avec Mongin (patron de la RATP, ndlr) et Pépy (PDG de la SNCF, ndlr) pour leur dire que cela ne convient pas»

(…)

L’opposition régionale, par la voix de Valérie Pécresse, présidente du groupe UMP, a dénoncé une «situation totalement scandaleuse», dans un communiqué. «Le système de bonus-malus doit inciter les opérateurs à offrir un meilleur service aux usagers (…) La situation décrite par Europe 1 constitue un détournement inacceptable du système et appelle une réponse immédiate et forte», a estimé Valérie Pécresse.

J’avoue, j’ai lu l’article plusieurs fois. Au début, je me suis pincé, pensant que je rêvais. Les bras m’en sont tombés. Courageusement, je les ai ramassés (pas facile). Revissés (plus dur encore).

La Région Ile-de-France fixe un objectif prioritaire à des entreprises : arriver à l’heure. C’est la première des obligations, rappelle Huchon. Et il s’étonne que tout soit fait pour respecter cet objectif inscrit contractuellement, au mépris d’autres considérations. Facilement vérifiable, l’objectif, qui plus est. Et Pécresse s’étonne du détournement de ce système de bonus-malus, appelant une réponse immédiate et forte.

Dites à des policiers que tout ce qui compte pour leur évalution, c’est le nombre de gardes à vue. Le nombre de gardes à vue explosera. Un grand nombre sera injustifié.

Dites à des chercheurs que tout ce qui compte pour leur budget recherche, c’est le nombre d’articles publiés, il augmentera. Leur qualité baissera aussi, très vite.

Dites à un footballeur, bon dribleur, qui passe trop souvent le ballon à l’adversaire, qu’il sera sanctionné financièrement à chaque ballon rendu. Il ne fera pas moins de mauvaises passes : il arrêtera de faire des passes.

Je peux multiplier les exemples, tous réels. Définissez un objectif. Réduisez le à un indicateur, avec une performance à atteindre. Elle sera vite atteinte : on répond tous très bien, très vite, à ce type d’incitation.

C’est du niveau L2, je vous jure. Sûr qu’en L1, ça passe aussi. Voire au Lycée.

Université : faut-il renforcer le recrutement local?

Je vous avais promis il y a quelques temps de vous présenter les résultats d’une étude sur la mobilité géographique des enseignants-chercheurs, en France. Il s’agit en fait de la nouvelle version d’un travail co-réalisé avec Bastien Bernela et Marie Ferru.

Dans la première version, nous avions montré que la mobilité géographique des enseignants-chercheurs semblait faible : 63,5% des individus de notre base ont dirigé leur première thèse dans la région où ils ont soutenu la leur. Je dis bien semblait faible, car nous n’avions pas de point de comparaison avec d’autres populations de diplômés.

Dans la nouvelle version de notre travail, nous avons notamment complété sur ce point, en mobilisant les enquêtes génération du Céreq. Plus précisément, nous avons utilisé les résultats sur l’insertion à 3 ans et à 10 ans des diplômés en 1998, pour mesurer la mobilité géographique des personnes interrogées en fonction de leur niveau de diplôme. Les docteurs sont-ils plus ou moins mobiles que les titulaires d’un Master ? Nous avons également distingué, parmi les docteurs, ceux qui se sont engagés ensuite dans le monde de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (docteurs ESR) et les autres (docteurs non-ESR), afin de savoir si la faible mobilité évoquée plus haut est ou non spécifique au monde universitaire.

Premiers éléments de réponse dans le tableau ci-dessous :

Les sortants du système éducatif sont en moyenne 22% à changer de région entre 1998 et 2001. Proportion qui monte à 29,5% en 2008. Fortes variations selon le niveau de diplôme : les personnes titulaires d’un diplôme inférieur au Master ne sont que 19,9% à changer de région entre 1998 et 2001, proportion qui monte à 45,7% pour les titulaires d’un Master mais qui redescend à 33% pour les docteurs. Premier résultat intéressant, donc, la mobilité géographique est moins importante à bac+8 qu’à bac+5.

Deuxième résultat essentiel et qui nous a surpris : les docteurs ESR sont plus mobiles géographiquement que les docteurs non ESR, avec des taux respectifs de 38,3% et 30,7% entre 1998 et 2001. Les proportions convergent cependant en 2008 : les docteurs ESR sont donc mobiles en tout début de carrière, mais ne bougent plus ensuite ; les docteurs non ESR, à l’inverse, commencent plus souvent leur carrière dans leur région d’étude mais migrent davantage après.

Comment expliquer que les docteurs soient moins mobiles géographiquement que les titulaires d’un Master ? Que les docteurs ESR soient plus mobiles que les docteurs non ESR ? Pour avancer un peu sur ces questions, nous avons testé des modèles économétriques avec comme variable expliquée le fait de changer de région entre 1998 et 2001 et comme variables explicatives le niveau de diplôme (inférieur au Master, Master, Doctorat), le monde professionnel dans lequel s’engagent les docteurs (ESR et non ESR) et l’âge. Résultats ci-dessous.

Le fait d’être titulaire d’un Doctorat plutôt que d’un Master réduit de 8,5 points de pourcentage la probabilité de changer de région entre 1998 et 2001 (modèle 1a). Si l’on introduit la variable âge (modèle 2a), l’effet diplôme disparaît au profit d’un effet d’âge non linéaire : la mobilité augmente avec l’âge jusqu’à un point de retournement de 24,3 ans, après lequel la mobilité diminue. Ce sont sans doute des considérations sociologiques qui expliquent ce résultat : pendant le doctorat, on se met en couple, le conjoint est en emploi, on a éventuellement des enfants, …, tout ceci ancre géographiquement les docteurs.

La troisième version testée (modèle 3a) introduit la distinction entre docteurs ESR et non ESR. On observe qu’il n’y a pas de différence significative entre docteurs ESR et titulaires de Master en termes de mobilité géographique. En revanche, les docteurs non ESR sont significativement moins mobiles. Dans la dernière version (modèle 4a), enfin, on retrouve le même type d’effet d’âge (effet positif puis négatif), mais cet effet n’annule pas l’effet monde professionnel pour les docteurs non ESR, qui restent significativement moins mobiles.

Je cite un petit passage de notre texte où l’on esquisse des hypothèses d’interprétation, nous sommes bien sûr preneurs d’autres hypothèses :

Au terme de ces traitements CEREQ, le résultat le plus surprenant au regard des débats français est la plus faible mobilité des docteurs non ESR relativement aux docteurs ESR. Pour l’expliquer, nous proposons plusieurs hypothèses interprétatives. Les postes se  font  plus  rares  à  l’université qu’ailleurs : pour un individu ne souhaitant pas faire carrière dans  l’ESR, il est donc plus facile de trouver un emploi localement. En effet, pour  être  recruté  dans  l’université de soutenance, il faut d’abord   qu’un   poste   soit ouvert l’année   qui   suit   la   thèse.   Les   logiques   de   recrutement hors université  (recrutement  dans  le  privé,  création  d’entreprise)  dépendent  moins  de  contraintes de calendrier : elles offrent davantage de souplesse et permettent aux docteurs non ESR de trouver plus facilement un travail en région. De plus, le recrutement local peut simplement être interdit dans certaines universités, impliquant un changement d’établissement   si le docteur souhaite continuer dans l’ESR. Enfin, avant  d’accéder  à  un  poste  académique  permanent,  notamment  celui de maître de conférences, de plus en plus de docteurs passent par des statuts transitoires, comme le post-doctorat. Ces transitions ne se font pas forcément localement et génèrent donc des mobilités.

En tout cas, ces résultats m’ont inspiré ce titre volontairement provocateur (car ce n’est pas pour cela que je plaide) : à contre-courant du discours dominant, si l’on considère que le marché privé du travail est plus fluide et plus efficace que le marché public du travail, qu’il assure donc un meilleur appariement entre offre et demande de travail, on devrait logiquement plaider non pas pour une réduction, mais pour un accroissement du localisme…

PS : Bastien Bernela présentera notre article au séminaire interne du CRIEF, jeudi 14 février, entre 14h et 15h, Faculté de Sciences Economiques, 2 rue Jean Carbonnier, bâtiment A1, 86000 Poitiers – salle A 150. Entrée libre sur simple inscription par mail à ufr.sceco(at)univ-poitiers.fr.

Les emplois verts, avenir du Monde (avec les relocalisations, quand même…)

Que les choses soient claires, car je sens que je vais me prendre des remarques désobligeantes. La destruction de la planète, c’est comme le sida : je suis contre.

Ceci étant dit, la médiatisation de la croissance verte (puisque c’est le terme aujourd’hui consacré), ou plutôt le décalage entre la communication politique sur le sujet et la réalité des faits me fatiguent un tantinet.

C’est donc avec intérêt que j’ai découvert les résultats de cette étude de la Direction Régionale de l’Insee Poitou-Charentes sur le nombre d’emplois verts et le nombre d’emplois verdissants en région, leur part dans l’ensemble des emplois, et le rang de Poitou-Charentes dans l’ensemble des régions.

Les emplois verts stricto sensu pèsent 0,5% de l’ensemble des emplois de la Région, ce qui est le taux moyen de la France métropolitaine. Poitou-Charentes occupe la 13ème place (sur 22 régions métropolitaines).

0,5%, c’est un peu plus, pour rappel, que ce que pèsent les emplois créés pour motif de relocalisation dans l’ensemble des emplois créés suite à des investissements dans notre beau pays. Relocalisation et croissance verte étant sans doute les termes les plus utilisés dans les discours des politiques relatifs à l’avenir de notre économie, j’en déduis que moins un phénomène existe, plus nos politiques en parlent. Leur côté visionnaire, sans doute.

Si l’on élargit la perspective en dénombrant les emplois verdissants (en gros, des métiers existant qui doivent s’adapter), ils pèsent 14,6% en Poitou-Charentes, contre 15,3% France entière. Je n’ai pas trouvé le rang précis, mais notre région est dans le groupe des 7 dernières régions.

Comme on peut toujours trouver un indicateur permettant de bien se situer dans un classement, on apprend quand même dans le document que Poitou-Charentes est la 2ème région de métropole pour l’importance des niveaux CAP-BEP dans l’ensemble des emplois verdissants. Médaille d’argent. Yep.

PS : je précise, pour expliquer mon côté un tantinet fatigué, que pendant que je lisais cette étude, trônait sur mon bureau une carte de voeux reçue d’une collectivité dont je tairais le nom, qui affichait comme slogan “l’excellence environnementale a trouvé son territoire”…

Le recrutement local dans les Universités : rien ne change

La question du localisme semble retrouver une certaine actualité en France. Pour ceux qui l’auraient oublié, cette question avait suscité pas mal de débats en 2008, suite à l’étude de Godechot et Louvet, étude dont j’avais fait une analyse critique avec Michel Grossetti et Anne Lavigne. Plus récemment, j’avais posté un billet qui décalait quelque peu le débat, en présentant les résultats d’une étude s’intéressant moins aux pratiques de recrutement qu’à la mobilité géographique (inter-régionale) des enseignants-chercheurs.

Je viens de recevoir les résultats d’une autre étude empirique de Didier Chauveau et Stéphane Cordier, qui analysent l’Indice de Mobilité Académique (IMA) qui est publié par le ministère de la recherche et l’enseignement supérieur depuis 4 ans. Ils montrent que le taux de localisme est stable dans le temps et variable selon les disciplines. Sur le premier point, ils ont construit le graphique suivant, en distinguant les Professeurs des Universités et les Maîtres de Conférences :

L’endorecrutement des PU tourne autour de 50%, celui des MCF est autour des 20-25%. Tout corps confondus, il a été de 32%, 36 %, 27% et 28 % entre 2008 et 2011. Dans tous les cas, pas d’évolution statistiquement significative, précisent les auteurs.

Ils insistent ensuite sur le cas particulier des mathématiques, qui s’interdisent depuis pas mal d’années de recruter localement les MCF, ce que l’on retrouve logiquement dans les chiffres. Le pourcentage d’endorecrutement est également faible dans cette discipline au niveau des PU, mais là, un complément serait utile : étant donné que les recrutements locaux sont rares, n’assiste-t-on pas, lors du passage au corps des PU, à un retour plus important que la moyenne des autres disciplines à l’Université de soutenance de la thèse? Je ne suis pas sûr que les données mobilisées permettent de répondre à cette question, je transmets cependant aux auteurs, qu’ils n’hésitent pas à répondre en commentaire s’ils le souhaitent.

Je reviendrai bientôt sur le sujet, car nous sommes en train de finaliser une nouvelle version de notre article, qui complète le précédent sur un point essentiel : la faible mobilité géographique des enseignants-chercheurs est-elle spécifique à notre monde professionnel? Les docteurs ne s’engageant pas ensuite dans le monde de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche sont-ils plus mobiles géographiquement que ceux qui s’y engagent? Vous pouvez faire un pronostic en commentaire, réponse dans quelques jours…

Made in France et Made in Monde : de nouveaux chiffres

J’en ai parlé à plusieurs reprises (ici, et ) , la comptabilité traditionnelle des échanges extérieurs masque très largement la tendance croissante à la fragmentation des processus productifs. Petite illustration : une entreprise localisée en France exporte une voiture vers l’Allemagne, d’une valeur de 100. Dans la comptabilité traditionnelle, on comptera +100 pour les exportations françaises vers l’Allemagne dans le secteur automobile. Considérons maintenant la fragmentation des processus productifs : pour fabriquer cette voiture, l’entreprise importe des composants d’autres pays, par exemple des pays d’Europe Centrale et Orientale, disons de Slovaquie. Supposons que ces composants importés soient d’une valeur de 40. Une comptabilité en valeur ajoutée affectera +60 d’exportations de la France vers l’Allemagne et +40 d’exportations de la Slovaquie vers l’Allemagne. Supposons en outre que pour fabriquer cette voiture, l’entreprise achète des services à des entreprises localisées en France (design, recherche, communication, etc.), disons pour une valeur de +20. Dans la comptabilité traditionnelle, on compte +100 d’exportations de la France vers l’Allemagne dans le secteur automobile. Dans la comptabilité en valeur ajoutée, on comptera +60 d’exportations, dont +40 pour le secteur automobile et +20 pour les secteurs des services aux entreprises. On le voit, notre perception de la géographie des échanges et des secteurs exportateurs peut en être sensiblement modifiée.

L’OCDE et l’OMC se sont emparés du sujet depuis quelques temps. Ils viennent de mettre en ligne des données très intéressantes sur le sujet (merci à Xavier Desray pour l’info!), ainsi que des synthèses par pays. Ce document, notamment, montre ce que cela change pour la France : le déficit commercial vis-à-vis des Etats-Unis est sensiblement réduit, passant de 27 à 18 milliards de dollars. Idem, dans une moindre mesure, avec la Chine : le déficit passe de 12,3 milliards de dollars avec la comptabilité traditionnelle à 9,8 milliards avec la comptabilité en valeur ajoutée.

Une analyse non plus géographique mais sectorielle permet de souligner un autre point essentiel, qui ne va pas trop plaire aux obsédés de l’industrie mais que voulez-vous, c’est la vie : la France exporte essentiellement des services, qui sont incorporés dans les biens manufacturés. Dans l’ensemble des exportations brutes, la part des services est de 55%.

S’agissant des Etats-Unis, son déficit vis-à-vis de la Chine est réduit de 25%, au profit de l’Allemagne, du Japon et de la Corée du Sud. Les services pèsent 56% des exportations. Quant à l’Allemagne, son déficit commercial vis-à-vis des Etats-Unis se transforme en excédent avec cette nouvelle comptabilité. Les services pèsent également beaucoup dans leurs exportations, avec une part de 49%.

Ce serait bien que les politiques français, à l’échelle nationale comme à l’échelle régionale, s’emparent de ces chiffres et modifient leurs politiques : plutôt que de prôner à longueur de discours le Made in France et de mettre en place des observatoires des relocalisations qui ne serviront strictement à rien, ils devraient prendre acte de cette fragmentation des processus productifs et s’interroger sur le positionnement des entreprises françaises dans les chaînes de valeur ajoutée déployées à l’échelle mondiale. Quels sont nos avantages comparatifs? Comment les renforcer? Comment se rendre indispensable sur certains créneaux, afin de pérenniser ces avantages? Dans le même sens, je leur conseille d’analyser l’ensemble des secteurs, de regarder d’un oeil neuf le secteur des services, de sortir de leur obsession pour l’industrie.

Je sais : c’est pas gagné…

Le retour de la vengeance des relocalisations

Cet après-midi, un journaliste de Libé m’a contacté au sujet des relocalisations : il paraît que notre ministre du redressement productif (Arnaud Montebourg) souhaite mettre en place un programme confié à “l’Agence française des investissements internationaux (Afii) [qui] va offrir gratuitement aux entreprises qui le souhaitent un nouveau service en leur permettant de calculer les avantages de tous ordres à relocaliser des activités”. J’étais passé à côté de l’info, j’ai trouvé cet article du JDD daté du 18 janvier dernier et celui-ci (quasi le même) dans le Figaro (daté du 11 janvier).

Il y a près de deux ans, je m’étais fendu d’un billet pour montrer, à partir d’une des rares bases de données permettant de quantifier le phénomène (la base de l’Observatoire de l’Investissement de Trendéo), que les relocalisations ne pesaient quasiment rien dans les opérations d’investissement réalisées en France (ni dans les emplois créés à l’occasion de ces opérations). Les délocalisations pas beaucoup plus, en passant. Ceci sur données 2009. Un an plus tard, j’avais récidivé en co-écrivant un article sur données 2009 et 2010, qui arrivait au même résultat : les relocalisations ne pèsent quasiment rien, les délocalisations pas beaucoup plus.

Les politiques, qui n’aiment tant rien que de se saisir des sujets majeurs, se sont très vite emparés du sujet. J’en avais parlé un an plus tard, à la quasi-veille des élections présidentielles, pour rappeler que Nicolas Sarkozy avait confié à Yves Jégo la rédaction d’un rapport destiné à mettre fin à la mondialisation anonyme, de proposer des préconisations pour favoriser les relocalisations, tout ça, tout ça… Arnaud Montebourg, fils spirituel de Nicolas Sarkozy et d’Yves Jégo, donc, si je comprends bien.

Comme ce soir, je n’avais pas piscine, j’ai décidé d’actualiser un peu les statistiques de l’Observatoire de l’Investissement, en compilant les chiffres pour 2009, 2010, 2011 et 2012. Ce qui conduit à deux tableaux, le premier recense les opérations de délocalisation, de désinvestissement, de relocalisation et d’investissement observés en France par Trendéo ; le deuxième quantifie la même chose, en termes d’emplois créés/détruits plutôt qu’en nombre d’opérations. A chaque fois, on peut calculer le ratio délocalisation/désinvestissement (ça pèse lourd dans les emplois détruits les délocalisations?) et le ratio relocalisation/investissement (ça pèse lourd dans les emplois créés les relocalisations?).

Tableau 1, en nombre d’opérations :

année délocalisation désinvestissement ratio relocalisation investissement ratio
2009 106 2728 3,9% 12 3011 0,4%
2010 37 2712 1,4% 13 5261 0,2%
2011 30 2279 1,3% 8 4106 0,2%
2012 52 2067 2,5% 12 2961 0,4%
Total 261 10161 2,6% 45 15577 0,3%

Tableau 2, en nombre d’emplois

année délocalisation désinvestissement ratio relocalisation investissement ratio
2009 -12688 -285884 4,4% 406 169511 0,2%
2010 -3022 -172810 1,7% 205 194900 0,1%
2011 -2477 -119858 2,1% 108 165199 0,1%
2012 -3296 -117225 2,8% 245 132328 0,2%
Total -25495 -747487 3,4% 964 691130 0,1%

Les délocalisations pèsent 2,6% des opérations de désinvestissement et 3,4% des emplois détruits. Côté relocalisation, c’est 0,3% des opérations d’investissement et 0,1% des emplois créés.

Bon, on peut toujours se dire que, justement, il faudrait fissa mettre en place des politiques pour booster la dynamique. Pour preuve les cas de relocalisations aux Etats-Unis. Sauf qu’en pourcentage des emplois créés et détruits, aux Etats-Unis comme en France, ça doit pas peser lourd. Sauf qu’en plus, aux Etats-Unis, l’hétérogénéité des conditions de travail et de rémunération entre Etats est sans aucune mesure avec l’hétérogénéité des conditions de travail et de rémunération entre régions françaises : en forçant un peu le trait, certains Etats du Nord feraient palir d’envie la Suède, certains Etats du Sud feraient s’enfuir les travailleurs chinois. Et ça relocalise pas mal au Sud, quand même.

Voilà, voilà… Bon, sinon, en creux, les emplois détruits pour d’autres motifs que les délocalisations, ça pèsent 96,6% de l’ensemble des emplois détruits en France. Et les emplois créés pour d’autres motifs que pour des relocalisations, ça pèse 99,9% des emplois créés en France. Je me demande si le Ministère du Redressement Productif ne devrait pas se pencher un peu plus sur ces autres chiffres. Question idiote d’un chercheur qui n’a pas piscine, sans doute…

Accroître la dégressivité des indemnités chômage

La question de la dégressivité des indemnités chômage refait surface, avec ce rapport de la Cour des Comptes : le système français est peu dégressif, du fait du plafond d’indemnisation très élevé du chômage, plus de 6000€ en France, contre autour de 2000€ en Belgique et en Allemagne.

J’avais évoqué cette question lors de l’affaire Domenech, qui se retrouvait à toucher, après l’épopée glorieuse de l’équipe de France, autour de 5600€ nets mensuels d’indemnités chômage. Les Econoclastes s’interrogent sur la pertinence d’une baisse du plafond, en renvoyant notamment à cet article de la Tribune : la baisse du plafond devrait s’accompagner d’une baisse des cotisations des cadres, or ils contribuent beaucoup et bénéficient peu des indemnités car is sont très peu exposés au chômage. Par sûr que l’on y gagne, nous dit le journaliste…

Comme toujours sur ce sujet, je renvoie à l’excellent article des Ecopublix, qui montrait qu’une proportion non négligeable des personnes à très haut salaire attendaient le dernier moment pour reprendre un emploi, contrairement aux personnes à salaire plus faible. Logique : ces personnes à très haut salaire peuvent très vite retrouver un emploi, elles peuvent s’accorder entre deux jobs une bonne pause en vivant d’allocations généreuses et retouner à l’emploi lorsque l’allocation s’arrête (je force le trait, je ne dis pas que 100% de ces personnes font ça). Ce rapport du CERC, datant de 2005, évoquait déjà cette question. A l’époque, une baisse du plafond à 1500€ aurait concerné 14,6% des allocataires ; une baisse du plafond à 1800€ en aurait concerné 8%.  A 3000€, on tombait à une proportion de 2,3%. A l’époque toujours, le passage à un plafond de 1500€ aurait conduit à une économie pour l’Unedic de 2,75 milliards d’euros par an. Somme non négligeable, potentiellement mobilisable pour accompagner les personnes à l’inverse très exposées au risque de chômage.

Bref, compte-tenu de ces éléments, une baisse du plafond d’indemnisation en France me semble une mesure plutôt adaptée. Ni miraculeuse, ni révolutionnaire, mais plutôt adaptée : bien calibrée, elle permettrait de réduire ces comportements opportunistes et de se doter de moyens financiers supplémentaires pour former les personnes les moins qualifiées par exemple.

Mesure plutôt adaptée qui ne sera pas prise, bien sûr, car comme le dit le député socialiste Jean-Jacques Germain cité par Le Monde : “Surtout en temps de crise, il n’y aurait rien de pire que de toucher aux droits des chômeurs. (…) S’il y a un déficit qu’il faut accepter, c’est celui-là.” Je me demande ce que Jean-Jacques Germain pensait du montant des indemnités perçues par Raymond Domenech, il y a deux ans…