Interpreter Chopin – Partie 3 : The real Chopin complete works on period instruments

Ce dernier article est la suite de deux travaux qui ont permis, pour le premier de déterminer les caractéristiques des instruments dont disposait le célèbre compositeur à son époque ; et le deuxième, de définir le « jeux Chopin ». Qu’en est-il aujourd’hui et quels seraient les choix d’un pianiste contemporain s’il devait s’exécuter sur un instrument d’époque. Cet article, à partir des deux précédents, a pour objectif d’essayer de répondre à cette question.

Il est courant d’entendre des violonistes jouer sur des instruments du XIXe siècle, mais il l’est un peu moins pour les pianistes. Le Fryderyk Chopin Institute de Varsovie nous offre la possibilité d’entendre – grâce à son coffret édité en janvier 2011 et comportant 21 disques – l’intégralité des œuvres de Chopin sur piano d’époque, jouées par 12 pianistes (Fou TS’ONG ; Kaling COLLEEN LEE ; Nelson GOERNER ; Dang THAI SON ; Tatiana SHEBANOVA ; Wojciech SWITALA ; Janusz OLEJNICZAK ; Kevin KENNER ; Dina YOFFE ; Nikolai DEMIDENKO ; Ewa POBLOCKA ; Marek DREWNOWSKI)

Grâce au premier article – Chopin et Pleyel, partie 1- nous pouvons déterminer si oui ou non les choix des instruments utilisés pour ces enregistrements sont justifiés et s’ils correspondent au profil technique établi. Trois pianos à queue sont utilisés pour ces enregistrements.

Le premier, un Érard de 1849, est représentatif des nouvelles technologies qui apparaissent vers les année 1820 : il possède des renforts métalliques, proche des cadres en fonte contemporains. Une importante contradiction est à relever dans la description du livret. Il y est dit que tous les éléments sont d’origine, sauf ceux que l’on a habituellement l’habitude de changer après usure (très probablement les mouches d’enfoncement et de balancier, ainsi que les feutres de barre de repos ou de mortaise de clavier). Cependant une autre mention est faite, nous informant qu’une restauration avait été effectuée grâce à des éléments conçus avec les matériaux employés à la moitié du XIXe siècle. Il est possible que certains éléments tels que les revêtements des têtes de marteaux répondent au cahier des charges « historiques ». Cependant, si une intervention sur le plan de corde a été effectuée, nous sommes en droit de nous interroger sur la conformité des cordes utilisées puisque aucune étude scientifique n’a permis pour l’instant de déterminer avec précision la composition exacte de l’époque et leurs techniques de fabrication (tréfilage, polissage, etc.)

Le deuxième, un Pleyel de 1848 est la propriété du Fryderyk Chopin Institute depuis son achat lors de la vente de la collection Chris Maene en 2005. D’après la description du livret, les marteaux ainsi que la table d’harmonie sont d’origine. Cependant la mention « Its historical substance, is preserved virtually intact » ne précise toujours pas si les cordes ainsi que le plan de cordes sont d’origine.

Enfin, le troisième piano utilisé pour ces enregistrements est un Pleyel datant de 1847, alors propriété d’une élève qui fut joué par Chopin en 1848. Il est à ce jour la propriété du Jagiellomian University Museum de Cracovie. Comme les deux précédents, il répond aux caractéristiques mécaniques de l’époque (simple échappement pour les deux Pleyel et double échappement pour le Erard).

Malgré le choix justifié de ces instruments d’un point de vue mécanique, il est tout de même important de signaler que les pianos à queue n’étaient pas les seuls à trôner dans les salons bourgeois. Dans cette première moitié de XIXe siècle, d’autres modèles de pianos coexistent. Plus célèbre que le pianino (piano droit), le piano carré, moins encombrant que son concurrent le piano à queue, était très répandu dans les salons. Nous pouvons donc nous interroger quant au choix du piano à queue. Pourquoi d’autres modèles de piano (comme le piano carré) n’ont-ils pas été utilisés ? Une première piste de réflexion peut être le fait que, dans notre vision contemporaine, il est d’usage d’utiliser le piano à queue pour les concerts et les enregistrements. Cependant, la musique de Chopin était-elle destinée simplement à être jouée lors de concerts ? Les nocturnes et préludes par exemple sont des pièces qui étaient plus souvent jouées dans les salons pour un public restreint. Chopin, lorsqu’il se produisait en petit comité, ne disposait généralement que de l’instrument présent sur place. Et comme nous l’avons mentionné plus tôt, les pianos carrés et pianinos étaient très répandus chez les particuliers.

Nous pouvons également nous demander si l’interprétation historiquement informée exige l’emploi d’un piano similaire à celui du compositeur (utilisé pendant la composition) ou d’un piano utilisé par les interprètes de l’époque (professionnels ou amateurs). Une expérience a été menée à Majorque : un pianino similaire à celui de Chopin lors de son séjour a été acheminé depuis Paris pour un concert célébrant le 75e anniversaire du Museo Chopin Celda. L’objectif était clair : rejouer les œuvres de Chopin lors de son séjour à Majorque sur le piano où elles avaient été composées. En voici un extrait :

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=A-NY56c-fJU[/youtube]

                    Aya Okuyama, 2008

Nous nous sommes également intéressés au livret afin de déterminer quel était le but et les attentes du Fryderyk Chopin Institut en éditant ce coffret. Or ce livret de quelques 200 pages ne nous informe pas quant à la démarche du Fryderyk Chopin Institut ; mais nous renseigne plutôt quant aux genres (valse, mazurka, nocturne etc) plébiscités par Chopin pour ses compositions.

Les biographies des 12 interprètes ce de coffret sont brèves et ne nous renseignent pas non plus quant à leur démarche : Se sont-ils renseignés, avant d’enregistrer, quant au jeu de Chopin, son « idéal » sonore ?

La seule information qui nous est donnée à ce sujet concerne Raoul Koczalski (1884-1948) dont les enregistrements qui datent de la première moitié du XXe siècle (les dates exactes ne sont pas précisées) ont été insérés dans le coffret. En effet, Koczalski est considéré comme l’un des plus grands interprètes de Chopin et a initié le mouvement de l’interprétation historique. Sa grande connaissance des œuvres de Chopin est due, en partie, au fait qu’il a étudié avec Karol Mikuli dans les années 1890, lui même élève de Chopin. Le jeu de Koczaski est souvent comparé à celui de Chopin, souple, avec subtilité et sensibilité. Enregistrement de Koczalski datant de 1938 :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=-Ti6c6bhdTE[/youtube]

                    Ballade n°1, op. 23,Chopin

Voici en comparaison en enregistrement récent de Nelson Goerner au Fryderyk Chopin Institut sur le Pleyel de 1848 :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=vLx4Q72PgWk [/youtube]

                    Ballade n°1, op. 23, Chopin

Guillaume Chartreu et Marion Quintard

Koussevitzky plays Koussevitzky

Sergei Koussevitzky est un contrebassiste et chef d´orchestre russe naturalisé américain. Il est né à Vychni Volotchek le 26 juillet 1874 et mort à Boston le 4 juin 1951. Il doit sa grande notoriété à sa direction prestigieuse de l’Orchestre Symphonique de Boston de 1924 à 1949. Koussevitzky est né de parents musiciens professionnels qui lui enseignent précocement le violon, le violoncelle et le piano. A l’âge de quatorze ans, il commence ses études à l’Institut philharmonique de Moscou, où il apprend la théorie musicale et le jeu de la contrebasse, qui devient son instrument de prédilection. Contrebassiste pour l’orchestre du Théâtre Bolchoï à l’âge de vingt ans, premier contrebassiste en 1901, il reçoit une critique très favorable pour son premier récital à Berlin en 1903. En 1905, il épouse Natalia Ouchkov, et s’installe en Allemagne. En 1908, Koussevitzky entame une carrière de chef d’orchestre tout d’abord à la tête  de l’Orchestre philharmonique de Berlin. L’année suivante, il fonde son propre orchestre à Moscou et se spécialise dans la représentation des œuvres de Prokofiev et de Stravinski. De 1909 à 1920, il assoit sa réputation dans toute l’Europe. Après la Révolution russe, il retourne un temps dans son pays natal pour conduire l’orchestre de Pétrograd, puis s’installe à Paris (où se tiennent les Concerts Koussevitzky de 1921 à 1928). Il se lie d’amitié avec Prokofiev, Stravinski, Roussel et Ravel, dont il promeut la musique. Les commandes de Koussevitzky à ses contemporains ont aussi contribué à sa légende. En 1922 déjà, c’est lui qui a inspiré à Maurice Ravel la célèbre orchestration des Tableaux d’une exposition de Moussorgski. En 1930, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’orchestre de Boston, il sollicite à nouveau Ravel (Concerto en sol majeur), mais également Igor Stravinski (Symphonie de psaumes), Paul Hindemith (Konzertmusik) et Albert Roussel (Symphonie n°3, op. 42). En 1942, Koussevitzky se fait le mécène de toute une génération de jeunes compositeurs en fondant la toujours active Koussevitzky Music Foundation, qui créé notamment le Concerto pour orchestre de Bartók (1944), l’opéra Peter Grimes de Britten (1945), et la Turangalîla-Symphonie de Messiaen (1948). Enfin, c’est lui qui réalise le premier enregistrement de la Symphonie n°7 de Sibelius et inscrit au programme de l’orchestre une 8e symphonie qui ne viendra jamais… En tant que professeur, Koussevitzky a compté Leonard Bernstein parmi ses élèves.

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=agbe2oZIq4w[/youtube]

Serge Koussevitzky Concerto pour contrebasse et orchestre en Fa dièse mineur Op. 3. Version avec réduction pour piano. Piano : Pierre Luboshutz. Contrebasse : Serge Koussevitzky. Enregistrement du 25 septembre 1929.

A l’écoute de cet extrait, l’auditeur ne peut qu’être surpris voire choqué par cette interprétation. Si l’utilisation du vibrato est courante à notre époque, on ne peut qu’être étonné de son intensité. Un instrumentiste à corde serait immédiatement repris, s’il s’aventurait à vibrer d’une telle manière. De même, le rubato utilisé rendrait hystérique tout bon professeur et renverrait son élève en cours de solfège. Enfin, l’élément qui crispe peut-être le plus les oreilles actuelles, est l’utilisation sans limite du portamento qui donne aux morceaux un côté que d’aucuns pourraient qualifier de « dégoulinant ». De nos jours, on a plutôt l’habitude d’entendre ce genre de répertoire joué de cette façon:

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=gVSaMRVmLK4[/youtube]

Pourtant, à la lecture de différents traités ou méthodes pour cordes, il semblerait que le portamento ou port de voix était un des plus importants moyen d´expression utilisé. Voici ce qu´on trouve à propos du portamento dans des méthodes du violon, violoncelle et contrebasse de la fin du 19ème siècle et du début 20ème siècle. Giovanni Bottesini, le plus célèbre contrebassiste du 19ème siècle disait littéralement dans sa méthode écrite en 1865 : « On comprend par portamento le passage d´une note liée à une autre, quel que soit l´intervalle, en portant le son sans que la main quitte la corde. Ce passage doit se faire avec une certaine rapidité, afin d´éviter de tomber dans un traînement ou un glissé exagéré qui serait toujours de mauvais goût. »

Au chapitre « Du Port de voix et du vibrato », Joseph Joachim explique que « l’emploi et l’exécution de ce moyen, tiré de l’étude de la voix, et qu’on appelle « le port de voix » (en italien portar la voce)-, est naturellement soumis aux lois du « bel canto ».

« Le port de voix (…) relie deux sons placés dans le même coup d’archet, correspond donc à l’enchaînement par lequel, dans le chant, on relie deux notes sur la même syllabe ; et celui dont l’exécution coïncide avec un changement simultanés de position et de coup d’archet, à celui que fait un chanteur lorsque, pour donner plus d’expression, il en fait un même là où la seconde note tombe sur une syllabe nouvelle.

Cette indication est d’autant plus importante que le souvenir vivant de l’origine et du sens de ce procédé sera le préservatif le plus efficace contre la tentation que pourrait avoir l’élève d’en faire “abus”

Quant à la manière de l’exécuter, en voici la règle fondamentale : Le dernier doigt qui a été appuyé avant le changement de position doit glisser le long de la corde du son initial jusque dans la position où se trouve le son avec lequel une liaison doit être effectuée ou indiquée ».

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=EeVFYA0Duss[/youtube]

Le concert au salon : musique et sociabilité à Paris au XVIIIe siècle

Antoine Lilti

Le sujet de cet article est défini de manière très claire par l’auteur, qui établit un constat de l’état actuel des recherches effectuées autour de sujets similaires afin de placer le sujet dans son contexte musicologique. La «sociologie» des élites parisiennes à l’opéra a déjà fait l’objet de recherches, ainsi que l’écoute des publics des concerts mais l’auteur veut s’intéresser à la pratique musicale, je cite, de «l’intérieur des demeures aristocratiques», ce qui inclue la question du mécénat et des orchestres et de l’éducation. L’étude de cette pratique musicale est indissociable de l’étude de son contexte social qui est celui des salons parisiens uniquement.

Il est d’abord question des «concerts particuliers et à la musique de société». L’auteur s’intéresse aux orchestres permanents généralement  constitués d’une quinzaine de musiciens et financés par de riches aristocrates ou financiers ; c’est le cas de l’orchestre de La Pouplinière qui jouissait d’une grande renommée et constituait «un centre d’innovation musicale»

L’auteur cite à juste titre un extrait d’article de l’hebdomadaire l’Avantcoureur (Paris, 2 mars 1761) qui définit parfaitement le contexte socio-culturel de cette société: «Aujourd’hui que la musique est devenue un amusement presque universel, il s’est formé diverses sociétés particulières d’amateurs et d’artistes qui s’assemblent dans différents quartiers de la ville, pour y exécuter des morceaux choisis de nos meilleurs musiciens.» Ces sociétés (qui ne le sont pas en termes juridiques) sont fondatrices de la vie mondaine. Il est important de préciser qu’il y a, à cette période, peu de dichotomie entre la pratique amateur et professionnelle. La musique est pensée comme un moment de partage et n’est pas une activité solitaire. Elle entretient le tissu social.

Cette pratique aristocratique a aussi pour conséquence de créer une «économie» de la musique grâce à un fort développement du commerce éditorial.

Durant la seconde moitié de ce siècle le nombre de partitions spécialement adaptées à cette pratique mondaine est en augmentation. On trouve ainsi d’innombrables recueils d’airs choisis ou d’ariettes transcrits sur un modèle standard dessus/basse, trio ou quatuor. Cela concerne principalement les airs d’opéra et d’opéra-comique, très en vogue à cette période.

S’il n’existe que peu de différence entre amateurs et professionnels il existe pourtant (en France) une forte distinction entre la pratique privée et la pratique publique. L’aristocrate va au concert et a une pratique instrumentale de haut niveau. Il n’est en revanche pas concevable qu’il se produise en dehors d’une autre société que la sienne, en public lors d’un concert payant. Cette pratique de haut niveau est le témoignage d’une éducation, d’une érudition, elle permet de briller et de se mettre en valeur dans ces sociétés. Elle fait aussi partie d’un mode de vie, des rituels de l’hospitalité aristocratique; aux salons les moments musicaux sont mêlés aux autres divertissements (comme le théâtre), aux repas et au jeux. Il est aussi important pour l’auditoire (l’auteur précise que le terme «public» est réservé aux spectacles publics) d’avoir la capacité à juger et apprécier les qualités musicales des exécutants. Ces moments musicaux pouvaient avoir lieu dans un salon de musique, ou bien dans des salons de compagnie, des cabinets, ou d’autres pièces de sociabilité.

La frontière entre concerts privés et concerts semi-publics est mince et il est difficile de définir l’un et l’autre de façon catégorique. A ce sujet l’auteur tient à nuancer la thèse qui suppose le déclin des premiers au profit des seconds. (idée soutenue par David Hennebelle dans un article paru dans la Revue de musicologie, 87/2, 2001)

En effet les concerts privés étaient toujours en activité durant les dernières années de l’Ancien Régime et les concerts semi-publics étaient aussi partie intégrante du milieu aristocratique et mondain.

On ne peut exclure les liens entre le monde des concerts privés et la franc-maçonnerie ainsi  que les enjeux de protection et de réputation inhérents à ce modèle mondain.

L’envers du décor de ces salons sont bien les réputations qui se font ou se défont. Un musicien se doit de fréquenter les salons s’il espère pouvoir bénéficier de la protection d’un grand. Il y a donc une dépendance certaine entre le musicien et son mécène, sans qui il ne pourrait avoir un emploi et un revenu stable. L’auteur qualifie cela, à juste titre, de «patronat institutionnalisé». Il cite l’exemple de Grétry qui en effet a su «utiliser» ce système en côtoyant de très près cette mondanité, et surtout en la séduisant ! Bénéficiant de la protection de grands noms du monde aristocratique parisien il pu voir ses oeuvres exécutées aussi bien dans les salons privés qu’à l’opéra. Il est sous-entendu que c’est parce qu’il a pu avoir avoir accès à l’espace musical privé et à des protections qu’il a pu ensuite conquérir l’espace public. La carrière de Grétry fut conditionnée par le mode de fonctionnement de cette société, de ses codes et de ses évolutions. Il est utile de préciser que Grétry saura s’adapter aussi aux changements sociaux engendrés par la Révolution française et au renversement de l’aristocratie.

Dans ces salons, ce ne sont pas uniquement les musiciens qui mettent en jeu leur réputation puisque pour les aristocrates un instrument de musique est aussi un moyen de se distinguer. A ce sujet le point de vue de l’auteur peut être nuancé, puisque l’on doit prendre en compte la notion de «nécessité» d’une bonne réputation. Les enjeux ne sont pas les mêmes car un musicien dépend de cette réputation pour subvenir à ses besoins, ce qui n’est pas le cas des grands aristocrates.

Dans le but d’ouvrir une autre perspective l’auteur pose la question de la réceptivité et de l’écoute du public des salons et nous fait part des recherches effectuées par James Johnson sur ce sujet. Ce système mondain place -t- il la musique elle même sur un second plan?

La thèse de Johnson, que l’auteur soutient en partie, est celle d’un public attentif au spectacle social plus qu’à la musique ou aux autres arts représentés. L’art serait un faire-valoir. L’auteur apporte néanmoins un éclairage quant aux critiques de l’époque étayant cette thèse, jugeant celles-ci quelque peu «démagogiques» et peu fiables en tant que source.

Une autre source qu’est l’iconographie est elle aussi discutée. En effet, Johnson s’appuie sur certaines sources iconographiques qui ont pu être contestées par Barbara Hanning. Selon elle, il était d’usage pour les peintres de mélanger plusieurs scènes, plusieurs moments dans un même tableau. On ne peut donc pas considérer que la peinture constitue une preuve matérielle irréfutable. Il s’agit plutôt du témoignage d’un moment de la vie mondaine auquel prenaient part la musique et les arts.

Les correspondances sont aussi une source importante pour le musicologue. L’auteur cite l’exemple d’une lettre de Mozart envoyée à son père dans laquelle il explique dans quelles conditions il fut reçu par la duchesse de Chabot ; il ne fut pas écouté attentivement et fut traité en domestique.

Par ces références l’auteur ouvre le débat puisqu’il nous permet de dépasser les questions ayant déjà été traitées et d’aller ainsi là où il souhaite nous emmener : oublier les présupposés que nous avons en tant qu’auditeurs modernes, influencés par les normes qui s’imposent dès l’époque romantique. Il n’y a pas un public type des salons parisiens. La place prépondérante qu’y tenait la musique était certes dans un but de divertissement, mais cela ne peut être catalogué comme uniquement superficiel ou artificiel. Si tel était le cas nous pouvons supposer que les «acteurs» de cette société mondaine se seraient contentés de quelques jeux de société.

 

Concerto capriccioso de Théodore Dubois

theodore-dubois-1896

Quelques éléments biographiques: (voir The New Grove Dictionary of Music and Musicians)
Théodore Dubois, 1837-1924

Compositeur français, organiste et professeur. Il entre au Conservatoire de paris en 1854. Il y étudie le piano avec Marmontel, l’orgue avec Benoist, l’harmonie avec Bazin et la fugue et le contrepoint avec Ambroise Thomas. Il remporte le prix de Rome de composition en 1861. Alors qu’il était au conservatoire, Dubois joue sur l’orgue de Saint Louis-des-Invalides de 1855 à 1858, année durant laquelle il commence à Sainte Clotilde où il sera chef de choeur de 1863 à 1869. Il est chef de choeur de la Société des Concerts au début des années 1870. En 1877 il succède à Saint-Saëns comme organiste à la Madeleine. De 1871 1891 il enseigne l’harmonie au Conservatoire de Paris, de 1891 à 1896 la composition. Il fut directeur de l’éducation musicale de 1884 à 1896, puis directeur du Conservatoire de 1896 à 1905. Conscient de l’importance pour les étudiants d’avoir une connaissance approfondie de la théorie avant d’étudier les maîtres modernes, il publie un grand nombre de traités théoriques.

Dubois est connu pour ses oeuvres religieuses et son répertoire pour choeur. Il composa également des oeuvres moins connues. C’est le cas de deux opéras comiques en un acte : La Guzla de l’émir  (1873) et Le pain bis (1879).

La première de son ballet en trois actes en 1882 à l’opéra est réputée pour être aussi la première fois que l’électricité était utilisée à l’opéra.

Catalogue complet des ses oeuvres : http://www.theodoredubois.com/catalogue

Théodore Dubois : Concerto Capriccioso

Deux versions enregistrées sur piano moderne de son Concerto Capriccioso en ut mineur de 1876: celle de Jean-François Heisser et l’Orchestre Poitou-Charentes, Mirare, 2011 (quelques extraits sur http://www.mirare.fr/album/theodore-dubois) et celle de Cédric Tiberghien et le BBC Scottish Symphony Orchestra (direction Andrew Manze /Hypérion / 2013).

Piano Blüthner

Piano Blüthner, 1856, Leipzig, appartenant à Sietse Kok

Julius Blüthner, fondateur de l’entreprise, est né en 1824 à Falkenhain en Allemagne. Il commence sa carrière comme ébéniste. L’atelier de facture de piano Blüthner ouvre ses portes en 1853. Il participa à l’exposition industrielle de 1854 où il rencontra un vif succès. La qualité des instruments entraîna une demande incessante à travers les frontières.

Le piano utilisé ici date de 1856. Il est un des premiers modèles breveté par Blüthner. Il ne comporte pas de double échappement mais le brevet «Blüthner’s action» ainsi qu’un système appelé «stos mécanique» permettant une émission du son très directe, légère et permettant une très grande vitesse d’articulation. La profondeur des touches est de 9mm.  Les cordes de ce modèle ont une très grande tension et sont en alliage, ce qui offre une grande stabilité d’accord.

La croissance de l’entreprise s’est poursuivie et en 1864 l’entreprise employait 137 personnes.

Blüthner a développé en 1873 le système «aliquote» de cordage: une quatrième corde non-frappée dans les registres aigus créé une corde vibrante sympathique qui permet d’améliorer la qualité du son et la résonance. La plupart des grands modèles avant 1900 ont été fabriqués avec le brevet de «mécanique Blüthner» et il devint le deuxième plus grand fabriquant d’Europe. L’activité déclina à partir de 1914 et l’invention de procédé plus modernes. Durant la seconde guerre mondiale l’usine fut complètement détruite.

La société fut encouragée par le gouvernement est-allemand à reprendre une production, et partagea pendant un temps les installations avec C. Bechstein avant d’ouvrir de nouvelles usines à Leipzig. L’entreprise Blüthner produit toujours des instruments de grande qualité à ce jour.

[youtube]http://youtu.be/V4QY7GKerQo[/youtube]

[youtube]http://youtu.be/kJWuYALIMjw[/youtube]

[youtube]http://youtu.be/rFqCuySXTQU[/youtube]

La música como discurso sonoro. Hacia una nueva comprensión de la música.

HARNONCOURt, Nicolas, La música como discurso sonoro. Hacia una nueva comprensión de la música, Barcelona: Acantilado, 2006

L’auteur
Nikolaus Harnoncourt (Berlin, 1929) a été un des pionniers de l´interprétation musicale avec des critères historiques. Il a la nationalité autrichienne et est le fils d´une famille aristocrate. Il a fait sa formation musicale à Vienne. En 1952 il a rejoint l´Orchestre Symphonique de Vienne comme violoncelliste. Une année plus tard il a fondé le Concentus Musicus Wien, ensemble avec lequel il a travaillé et a refait découvrir les opéras de Monteverdi. Il a fait des productions novatrices de la musique de Mozart et un premier enregistrement du cycle complet des cantates de Bach. Il a centré son activité de plus en plus sur la direction d´orchestre, avec le souci constant de découvrir des nouvelles perspectives du grand répertoire symphonique.

Contexte du livre
Ce livre a été écrit en 1982. Je pense que c´est un livre qui contient de nouvelles idées, parce que, bien que l´interprétation historique ne soit pas une idée nouvelle, Harnoncourt fait beaucoup de réflexions à ce sujet et il fait également un nouveau compte rendu de l´histoire de la musique, surtout de la musique baroque et classique, avec notre regard actuel.
Beaucoup d´autres livres et articles traitent également de ce sujet, mais je crois que les écrits de Harnoncourt, et surtout sa musique, concernent tout le monde qui s´intéressent à l´interprétation musicale.
Il aborde dans son livre quelques questions polémiques, comme certains aspects de l´histoire de la musique, ou l´utilisation ou non des instruments originaux, etc. Il donne toujours beaucoup de pistes de réflexions, parce qu´il a a énormément étudié les sujets qu’il aborde, mais au final, nous pouvons clairement comprendre sa position.
On trouve sa position originale et nouvelle car il a osé s´intéresser à un sujet polémique, sensible et ambitieux, il donne son point de vue en expliquant les innombrables possibilités.

Structure du livre
Le livre est divisé en trois grandes parties:

  1. Fondamentaux de la musique et de l´interprétation: L´auteur explique l´état actuel de la musique et son impact sur la société d´aujourd’hui. Aussi il parle de l´interprétation de la musique ancienne et de la formation musicale. Ensuite, il développe une série d´hypothèses sur la façon d´interpréter certains aspects de la pratique musicale, de l´interprétation de la notation, l´articulation, la mesure du tempo, les systèmes de tonalités ou la sonorité. À la fin, il fait un récapitulatif et discute sur l´importance d´utiliser ou pas les instruments anciens, ou l´importance de recréer les conditions sonores originales.
  2. Instruments et le discours du son: Dans la deuxième partie l´auteur parle de l´histoire de la musique. La première partie est dédiée plus précisément à l´histoire des instruments anciens, comme le violon baroque et la viole de gambe, aussi bien que l´orchestre et son évolution. À la fin de cette deuxième partie, il traite de l´évolution de la musique baroque à la musique classique.
  3.  La troisième partie est dédiée à la musique baroque. Pour cela, il analyse les différences entre la musique italienne et française, la musique à programme de Vivaldi, les compositeurs autrichiens et leurs tentatives de conciliation, aussi bien que les goûts réunis des compositeurs allemands. Il analyse également la musique baroque anglaise, la musique d´Haendel et les suites de Bach et l´histoire des danses anciennes. Il finit avec les opéras de Lully et de Rameau.

Idées ou hypothèses du livre
Les idées ne sont pas figées, mais évoluent et sont combinées pour fournir un aperçu très complet du discours de l´auteur.
Par ailleurs, il formule une série d´hypothèses très intéressantes dans chaque chapitre, parce qu´il donne une vision générale de l´histoire de la musique et de la pratique musicale et il arrive à spécifier tous les aspects de façon très précise.

Accessibilité
Le livre est destiné aux spécialistes parce que l´auteur parle de beaucoup de concepts purement musicaux, mais il est écrit dans une langue très conventionnelle et facile à comprendre. Le livre expose également quelques situations de la sociologie actuelle en relation avec le monde de la culture.

Bibliographie
Ce livre a été écrit à partir de nombreux articles, conférences et cours travaillés par l´auteur tout au long de son activité de musicien et professeur, depuis l´année 1954 jusqu´en 1980.
Conclusion personnelle:
Nikolaus Harnoncourt est une des figures très importantes du panorama de l´interprétation historique de la musique baroque, classique et romantique, de sorte que nous devons bien analyser son expérience et ses conclusions. Dans ce livre il expose beaucoup d´idées basées sur sa propre expérience. J´ai trouvé importants tous les chapitres du livre, parce que moi, en tant que musicien intéressé par l´interprétation historique, je dois prendre en compte les conclusions des personnes qu´ont étudié à fond ce sujet.
L´auteur offre aussi beaucoup des conseils d´interprétation de partitions anciennes basées sur la lecture des traits instrumentaux de l´époque, et sur sa propre expérience de musicien et de chef d´orchestre.
J´ai également trouvé la critique intéressante qu´il fait à propos de la situation culturelle d´aujourd´hui, où la société actuelle n´est pas représentée par la musique contemporaine, et donc les musiciens d´aujourd´hui doivent continuer à jouer la musique ancienne.

Chopin et Pleyel – Partie 1

Pleyel, la signature sonore de Chopin ?

Une interprétation « authentique » des œuvres de Frédéric Chopin se résume-t-elle à l’utilisation d’un piano Pleyel d’époque ? Force est de constater que ces instruments participent en partie à une restitution sonore proche de celle de l’époque. Mais dans quelle mesure et qu’elles en sont les raisons ?
Le début du XIXe siècle est une période charnière dans la facture du piano. Moitié pianoforte, moitié piano moderne, ces instruments sont le plus souvent le reflet d’un idéal sonore national dont l’évolution est le fruit d’une multitude de progrès (métallurgique par exemple) ainsi que d’un désir perpétuel de perfectionnement.
Pour comprendre le lien qui unissait les pianos Pleyel et Chopin il faut adopter le regard d’un organologue car s’il est certain que ces derniers diffèrent de nos piano contemporains, ils diffèrent bien souvent d’une manufacture à l’autre et ce à une même époque.

« Dans les années 18230 et 1830, les facteurs de l’Europe entière créaient et définissaient chacun à sa manière le piano romantique. »1

Pour simplifier l’étude organologique de ces instruments, l’organisation de ce propos selon les différents éléments constitutifs du piano s’impose. De plus, pour le moment seules les caractéristiques des pianos à queue de Pleyel seront étudiées puisqu’il est bien rare que des interprétation contemporaines dites « authentiques » soient réalisée sur des pianos carré et des pianinos, pourtant très répandus au début du XIXe siècle.

La mécanique
Lien entre le pianiste et la sonorité, la mécanique des pianos de l’époque de Chopin est aussi l’élément le plus difficile à étudier puisqu’elle diffère et évolue selon les époques, cependant certaines caractéristiques des mécaniques utilisées par la manufacture Pleyel peuvent être soulignées.
Pleyel, s’inspire pour la réalisation de ses pianos du système de mécanique anglais, l’English grand action, issue de la mécanique inventée par Cristofori malgré quelques différences. Celle de Cristofori possède un levier intermédiaire qui agit sur le marteau alors que la mécanique anglaise possède un échappement qui agit directement sur la noix du marteau. Cette particularité se retrouve sur tous les pianos de la marque, et ce jusqu’à son adoption tardive du système à double échappement. L’échappement des pianos Pleyel a pour particularité de s’inspirer d’une autre mécanique, la mécanique de Petzold pour le déplacement du bâton d’échappement. Ce dernier ne se déplace pas vers l’extérieur de la touche mais dans le sens contraire, vers l’intérieur.
De plus elle dispose d’un premier élément de réglage, le bouton d’échappement, qui permet de déterminer avec précision la limite de décrochement du marteau et donc de préciser le toucher. Lorsque le marteau retombe, si la touche reste enfoncée, le bouton d’échappement empêche le bâton de retrouver sa place sous la noix de marteau. Il est donc nécessaire de replacer la touche pour rejouer la note.
Le principe double échappement, inventé depuis 1822 par Erard, n’apparaîtra pas sur les pianos de la marque Pleyel avant 1863.

English Grand Action

English Grand Action

Les cordes
Donner une description précise des caractéristiques des cordes installées sur les pianos de la marque Pleyel est difficile puisqu’à cette époque, et ce pour toutes les manufactures de piano, on voit une évolution propre à chaque modèle d’instrument. Cependant, cette évolution concerne non seulement la longueur des cordes mais aussi leur diamètre. Ce progrès est avant tout le fruit d’innovations dans le domaine de la métallurgie, permettant l’utilisation de cordes plus résistantes. Cette augmentation de résistance permit l’augmentation de la tension totale des cordes dans l’instrument à partir des années 1820. Les pianos Pleyel ont suivi cette évolution jusque dans les années 1841-1844

Les marteaux
Pleyel resta, contrairement aux autres manufactures, très attaché à l’utilisation de matériaux fermes pour les couches intérieures et de plus en plus souple vers l’extérieur. L’objectif était l’obtention d’une frappe douce, pour cela il utilisa de multiples couches de peau collées les unes sur les autres autour d’une fine lame de bois, procédé retrouvé sur les pianos anglais de l’époque.
Les marteaux qui étaient recouverts de feutres sont eux percés au centre afin de conférer une plus grande souplesse au noyau. Les dimensions importantes par rapport à la masse et à la tension des cordes sont aussi une caractéristique des marteaux utilisés par Pleyel.

La table d’harmonie
La table d’harmonie est un élément essentiel pour construction de l’identité sonore d’un instrument. Une fois de plus, la manufacture de piano Pleyel s’émancipa de l’esthétique sonore et de la conception d’une direction commune aux autres facteurs. La table d’harmonie d’un piano est composée de plusieurs éléments: la table elle-même, membrane sonore qui permet la transmission des vibrations des cordes à l’air; le chevalet, qui permet la transmission des vibrations des cordes vers la table; et les barres, qui offrent résistance et élasticité à la table. Afin de créer une identité sonore au piano, le facteur joue donc sur ces différents paramètres: plus le chevalet est haut, plus les hautes fréquences seront valorisées, le timbre sera donc « brillant ». A l’inverse, un chevalet bas favorise les sons fondamentaux rendant le timbre de l’instrument sombre. La raideur de la table d’harmonie a pour influence la réponse dynamique du son. plus elle est légère, plus elle diffuse rapidement le son. Pleyel fit le choix d’utiliser une table d’harmonie fine, mais mit au point une table en contreplaqué ayant la résistance d’une table plus épaisse. Cet astucieux système permit aux tables de ces instruments de vibrer dans leur totalité et non de manière restreinte.

Guillaume Chartreu

 

Chopin et Pleyel – Partie 2

Cette seconde partie a pour objectif de déterminer quelles sont les influences des ces différentes particularités sur l’interprétation des œuvres de Chopin.

Cet article va faire un point concernant deux questions essentielles que l’on est amené à se poser quand il s’agit de l’interprétation : les techniques (ici, les techniques pianistiques) et le résultat sonore. Cette analyse est en lien avec l’article précédent, Chopin et Pleyel – Partie 1.

Il est très étonnant de constater que Chopin n’utilisait presque qu’exclusivement des pianos Pleyel dont la mécanique était à simple échappement. En effet, la mécanique à double échappement, inventée par Sébastien Erard en 1822, est déjà en usage à cette époque. C’est donc une caractéristique essentielle du jeu de Chopin que de privilégier une mécanique légère permettant l’expression de subtiles couleurs sonores grâce au toucher.
Malgré une plus grande possibilité de jeu sur les timbres, la mécanique à simple échappement complique la mise en œuvre des répétitions rapides puisque qu’il est nécessaire de relever l’intégralité de la touche pour rejouer la note.
Chopin privilégiait un jeu réfléchi, subtil et en aucun cas, c’est d’ailleurs ce qu’il enseignait à ses élèves : « le but n’est pas de savoir jouer tout d’un son égal. Il me semble d’un mécanisme bien formé de savoir bien nuancer une belle qualité de son1. » Il conseillait également à ses élèves de « Caresse[r] la touche, [de] ne jamais la heurte[r]2. »

Cette recherche constante de subtilité dans le son était une des principales et constantes préoccupations de Chopin, il avait en effet l’habitude de répéter à ses élèves : « Jouez cette note convenablement qu’elle n’aboie pas3 »
Pour Chopin, la préhension générale du clavier nécessitait, en complément, un travail sur l’attaque puisqu’elle lui permettait de donner aux notes une identité sonore. Parmi les nombreux motifs sonores, il semblerait qu’il était très attaché au legato. Cependant, chaque doigt devait, selon lui, apporter une spécificité et ne pas, au contraire obéir aux exigences actuelles qui demandent un jeu de force égale.

«On a longtemps agi contre nature en exerçant les doigts à donner de la force égale. Chaque doigt étant conformé différemment, il vaut mieux ne pas chercher à détruire le charme du toucher spécial de chaque doigt, mais au contraire le développer. Chaque doigt a de la force selon sa conformation. […] Autant de différents sons que de doigts4

Ce parti pris nous surprend car il est à l’opposé de ce qui est enseigné actuellement dans les institutions comme le Conservatoire.

Bien évidemment, si Chopin est si attaché à la technique pianistique qu’il enseigne et qu’il pratique lui-même, c’est pour obtenir ce qu’il considère être comme un idéal sonore. La technique est donc le moyen mis en œuvre pour arriver au résultat. Mais cette seule technique n’est pas suffisante pour produire le son désiré, la qualité et les caractéristiques du piano jouent également un rôle primordial, notamment la mécanique.

La mécanique permet, contrairement aux pianos contemporains d’extraire une palette de timbres plus large. En effet, le jeu avec les nuances ne modifie pas uniquement le volume sonore comme c’est le cas avec les pianos modernes où l’harmonisation est égale sur l’ensemble du registre. Il est peut-être utile de considérer que les nuances indiquées par Chopin sont en réalité plus un jeu sur le timbre de l’instrument qu’un jeu sur le volume sonore. Cette idée nous paraît aujourd’hui inconcevable car cette question sur le timbre n’est plus exploitable sur les pianos contemporains. L’enseignement dispensé de nos jours ne fait plus état de ces possibilités, pourtant multiples et intéressantes. Notre jeu perd donc de la « saveur » et nous nous retrouvons confrontés à une pauvreté de timbres, conséquence directe d’une pauvreté de couleurs des instruments aujourd’hui usités.
Les pianos Pleyel possédaient une identité sonore qui leur était propre, raison pour laquelle Chopin les plébiscitait. En effet, la sonorité particulière était une des volonté principale de Pleyel : chaque registre possédait une caractéristique qui lui était propre, comme le souligne Montal : « Les dessus devinrent brillants et argentins, le médium pénétrant et accentué, la basse nette et vigoureuse5 ». Cette particularité correspondait tout à fait à la personnalité de Chopin et à l’idée qu’il avait de la manière dont devaient sonner ses œuvres. L’écriture de Chopin implique une individualisation de chaque note et des timbres.
Cependant, ces instruments étaient connus pour être désagréables lors du jeu en fortissimo dont le son fondamental était étouffé par le marteau. Autrement dit, l’attaque de la note n’était pas nette mais confuse et le son ne résonnait que pleinement une fois le marteau redescendu. L’instabilité du jeu fortissimo, malgré sa laideur de prime abord, pouvait être un moyen supplémentaire d’expression s’il était utilisé avec réflexion et sensibilité.
Ceci est un indice très important concernant l’interprétation sur ces instruments ; le jeu en fortissimo ne doit pas être violent, comme le mentionne Kalkbrenner qui mettait en garde ses élèves « contre le danger de boxer leur piano ».
De nombreux témoignages ont appuyé cet élément, notamment celui d’Emilie von Gretsch, une élève de Chopin, qui est particulièrement éloquent :

« Sur ce genre de pianos [les claviers résistants], il est impossible d’obtenir les plus fines nuances dans les mouvements du poignet et de l’avant-bras, comme de chaque doigt pris isolément. Ces nuances, j’en ai souvent fait l’expérience chez Chopin sur son beau piano à queue au toucher si proche des instruments viennois. […] Ce qui sortait parfaitement sur mon solide Erard devenait dur, brusque et laid sur le piano de Chopin.6 »

Une autre caractéristique de ces pianos influait également sur le résultat sonore. Il s’agissait de l’augmentation du diamètre et de la longueur des cordes du piano, ce qui entraînait une lourdeur conséquente et accrue sur l’ensemble de l’instrument, c’est la raison pour laquelle les pianos des années 1830 et 1840 sonnaient plus lentement que ceux fabriqués au début du XIXème siècle.

Tous ces éléments, techniques et sonores, nous paraissent assez étrangers. En effet, l’idéal sonore a évolué au cours des années et des siècles pour arriver à une « uniformisation » du son. L’autre raison pour laquelle nous ne sommes pas vraiment familiers avec l’idée que se faisait Chopin de la manière dont devait sonner la musique, est, précisément, que c’est l’idéal personnel de Chopin. Les goûts, étant subjectifs, ils ne peuvent pas être partagés par tout le monde. Ce n’est donc pas qu’une question de différence d’époque, la preuve en est que Liszt, contemporain de Chopin, privilégiait les pianos produits pas Érard. Ces pianos produisaient un son plus dur, plus percussifs, à l’opposé de ce que plébiscitait Chopin.

1 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin vu par ses élèves, Neuchâtel: A la Baconnière, 1988, page 53

2 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin vu par ses élèves, Neuchâtel: A la Baconnière, 1988, page 54

3 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin vu par ses élèves, Neuchâtel: A la Baconnière, 1988, page 54

4 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin vu par ses élèves, Neuchâtel: A la Baconnière, 1988, page 55

5 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin et Pleyel, Paris : Fayard, 2010, page 166

6 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin et Pleyel, Paris : Fayard, 2010, page 167

Marion Quintard

Différences évidentes de l´interprétation d´une même œuvre.

L´air de Mozart « Per questa bella mano » pour baryton, contrebasse obligato et orchestre.

« Per questa bella mano », K. 612 est un air de concert composé par Wolfgang Amadeus Mozart à Vienne et daté le 8 mars de 1791. Elle a été écrite pour chanteur barytone et la contrebasse obligée. C´est l´unique œuvre pour la contrebasse soliste composé par Mozart, et elle devenu très importante dans le répertoire de concert de cet instrument dû à sa difficulté interprétative et à sa beauté artistique. Elle aurait pu être écrite comme interlude dans une représentation d´un opéra buffa et inspirée pour un des grands virtuoses contrebassistes viennoises à l´époque, Mathias Sperger, car le titre « pour cette belle main » fait référence à la réputée façon de jouer la contrebasse d´Sperger. Mais on sait que la première elle était interprétée par le chanteur Franz Xaver Gerl et Friedrich Pischlberg à la contrebasse.
La pièce est divisée dans deux sections : elle commence par un Andante en 6/8 et finis par un Allegro en 4/4 en Ré majeur. Le texte est une romantique déclaration d´amour.
La particularité plus importante qu´on veut montrer avec cet exemple c´est que le choix des instruments d´époque permettre de nous approcher à l´esprit de composition de l´auteur, car à l´époque de Mozart à Vienne il existait une contrebasse un peu spéciale, avec une accordature différente parapport l´accordature actuelle de la contrebasse, ainsi comme, logiquement ils utilisaient des cordes en boyau et pas métalliques et un archet à l´époque, aussi différent aux archets utilisés aujourd´hui. Mais les différences ne sont pas seulement d´un caractère matériel, sinon qu´il faut imaginer l´esprit que ces musiciens avaient à l´époque pour bien communiquer au public le message sonore des compositeurs et interprètes.

La première version qu´on vous offre est interprétée par le célèbre barytone allemand Thomas Quasthoff et le contrebassiste Eugene Levinson, professeur à Julliard et à l´Orchestre Philarmonique de New York, il est un référent de l´école moderne de la contrebasse de la fin du XXe siècle. L´interprétation a été à New York, par la New York Philarmonique Orchestra dirigé par Riccardo Muti.
Levinson utilise une contrebasse et un archet modernes, aussi bien que des cordes métalliques. Les tempi choisis sont assez lents, en permettant au chanteur se réjouir dans sa mélodie avec un beau caractère lyrique.

La deuxième version est l´interprétation du barytone japonais Yoshiaki Kimura et le contrebassiste belge Korneel Le Compte, sur la contrebasse viennoise. L´accompagnement a été réalisé par la pianiste Kimiko Nishi au pianoforte.
Le Compte utilise juste l´instrument qui inspiré à Mozart à écrire cette œuvre, c´est à dire, celui est l´instrument qui utilisaient les contrebassistes à Vienne à cet époque. Il a une accordature avec l´accord de Ré Majeur, en comparaison de l´accordature en quartes de la contrebasse moderne. Elle est aussi montée en boyau et il utilise un archet à l´époque. Tous ces petits détails lui permettre de s´approcher à ce qu´on peut imaginer et étudier qui a été l´interprétation originale. La partie d´accompagnement c´est une réduction pour le pianoforte, pratique très commune à l´époque comme ça la pièce pouvait s´interpréter avec une formation de musique de chambre.
L´interprétation est clairement plus libre au niveau des tempi et rubatos, plus basée à l´esprit de l´opéra où chaque instrument est un personnage différent qui se communiquent entre eux et chaque section musicale devient une scène aussi différente.

Tous les deux versions sont très intéressantes et très appréciées, d´un grand valeur artistique. Ça le corresponde au public de déterminer laquelle s´approche la plus à son propre goût.

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El violón de Domingo Román (Valladolid, 1724)

Le « violón » de Domingo Román (Valladolid, Espagne, 1724) est un violoncelle qui enrichit la liste des rares instruments espagnols à archet conservés au XVIII siècle. Cet article est, fondamentalement, une présentation et description de cet instrument. L´analyse de son contexte stylistique met en avant ses caractéristiques particulières de construction de l´école espagnole de lutherie des siècles XVI à XVIII par rapport aux écoles belge et allemande.
En Espagne aux XVIème et XVIIIème siècles on appelait « violón » les instruments de la famille du violon (en français), c´est-à-dire, les instruments à archet à quatre cordes accordées en quintes sans frettes, en fonction de leur taille et de leur proportion.
La seule information que l’on ait au sujet de cet instrument est l’étiquette sur laquelle est inscrit : Domingo Román, Valladolid 1724 8. La chiffre huit, écrit à la main, pourrait être le numéro de série.
L´article fait une description très complète de l´instrument. Il n’a pas subi de modifications importantes et est donc dans son état original. Plusieurs photographies illustrent la description.
La plupart des instruments à cordes espagnols appartiennent à la seconde moitié du XVIIIe siècle et ont déjà été influencés par les luthiers italiens comme Amati et Stradivarius, ou bien ils ont été transformés en instruments modernes. C´est pour cela que l´étude de cet instrument est particulièrement intéressant. À cet autre groupe correspondent les instruments fabriqués par des luthiers comme José Contreras ou les français installés en Espagne, Nicolas Duclos et Francisco Gand, parmi d´autres. Similaires à l´instrument de Domingo Román, appartenant à l´école de lutherie « archaïque » espagnole pourraient être ceux construits par Salvador Bofill ou José Massaguer.
L´instrument de Domingo Román pourrait être comparé à un « violón basse » conservé dans le Museo del Traje de Madrid et construit par Gabriel de Murzia.
Il est intéressant de savoir que l´école des luthiers à cette époque en Espagne a été très influencée par les constructeurs de guitares, c´est-à-dire qu’ils utilisaient les mêmes techniques pour construire les instruments à archet et les instruments à cordes pincées, techniques aussi amenées en Amérique du Sud.

Reula Baquero, Pedro.  Anuario Musical, Nº64, enero-diciembre 2009, 169-190.

L’article ici