L’imperatif « urtext » et le fétichisme du texte

De nos jours le fait de ne pas exécuter une œuvre romantique sans respecter le texte exact est perçu comme une violation, une trahison.
Tout ce qu’il nous reste de ce passé n’est que papier, or une pensée musicale ne peut être « capturée » par l’écriture. De plus un même signe peut signifier différentes interprétations selon son contexte.
Les vieilles habitudes ont la vie dure, et le texte constitue la principale source de l’analyse musicale.
La fixation qu’ont certains musiciens au regard de la partition tourne à la minauderie et à la suffisance.
Bruce Haynes fait part de l’avis du chef d’orchestre Gunther Schuller (qui est en fait une anti-thèse de son opinion) à ce sujet, qui discrédite n’importe quel chef d’orchestre qui ne respecterait pas la partition ; cela serait selon lui un entêtement arrogant. Il réfute donc le fait que la partition pourrait elle-même trahir la pensée du compositeur.
Cette hégémonie du texte semble liée au culte de la personnalité, du compositeur-génie, sur-humain qui naît à la période romantique.
L’auteur va jusqu’à faire un parallèle avec les écoles bibliques, talmudiques et coraniques. La partition est assimilée aux textes sacrés.
Ces termes provocateurs sont porteurs d’une idée forte : désacraliser la pensée du compositeur.
Il s’agit également de démythifier la partition comme étant le seul intermédiaire, le seul lien physique entre le passé et le présent, le compositeur et nous. Il faut lui rendre sa place symbolique d’objet et non s’y raccrocher comme une présence rassurante, une vérité établie et induscutable.
La recherche de vérité(s) ne doit pas couper l’interprète de sa propre sensibilité. Le rapport de l’interprète avec la partition peut être source de doutes, d’interrogations, de désaccords. C’est de cette mise en tension que naît la créativité.

Bruce Haynes
« The end of early music, a period performer’s history of music for the twenty-first century »

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