Pourquoi, mais pourquoi donc n’avons-nous pas de meilleurs politiques?



Jean Arthuis
est ancien Ministre de l’Economie et des Finances (de 1995 à 1997). Aujourd’hui, il est sénateur, p
résident de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, Membre de la Conférence nationale des finances publiques, Président du conseil général de la Mayenne,  et Membre de l’ Observatoire de la Décentralisation. Accessoirement, il est Membre du groupe d’études de l’élevage et de la section Cheval et conseiller de François Bayrou.

Il nous fait part de ses réflexions "approfondies" dans un ouvrage intitulé "Mondialisation – la France à contre-emploi". Encore une quatrième de couverture qui fait réver, digne d’Eric Le Boucher :


Enfin, un tabou se brise. Il est maintenant admis que les délocalisations à répétition ont entraîné la France sur la pente d’une désindustrialisation catastrophique. En effet, la mondialisation, loin d’être comme ailleurs un " accélérateur de croissance ", agit en France comme une pompe aspirant des emplois de plus en plus qualifiés vers les pays émergents et refoulant dans les rayons de nos hypermarchés des produits toujours moins chers. Tout cela sous l’œil bienveillant des pouvoirs publics, qui refusent de comprendre que le consommateur est aussi un salarié et que, en cassant les prix, la grande distribution casse aussi des emplois. Oui, la France, où les banques prêtent plus facilement pour consommer que pour investir et produire, est aujourd’hui à contre-emploi dans tous les sens du terme. Et non, la mondialisation n’est pas " une chance pour la France "… Sauf, nous dit Jean Arthuis dans ce livre décapant, si un président déterminé à inverser la spirale infernale rompt avec la politique " virtuelle " faite d’hypocrisie et de pieux mensonges, conditionne l’accès à notre marché à des contreparties véritables et brise le carcan administratif et fiscal dans lequel un Etat devenu parasitaire enserre nos entreprises, les acculant, toujours plus nombreuses, à la délocalisation… ou à la faillite. Sauf si l’Europe entend enfin exister politiquement et assumer les prérogatives que ses membres lui ont confiées. Un coup de sang argumenté et documenté, à la veille d’échéances cruciales pour le pays, par un homme politique atypique, connu pour sa pugnacité et son franc-parler, qui ne se résout pas au déclin économique de son pays.

Des "délocalisations à répétition"? Pas vraiment, comme expliqué ici, elles pèsent entre 5 et 10% des destructions d’emploi dans l’UE à 15 (4,6% en France en 2005). La "France est sur la pente d’une désindustrialisation catastrophique"? Non, c’est faux : la valeur ajoutée industrielle (mesurée en volume) est globalement stable depuis 1978, autour de 22% ; j’explique ici l’erreur de diagnostic, j’en reparle plus loin dans ce billet. La mondialisation, une "pompe aspirant des emplois de plus en plus qualifiés vers les pays émergents"? Mon dernier billet montre plutôt le contraire.

Comment se fait-il, me direz-vous, que Jean Arthuis se trompe à ce point sur le diagnostic? En fait, comme il n’est pas satisfait par les études économiques montrant que les délocalisations pèsent peu dans les destructions d’emploi, il a adopté une autre définition, puis commandé une étude par un cabinet de consultant. En caricaturant un peu, je dirais que le métier de consultant consiste à i) deviner les conclusions que le commanditaire aimerait bien obtenir, ii) batir une analyse validée empiriquement permettant d’arriver aux conclusions voulues. De ce fait, c’est sans surprise que l’étude commandée a "démontré" que les délocalisations pèsent beaucoup. Bien sûr, la presse s’en est fait largement l’écho sans jamais s’interroger sur la méthodologie employée…

Sa définition des délocalisations ? La voici, extraite du rapport qu’il a présenté au Sénat :

* Les délocalisations pures, qui sont des transferts directs vers un pays étranger d’activités réalisées en France
* Les délocalisations diffuses, qui correspondent au transfert et au regroupement vers un pays étranger d’une activité répartie sur plusieurs sites en France ; elles n’entraînent pas de fermetures d’établissement et sont beaucoup moins visibles que les délocalisations pures.
* Les non-localisations correspondent enfin aux ouvertures à l’étranger d’activités qui auraient pu être localisées en France, sans que les établissements français ne souffrent d’une quelconque perte d’emplois. Elles représentent un manque à gagner significatif pour notre pays en termes d’emplois, puisque ce sont autant d’emplois qui ne sont pas créés. Ce type de délocalisations est par nature très peu visible … et peu médiatisé.
Les deux premiers items sont habituels, le dernier, en revanche, c’est du Arthuis pur jus. En fait, tout IDE est une délocalisation ; toute richesse qui sort du pays est une calamité. Mercantilisme habituel, dont Jean Arthuis est familier (cf. infra)…

La méthode employée? Comme les données statistiques ne le satisfont pas, il a demandé la production de chiffres reposant sur des interviews de chefs d’entreprises. Je cite son rapport : "c’est ce qui a conduit votre commission des finances à opter pour une autre méthode à la fois micro-économique et qualitative, fondée sur des entretiens avec des chefs d’entreprises retenus sur la base d’échantillons, pour l’évaluation des emplois de services concernés à l’avenir par les délocalisations".
 
Katalyse, cabinet de consultants, a produit l’étude, avec la définition et la méthodologie Arthuis et là, pas de problème, 202 000 emplois de services perdus au cours des 5 prochaines années… C’est la seule étude aussi alarmiste, réalisée non pas par des chercheurs mais par des consultants, mais c’est bien sûr la seule rigoureusement exacte.

Petite précision. Quand on entend "202 000 emplois de services perdus", on se dit, qu’on va mettre sur le carreau 202 000 personnes en France, et faire travailler à leur place des personnes à l’étranger. En fait non : sur les 202 000 emplois, 80% sont des non-localisations. Vous savez, cette catégorie supplémentaire ajoutée par Jean Arthuis. Il y aurait donc 40 000 emplois détruits en France dans les services pour cause de délocalisation sur les 5 prochaines années, soit 8 000 par an, ce qui est moins que les chiffres Insee sur l’industrie (13 500 emplois détruits par an), et ce qui est à mettre en regard des 30 000 embauches et départs quotidiens de l’emploi comptabilisés en France (Cahuc et Kramarz, p. 9). Mais personne dans les médias ne donnera ces précisions.

Ce n’est pas son coup d’essai, remarquez : en 1993, dans un autre rapport, il avait déjà adopté une définition ultra-extensive du phénomène (les importations sont aussi des délocalisations, et re-mercantilisme, les importations, c’est pas bien, na!), pour conclure que :

"84% des effectifs salariés de l’industrie (hors IAA), correspondant à 81% de la valeur ajoutée du secteur, sont délocalisables" (J. Arthuis, 1993, p.150).

Il nous annonce ça en 1993, on doit donc s’attendre à ce qu’une bonne partie de l’industrie parte ailleurs, non? Pas trop difficile de faire un petit exercice statistique rétrospectif pour voir si les prédictions d’Arthuis se sont vérifiées (Source ici, p. 44) :

La valeur ajoutée industrielle en volume a constamment augmenté sur la période 1978-2002, en fait de 56%. Comme la valeur ajoutée totale a augmenté de 71% sur la même période, la part de l’industrie dans l’ensemble a diminué, mais somme toute faiblement, son poids passant de 24,4% à 22,2% entre 1978 et 2002. Mais surtout, et c’est là qu’on peut se régaler de la capacité d’anticipation d’Arthuis, on a assisté à un rebond en 1993 (point bas à 20,7%), puis à une stabilisation autour de 22%…. Savourez de nouveau les premiers mots de la quatrième de couverture : "Enfin, un tabou se brise. Il est maintenant admis que les délocalisations à répétition ont entraîné la France sur la pente d’une désindustrialisation catastrophique"… Il est maintenant admis par Arthuis, sur la base des définitions d’Arthuis, à partir de la méthodologie d’enquête d’Arthuis, et de l’analyse des résultats d’Arthuis que les délocalisations à répétition etc, etc…

Jean Arthuis est ancien Ministre de l’Economie et des Finances de la France. Il est aussi Membre du groupe d’études de l’élevage et de la section Cheval et conseiller de François Bayrou…

Quand les délocalisations créent de l’emploi en France…



Dans l’esprit de beaucoup de personnes, la France se vide de toute activité au profit des pays en développement comme la Chine, l’Inde, les Pays de l’Est, etc… Cette idée est doublement fausse : premièrement,  la France attire de nombreux projets industriels, elle présente un degré non négligeable d’attractivité. Deuxièmement, si l’on regarde où se dirigent les investissements français à l’étranger, on s’aperçoit qu’ils ne vont pas prioritairement en Chine ou dans les PECO, mais dans d’autres pays développés.

J’ai fourni dans Les nouvelles géographies du capitalisme quelques chiffres relatifs à ce dernier point. J’ai complété un peu sur le blog avec des données 2003 sur l’Europe.  J’actualise ici  grâce aux documents disponibles de la Banque de France :


Le premier pays "non développé" attirant des IDE français est la Pologne. Elle pèse 1% de l’ensemble des IDE français. Suit le Brésil, avec 1% également. La Chine est assez loin derrière, avec moins de 0,5% de l’ensemble. Les 10 premiers pays de destinations, tous des pays industrialisés, pèsent plus de 80% de l’ensemble.

D’autres tableaux/calculs montrent que 60,5% des IDE français vont dans l’UE à 15 fin 2004, 28,4% dans les autres pays industrialisés et seulement 2,2% dans les PECO10 (8,5% dans le reste du monde). Difficile de croire après ça à un déménagement massif de l’activité économique localisée en France vers les pays en développement.

Est-ce nécessairement une bonne chose? Pas si sûr :
* une bonne part des IDE à l’étranger ne vise pas à rationnaliser le processus productif, mais à accéder à une nouvelle demande. Le faible engagement des entreprises françaises en Chine par exemple peut être considéré comme pénalisant, s’il empêche de prendre position sur un marché aux perspectives prometteuses,
* et ce surtout si on garde en tête le résultat qui commence à émerger de certaines études récentes (accès limité pour certaines études) : les entreprises qui s’engagent à l’étranger crééent plus d’emplois dans leur pays d’origine que les entreprises ne s’engageant pas à l’étranger.

Petit extrait de l’article (abonnement NBER nécessaire) de Navaretti, Castellani et Didier, 2006, "How does investing in cheap labour countries affect performance at home? France and Italy", NBER Working Paper n°5765, juillet (ma traduction) :

Le transfert d’emplois d’industries de basse technologie vers les pays à bas coût est souvent vue par le grand public et par les politiques comme un signe de la désindustrialisation des économies européennes. Cependant, plusieurs études récentes ont montré que les effets sur l’économie domestique sont rarement négatifs et souvent positifs. Notre papier se focalise sur les investissements vers les pays à bas coût de main d’œuvre réalisés par un échantillon de firmes françaises et italiennes s’étant engagées à l’étranger sur la période d’étude. (…) Nous ne trouvons pas de preuve d’effet négatif. En Italie, l’investissement dans ces pays améliore l’efficacité des activités domestiques, avec également un effet positif de long terme  sur la production et l’emploi [3 ans après l’investissement, l’emploi dans le pays domestique est 8,1% plus élevé que pour les entreprises ne s’étant pas engagées à l’international]. Pour la France, nous trouvons un effet positif sur la taille du marché domestique [En termes de production et d’emploi. Cependant, contrairement à l’Italie, les auteurs ne trouvent pas d’effet significatif sur la valeur ajoutée et la productivité] (…).



Bien sûr, et c’est un point essentiel, si le solde est positif, les emplois détruits et les emplois créés ne sont pas les mêmes. Ce que politiques doivent prôner, ce n’est donc pas l’interdiction des délocalisations, mais l’anticipation et la gestion des mutations ainsi que l’accompagnement des personnes les plus exposées (personnes peu qualifiées en milieu rural notamment).

Boucherie économique



Amazon
vient de m’envoyer un mail, me recommandant d’acheter un ouvrage intitulé Economiquement incorrect d’Eric Le Boucher, rédacteur en chef au Monde pour ceux qui l’ignoreraient. Bon, j’avais dit du mal de lui dans un billet il y a quelques temps, mais je suis pas bégueule, je regarde donc sur le site le descriptif de l’ouvrage :

D’Asie en Amérique, le monde accélère. L’Europe s’arrête. Et la France recule. Affirmant mener une orgueilleuse " résistance " à la mondialisation et au libéralisme, le pouvoir politique a cédé aux corporatismes. L’immobilisme ruine le pays et met un jeune sur quatre au chômage. Pourquoi la France va-t-elle si mal quand d’autres pays s’en sortent ?
Ok, thèse décliniste, mais ce n’est pas ça qui me choque. Non, c’est plutôt cette phrase :
L’immobilisme ruine le pays et met un jeune sur quatre au chômage

Que peut-on espérer d’un type qui écrit un bouquin sur l’économie sans savoir ce que c’est qu’un taux de chômage (voir ici, , où )? C’est pas la France qui décline, c’est Le Boucher (bien que pour décliner, faut avoir été un peu plus haut sur la pente. En fait, il roule), Grasset (l’éditeur), et Le Monde (l’employeur)…

(D’un autre côté, vous me direz, Eric Le Boucher est honnête, tout est déjà annoncé dans le titre : économiquement incorrect…)

Vidéo France 3 + Demain TV

Je viens de recevoir un mail de Guénolé Seiler, journaliste à France 3, qui m’indique que " après bien des péripéties, l’émission de vendredi est en ligne sur le site france3.fr. elle restera visible pendant un mois."

Pour info, j’ai participé hier à l’enregistrement d’une émission ("de quoi demain sera fait?") d’une heure pour Demain TV, toujours sur le thème des délocalisations (titre : "Délocalisations : ça déménage"). Avec comme invités deux responsables d’entreprise, un ex-représentant syndical de Danone et  El Mouhoub Mouhoud (professeur d’économie à Paris Dauphine, auteur de plusieurs ouvrages très intéressants, l’un sur les délocalisations, l’autre sur les migrations, j’en reparlerai à l’occasion, notamment celui sur les migrations, qui permet de balayer quelques idées reçues…).  L’émission sera diffusée une  dizaine de  fois sur la chaîne,  première diffusion le 10 mars. Si j’ai le temps, j’en dirais deux mots  d’ici là.

Comptes d’apothicaire



L’attention se focalise très fort en ce moment sur la question du financement des programmes de nos politiques, les médias piochant abondamment dans les résultats de l’exercice de comptabilité effectué par Débat 2007, développé à l’initiative de  Michel Pébereau, auteur d’un rapport sur la dette qui l’a rendu un peu monomaniaque, dirons-nous.
Les économistes ne sont pas des comptables, pour preuve ces différents articles/billets sur le sujet de la dette et/ou du financement des programmes :

* Fitoussi et Aghion dans un article pour le Figaro de janvier 2006
* Fitoussi tout seul en 2004
* Salanié sur son blog récemment
* Askenazy aussi, sur le blog qu’il vient d’ouvrir
* Econoclaste, encore, ici et

Avec des avis assez convergents sur l’intérêt limité des exercices de chiffrage, surtout quand on refuse de prendre en compte les effets attendus des politiques en termes de croissance. Le programme UMP est évalué à 50 milliards d’euros, celui du PS a 63 milliards, so what? Aucun intérêt si on ne quantifie pas dans le même temps les effets attendus en termes de création de richesse et d’emploi.

 Bien sûr, la prise en compte de ces effets attendus transforme l’exercice, puisqu’on introduit de l’incertitude parfois radicale. Il ne s’agit plus seulement d’évaluer les dépenses liées à chaque mesure, mais aussi d’évaluer les recettes attendues de la mise en oeuvre des dépenses, recettes attendues qui peuvent survenir à moyen-long terme, surtout si l’on met en oeuvre des politiques structurelles (politique d’éducation, de recherche, politique industrielle, politique de la ville, …), ce qui est pour le moins souhaitable. N’en déplaise à un ex-premier ministre, la politique ne consiste pas à gérer l’Etat comme "un bon père de famille". Si on se refuse à transformer l’exercice pour cause d’incertitude, on ne parle plus d’économie ni de politique, juste de comptes d’apothicaire.

Petite précision : un compte d’apothicaire est un calcul long et compliqué n’ayant qu’un intérêt limité.

Journalistes contre blogueurs



Quelques réflexions sur la petite guerre entre les journalistes traditionnels et les blogueurs, suite notamment à cette affirmation de José Bové, interpellé par Nicolas Demorand (France Inter) qui a cité pour appuyer ses propos un billet de Maître Eolas. Propos que José Bové n’a pas apprécié, si bien qu’il a affirmé "sur un blog, on peut dire n’importe quoi".

Une première façon de traiter le problème est de regarder la qualité de la production des journalistes, et celle des blogueurs. On arrive vite au constat que 4 configurations existent : bons journalistes / mauvais journalistes ; bons blogueurs / mauvais blogueurs. On n’est pas vraiment avancé, si ce n’est que les uns et les autres peuvent se renvoyer à la figure les bons exemples de leur camp et les mauvais exemples de l’autre camp (ce qui n’est pas inutile : voir le billet de Jules par exemple sur la prétendue supériorité des journalistes professionnels sur les journalistes citoyens)… Je propose les bribes d’une autre analyse.

Les journalistes et les blogueurs sont des producteurs de connaissance : ils collectent de l’information, la trient, l’analysent, la mettent en perspective, etc.. et la mettent à disposition de leurs lecteurs. Tout l’enjeu est de savoir quel est le niveau des compétences des personnes ou dispositifs censés transformer l’information en connaissance.

L’argument que je défendrai est que la différence fondamentale entre blogueurs et journalistes est liée au processus de sélection de ces compétences. Dans les médias traditionnels, on a un processus de sélection ex-ante des producteurs de connaissance : il faut, pour travailler dans ces médias, être passé par les écoles de formation ou les filières considérées comme les mieux adaptées, il faut franchir les tests de sélection et les entretiens d’embauches, faire ses preuves sur le tas pour ensuite accéder aux meilleures places, etc, etc… Ce processus de sélection ex-ante, s’il fonctionne de manière efficace, doit permettre d’éliminer les plus "mauvais" producteurs de connaissance. Ceci explique la position de certains journalistes, tel que décrit par Maître Eolas :

Les journalistes se veulent séparés du citoyen ordinaire en faisant de la "vraie" information, professionnelle, de qualité, vérifiée, recoupée et avec l’expertise que leur apporte leurs années de métier, tandis que les blogs serait le monde du n’importe quoi


Côté blog, en effet, il n’existe pas de processus de sélection ex-ante, n’importe qui peut créér son blog, mettre en ligne sa propre analyse, etc… C’est aux lecteurs de faire le tri, dans un processus de sélection ex-post. Sur internet, on va faire son marché. On le devine, la qualité est nécessairement plus hétérogène, puisqu’on n’a pas de sélection avant production des connaissances. Si bien que, comme le dit José Bové, "sur un blog, on peut trouver n’importe quoi."

Sauf qu’il y a un autre point essentiel, largement occulté par les journalistes. L’accélération et la complexité des savoirs à mobiliser pour décrypter les informations de base sont telles qu’aucun journaliste professionnel, par définition généraliste, n’est capable d’en traiter efficacement l’ensemble. Inversement, sur les blogs, les experts de domaines pointus peuvent s’exprimer (tous ne le font pas encore, loin de là). Si bien qu’on peut trouver des analyses plus fines de problèmes que les médias traditionnels ne peuvent que survoler. On a quelque chose qui ressemble à une opposition entre généralistes (médias traditionnels) et spécialistes (blogueurs experts).

quelle implication? Globalement, la qualité moyenne des deux types de média peut être la même, ils diffèrent en revanche certainement par la dispersion de la qualité :



[Modifications 19/02 – 14h00 suite à certains commentaires]
Sur le graphique, la qualité moyenne peut être supposée supérieure dans la presse traditionnelle (Qp) comparativement à la qualité moyenne des blogs (Qb). La courbe de densité des journalistes est plus "petite" afin de prendre en compte le fait que le nombre de journalistes sévissant dans les médias traditionnels est significativement inférieur au nombre de blogueurs. Compte tenu de ce qui a été dit plus haut, on suppose qu’il y a moins de mauvais articles dans la presse traditionnelle en raison du processus de sélection ex-ante, mais aussi moins de très bons articles, en raison de la moins grande spécialisation des journalistes.
De ce fait, si José Bové a raison de dire que sur un blog, on peut trouver n’importe quoi, il a profondément tort d’affirmer cela quand on sait que sur le blog cité par Demorand, ce qui était dit n’était pas n’importe quoi. Il s’agissait au contraire de l’analyse d’un expert, qu’on a du mal à trouver dans les médias traditionnels.

Si on garde en tête cette analyse, on comprend à quel point les deux médias peuvent être complémentaires, l’enjeu pour les médias traditionnels étant de repérer les billets et les blogs de qualité, et d’en faire l’une de leur source d’information. Nicolas Demorand ne fait rien d’autre quand il cite Maître Eolas.

France 3 Poitou-Charentes : debriefing


Retour sur l’émission enregistrée hier, annoncée dans ce billet. Elle devait être est disponible sur le site, il n’y a, pour l’instant, que les vingt dernière minutes. Guénolé Seiner m’a indiqué par mail que ce serait réparé aujourd’hui dimanche ou demain lundi.

Je ne m’étends pas sur ma prestation (n’hésitez pas à commenter!), j’ai essayé de faire passer 2 ou 3 idées :
i) les délocalisations pèsent globalement peu mais localement (certains secteurs, territoires, niveaux de qualification) beaucoup,
ii) il y a des choses à faire en termes d’anticipation des problèmes et d’accompagnement des personnes les plus touchées,
iii) l’industrie française a un avenir, qui ne se limite pas aux pôles de compétitivité.

Sur la prestation des politiques :
i) sur la forme, les représentants LCR et PS ont été de mon point de vue plutôt bons. Les autres plutôt moins bons. J’ai été surpris de voir à quel point on pouvait lire sur mon visage ce que je pensais des propos (particulièrement calamiteux, je ne m’étends pas, jugez par vous-même) de la représentante de l’UMP. Désolé pour elle…
ii) sur le fond :  Fountaine est sans conteste celui qui connaît le mieux l’économie (sa double expérience de politique et de chef d’entreprise expliquant sans doute cela). Je pense qu’il a aussi plus l’habitude des plateaux télé. On peut notamment admirer ses réponses aux questions du journaliste relatives aux propos de Ségolène Royal : il semblerait que Jean-François Fountaine ne partage pas certaines propositions de la candidate socialiste, par exemple celle "d’interdire les délocalisations d’entreprises de marques faisant des bénéfices", mais il nous a sorti une réponse savoureuse permettant de ne pas contredire la candidate sans renier pour autant ses convictions. Difficile exercice d’équilibriste!

Bref, si on m’avait demandé de voter  pour un des politiques présents, j’aurais sans doute voté pour Fountaine. Mais j’insiste : voter Fountaine ne signifie pas voter Ségolène…

Lune Terre Soleil Tourne Qui Autour ?



Un partenaire de footing et néanmoins ami (sauf quand il essaie de courir plus vite que moi), prof de physique-chimie dans un lycée poitevin à ses heures perdues, a décidé de poser à deux classes de seconde
la terrible question du jeu de Jean-Pierre Foucault. Pour mémoire, dans le jeu télévisé, 56% des personnes ont répondu que le Soleil tournait autour de la Terre.

En fait, il a posé la question suivante : "Quel astre gravite autour de la terre?" avec quatre réponses possibles : A : la lune, B : le soleil, C : mars, D : Vénus. Résultat des courses :

A – La Lune 70%
B – Le Soleil 11%
C – Mars 8%
D – Vénus 11%

 Les résultats sont significativement supérieurs à ceux du public de TF1 (c’est peu dire) et conformes à ceux de l’étude européenne posant une question approchante (29% d’erreur à l’item "le Soleil tourne autour de la terre : vrai/faux").

Complément important : ayant échangé avec certains élèves, on s’aperçoit qu’une partie a été piégée par le vocabulaire. Certains savaient que la lune tourne autour de la terre, mais n’étaient pas sûr que la lune était un astre. D’autres s’interrogeaient sur le terme "gravite". De plus, comme le signale mon partenaire de footing et néanmoins ami "ceux qui ne répondent pas "réponse A la lune" sont-ils pour autant nuls en sciences ? pas sûr, car à coté de cet exemple où la mise en situation et l’énoncé de la question peuvent déstabiliser, certains s’étant trompés sont capables par ailleurs de se livrer à une réelle démarche scientifique ( appréhender une situation, formuler une hypothèse argumentée, élaborer un protocole expérimental pour valider l’hypothèse, modéliser …)".

Proposition, donc : si des enseignants sont intéressés pour faire passer le questionnaire à différentes classes, ou groupes de classes, on pourrait imaginer des variantes dans la formulation de la question, et voir si les résultats sont modifiés, histoire de discriminer entre connaissances en science et connaissances en français. Par exemple :

G1 : qu’est-ce qui tourne autour de la terre?
G2 : qu’est-ce qui gravite autour de la terre?
G3 : quel astre tourne autour de la terre?
G4 : quel astre gravite autour de la terre?

N’hésitez pas à m’envoyer vos résultats, je les mettrai en ligne au fur et à mesure.

Délocalisation au Luxembourg

Je suis invité par le Ministère de l’Economie et du Commerce Extérieur du Luxembourg pour une journée de l’Economie aujourd’hui 13 février . Thème abordé : "Le défi de la diversification – Le point de vue des CEOs".
Le programme de la journée est ici (fr ou en).

J’y vais non pas en tant que CEO, vous l’aurez deviné, mais en ma qualité "d’expert" des délocalisations. Sans doute l’occasion d’évoquer le cas de l’entreprise Thomson, qui vient de délocaliser son site Luxembourgeois (usine Technicolor spécialisée dans la duplication de CD et de DVD)  vers la Pologne (230 licenciements, dont 80% de frontaliers belges et français) [source : article des Echos (€) du 18/01/2007]. 

L’occasion surtout d’échanger avec des dirigeants, des consultants, des politiques et des responsables d’administration, bref, de faire discuter ensemble un sous-ensemble des parties prenantes de l’entreprise, comme évoqué dans un autre billet.

Chômage des jeunes : le retour



J’en avais parlé à plusieurs reprises au moment du CPE, les politiques ne savent pas ce qu’est un taux de chômage. Quand on leur dit que le taux de chômage des jeunes est de 23%, ils en déduisent que 23% des jeunes sont au chômage.  Ségolène Royal a fait l’erreur hier après-midi (le PS réduit donc le score : 4-3 pour l’UMP, mais j’ai dû rater des buts…):

(…) Il est insupportable à ceux qui vivent de leur travail et il est dramatique pour ceux qui n’arrivent pas à en vivre. C’est ce cri de colère que j’entends monter de la France qui travaille et de celle qui aimerait travailler. Colère contre les délocalisations qui dévorent l’emploi. Colère contre le fait que 23% des jeunes sont sans emploi, que l’âge du premier emploi n’en finit pas de reculer et que la précarité des contrats se généralise (…) (discours trouvé ici)
Ce sont 23% (en fait 22,3% fin 2005) des jeunes actifs qui sont au chômage. Et si ce taux est élevé, c’est plus en raison d’un dénominateur faible (population active jeune de faible taille) que d’un numérateur (chômeurs jeunes) élevé. Si la population active jeune (au passage, je vous rappelle que "jeune", ça commence à 15 ans et ça finit à 24 ans) est de faible taille, c’est parce que la plupart des jeunes sont en étude (et un étudiant, un prof de fac peut vous le dire, c’est pas très actif). La proportion de jeunes au chômage (rapport entre le nombre de jeunes chômeurs et la population totale jeune) est un indicateur plus intéressant pour cette tranche d’âge. Elle est, en France, fin 2005, de 8,2%.

L’Insee publie les chiffres  pour ces deux indicateurs. Quand on compare les pays de l’UE25, on s’aperçoit que la France a un taux de chômage des jeunes plus élevé que la moyenne mais une proportion de jeunes au chômage plus faible. Globalement, la corrélation entre les deux indicateurs est assez bonne (R²=0,61 d’après mes calculs).