Plaque d’égoût et gauche antilibérale

Ce week-end, je ne suis pas allé chez le médecin. Mais je suis allé à la déchetterie. Deux fois. A deux heures d’intervalles. Et à chaque fois, j’ai écouté France Info.

La première fois, j’ai appris qu’une personne d’une trentaine d’années venait de se faire arrêter pour avoir volé dans la région de Nantes quelques tonnes de plaques d’égoûts. Plaques qu’il revendait à un ferrailleur pour quelques centaines d’euros au total (un peu plus de 800€ de mémoire). A ce moment là, le journaliste s’est fendu d’une analyse vertigineuse, en tentant de relier la petite histoire des plaques d’égoûts à la grande histoire de la mondialisation : avec la croissance chinoise, et, donc, la flambée du prix des matières premières, notamment du cuivre et de la fonte, pas étonnant d’observer ce genre de comportements. Les voleurs ont de l’imagination.

Deux heures plus tard, donc, rebelote. re-déchetterie, re-France Info. Même début mais fin différente : le même journaliste (si ce n’était lui, c’était son frère) s’est fendu du laïus suivant (je mets des guillemets, l’idée était celle-là, mais la retranscription est très approximative) : "précisons que le prix de la fonte n’a rien d’exceptionnel, il n’a pas connu la flambée que l’on a observé par exemple pour le cuivre". Ils ont dû recevoir un coup de fil indigné du ferrailleur, chez France Info.

Bon, pour le reste, c’est assez rébarbatif, France Info. Par exemple, j’ai entendu environ vingt-cinq fois le journaliste nous parler de la « gauche anti-libérale ». Bon, que Buffet, Besancenot, Bové et consorts utilisent cette expression, soit. Mais que tous les journalistes la reprennent en cœur, c’est un peu plus surprenant. Personnellement, je les qualifierais plutôt de représentants de la gauche « anti-capitaliste », ce serait plus rigoureux. Et ce n’est pas la même chose.

Car s’il est un fait saillant que de trop nombreux observateurs négligent, c’est que le capitalisme se caractérise par sa diversité (Cf. l’ouvrage d’Amable que j’ai cité à plusieurs reprises, voir aussi ce que j’en dis dans les nouvelles géographies du capitalisme). Dès lors, plutôt que de le réduire à l’une de ses formes particulières (le capitalisme libéral, qui, soit dit en passant, relève plus d’un idéal type que d’un modèle en place, j’y reviendrais si besoin), on peut s’interroger sur les formes qu’il peut prendre, et sur celles vers lesquelles on voudrait tendre.

Dans cette perspective, deux liens récents méritent d’être signalés (c’est là où je voulais en venir depuis le début du billet…) :
* le premier sur Telos-Eu, est une contribution de Marc Fleurbaey et Guillaume Gaulier intitulée "Trois modèles de bien-être". En l’occurrence, un modèle anglo-saxon, un modèle nordique et un modèle latin. Tous capitalistes, tous différents.

* le deuxième : la chronique de Stiglitz dans Les Echos, intitulée "Pour une mondialisation réussie". Où l’on apprend sans surprise que Stiglitz n’est pas anti-mondialiste mais plutôt alter-mondialiste (il n’emploie pas le terme, c’est moi qui le dit). Mais, attention, un alter-mondialiste qu’on peut difficilement taxer d’anti-capitaliste. Alter-capitaliste, plutôt.

9 commentaires sur “Plaque d’égoût et gauche antilibérale

  1. Concernant le vol de plaques… cela fait depuis un bail que ça se fait.La première fois que j’en avais entendu parler, c’était dans le journal de propagande La Décroissance. La raréfaction des matières premières se faisant, la flambée des prix l’accompagnant amenait ce type de recel très lucratif.Ils avaient alors listé une série de "gros vols" comme celui-ci.A noter qu’en Pologne on vole aussi le charbon. Mais pour d’autres raisons.Bref, le piratage des matières premières, c’est pas récent et il est drôle que des journalistes s’étonnent de cela.D’ailleurs, faudrait faire un peu d’information auprès des jeunes qui prennent des risques en dealant des substances illicites. C’est vrai, quoi : si au sein de l’économie informelle l’information circulait mieux, beaucoup se reconvertiraient. :oDVu que les lois de la "prévention" de la délinquance par notre cher Sarkozy viennent durcir les peines à l’encontre des dealers, et que la police peut désormais manoeuvrer dans le sens "d’arrestation après participation", ça me semble quand même être moins dangereux. (Ou alors, j’imagine bien des flics en train de balancer à un jeune "allez, viens, on va voler des bouches d’égoûts mec ! Tu verras, c’est trop bon comme trip !".)A noter qu’Alter Eco dédie un dossier à la flambée des prix au niveau de certaines matières premières.Quant à Bové et Besancenot, ils me semblent aussi plus alter-mondialistes qu’anti-capitalistes…Ou alors il faudrait que vous nous définissiez ce qu’est, pour vous, une idéologie anti-capitaliste.AJC

  2. @ AJC : pour la LCR, pas vraiment : " Le Manifeste a pour fonction principale de définir ce que la LCR propose comme réponse aux nécessités contemporaines du combat pour une alternative socialiste. En même temps, il s’agit d’un apport de la LCR aux discussions avec d’autres forces militantes sur les fondements d’une nouvelle force anticapitaliste qu’elle appelle de ses vœux." (source : http://www.lcr-rouge.org/rubriquemanifest.php3?id_rubrique=84). Bové ne porte pas le même discours mais il évite soigneusement de parler de "capitalisme". Bon, au PS aussi, c’est tabou!

  3. La confusion entre alter-mondialistes et anti-mondialistes n’existe que dans l’esprit des socio-démocrates et de la droite réactionnaire, m’enfin.Bon, vous me direz que Royal est socdem au discours libdem mal assumé et Sarkozy droite-réac devenant libéral sous la contrainte. On en déduira aisément qu’il suffirait d’augmenter un poil la pression pour que le paysage change, mais ça…

  4. @AJC
     

     
    Si Besancenot était un marxiste conséquent (je ne me prononce pas sur Bové dont j’ignore les références idéologiques) il devrait préférer le qualificatif anticapitaliste au qualificatif antilibéral. En effet, le libéralisme est une théorie, un discours mi-descriptif mi-normatif concernant la réalité économique (en termes marxiste il relève de l’idéologie, il appartient à la superstructure) ; le  capitalisme, est un système (ou une famille de systèmes) économique réel (en terme marxiste : il est l’infrastructure). Bon, Besancenot qui a lu tout Trotsky (il n’y avait même pas d’image, c’est dire s’il a du mérite!) devrait  ‘savoir’ que l’infrastructure détermine la superstructure.
     

     
    Que l’antilibéralisme soit mis en avant par rapport à l’anticapitalisme  témoigne du fait que les gauchistes sont moins à cheval sur la théorie qu’autrefois et qu’ils s’efforcent de recruter au delà de leur chapelle.
     

     
    Une idéologie peut-être qualifiée d’anticapitalisme dès lors qu’elle prétend supprimer la propriété privée des moyens de production. Je ne crois pas que la LCR ait renoncé à ce point -si c’était le cas, elle devrait supprimer le C de son sigle- mais il est possible qu’elle entretienne l’amiguïté sur ce point pour ne pas effaroucher certains électeurs potentiels qui sont pour la régulation publique mais pas pour la collectivisation.
     

     

  5. OBO :Votre réponse ne m’avance guère… :o)Vous copiez l’auto-définition de la part du LCR, afin de juger Besancenot, que vous classez plutôt comme anticapitaliste que comme antilibéral.On pourrait faire de même avec les socialistes : signaler qu’ils sont "socialistes" parce que c’est leur titre. :oDMais c’est justement pour dépasser ce tour de passe-passe rhétorique et sémantique que nos hommes politiques utilisent que je vous demandais pourquoi vous pensez que Besancenot et Bové sont anticapitalistes.Pour écouter Besancenot de temps à autres, lire ses discours ou analyser sa stratégie via certains articles du Plan B/Acrimed, il ne me semble pas spécialement anti-capitaliste mais plutôt anti-libéral voire alter-capitaliste.Quant à Bové, je le vois plus comme un partisan de la désobéissance civique et anti-libéral…Et Thoreau, le père théorique de la désobéissance civique (Si l’on évite de parler de Jésus ou d’autres "anciens" de ce type.), même s’il est souvent admiré par des libertariens ou anarchistes de gauches, n’a pas grand’ chose à voir avec l’anticapitalisme…Elias :Pour le C de la LCR, pour moi c’est comme le S du PS…C’est un tour de passe-passe rhétorique et sémantique, avec l’appropriation d’une idéologie qu’ils ne suivent aucunement et ne prônent en aucun cas…C’est pourquoi je posais cette question à M. OBO au sujet de sa définition de l’anti-capitalisme.AJC

  6. AJC : un point pour vous! La LCR n’étant plus guère révolutionnaire en pratique on peut en effet penser qu’elle n’est plus vraiment communiste non plus. On peut quand même faire un différence avec le PS : on peut déterminer la position réelle de ce dernier en dépit de ce qu’il dit, en regardant ce qu’il fait quand il est au gouvernement. Dans le cas de la LCR, on peut , comme vous, ne pas accorder une grande importance à sa rhétorique; mais on ne peut pas pour autant  s’appuyer sur ce qu’elle fait, pour déterminer si sa position réelle est anticapitaliste, ou seulement antilibérale, et je ne suis pas sûr que la définition qu’OBO donnera de ces deux notions  vous aidera à y voir plus clair sur ce point.
     

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