Plaque d’égoût et gauche antilibérale (complément)

J’ai posté un message sur Telos-Eu pour savoir si l’étude de Fleurbaey et Gaulier (trois modèles de bien-être) dont j’ai parlé dans mon précédent post était disponible. Marc Fleurbaey m’a indiqué qu’elle devait être disponible sur Telos-Eu mais qu’il y a eu un bug. Il me l’a transmise par mail, vous pouvez la télécharger en cliquant ici.

Plaque d’égoût et gauche antilibérale

Ce week-end, je ne suis pas allé chez le médecin. Mais je suis allé à la déchetterie. Deux fois. A deux heures d’intervalles. Et à chaque fois, j’ai écouté France Info.

La première fois, j’ai appris qu’une personne d’une trentaine d’années venait de se faire arrêter pour avoir volé dans la région de Nantes quelques tonnes de plaques d’égoûts. Plaques qu’il revendait à un ferrailleur pour quelques centaines d’euros au total (un peu plus de 800€ de mémoire). A ce moment là, le journaliste s’est fendu d’une analyse vertigineuse, en tentant de relier la petite histoire des plaques d’égoûts à la grande histoire de la mondialisation : avec la croissance chinoise, et, donc, la flambée du prix des matières premières, notamment du cuivre et de la fonte, pas étonnant d’observer ce genre de comportements. Les voleurs ont de l’imagination.

Deux heures plus tard, donc, rebelote. re-déchetterie, re-France Info. Même début mais fin différente : le même journaliste (si ce n’était lui, c’était son frère) s’est fendu du laïus suivant (je mets des guillemets, l’idée était celle-là, mais la retranscription est très approximative) : "précisons que le prix de la fonte n’a rien d’exceptionnel, il n’a pas connu la flambée que l’on a observé par exemple pour le cuivre". Ils ont dû recevoir un coup de fil indigné du ferrailleur, chez France Info.

Bon, pour le reste, c’est assez rébarbatif, France Info. Par exemple, j’ai entendu environ vingt-cinq fois le journaliste nous parler de la « gauche anti-libérale ». Bon, que Buffet, Besancenot, Bové et consorts utilisent cette expression, soit. Mais que tous les journalistes la reprennent en cœur, c’est un peu plus surprenant. Personnellement, je les qualifierais plutôt de représentants de la gauche « anti-capitaliste », ce serait plus rigoureux. Et ce n’est pas la même chose.

Car s’il est un fait saillant que de trop nombreux observateurs négligent, c’est que le capitalisme se caractérise par sa diversité (Cf. l’ouvrage d’Amable que j’ai cité à plusieurs reprises, voir aussi ce que j’en dis dans les nouvelles géographies du capitalisme). Dès lors, plutôt que de le réduire à l’une de ses formes particulières (le capitalisme libéral, qui, soit dit en passant, relève plus d’un idéal type que d’un modèle en place, j’y reviendrais si besoin), on peut s’interroger sur les formes qu’il peut prendre, et sur celles vers lesquelles on voudrait tendre.

Dans cette perspective, deux liens récents méritent d’être signalés (c’est là où je voulais en venir depuis le début du billet…) :
* le premier sur Telos-Eu, est une contribution de Marc Fleurbaey et Guillaume Gaulier intitulée "Trois modèles de bien-être". En l’occurrence, un modèle anglo-saxon, un modèle nordique et un modèle latin. Tous capitalistes, tous différents.

* le deuxième : la chronique de Stiglitz dans Les Echos, intitulée "Pour une mondialisation réussie". Où l’on apprend sans surprise que Stiglitz n’est pas anti-mondialiste mais plutôt alter-mondialiste (il n’emploie pas le terme, c’est moi qui le dit). Mais, attention, un alter-mondialiste qu’on peut difficilement taxer d’anti-capitaliste. Alter-capitaliste, plutôt.

Fier d’être économiste…

Ce que j’aime le plus, quand je dois me rendre chez le médecin, c’est le quart d’heure passé dans la salle d’attente… Car dans une salle d’attente de médecin, on trouve toujours le Figaro Magazine. En l’occurrence, j’ai découvert le numéro du 17 juin 2006, qui s’interrogeait sur le programme socialiste. Forcément, on a convoqué les meilleurs spécialistes, et, parmi eux, Pascal Salin, professeur à l’Université Paris-Dauphine. Bon, c’est un habitué des sorties fracassantes, mais là, dans le genre, je crois qu’il atteint des sommets :

Incapables de se renouveler, contrairement à tant d’autres, les socialistes français restent habités par les fantômes de Marx et de Keynes, ces deux auteurs à qui l’on doit certains des pires ravages du XXe siècle (p. 44).


Finalement, c’est parfois une bonne chose que les économistes ne soient pas trop écoutés en France…

Rentrée des classes

C’est la rentrée à la Faculté de Sciences Economiques de Poitiers, pour les 1ères années jeudi dernier (7 septembre), et aujourd’hui 11 septembre pour les autres années (information importante pour ceux qui pensent encore, peut-être, que l’année universitaire commence en novembre…)

Ce matin, j’ai démarré avec les 3ème années de la Licence d’Economie Appliquée. La réunion de rentrée a été l’occasion de présenter aux étudiants un travail d’enquête qu’ils doivent réaliser par groupes de 4 : définition d’une problématique, rédaction d’un questionnaire, production des résultats statistiques sous Spad, analyse et interprétation des résultats. Ce travail doit faire l’objet d’une restitution écrite sous forme de dossier et d’une restitution orale – utilisation impérative d’un diaporama (Information importante pour ceux qui pensent encore, peut-être, qu’à l’Université on ne fait que de l’abstraction pure…)
 
Le choix du sujet est libre. J’ai cependant suggéré une ou deux idées (je ne sais pas si elles trouveront preneurs), notamment l’une portant sur le profil des lecteurs de blogs d’économie. Si un groupe est intéressé, je vous en reparlerais, puisque le questionnaire serait transmis via mon blog. Si certains économistes bloggeurs sont intéressés (econoclasteceteris paribusleconomiste? etc…), n’hésitez pas à me contacter par mail ou via un commentaire, on pourrait échanger sur la définition du questionnaire par exemple. Autre suggestion formulée : enquête sur les connaissances en économie soit auprès d’étudiants de différentes filières, soit auprès d’une population plus large. En évitant les travers de l’enquête du Codice dénoncés par Econoclaste

Enfin, premier cours de Stratégies de localisation, avec présentation de faits stylisés relatifs à l’ampleur et l’évolution des disparités spatiales et la tendance à l’agglomération des activités économiques. Et ce à différentes échelles spatiales : Monde (via gapminder, dont j’ai déjà parlé ici), Europe (statistiques Eurostat) et France (statistiques Insee).

Juste un résultat ici : les disparités régionales dans l’Europe à 25, mesurées par le PIB par habitant des régions en 2003 (source Eurostat, voir ce document pour la liste complète) :

Sans surprise, les 10 régions les plus "riches" sont en Europe de l’Ouest, les 10 régions les plus "pauvres" dans les Pays d’Europe Centrale et Orientale. Le rapport entre la région la plus riche (Inner London, UK) et la région la plus pauvre (Lubelskie, Pologne) est d’environ 8,5 pour 1. Pour se donner un ordre de grandeur, le rapport du PIB/H des Etats-Unis et de la Chine est de 7/1. Il y a donc quelque chose qui ressemble à un problème régional en Europe…

Autre résultat important, insuffisamment pris en compte dans la réflexion, y compris des économistes : la tendance à la convergence des PIB par habitant des pays de l’UE à 25, d’un côté, et au maintien, voire à l’accroissement, des disparités entre régions, toujours en termes de PIB par habitant, d’autre part. Bref, un double processus de convergence et d’agglomération, coeur du problème que doit traiter l’économie spatiale (voir ce document de travail de Geppert et al. (2005) pour des précisions sur les méthodes statistiques mobilisables et les résultats obtenus pour l’UE25).

La stratégie du poisson rouge

Dans les nouvelles géographies du capitalisme, j’explique que pour favoriser l’adaptation des économies à l’approfondissement de la mondialisation, deux grandes stratégies dominent. J’ai qualifiée la première de stratégie du poisson rouge, la deuxième de stratégie du pingouin.

Je me concentre ici sur la première, que je décris ainsi :

Première stratégie possible : la stratégie libérale. Elle consiste à supposer que l?essentiel du problème [de l’adaptation de l’économie française] tient à la trop grande intervention des Etats et à la flexibilité insuffisante observée sur les marchés : pourquoi existe-t-il du chômage en France ? Car le marché du travail n’est pas assez flexible (…). Pourquoi la France n’est-elle pas attractive [idée reçue] ? Car les charges sociales et fiscales qui pèsent sur les entreprises où sur les « talents » que l’on veut attirer sont trop lourdes. Pourquoi les entreprises françaises ne sont-elles pas suffisamment efficaces (autre idée reçue). Car (…) les créateurs d’entreprises sont victimes de la lourdeur administrative (…). On pourrait multiplier les exemples : à chaque fois, on considère que, au niveau de chacune des institutions nécessaires au bon fonctionnement du capitalisme, on est trop éloigné de l’idéal du modèle libéral, et l’on propose donc logiquement de s’en rapprocher, par la mise en place de nouvelles règles mieux adaptées.
Stratégie libérale que nous qualifierions volontiers de stratégie du poisson rouge : Comme dans la publicité Ikéa, où le poisson redécouvre émerveillé, à chaque tour de bocal, l’étagère fraîchement installée, certains économistes redécouvrent béatement les vertus supposés du libéralisme, en oubliant un peu trop rapidement les dégâts économiques et sociaux qu’engendre nécessairement le modèle qu’ils défendent. (p. 200-201)

 Dans le genre, la Banque Mondiale vient de faire très fort : elle publie pour la quatrième fois un rapport intitulé Doing Business (la pratique des affaires). Ce rapport « identifie les pays qui ont le mieux réussi à réformer la réglementation des affaires, et décrit les pratiques les meilleures en matière de lancement et de conduite des réformes.  Le rapport propose des indicateurs quantitatifs mesurant les différents aspects de la réglementation des affaires, ce qui permet de comparer les réglementations et leur mise en application dans 175 économies, allant de l’Afghanistan au Zimbabwe, mais aussi dans le temps. »

Alors bien sûr, la Banque Mondiale commence par des exemples imparables :

Par exemple, le Rwanda a tout récemment éliminé une loi qui datait de l’époque coloniale et qui n’autorisait qu’un seul notaire pour l’ensemble du pays.  Aujourd’hui, grâce à la réforme, près de 36 notaires ont ouvert leur cabinet dans le pays, avec pour résultat de réduire considérablement le temps nécessaire pour démarrer une entreprise.

 Au Yémen, le gouvernement a éliminé un impôt sur la production de 10% que les entreprises devaient payer chaque fois qu’elles vendaient leurs produits à d’autres entreprises.  Au niveau du consommateur, le montant total de ces impôts, en fait une imposition sur le chiffre d’affaires déguisée, était de loin plus élevé que la marge bénéficiaire de l?entreprise sur ces produits.  En remplaçant l’impôt sur la production par un impôt de 5% sur les ventes aux consommateurs, le Yémen a pu diminuer le taux d’imposition total de 79% à 48%, ce qui a grandement aidé tant le monde des affaires que les consommateurs.


Ok, rien à redire, on comprend bien que travailler à la suppression de ce genre d’abérations et, plus généralement, à la simplification de certaines règles et procédures ne peut que reccueillir l’aval de tous.

Là où les choses sont moins évidentes, c’est lorsque l’on regarde les indicateurs retenus. Premier exemple, s’agissant de l’embauche des salariés : "Doing Business measures the regulation of employment, specifically as it affects the hiring and firing of workers and the rigidity of working hours. (…) ". Pour cela, ils construisent notamment un indicateur de rigidité de l’emploi.
Comment?
Explications :
The rigidity of employment index is the average of three subindices: a difficulty of hiring index, a rigidity of hours index and a difficulty of firing index. All the subindices have several components. And all take values between 0 and 100, with higher values indicating more rigid regulation.The difficulty of hiring index measures (i) whether term contracts can be used only for temporary tasks; (ii) the maximum cumulative duration of term contracts; and (iii) the ratio of the minimum wage for a trainee or first-time employee to the average value added per worker. A country is assigned a score of 1 if term contracts can be used only for temporary tasks and a score of 0 if they can be used for any task. A score of 1 is assigned if the maximum cumulative duration of term contracts is less than 3 years; 0.5 if it is between 3 and 5 years; and 0 if term contracts can last 5 years or more. Finally, a score of 1 is assigned if the ratio of the minimum wage to the average value added per worker is higher than 0.75; 0.67 for a ratio greater than 0.50 and less than or equal to 0.75; 0.33 for a ratio greater than 0.25 and less than or equal to 0.50; and 0 for a ratio less than or equal to 0.25.

En clair : si les entreprises peuvent embaucher en CDD pour n’importe quelle tâche, c’est bien, sinon, c’est mal. Si les CDD durent plus de 5 ans, c’est bien, sinon c’est mal. Si l’écart entre salaire minimum et productivité moyenne du travail est grand, c’est bien, sinon c’est mal… Inutile de vous dire qu’à ce petit jeu, la France est mal classée : 56 sur 175.

En oubliant que flexiblité des entreprises et flexibilité du travail ne riment pas nécessairement. Dans le cadre du modèle du toyotisme, par exemple, on assure aux salariés un contrat de long terme, on investit considérablement en formation, ce qui renforce la productivité et la polyvalence des salariés, et ce qui garantit une très bonne flexibilité à l’entreprise (cf. cet autre post pour des développements). Avec des performances pas vraiment mauvaises paraît-il.
Je ne dis pas, bien sûr, qu’il faut mettre en place pour tous et partout des contrats à vie. Je dis que la flexibilité et la compétitivité des entreprises peut être atteinte par différents moyens, présupposer une one best way est pour le moins contestable lorsque l’on voit la diversité des solutions mises en oeuvre par des pays capitalistes de niveau de développement comparable.

Autre exemple, sur le thème des impôts qui pèsent sur les entreprises :

Doing Business records the tax that a medium-size company must pay or withhold in a given year, as well as measures of the administrative burden in paying taxes. Taxes are measured at all levels of government and include the profit or corporate income tax, social security contributions and labor taxes paid by the employer, property taxes, property transfer taxes, the dividend tax, the capital gains tax, the financial transactions tax, waste collection taxes and vehicle and road taxes.


Et bien sûr, vous l’aurez deviné, si les impôts sont élevés, c’est mal, s’ils sont faibles, c’est bien. En oubliant que les impôts, il paraît que ca alimente le budget des gouvernements et qu’ils donnent lieu, ensuite, à des dépenses publiques, dépenses qui, paraît-il (c’est peut-être une rumeur), permettent de renforcer la compétitivité des entreprises (dépenses d’éducation, de formation, de recherche, d’infrastructure, etc…).

Oui, mais ca, le rapport n’en parle pas. D’ailleurs, ils le reconnaissent :

Un classement élevé sur la facilité de conduire les affaires signifie qu’un gouvernement a su créer un environnement réglementaire favorable à la conduite d’une entreprise.  Cependant, ces classements à eux seuls ne permettent pas de comprendre l’ensemble de la situation.  Ils ne prennent pas en compte d’autres facteurs, tels que la qualité des services d’infrastructure, la proximité de marchés importants ou l’ordre public.

Là encore, je ne dit pas qu’il faut augmenter les impôts qui pèsent sur les entreprises, mais affirmer a priori qu’un taux d’impôt élevé est une mauvaise chose est absurde, tout dépend de  ce que l’on fait de l’impôt collecté.
Bon, je n’insiste pas plus, tout est dans la même veine…

Deux remarques complémentaires :
Le Monde reprend les conclusions du rapport dans un article daté du 7 septembre 2006, en titrant "La France améliore son attractivité mais reste encore très mal placée". Titre particulièrement stupide, puisque le rapport de la Banque Mondiale ne parle absolument pas d’attractivité des entreprises… La journaliste s’est mélangée les pinceaux, entre les conclusions du rapport, d’une part, et la critique faite par le gouvernement français, d’autre part :   Pascal Clément, Ministre de la justice, a en effet critiqué le rapport Doing Business en ces termes :

Considérer uniquement dix critères pour évaluer l’environnement des affaires, c’est insuffisant. Faire l’impasse sur le régime politique d’un pays, sa taille, la stabilité économique et ses infrastructures est une erreur profonde. Est-il réellement sérieux de mettre sur le même plan en termes économiques les îles Fidji et la Chine, le Kiribati et la France ? Les faits contredisent l’analyse de la Banque mondiale. La Chine est un grand pays, où le monde entier va, aujourd’hui, investir. A écouter Doing business, il ne faudrait pas y investir. De même, la France est le quatrième pays vers lequel se dirigent les investissements internationaux."


Assez d’accord avec cette critique … mais avouez que c’est assez cocasse qu’un membre du gouvernement français, dont on ne peut pas dire qu’il vante l’attractivité française (tout fout le camp mon bon monsieur, les jeunes s’enfuient à Londres ou à New-York, les entreprises partent en Chine, etc…), et qui reprend à l’envie le thème de la lourdeur administrative, du manque de flexiblité du marché du travail (CNE, CPE, …), des freins mis aux entreprises, etc… en vienne à changer de discours lorsqu’il se sent attaqué par une organisation internationale…

Deuxième remarque : l’étude de la Banque Mondiale n’est pas une simple petite étude vouée à disparaître au fond de je ne sais quel tiroir. Comme le rappelle Le Monde :

En dépit des critiques dont il fait l’objet, le rapport de l’IFC est devenu une référence pour de nombreux petits pays, qui l’érigent en objectif économique. En effet, le rapport a des conséquences concrètes. Pour l’obtention de prêts à taux zéro de l’International Development Association (IDA), le bras financier de la Banque mondiale, les pays les plus pauvres doivent prouver qu’ils ont fait des efforts significatifs dans le domaine de la facilitation des affaires.

Bref, encore un bel exemple de Benchmarking stupide dont les organisations internationales et les gouvernements sont de plus en plus friands.

Nicolas Sarkozy au Medef

Jeudi dernier, invité par le Medef, Nicolas Sarkozy a déclaré :

la France ne s’est "pas encore remise du choix historiquement stupide d’expliquer aux gens qu’en travaillant moins, on pourrait gagner davantage".


Moi, je dis qu’il a raison, Nicolas : il faut faire sortir de la tête des gens l’idée que l’on peut gagner plus en travaillant moins. C’est une contre-vérité totale : pour gagner plus, il faut travailler plus. Logique. Les responsables du Medef ont eu raison de lui faire une standing ovation, l’autre jour (normal, me direz-vous, les chefs d’entreprises, ça connaît l’économie).

 La preuve en image (les tableaux sont tirés de l’ouvrage remarquablement bien fait intitulé "The State of Working America 2006-2007" du Economic Policy Institute).

 Image numéro 1, où l’on apprend que le revenu par tête des habitants des pays développés a sensiblement augmenté de 1970 à 2004. En gros, doublement en 34 ans (il s’agit des revenus par tête exprimés aux prix et taux de change PPA 2000).



Image numéro 2, où l’on découvre stupéfaits que pendant ce temps,  les salariés sont devenus de plus en plus fainéants : dans tous les pays, le nombre d’heures travaillées par personne et par an a diminué. Même aux Etats-Unis. Beaucoup plus en France, mais y’a encore plus fainéants : Pays-Bas, Norvège, Allemagne. Le Danemark est juste derrière la France.



Image n°3, où l’on comprend que cette évolution paradoxale n’a rien de paradoxale. On peut gagner plus en travaillant moins si la productivité du travail augmente : les gains de productivité, ca veut dire que la croissance des richesses produites est supérieure à la croissance des ressources mobilisées. On peut en profiter soit pour maintenir constant les ressources mobilisées (notamment en travail = constance des heures travaillées) et accroître les revenus des salariés ; soit pour réduire les ressources mobilisées (diminution du temps de travail par exemple).



Après on peut débattre sur les choix les plus pertinents pour l’avenir : faut-il continuer sur cette tendance? Quand? à quel rythme?  N’a-t-on pas été trop loin et/ou trop vite? etc. On peut s’interroger sur le temps partiel subi, notamment par les femmes. On peut s’interroger aussi sur les moyens de gagner encore en termes de productivité, se dire que ces gains de productivité sont passés par une dégradation des conditions de travail dans l’entreprise (cf. l’ouvrage d’Askenazy  "Les désordres du travail"). Mais autant éviter de lancer le débat en affirmant que l’on n’a pas le choix ; en formulant de pseudo-lois économiques démenties clairement par l’histoire des faits économiques.

L’attractivité de la France

Ernst & Young a développé depuis 1997 une base de données sur les projets d’investissements directs étrangers (IDE) en Europe. Une synthèse des résultats 1997-2005 est téléchargeable gratuitement.

Quelques commentaires sur les principaux  résultats :

1. Un nombre de projets important, qui tend à augmenter sur les deux dernières années, preuve d’une certaine attractivité de l’Europe dans son ensemble :


2. Les projets sont développés pour l’essentiel par des firmes de pays développés. De 1997 à 2005, on observe un accroissement du poids des projets intra-européens, et un recul des projets nord-américains :




3. En 2005, le Royaume-Uni (559 projets) et la France (538 projets) sont aux deux premiers rangs du classement, largement devant les autres pays (le troisième est l’Allemagne avec 181 projets). De 1997 à 2005, le nombre de projets diminue au Royaume-Uni et augmente en France. Ceci s’explique en partie par le recul des IDE américains en Europe  et l’accroissement des projets intra-européens:



La place de la France ne manque pas de surprendre Ernst&Young :

The continually strong performance of France is interesting. If there is a perception that the decline in the market share of the UK in securing projects has been caused by the emergence of lower cost economies, then how does that explain the success of France, a relatively high cost economy, in securing increasing levels of investment projects.
Une partie de l’explication tient sans doute au fait de leur mauvaise analyse des différentiels de coûts, comme en atteste l’étude commentée dans un précédent billet.

Sont présentés ensuite des résultats plutôt intéressants par secteur d’activité.

Certains diront qu’il s’agit de projets déclarés par les entreprises, et qu’il peut y avoir loin du projet à la réalisation. Certes. Mais les statistiques sur les IDE passés montrent que la France a été jusqu’à présent très attractives. Difficile de parler de désindustrialisation. L’analyse des intentions d’investissement montre que la situation n’est pas en train de s’inverser. En dépit de l’impossibilité des réformes. En dépit de la faible compétitivité coût de la France. En dépit des dépenses publiques qui ne servent à rien. En dépit des grèves à répétition. En dépit de l’inadéquation entre système éducatif et système productif. etc, etc, etc…

Avant de proposer des réformes, autant identifier les bons problèmes, il paraît que ca peut servir…

La mondialisation expliquée aux tout-petits…

Je viens de découvrir en me promenant sur Internet un site remarquable qui présente sous forme de graphiques animés tout un ensemble de statistiques relatives au développement humain. On peut voir les présentations en Francais sur le site, et les télécharger en anglais. Tout est gratuit.



Pédagogiquement remarquable, si des enseignants s’égarent sur mon blog, je leur recommande vivement de "piller" ce site pour réutilisation en séance. Je ne manquerai pas de le faire dans le cadre de certains de mes enseignements.

De l’utilité du modèle HOS…

L’un des modèles importants de l’économie internationale est le modèle HOS (Heckscher – Ohlin – Samuelson). Il explique la spécialisation des pays par les dotations en facteurs de production. Il stipule plus précisément qu’un pays a intérêt à se spécialiser dans la fabrication du bien qui utilise intensivement le facteur (relativement) abondant du pays (pour quelques développement, cf.  ici). Le capital est relativement abondant aux Etats-Unis, le travail relativement abondant au Mexique, logique que le premier pays se spécialise dans la fabrication des biens qui utilisent intensivement le capital, le Mexique se spécialisant dans la fabrication des biens qui utilisent intensivement le travail ; les deux pays s’échangeant ensuite les biens fabriqués (Logique mais démenti par Léontieff (d’où le paradoxe eponyme), qui montra que les Etats-Unis étaient spécialisés dans la fabrication de biens utilisant intensivement du travail. Paradoxe que l’on peut lever, si on distingue travail qualifié et travail non qualifié).
Bon, ce modèle souffre de plusieurs limites, je ne m’étends pas ; il explique notamment très mal le fait que les échanges internationaux concernent pour l’essentiel des pays aux dotations similaires. Si bien qu’en faire la grille de lecture de référence pour comprendre l’évolution actuelle des relations économiques internationales n’est pas très pertinent. Mais, et c’est là où je voulais en venir, il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain : il explique plutôt bien, par exemple, la division du travail à l’échelle internationale qui a été opérée pour livrer aux consommateurs du café Starbucks (source ici) :


Le Brésil est premier producteur mondial de sucre ; Canada, Etats-Unis, Finlande et Suède sont les principaux producteurs et exportateurs de papier ; le café provient d’Amérique Centrale et d’Afrique de l’Est, etc… On se divise donc le travail entre tout ce "petit monde", et on va livrer ça aux consommateurs de la planète.

A ce sujet, on notera que la géographie de la demande est plutôt marquée, comme quoi on est encore loin d’une uniformisation des habitudes de consommation (Personnellement, je n’ai jamais bu de ce doux breuvage, j’attends le "retour d’expérience" des lecteurs de ce blog!).

[à noter d’autres infographies plutôt intéressantes sur le même site]

Le retour d’Alain Lambert…

J’avais commenté il y a quelques temps certains propos d’Alain Lambert (ancien ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire). Je récidive.

Citation (source ici) :

De même, rappelons que les transferts ou les dépenses publiques ne créent aucune richesse supplémentaire ! Leur effet est souvent plus faible qu’on ne le croit puisqu’ils se financent par prélèvements sur les plus productifs, dont les prix de revient augmentent d’autant. Avec tous les risques de délocalisation d’emplois qui en résultent.

Premier point :  "les dépenses publiques ne créent aucune richesse supplémentaire". Je rappelle à Alain Lambert qu’il y a globalement consensus chez les économistes pour dire que la source essentielle de croissance d’un pays comme la France est l’innovation. Que pour une part importante, l’innovation se nourrit des dépenses de R&D, d’une part, et de main d’oeuvre (très) qualifiée (capital humain), d’autre part. Les dépenses publiques affectées  à l’éducation et à la R&D sont donc sans doute parmi les dépenses qui créent le plus de richesses… (on peut multiplier les exemples).

Deuxième point : "Leur effet est souvent plus faible qu’on ne le croit puisqu’ils se financent par prélèvements sur les plus productifs, dont les prix de revient augmentent d’autant." Ben voyons! La compétitivité des entreprises françaises s’explique pour une bonne part par l’environnement qu’elles trouvent dans notre pays, environnement qui doit beaucoup à la puissance publique (qualification de la main d’oeuvre, laboratoires de recherche, infrastructures de communication, de transport, cadre de vie des populations, etc.).  Dire que "les dépenses publiques conduisent à accroître d’autant le prix de revient des entreprises" est donc bêtement faux, il peut au contraire le faire diminuer si les dépenses permettent à ces entreprises de bénéficier de ce que les économistes appellent des externalités positives (on bénéficie de ressources sans en avoir payé totalement le prix).

Troisième point (anecdotique comparativement au deux premiers, qui méritent de figurer dans une anthologie) : Avec tous les risques de délocalisation d’emplois qui en résultent. La thèse d’Alain Lambert semble donc la suivante : les entreprises fuient une fiscalité trop lourde (on prélève les plus productifs). Faudra qu’il nous explique ce que viennent faire dans l’hexagone toutes ces entreprises étrangères, puisque la France occupe toujours les premières places dans les flux d’IDE entrants . Et que des études récentes tendent plutôt à montrer que la compétitivité coût de la France est bonne (j’en avais parlé ici).

Qu’Alain Lambert veuille réduire les dépenses publiques, c’est une chose, et cela peut faire débat. Mais qu’il en vienne à énoncer de telles absurdités, les bras m’en tombent… non pas que quelqu’un puisse dire de telles choses… mais que ce quelqu’un ait pu être ministre délégué au budget…