Archives de catégorie : La partition

Koussevitzky plays Koussevitzky

Sergei Koussevitzky est un contrebassiste et chef d´orchestre russe naturalisé américain. Il est né à Vychni Volotchek le 26 juillet 1874 et mort à Boston le 4 juin 1951. Il doit sa grande notoriété à sa direction prestigieuse de l’Orchestre Symphonique de Boston de 1924 à 1949. Koussevitzky est né de parents musiciens professionnels qui lui enseignent précocement le violon, le violoncelle et le piano. A l’âge de quatorze ans, il commence ses études à l’Institut philharmonique de Moscou, où il apprend la théorie musicale et le jeu de la contrebasse, qui devient son instrument de prédilection. Contrebassiste pour l’orchestre du Théâtre Bolchoï à l’âge de vingt ans, premier contrebassiste en 1901, il reçoit une critique très favorable pour son premier récital à Berlin en 1903. En 1905, il épouse Natalia Ouchkov, et s’installe en Allemagne. En 1908, Koussevitzky entame une carrière de chef d’orchestre tout d’abord à la tête  de l’Orchestre philharmonique de Berlin. L’année suivante, il fonde son propre orchestre à Moscou et se spécialise dans la représentation des œuvres de Prokofiev et de Stravinski. De 1909 à 1920, il assoit sa réputation dans toute l’Europe. Après la Révolution russe, il retourne un temps dans son pays natal pour conduire l’orchestre de Pétrograd, puis s’installe à Paris (où se tiennent les Concerts Koussevitzky de 1921 à 1928). Il se lie d’amitié avec Prokofiev, Stravinski, Roussel et Ravel, dont il promeut la musique. Les commandes de Koussevitzky à ses contemporains ont aussi contribué à sa légende. En 1922 déjà, c’est lui qui a inspiré à Maurice Ravel la célèbre orchestration des Tableaux d’une exposition de Moussorgski. En 1930, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’orchestre de Boston, il sollicite à nouveau Ravel (Concerto en sol majeur), mais également Igor Stravinski (Symphonie de psaumes), Paul Hindemith (Konzertmusik) et Albert Roussel (Symphonie n°3, op. 42). En 1942, Koussevitzky se fait le mécène de toute une génération de jeunes compositeurs en fondant la toujours active Koussevitzky Music Foundation, qui créé notamment le Concerto pour orchestre de Bartók (1944), l’opéra Peter Grimes de Britten (1945), et la Turangalîla-Symphonie de Messiaen (1948). Enfin, c’est lui qui réalise le premier enregistrement de la Symphonie n°7 de Sibelius et inscrit au programme de l’orchestre une 8e symphonie qui ne viendra jamais… En tant que professeur, Koussevitzky a compté Leonard Bernstein parmi ses élèves.

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=agbe2oZIq4w[/youtube]

Serge Koussevitzky Concerto pour contrebasse et orchestre en Fa dièse mineur Op. 3. Version avec réduction pour piano. Piano : Pierre Luboshutz. Contrebasse : Serge Koussevitzky. Enregistrement du 25 septembre 1929.

A l’écoute de cet extrait, l’auditeur ne peut qu’être surpris voire choqué par cette interprétation. Si l’utilisation du vibrato est courante à notre époque, on ne peut qu’être étonné de son intensité. Un instrumentiste à corde serait immédiatement repris, s’il s’aventurait à vibrer d’une telle manière. De même, le rubato utilisé rendrait hystérique tout bon professeur et renverrait son élève en cours de solfège. Enfin, l’élément qui crispe peut-être le plus les oreilles actuelles, est l’utilisation sans limite du portamento qui donne aux morceaux un côté que d’aucuns pourraient qualifier de « dégoulinant ». De nos jours, on a plutôt l’habitude d’entendre ce genre de répertoire joué de cette façon:

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=gVSaMRVmLK4[/youtube]

Pourtant, à la lecture de différents traités ou méthodes pour cordes, il semblerait que le portamento ou port de voix était un des plus importants moyen d´expression utilisé. Voici ce qu´on trouve à propos du portamento dans des méthodes du violon, violoncelle et contrebasse de la fin du 19ème siècle et du début 20ème siècle. Giovanni Bottesini, le plus célèbre contrebassiste du 19ème siècle disait littéralement dans sa méthode écrite en 1865 : « On comprend par portamento le passage d´une note liée à une autre, quel que soit l´intervalle, en portant le son sans que la main quitte la corde. Ce passage doit se faire avec une certaine rapidité, afin d´éviter de tomber dans un traînement ou un glissé exagéré qui serait toujours de mauvais goût. »

Au chapitre « Du Port de voix et du vibrato », Joseph Joachim explique que « l’emploi et l’exécution de ce moyen, tiré de l’étude de la voix, et qu’on appelle « le port de voix » (en italien portar la voce)-, est naturellement soumis aux lois du « bel canto ».

« Le port de voix (…) relie deux sons placés dans le même coup d’archet, correspond donc à l’enchaînement par lequel, dans le chant, on relie deux notes sur la même syllabe ; et celui dont l’exécution coïncide avec un changement simultanés de position et de coup d’archet, à celui que fait un chanteur lorsque, pour donner plus d’expression, il en fait un même là où la seconde note tombe sur une syllabe nouvelle.

Cette indication est d’autant plus importante que le souvenir vivant de l’origine et du sens de ce procédé sera le préservatif le plus efficace contre la tentation que pourrait avoir l’élève d’en faire “abus”

Quant à la manière de l’exécuter, en voici la règle fondamentale : Le dernier doigt qui a été appuyé avant le changement de position doit glisser le long de la corde du son initial jusque dans la position où se trouve le son avec lequel une liaison doit être effectuée ou indiquée ».

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=EeVFYA0Duss[/youtube]

Concerto capriccioso de Théodore Dubois

theodore-dubois-1896

Quelques éléments biographiques: (voir The New Grove Dictionary of Music and Musicians)
Théodore Dubois, 1837-1924

Compositeur français, organiste et professeur. Il entre au Conservatoire de paris en 1854. Il y étudie le piano avec Marmontel, l’orgue avec Benoist, l’harmonie avec Bazin et la fugue et le contrepoint avec Ambroise Thomas. Il remporte le prix de Rome de composition en 1861. Alors qu’il était au conservatoire, Dubois joue sur l’orgue de Saint Louis-des-Invalides de 1855 à 1858, année durant laquelle il commence à Sainte Clotilde où il sera chef de choeur de 1863 à 1869. Il est chef de choeur de la Société des Concerts au début des années 1870. En 1877 il succède à Saint-Saëns comme organiste à la Madeleine. De 1871 1891 il enseigne l’harmonie au Conservatoire de Paris, de 1891 à 1896 la composition. Il fut directeur de l’éducation musicale de 1884 à 1896, puis directeur du Conservatoire de 1896 à 1905. Conscient de l’importance pour les étudiants d’avoir une connaissance approfondie de la théorie avant d’étudier les maîtres modernes, il publie un grand nombre de traités théoriques.

Dubois est connu pour ses oeuvres religieuses et son répertoire pour choeur. Il composa également des oeuvres moins connues. C’est le cas de deux opéras comiques en un acte : La Guzla de l’émir  (1873) et Le pain bis (1879).

La première de son ballet en trois actes en 1882 à l’opéra est réputée pour être aussi la première fois que l’électricité était utilisée à l’opéra.

Catalogue complet des ses oeuvres : http://www.theodoredubois.com/catalogue

Théodore Dubois : Concerto Capriccioso

Deux versions enregistrées sur piano moderne de son Concerto Capriccioso en ut mineur de 1876: celle de Jean-François Heisser et l’Orchestre Poitou-Charentes, Mirare, 2011 (quelques extraits sur http://www.mirare.fr/album/theodore-dubois) et celle de Cédric Tiberghien et le BBC Scottish Symphony Orchestra (direction Andrew Manze /Hypérion / 2013).

La música como discurso sonoro. Hacia una nueva comprensión de la música.

HARNONCOURt, Nicolas, La música como discurso sonoro. Hacia una nueva comprensión de la música, Barcelona: Acantilado, 2006

L’auteur
Nikolaus Harnoncourt (Berlin, 1929) a été un des pionniers de l´interprétation musicale avec des critères historiques. Il a la nationalité autrichienne et est le fils d´une famille aristocrate. Il a fait sa formation musicale à Vienne. En 1952 il a rejoint l´Orchestre Symphonique de Vienne comme violoncelliste. Une année plus tard il a fondé le Concentus Musicus Wien, ensemble avec lequel il a travaillé et a refait découvrir les opéras de Monteverdi. Il a fait des productions novatrices de la musique de Mozart et un premier enregistrement du cycle complet des cantates de Bach. Il a centré son activité de plus en plus sur la direction d´orchestre, avec le souci constant de découvrir des nouvelles perspectives du grand répertoire symphonique.

Contexte du livre
Ce livre a été écrit en 1982. Je pense que c´est un livre qui contient de nouvelles idées, parce que, bien que l´interprétation historique ne soit pas une idée nouvelle, Harnoncourt fait beaucoup de réflexions à ce sujet et il fait également un nouveau compte rendu de l´histoire de la musique, surtout de la musique baroque et classique, avec notre regard actuel.
Beaucoup d´autres livres et articles traitent également de ce sujet, mais je crois que les écrits de Harnoncourt, et surtout sa musique, concernent tout le monde qui s´intéressent à l´interprétation musicale.
Il aborde dans son livre quelques questions polémiques, comme certains aspects de l´histoire de la musique, ou l´utilisation ou non des instruments originaux, etc. Il donne toujours beaucoup de pistes de réflexions, parce qu´il a a énormément étudié les sujets qu’il aborde, mais au final, nous pouvons clairement comprendre sa position.
On trouve sa position originale et nouvelle car il a osé s´intéresser à un sujet polémique, sensible et ambitieux, il donne son point de vue en expliquant les innombrables possibilités.

Structure du livre
Le livre est divisé en trois grandes parties:

  1. Fondamentaux de la musique et de l´interprétation: L´auteur explique l´état actuel de la musique et son impact sur la société d´aujourd’hui. Aussi il parle de l´interprétation de la musique ancienne et de la formation musicale. Ensuite, il développe une série d´hypothèses sur la façon d´interpréter certains aspects de la pratique musicale, de l´interprétation de la notation, l´articulation, la mesure du tempo, les systèmes de tonalités ou la sonorité. À la fin, il fait un récapitulatif et discute sur l´importance d´utiliser ou pas les instruments anciens, ou l´importance de recréer les conditions sonores originales.
  2. Instruments et le discours du son: Dans la deuxième partie l´auteur parle de l´histoire de la musique. La première partie est dédiée plus précisément à l´histoire des instruments anciens, comme le violon baroque et la viole de gambe, aussi bien que l´orchestre et son évolution. À la fin de cette deuxième partie, il traite de l´évolution de la musique baroque à la musique classique.
  3.  La troisième partie est dédiée à la musique baroque. Pour cela, il analyse les différences entre la musique italienne et française, la musique à programme de Vivaldi, les compositeurs autrichiens et leurs tentatives de conciliation, aussi bien que les goûts réunis des compositeurs allemands. Il analyse également la musique baroque anglaise, la musique d´Haendel et les suites de Bach et l´histoire des danses anciennes. Il finit avec les opéras de Lully et de Rameau.

Idées ou hypothèses du livre
Les idées ne sont pas figées, mais évoluent et sont combinées pour fournir un aperçu très complet du discours de l´auteur.
Par ailleurs, il formule une série d´hypothèses très intéressantes dans chaque chapitre, parce qu´il donne une vision générale de l´histoire de la musique et de la pratique musicale et il arrive à spécifier tous les aspects de façon très précise.

Accessibilité
Le livre est destiné aux spécialistes parce que l´auteur parle de beaucoup de concepts purement musicaux, mais il est écrit dans une langue très conventionnelle et facile à comprendre. Le livre expose également quelques situations de la sociologie actuelle en relation avec le monde de la culture.

Bibliographie
Ce livre a été écrit à partir de nombreux articles, conférences et cours travaillés par l´auteur tout au long de son activité de musicien et professeur, depuis l´année 1954 jusqu´en 1980.
Conclusion personnelle:
Nikolaus Harnoncourt est une des figures très importantes du panorama de l´interprétation historique de la musique baroque, classique et romantique, de sorte que nous devons bien analyser son expérience et ses conclusions. Dans ce livre il expose beaucoup d´idées basées sur sa propre expérience. J´ai trouvé importants tous les chapitres du livre, parce que moi, en tant que musicien intéressé par l´interprétation historique, je dois prendre en compte les conclusions des personnes qu´ont étudié à fond ce sujet.
L´auteur offre aussi beaucoup des conseils d´interprétation de partitions anciennes basées sur la lecture des traits instrumentaux de l´époque, et sur sa propre expérience de musicien et de chef d´orchestre.
J´ai également trouvé la critique intéressante qu´il fait à propos de la situation culturelle d´aujourd´hui, où la société actuelle n´est pas représentée par la musique contemporaine, et donc les musiciens d´aujourd´hui doivent continuer à jouer la musique ancienne.

Chopin et Pleyel – Partie 2

Cette seconde partie a pour objectif de déterminer quelles sont les influences des ces différentes particularités sur l’interprétation des œuvres de Chopin.

Cet article va faire un point concernant deux questions essentielles que l’on est amené à se poser quand il s’agit de l’interprétation : les techniques (ici, les techniques pianistiques) et le résultat sonore. Cette analyse est en lien avec l’article précédent, Chopin et Pleyel – Partie 1.

Il est très étonnant de constater que Chopin n’utilisait presque qu’exclusivement des pianos Pleyel dont la mécanique était à simple échappement. En effet, la mécanique à double échappement, inventée par Sébastien Erard en 1822, est déjà en usage à cette époque. C’est donc une caractéristique essentielle du jeu de Chopin que de privilégier une mécanique légère permettant l’expression de subtiles couleurs sonores grâce au toucher.
Malgré une plus grande possibilité de jeu sur les timbres, la mécanique à simple échappement complique la mise en œuvre des répétitions rapides puisque qu’il est nécessaire de relever l’intégralité de la touche pour rejouer la note.
Chopin privilégiait un jeu réfléchi, subtil et en aucun cas, c’est d’ailleurs ce qu’il enseignait à ses élèves : « le but n’est pas de savoir jouer tout d’un son égal. Il me semble d’un mécanisme bien formé de savoir bien nuancer une belle qualité de son1. » Il conseillait également à ses élèves de « Caresse[r] la touche, [de] ne jamais la heurte[r]2. »

Cette recherche constante de subtilité dans le son était une des principales et constantes préoccupations de Chopin, il avait en effet l’habitude de répéter à ses élèves : « Jouez cette note convenablement qu’elle n’aboie pas3 »
Pour Chopin, la préhension générale du clavier nécessitait, en complément, un travail sur l’attaque puisqu’elle lui permettait de donner aux notes une identité sonore. Parmi les nombreux motifs sonores, il semblerait qu’il était très attaché au legato. Cependant, chaque doigt devait, selon lui, apporter une spécificité et ne pas, au contraire obéir aux exigences actuelles qui demandent un jeu de force égale.

«On a longtemps agi contre nature en exerçant les doigts à donner de la force égale. Chaque doigt étant conformé différemment, il vaut mieux ne pas chercher à détruire le charme du toucher spécial de chaque doigt, mais au contraire le développer. Chaque doigt a de la force selon sa conformation. […] Autant de différents sons que de doigts4

Ce parti pris nous surprend car il est à l’opposé de ce qui est enseigné actuellement dans les institutions comme le Conservatoire.

Bien évidemment, si Chopin est si attaché à la technique pianistique qu’il enseigne et qu’il pratique lui-même, c’est pour obtenir ce qu’il considère être comme un idéal sonore. La technique est donc le moyen mis en œuvre pour arriver au résultat. Mais cette seule technique n’est pas suffisante pour produire le son désiré, la qualité et les caractéristiques du piano jouent également un rôle primordial, notamment la mécanique.

La mécanique permet, contrairement aux pianos contemporains d’extraire une palette de timbres plus large. En effet, le jeu avec les nuances ne modifie pas uniquement le volume sonore comme c’est le cas avec les pianos modernes où l’harmonisation est égale sur l’ensemble du registre. Il est peut-être utile de considérer que les nuances indiquées par Chopin sont en réalité plus un jeu sur le timbre de l’instrument qu’un jeu sur le volume sonore. Cette idée nous paraît aujourd’hui inconcevable car cette question sur le timbre n’est plus exploitable sur les pianos contemporains. L’enseignement dispensé de nos jours ne fait plus état de ces possibilités, pourtant multiples et intéressantes. Notre jeu perd donc de la « saveur » et nous nous retrouvons confrontés à une pauvreté de timbres, conséquence directe d’une pauvreté de couleurs des instruments aujourd’hui usités.
Les pianos Pleyel possédaient une identité sonore qui leur était propre, raison pour laquelle Chopin les plébiscitait. En effet, la sonorité particulière était une des volonté principale de Pleyel : chaque registre possédait une caractéristique qui lui était propre, comme le souligne Montal : « Les dessus devinrent brillants et argentins, le médium pénétrant et accentué, la basse nette et vigoureuse5 ». Cette particularité correspondait tout à fait à la personnalité de Chopin et à l’idée qu’il avait de la manière dont devaient sonner ses œuvres. L’écriture de Chopin implique une individualisation de chaque note et des timbres.
Cependant, ces instruments étaient connus pour être désagréables lors du jeu en fortissimo dont le son fondamental était étouffé par le marteau. Autrement dit, l’attaque de la note n’était pas nette mais confuse et le son ne résonnait que pleinement une fois le marteau redescendu. L’instabilité du jeu fortissimo, malgré sa laideur de prime abord, pouvait être un moyen supplémentaire d’expression s’il était utilisé avec réflexion et sensibilité.
Ceci est un indice très important concernant l’interprétation sur ces instruments ; le jeu en fortissimo ne doit pas être violent, comme le mentionne Kalkbrenner qui mettait en garde ses élèves « contre le danger de boxer leur piano ».
De nombreux témoignages ont appuyé cet élément, notamment celui d’Emilie von Gretsch, une élève de Chopin, qui est particulièrement éloquent :

« Sur ce genre de pianos [les claviers résistants], il est impossible d’obtenir les plus fines nuances dans les mouvements du poignet et de l’avant-bras, comme de chaque doigt pris isolément. Ces nuances, j’en ai souvent fait l’expérience chez Chopin sur son beau piano à queue au toucher si proche des instruments viennois. […] Ce qui sortait parfaitement sur mon solide Erard devenait dur, brusque et laid sur le piano de Chopin.6 »

Une autre caractéristique de ces pianos influait également sur le résultat sonore. Il s’agissait de l’augmentation du diamètre et de la longueur des cordes du piano, ce qui entraînait une lourdeur conséquente et accrue sur l’ensemble de l’instrument, c’est la raison pour laquelle les pianos des années 1830 et 1840 sonnaient plus lentement que ceux fabriqués au début du XIXème siècle.

Tous ces éléments, techniques et sonores, nous paraissent assez étrangers. En effet, l’idéal sonore a évolué au cours des années et des siècles pour arriver à une « uniformisation » du son. L’autre raison pour laquelle nous ne sommes pas vraiment familiers avec l’idée que se faisait Chopin de la manière dont devait sonner la musique, est, précisément, que c’est l’idéal personnel de Chopin. Les goûts, étant subjectifs, ils ne peuvent pas être partagés par tout le monde. Ce n’est donc pas qu’une question de différence d’époque, la preuve en est que Liszt, contemporain de Chopin, privilégiait les pianos produits pas Érard. Ces pianos produisaient un son plus dur, plus percussifs, à l’opposé de ce que plébiscitait Chopin.

1 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin vu par ses élèves, Neuchâtel: A la Baconnière, 1988, page 53

2 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin vu par ses élèves, Neuchâtel: A la Baconnière, 1988, page 54

3 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin vu par ses élèves, Neuchâtel: A la Baconnière, 1988, page 54

4 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin vu par ses élèves, Neuchâtel: A la Baconnière, 1988, page 55

5 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin et Pleyel, Paris : Fayard, 2010, page 166

6 EIGELDINGER, Jean-Jacques, Chopin et Pleyel, Paris : Fayard, 2010, page 167

Marion Quintard

Différences évidentes de l´interprétation d´une même œuvre.

L´air de Mozart « Per questa bella mano » pour baryton, contrebasse obligato et orchestre.

« Per questa bella mano », K. 612 est un air de concert composé par Wolfgang Amadeus Mozart à Vienne et daté le 8 mars de 1791. Elle a été écrite pour chanteur barytone et la contrebasse obligée. C´est l´unique œuvre pour la contrebasse soliste composé par Mozart, et elle devenu très importante dans le répertoire de concert de cet instrument dû à sa difficulté interprétative et à sa beauté artistique. Elle aurait pu être écrite comme interlude dans une représentation d´un opéra buffa et inspirée pour un des grands virtuoses contrebassistes viennoises à l´époque, Mathias Sperger, car le titre « pour cette belle main » fait référence à la réputée façon de jouer la contrebasse d´Sperger. Mais on sait que la première elle était interprétée par le chanteur Franz Xaver Gerl et Friedrich Pischlberg à la contrebasse.
La pièce est divisée dans deux sections : elle commence par un Andante en 6/8 et finis par un Allegro en 4/4 en Ré majeur. Le texte est une romantique déclaration d´amour.
La particularité plus importante qu´on veut montrer avec cet exemple c´est que le choix des instruments d´époque permettre de nous approcher à l´esprit de composition de l´auteur, car à l´époque de Mozart à Vienne il existait une contrebasse un peu spéciale, avec une accordature différente parapport l´accordature actuelle de la contrebasse, ainsi comme, logiquement ils utilisaient des cordes en boyau et pas métalliques et un archet à l´époque, aussi différent aux archets utilisés aujourd´hui. Mais les différences ne sont pas seulement d´un caractère matériel, sinon qu´il faut imaginer l´esprit que ces musiciens avaient à l´époque pour bien communiquer au public le message sonore des compositeurs et interprètes.

La première version qu´on vous offre est interprétée par le célèbre barytone allemand Thomas Quasthoff et le contrebassiste Eugene Levinson, professeur à Julliard et à l´Orchestre Philarmonique de New York, il est un référent de l´école moderne de la contrebasse de la fin du XXe siècle. L´interprétation a été à New York, par la New York Philarmonique Orchestra dirigé par Riccardo Muti.
Levinson utilise une contrebasse et un archet modernes, aussi bien que des cordes métalliques. Les tempi choisis sont assez lents, en permettant au chanteur se réjouir dans sa mélodie avec un beau caractère lyrique.

La deuxième version est l´interprétation du barytone japonais Yoshiaki Kimura et le contrebassiste belge Korneel Le Compte, sur la contrebasse viennoise. L´accompagnement a été réalisé par la pianiste Kimiko Nishi au pianoforte.
Le Compte utilise juste l´instrument qui inspiré à Mozart à écrire cette œuvre, c´est à dire, celui est l´instrument qui utilisaient les contrebassistes à Vienne à cet époque. Il a une accordature avec l´accord de Ré Majeur, en comparaison de l´accordature en quartes de la contrebasse moderne. Elle est aussi montée en boyau et il utilise un archet à l´époque. Tous ces petits détails lui permettre de s´approcher à ce qu´on peut imaginer et étudier qui a été l´interprétation originale. La partie d´accompagnement c´est une réduction pour le pianoforte, pratique très commune à l´époque comme ça la pièce pouvait s´interpréter avec une formation de musique de chambre.
L´interprétation est clairement plus libre au niveau des tempi et rubatos, plus basée à l´esprit de l´opéra où chaque instrument est un personnage différent qui se communiquent entre eux et chaque section musicale devient une scène aussi différente.

Tous les deux versions sont très intéressantes et très appréciées, d´un grand valeur artistique. Ça le corresponde au public de déterminer laquelle s´approche la plus à son propre goût.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=5k_1uuc2C7c [/youtube]

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=JcwocxRetYg[/youtube]

L’imperatif « urtext » et le fétichisme du texte

De nos jours le fait de ne pas exécuter une œuvre romantique sans respecter le texte exact est perçu comme une violation, une trahison.
Tout ce qu’il nous reste de ce passé n’est que papier, or une pensée musicale ne peut être « capturée » par l’écriture. De plus un même signe peut signifier différentes interprétations selon son contexte.
Les vieilles habitudes ont la vie dure, et le texte constitue la principale source de l’analyse musicale.
La fixation qu’ont certains musiciens au regard de la partition tourne à la minauderie et à la suffisance.
Bruce Haynes fait part de l’avis du chef d’orchestre Gunther Schuller (qui est en fait une anti-thèse de son opinion) à ce sujet, qui discrédite n’importe quel chef d’orchestre qui ne respecterait pas la partition ; cela serait selon lui un entêtement arrogant. Il réfute donc le fait que la partition pourrait elle-même trahir la pensée du compositeur.
Cette hégémonie du texte semble liée au culte de la personnalité, du compositeur-génie, sur-humain qui naît à la période romantique.
L’auteur va jusqu’à faire un parallèle avec les écoles bibliques, talmudiques et coraniques. La partition est assimilée aux textes sacrés.
Ces termes provocateurs sont porteurs d’une idée forte : désacraliser la pensée du compositeur.
Il s’agit également de démythifier la partition comme étant le seul intermédiaire, le seul lien physique entre le passé et le présent, le compositeur et nous. Il faut lui rendre sa place symbolique d’objet et non s’y raccrocher comme une présence rassurante, une vérité établie et induscutable.
La recherche de vérité(s) ne doit pas couper l’interprète de sa propre sensibilité. Le rapport de l’interprète avec la partition peut être source de doutes, d’interrogations, de désaccords. C’est de cette mise en tension que naît la créativité.

Bruce Haynes
« The end of early music, a period performer’s history of music for the twenty-first century »

Interprétation et authenticité, Jean-Jacques Nattiez

Jean-Jacques Nattiez s’interroge quant aux origines de cette mouvance qu’est l’interprétation historiquement informée. Il présente le mouvement «authenticiste» comme étant une conséquence du positivisme au lendemain de la guerre, une volonté de décrire le passé, mais également comme étant une victime (ou complice?) d’une économie du disque grandissante au Xxème siècle.
Peut-on cataloguer ce stéréotype du «fait à l’ancienne» comme étant seulement un argument de vente?
La mouvance «historisante» se développe d’abord autour du répertoire baroque puis s’étend aux périodes Classique et Romantique. L’analyse des traités, des manuscrits, l’utilisation d’instruments d’époque sont en apparence des preuves d’authenticité.
Cela n’est pourtant pas suffisant; c’est ce qui amène certains praticiens à chercher des moyens pour renouer avec le contexte de «vie» des œuvres.
La notion même d’exécution à l’époque baroque n’est pas figée ( instrumentation, effectifs, ornementations, diminutions) c’est pourquoi il est difficile de mesurer la part de liberté à s’octroyer aujourd’hui dans l’interprétation.
La conception de la musique comme un discours-la rhétorique-, est un point sur lequel la plupart des musicologues et interprètes se rejoignent.
Cette recherche d’authenticité ne doit pourtant pas être assimilé à «la vérité». Le meilleur moyen d’être authentique est peut être de remettre en doute les vérités acquises.
Les interprètes doivent faire en quelques sorte le deuil de leur idéal d’interprétation parfaite.
D’autres paramètres, extra-musicaux, sont à prendre en compte tels que la localisation géographique ou bien la compréhension du public. Ce dernier est imprégné d’une culture propre à un lieu et comprend donc aisément le message délivré par le compositeur. L’auditeur du XIème siècle ne peut avoir les mêmes références stylistiques et culturelles.
Une interprétation ne peut pas être un catalogue de connaissances musicologiques, une photographie figée du passé.
Prendre en compte tous les paramètres contextuels d’une œuvre rend alors impossible l’interprétation en elle même.
On peut également se demander si la volonté de reconstitution historique est légitime, car il faudrait aussi une «écoute» authentique et nous ne pouvons changer les paramètres culturelles qui forment le public d’aujourd’hui. Une interprétation ne doit pas, pour être reçue, être un «essai de laboratoire».
Il est nécessaire de développer un jugement critique par rapport à tous les critères historiques qui peuvent être pris en compte afin de proposer une interprétation pertinente. Cela fait appel de nouveau à une certaine forme de subjectivité; la «sélection» des critères prioritaires est remise entre les mains des exécutants et ne peut alors être scientifiquement exacte.
Une infinie richesse musicale naît de cette absence ou multitude de vérités.