Taille des villes et performances économiques : une légende urbaine

city-35002_960_720Mondes Sociaux vient de mettre en ligne un article co-écrit par Michel Grossetti, Benoît Tudoux et moi-même, qui synthétise certains de nos travaux récents sur la question. Vous pouvez le lire en cliquant ici, allez y jeter un œil ne serait-ce que pour les illustrations !

J’aurai l’occasion d’en parler et d’en débattre au Printemps de l’Economie, lors d’une table ronde organisée par l’OFCE, jeudi 14 avril prochain, à laquelle participeront Guillaume Allègre, Xavier Timbeau et Laurent Davezies. Tous les détails sont ici. (Je participe également à deux autres tables rondes : mardi 12 matin sur le thème “quel territoire économique en dehors des périmètres institutionnels?” et mardi 12 après-midi sur le thème “comment favoriser l’innovation sur les territoires?”).

On voit des métropoles partout, sauf dans les statistiques

Nouvelle livraison pour alimenter le débat sur la métropolisation ! L’article co-écrit avec Michel Grossetti a en effet plutôt bien diffusé, il nous semble que notre critique de l’indicateur PIB régional par habitant est globalement acceptée, mais certains chercheurs nous opposent d’autres arguments. Pierre Veltz, par exemple, dans un entretien pour la revue L’Economie Politique (€), reconnaît dans un premier temps le problème :

le PIB régional est un concept qui soulève de nombreux problèmes, qui s’ajoutent à ceux du PIB en général. Où situer, par exemple, la valeur ajoutée produite par une entreprise comme Renault ? Le Technocentre, avec ses salaires élevés, contribue évidemment au PIB de l’Ile-de-France ; mais cette valeur ajoutée n’existerait pas sans les usines de production situées en province ou à l’étranger. La notion de PIB local, dans une économie aussi interconnectée que la nôtre, est artificielle. Par ailleurs, PIB élevé veut dire surtout, en pratique, salaires élevés. Les économistes orthodoxes diront que le salaire élevé récompense une productivité marginale élevée ! Mais le raisonnement est circulaire. On sait bien que la formation des salaires obéit à des normes et des rapports sociaux autres qu’une « productivité marginale » impossible à mesurer. Au total, la valeur ajoutée n’est pas localisable : elle est dans le réseau (pp. 17-18).

Il renvoie cependant, dans le même entretien, à d’autres arguments avancés par Davezies et Pech (2014) résultant de l’exploitation des données sur l’emploi salarié de l’Acoss, pour la période 2008-2012, par Aire Urbaine et par commune et affirme :

Cela dit, et c’est l’essentiel, il y a bien d’autres indicateurs de la force et des effets positifs de la métropolisation que le PIB : la concentration de la qualification, celle de l’emploi… La dynamique récente est à la concentration des créations d’emplois dans les zones métropolitaines (p. 18)

Dans une interview pour Xerfi Canal, il reprend le même argument.

Nous avions pour notre part montré l’absence d’effet taille à l’échelle des zones d’emploi, sur la période 1999-2011, mais le problème est que la comparaison de nos résultats avec ceux de Davezies et Pech (2014) est rendu difficile pour trois raisons : i) le zonage géographique n’est pas le même (zones d’emploi vs. aires urbaines), ii) la variable retenue n’est pas la même (ensemble des actifs occupés vs. emplois salariés privés), iii) la période d’étude n’est pas la même (1999-2011 vs. 2008-2012).

Nous avons donc décidé de mobiliser les mêmes données que ces auteurs, sur la période la plus récente disponible (2009-2014) pour éprouver la validité de leurs conclusions. Résultat? Leurs conclusions sont invalidées, ce qui s’explique notamment par un sévère problème de méthode dans l’analyse déployée. Une analyse rigoureuse montre qu’on ne peut conclure à un avantage général des métropoles en matière de création d’emplois sur la période d’étude.

Notre article vient d’être publié sur Hal, vous pouvez le télécharger en cliquant sur ce lien. As usual, toute remarque est la bienvenue !

Nouvelle économie régionale et réforme territoriale

L’OFCE vient de mettre en ligne un numéro spécial intitulé “nouvelle économie régionale et réforme territoriale”, qui vient à point nommé à l’approche des élections régionales.

Vous y trouverez la version révisée de l’article co-écrit avec Michel Grossetti, titrée, comme la première version, “la métropolisation, horizon indépassable de la croissance économique?”.

Nous avons approfondi sur pas mal de points, notamment (mais pas que) sur l’effet très hauts salaires, qui explique une bonne part, si ce n’est la totalité, de la “surproductivité apparente” de l’Ile-de-France (les “conducteurs de voiture particulière” sont très créatifs, donc très rémunérés, sur Paris).

Je vous laisse découvrir cela, ainsi que les autres contributions. Commentaires bienvenus.

Les nouvelles Grandes Régions françaises sont toutes petites

Dossier très intéressant et bien documenté d’Alternatives Economiques dans le numéro de novembre, consacré à la réforme territoriale, je vous en recommande vivement la lecture. Bonne synthèse des débats en cours avec les thèses d’Askenazy et Martin, Davezies, Veltz, Frédéric Gilli et moi-même p. 56-59 (les propos de Frédéric Gilli me semblent particulièrement intéressants et complémentaires de ce que l’on raconte avec Michel Grossetti), beaucoup de cartes, statistiques, analyses sur différents sujets, bref, courez l’acheter!

Je cible juste sur un point évoqué page 68, consacré aux budgets des régions, avec des comparaisons entre certaines des nouvelles régions françaises et certaines régions européennes. On peut y lire le budget régional (en milliards d’euros) et la population régionale (en millions de personnes). Je me suis amusé à diviser les deux chiffres, pour avoir une idée de la dépense par habitant de chaque région.

En nombre d’habitants, les régions françaises sont plutôt grandes :

populationMais si l’on regarde le budget par habitant, ce sont des naines, elles restent entre 5 et 10 fois plus petites que leurs homologues européennes  :

budgetSi l’on considère que l’échelon régional est un bon échelon pour assurer le développement économique de la France, je ne sais pas vous, mais je crois que c’est moins le nombre d’habitants qui compte, que les moyens financiers dévolus afin d’assurer les missions confiées.

En dépit des apparences, la France reste un pays très jacobin…

Croissance de l’emploi et croissance du chômage : quelle(s) relation(s) ?

Dans mon dernier billet consacré à la géographie des taux de chômage, j’indiquais en conclusion qu’il ne fallait pas aller trop vite en besogne lorsqu’on observait un taux de chômage faible sur un territoire donné : un taux de chômage faible est compatible avec un territoire dynamique en matière de création d’emploi, mais aussi avec un territoire déprimé, les personnes à la recherche d’un emploi prospectant hors zone.

Pour avancer un peu sur cette question, j’ai collecté des données sur le chômage et sur l’emploi total par zone d’emploi (304 zones en France métropolitaine), sur la période la plus longue disponible sur le site de l’Insee, à savoir la période 2003-2012.

Première exploration très simple : j’ai calculé le taux de croissance annuel moyen pour les deux indicateurs et la corrélation entre ces deux variables. On s’attend à ce que le taux de croissance du chômage soit lié négativement au taux de croissance de l’emploi. Est-ce le cas ?

cho_empL’allure du nuage de points semble indiquer que c’est le cas, ce que confirme l’estimation de la régression : une hausse de 1% du taux de croissance de l’emploi se traduit par une baisse de 0,6% du taux de croissance du chômage, le coefficient est significatif au seuil de 1%. La qualité de la relation est cependant assez faible, le R² étant de 23% (en gros, les différences de taux de croissance de l’emploi n’expliquent “que” 23% des différences de taux de croissance du chômage).

Deuxième exploration, plus intéressante je trouve : je me suis focalisé sur le quart des zones d’emploi qui présentent les plus faibles taux de chômage en 2012. Pour cadrer les choses, en 2012, la moyenne simple des taux de chômage est de 9,4% ; la valeur minimale est de 4,5%, la valeur maximale de 16,8%. Le premier quartile, qui permet de repérer les 25% de zones aux plus faibles taux de chômage, est de 7,8%.

J’ai ensuite calculé la médiane du taux de croissance annuel moyen de l’emploi sur 2003-2012 : elle est de 0,06% (ce qui signifie que 50% des zones ont un taux de croissance inférieur à cette valeur et 50% un taux supérieur). Idem pour le taux de croissance du chômage, la médiane est de 2,1%. On peut alors ranger les 76 zones d’emploi qui ont les plus faibles taux de chômage dans quatre cases :

croissance du chômage
faible forte Total
croissance de l’emploi faible 11 14 25
forte 30 21 51
Total 41 35 76

Les situations attendues sont les 30 zones qui ont une forte croissance de l’emploi (c’est-à-dire un taux de croissance supérieur à la médiane)  et une faible croissance du chômage (croissance du chômage inférieur à la médiane) et les 14 zones qui ont une faible croissance de l’emploi et une forte croissance du chômage, soit 44 zones sur les 76. Situation moins attendue pour les 32 autres zones : 11 zones connaissent une faible croissance de l’emploi qui n’entame pas leur taux de chômage, on peut penser qu’il s’agit de zones peu dynamiques qui ont tendance à voir partir leurs actifs ; 21 zones connaissent une croissance forte de l’emploi et du chômage, elles restent cependant dans le quartile des plus faibles taux de chômage en 2012, signe peut-être que ces zones attirent des actifs mais ne peuvent répondre à l’ensemble de la demande.

J’ai construit la carte permettant de visualiser ces quatre ensembles de zones (la taille des cercles est proportionnelle au nombre d’emploi en 2012) :

carteLa situation sans doute la plus enviable concerne les zones en vert : forte croissance de l’emploi, faible croissance du chômage. On trouve quelques grandes villes (Nantes, Rennes, Grenoble, des zones d’Ile-de-France comme Saclay), des villes de taille moyenne (Niort, Besançon, Pau, …) et des territoires de plus petite taille (Le Blanc, Chinon, Pontarlier, Bressuire, …).

Les zones en jaune présentent une croissance de l’emploi et du chômage supérieure à la médiane. On y trouve principalement des villes de taille moyenne, comme Poitiers, La Roche-sur-Yon, Cholet, le Genevois Français, …

Les zones en rouge présentent une faible croissance de l’emploi et du chômage. Toutes (sauf la zone d’emploi de Houdan) présentent un taux de croissance de l’emploi négatif. On y trouve quelques zones d’Ile-de-France (Houdan, Rambouillet, Etampes), des villes de l’Est (Wissembourg en Alsace, Morteaux ou Saint-Claude en Franche-Comté) et du centre de la France (Ussel, Mauriac, Saint-Flour).

Les zones en bleu, enfin, combinent croissance faible de l’emploi et croissance forte du chômage. Presque toutes ont également un taux de croissance de l’emploi négatif, elles sont plutôt de moyenne et petite taille. On y trouve Nemours, Epernay, Laval, Tulle, Aurillac, …

Si vous voulez le détail de ces zones, vous pouvez télécharger ce document (pdf) qui reprend leur nom, l’emploi en 2012, les taux de chômage 2003 et 2012 ainsi que les taux de croissance de l’emploi et du chômage entre les deux dates.

Pour conclure : il y a toujours des limites à ce type d’exercice, on rate notamment ici les interdépendances entre les zones d’emploi. On voit sur la carte que des zones proches sont dans des situations différentes, sans doute certains mouvements entre zones expliquent-ils ce que l’on observe. Il faudrait pour le savoir travailler sur des données de flux, analyser par exemple l’évolution des déplacements domicile-travail entre ces zones. Affaire à suivre, donc…

Géographie des taux de chômage : entre inertie et mobilités

Je participe lundi après-midi à une table ronde intitulée “Quelles politiques pour favoriser l’activité et l’emploi partout en France ?” dans le cadre du colloque annuel du Conseil d’Orientation pour l’Emploi “Emploi et Territoires”. L’occasion d’échanger côté chercheurs avec Etienne Wasmer et Jacques Levy. Je me rends ensuite sur Lyon, dans le cadre des Journées de l’économie, pour participer à une table ronde intitulée “Métropoles : l’impact sur les territoires”, où j’échangerai notamment avec Eric Charmes.

Beaucoup de choses à dire dans les deux cas. Cela m’a donné envie également de creuser un peu sur la question de la géographie des taux de chômage de manière plus sérieuse que dans mon précédent billet, car on regarde assez peu le problème du chômage à des échelles fines, on se focalise un peu trop sur les analyses macroéconomiques me semble-t-il. Pour cela, j’ai collecté les taux de chômage annuels par zone d’emploi de France métropolitaine (304 zones d’emploi) sur la période 2003-2014. Voici quelques résultats.

On peut d’abord représenter la distribution d’ensemble des taux de chômage en 2003 et en 2014 ; on s’aperçoit d’une part qu’elle se déplace vers la droite, signe de l’accroissement généralisé du chômage entre les deux dates, et d’autre part que la distribution est plus aplatie, signe d’une dispersion plus grande des taux de chômage.

choOn peut ensuite calculer les quartiles ou les déciles de taux de chômage, ce qui permet de vérifier cette évolution d’ensemble et de mesurer plus précisément la forte variation des taux de chômage selon les territoires.

déciles 2003 2014
minimum 4 4.8
d1 5.5 7.3
d2 6.3 8
d3 6.7 8.6
d4 7.1 9.1
d5 7.6 9.75
d6 8.1 10.2
d7 8.6 10.9
d8 9.2 11.8
d9 10.5 13.1
maximum 14.7 17.9

10% des zones d’emploi ont un taux de chômage inférieur à 5,5% en 2003 et à 7,3% en 2014 ; 10% des zones ont un taux de chômage supérieur à 10,5% en 2003 et à 13,1% en 2014. Le rapport d9/d1 baisse un peu, mais il reste élevé, passant de 1,9 à  1,8. En gros, le chômage varie du simple au double selon les territoires.

Au-delà de ces quelques chiffres, je voulais surtout voir si la situation relative des zones avait évolué sur la période : les zones les moins performantes en 2003 sont-elles toujours les moins performantes en 2014 ? Quid pour les zones les plus performantes ?

Pour cela, une façon de faire consiste à ranger les zones d’emploi par quartiles ou déciles en 2003, refaire l’exercice en 2014 et voir si certaines zones passent d’une classe à l’autre entre les deux périodes. Voici ce que cela donne en retenant les quartiles :

q1 q2 q3 q4
q1 63 17 3
q2 14 42 22 1
q3 1 12 39 16
q4 3 15 56

Guide de lecture : 63 zones d’emploi appartenant au premier quartile de taux de chômage en 2003 appartiennent toujours au premier quartile en 2014, 17 sont passées au deuxième quartile, 3 au troisième quartile.

On peut calculer un “indicateur d’inertie”, correspondant à la part des zones restant dans la même classe entre les deux dates : il est de 66%, signe que la géographie des taux de chômage bouge lentement.

Elle bouge malgré tout : 19% des zones voient leur situation relative se dégrader, 15% s’améliorer. Mais attention, on peut avoir des effets de seuil, une zone juste en dessous d’un quartile en 2003 passant juste au-dessus en 2014. Pour éviter ce genre de biais, on peut regarder les zones qui se sont déplacés de plus d’une classe entre les deux dates : elles sont 4 dans chaque sens quand on se focalise sur les quartiles.

Gien, Carhaix-Plougher et Vesoul passe de la classe 1 à la classe 3 ; Digne-les-Bains de la classe 2 à la classe 4. Forte dégradation relative pour ces territoires. A contrario, Ajaccio passe de la classe 3 à la classe 1 ; Autun, Cherbourg-Octeville et Aix-en-Provence de la classe 4 à la classe 2. Forte amélioration pour ces territoires.

J’ai reproduit le même exercice en m’appuyant cette fois sur une typologie plus fine, celle des déciles. 227 zones (75%) restent dans le même décile ou passent dans un décile juste voisin ; 32 zones (10%) voient leur situation relative s’améliorer assez nettement (déplacement de plus de deux classes vers des classes à taux de chômage plus faibles) ; 45 zones (15%) voient leur situation se dégrader assez nettement (déplacement de plus de deux classes vers des classes à taux de chômage plus forts). Voici la carte représentant ces zones (je n’ai pas représenté la zone d’emploi de Paris pour que la carte soit plus lisible, cette zone est une de celles qui voient leur situation s’améliorer nettement, puisqu’elle passe de la classe 8 à la classe 4) :

carte_choLa taille des cercles est proportionnelle au nombre d’emploi en 2012. Les zones en rouge sont celles qui voient leur situation s’améliorer nettement, celles en bleues voient leur situation se dégrader nettement. Attention à ne pas faire de mauvaises interprétations : on ne sait pas dans quel classe initiale étaient ces zones, ce que permet de repérer la carte, ce sont les zones qui ont bougé le plus dans la distribution.

Si on veut repérer les zones qui sont dans la meilleure situation, on peut retenir plutôt celles qui appartiennent à la première classe de taux de chômage en 2014 (taux inférieur à 7,3%). Elles sont au nombre de 33. Parmi elles, 24 étaient déjà dans la première classe en 2003, 8 sont passées de la classe 2 à la classe 1 et une zone est passée de la classe 3 à la classe 1 (Limoux). Voici le tableau puis la carte associée :

code ZE nom ZE taux 2003 taux 2014
1109 Houdan 4.8 4.8
1112 Rambouillet 4.9 5.7
1113 Plaisir 5.6 6.3
1116 Saclay 5.5 6.4
2506 Avranches 5.1 6.8
2510 Saint-Lô 5.3 7.2
4201 Haguenau 5.9 7.2
4202 Molsheim-Obernai 4.6 6.7
4206 Wissembourg 5.5 6.1
4303 Morteau 5.4 6.8
4304 Pontarlier 5.5 6.9
4306 Lons-le-Saunier 5.3 6.5
5201 Ancenis 5.1 6
5206 Cholet 5.6 7.3
5208 Segré 4.4 7.2
5209 Laval 5 6.9
5210 Mayenne 4.6 6.7
5217 Les Herbiers 4 5.7
5304 Loudéac 4.3 6.9
5314 Vitré 4.2 5.4
5412 Bressuire 5.9 7
7213 Oloron-Sainte-Marie 6.3 7.3
7304 Rodez 4.4 6.3
7401 Tulle 4.4 6.4
7402 Ussel 6.5 7.3
8202 Bourg-en-Bresse 4.7 7.2
8213 Villefranche-sur-Saône 5.8 6.9
8218 Annecy 6.1 6.5
8221 Mont Blanc 5 6.2
8304 Aurillac 5.5 6.9
8305 Mauriac 5.7 5.5
8306 Saint-Flour 5.3 6.2
9113 Lozère 4.7 6

La carte :

carte2On observe des effets de proximité géographique plutôt intéressants. Là encore, prudence dans l’interprétation : certaines zones peuvent connaître de très faibles taux de chômage, parce que ces territoires “se vident”, les personnes recherchant un emploi prospectant hors zone. Ce n’est pas le cas de toutes les zones représentées, mais sans doute de certaines d’entre elles.

Pour aller plus loin, il faudrait en fait étudier le lien entre croissance de l’emploi et taux de chômage, toutes les combinaisons étant possibles (forte croissance de l’emploi et faible chômage, forte croissance de l’emploi et fort chômage, etc). Disons que ce sera pour un prochain billet.

Inversion de la courbe du chômage : où en est-on ?

Il y a deux ans, j’avais écrit un petit billet sur la question de l’inversion de la courbe du chômage, en brassant des statistiques non pas France entière, mais à l’échelle des zones d’emploi (304 zones d’emploi en France métropolitaine). A l’époque, seules deux zones d’emploi avaient vu leur taux de chômage baisser entre le deuxième trimestre 2012 et le deuxième trimestre 2013 : Issoire et Bar-le-Duc.

Etant “tombé du lit” plus tôt que prévu ce matin, j’ai décidé de refaire un petit point sur la question, plutôt que de chômer.

J’ai donc récupéré les données Insee par zones d’emploi (téléchargeables ici), la dernière livraison courant jusqu’au premier trimestre 2015. Je me suis concentré sur le premier trimestre de chaque année depuis 2012.

Pour dire des choses sur la distribution géographique des taux de chômage, on peut tout d’abord construire des “boîtes à moustaches”, qui permettent de visualiser la valeur minimale, la valeur maximale et les quartiles (le deuxième quartile correspondant à la médiane).

boxplotOn voit assez clairement une augmentation du taux de chômage entre 2012 et 2013 (min, max, médiane, quartiles), une légère baisse entre 2013 et 2014, puis une remontée en 2015.

On peut ensuite dénombrer les zones ayant connu une inversion de leur courbe de chômage entre le 1er trimestre 2012 et le 1er trimestre 2015, afin de voir si les choses ont changé depuis ma dernière analyse. Résultat ? Sur le nombre de zones, rien de changé, il n’y en a toujours que deux. Mais ce n’est plus Issoire et Bar-le-Duc, c’est Mauriac (le taux passe de 5,7% à 5,5%) et Nevers (de 9,6% à 9,3%).

Si je prends comme point de départ le deuxième trimestre 2012 (ce que j’avais fait la dernière fois) et comme point d’arrivée le premier trimestre 2015 (on peut s’y risquer car les données sont corrigées des variations saisonnières), elles sont huit :

zone d’emploi 2012 (T2) 2015 (T1)
Mauriac 5.6 5.5
Vallée de l’Arve 9.7 9.3
Ussel 7.5 7.4
Saint-Gaudens 10.9 10.6
Bar-le-Duc 8.8 8.6
Charolais 8.1 7.9
Nevers 9.7 9.3
Soissons 13.3 13.1

On retrouve Bar-le-Duc (mais pas Issoire) et différentes zones qui toutes ont connu une baisse du taux de chômage, mais avec des niveaux très hétérogènes.

Quelle conclusion peut-on tirer de tout cela ? D’abord que les taux de chômage varient fortement selon les territoires. Ensuite que l’évolution des taux de chômage sur les territoires semble suivre la tendance macro-économique, puisque rares sont les zones qui connaissent une évolution opposée à l’évolution nationale.

Pour finir, un petit zoom sur les zones d’emploi de Poitou-Charentes, qui confirme ces conclusions :

cho_pcLes différences sont fortes entre les zones, avec un taux faible sur Bressuire et assez faible sur Niort et Poitiers, et des taux forts sur Rochefort, Royan, Angoulême, Saintes et la Rochelle. Les évolutions sont de plus assez similaires, pas de bouleversement dans le classement.

Pour avoir commencé à regarder ces mêmes statistiques mais sur plus longue période (en gros depuis la fin des années 1980), ce n’est pas nouveau. Ce qui n’est pas sans poser la question de l’efficacité des politiques locales de l’emploi, soit dit en passant…

La dynamique économique des territoires français : de l’obsession métropolitaine à la prise en compte de la diversité des configurations territoriales

Gauguin-Doù-venons-nous-que-sommes-nous-où-allons-nous-1898-1VSuite à la diffusion de notre article “La métropolisation, horizon indépassable de la croissance économique ?”,  (version courte ici), Michel et Grossetti et moi-même avons reçus de nombreux retours, côté “académique”, d’une part, mais aussi côté “acteurs des territoires” (politiques, institutions nationales et régionales, agences d’urbanisme ou de développement économique, …).

Du côté de ces derniers, une demande récurrente : convaincus par notre critique de “l’obsession métropolitaine”, la question devient “que faire alors ?”. Demande légitime, nous avons bien conscience de son importance, nous nous étions limités à une analyse critique d’une thèse dominante (idem dans ce billet vis-à-vis de l’économie géographique), tout en nous disant qu’il faudrait compléter en expliquant comment nous proposons de regarder les territoires pour mieux calibrer les politiques de développement économique.

Nous avons avancé un peu en rédigeant un article présenté lors des 8e journées de la proximité, à Tours, en mai dernier. Nous venons de poster l’article sur Hal, vous pouvez le télécharger en cliquant sur ce lien. Son titre : “La dynamique économique des territoires français : de l’obsession métropolitaine à la prise en compte de la diversité des configurations territoriales”.

La première partie reprend des éléments de critique que nous avions commencé à développer, pour insister sur la diversité des configurations territoriales. La deuxième partie (à partir de la page 8), surtout, esquisse la trame d’une conceptualisation alternative des dynamiques territoriales. Nous finissons par quelques propositions en termes de politiques publiques, en illustrant avec les exemples de territoires sur lesquels nous travaillons (Belfort-Montbéliard, d’une part, Toulouse, d’autre part).

C’est du work in progress, commentaires bienvenus, prolongements à venir !

Où fait-il bon vivre en France ? La copie très moyenne des Echos

Ça doit être l’effet vacances, pas d’étudiants, pas de copies à corriger, que voulez-vous, cela me manque… Alors quand j’ai vu le petit exercice cartographique des Echos, je n’ai pas pu m’empêcher de faire mon prof. Bilan? Copie moyenne, très moyenne…

Les Echos ont récupéré des données Insee par zones d’emplois pour 9 indicateurs (variation de la population, taux de chômage, revenu médian, espérance de vie, …), ils ont bâti un classement des zones sur chaque indicateur, puis ils ont calculé la moyenne de ces 9 classements et cartographié le résultat obtenu, ce qui donne cette carte :

carte_les_echosPremier problème, bien qu’affirmant travailler sur données zones d’emplois, on s’aperçoit que pour 4 des 9 indicateurs, ce sont en fait des données départementales. Or, le découpage par zones d’emploi ne respecte pas le découpage départemental. Mais rien n’est dit sur la façon dont les Echos ont procédé pour affecter des valeurs aux zones qui traversent les départements.

Deuxième problème, rien n’est dit sur le lien entre l’objectif de l’article (mesurer la qualité de vie des territoires) et les variables retenues. En quoi le fait qu’un territoire accueille plus de diplômés du supérieur améliore-t-il la qualité de vie sur ce territoire ? Ça manque de justification…

Troisième problème, faire des classements, calculer des moyennes de classements, ça n’a pas beaucoup de sens. Avec ce type de données hétérogènes, mieux vaut procéder à des analyses de données pour faire émerger des typologies. L’enjeu n’est alors plus de faire ressortir les meilleurs/moins bons, mais de faire émerger des classes de territoires semblables et de repérer les variables discriminantes. Moins vendeur mais plus utile. L’Insee s’était livré à ce type d’exercice, j’en avais parlé ici.

Troisième problème, je pressens des corrélations fortes entre les indicateurs mobilisés : taux de pauvreté, revenu médian, taux de chômage, … tout ça me semble un peu redondant. Pour preuve, je me suis contenté de récupérer le taux de chômage par zones d’emploi pour 2012 (j’avais ça en stock sur mon ordinateur) et j’ai cartographié ce simple indicateur, ça donne cette carte :

ma_carte_choJe vous laisse regarder, on retrouve globalement la même chose : situation mauvaise au Nord et dans le Sud-Est, bien meilleure en Rhône-Alpes, Alsace et dans l’Ouest. La carte des Echos est en gros la carte des taux de chômage.

Bref, peut mieux faire, je propose aux Echos de revenir en deuxième session…

 

 

La circulation invisible des richesses : quand le Cantal, l’Aveyron et la Lozère viennent au secours des Métropoles

Lorsqu’on analyse la géographie des PIB par habitant et celle des Revenus par habitant, on constate rapidement une déconnexion forte entre les deux, le cas le plus extrême concernant l’Ile-de-France, dont le PIB par habitant est environ 60% supérieur à la moyenne, pendant que son Revenu par habitant n’est supérieur que d’environ 20%. Il n’en faut pas plus à quelqu’un comme Jacques Levy pour affirmer alors que « les contribuables des villes les plus productives financent à fonds perdus les territoires urbains les moins efficaces » (source ici).

Je ne reviendrai pas sur les nombreuses limites du PIB par habitant comme indicateur de performance des régions, j’en ai déjà (trop) parlé, je vous invite à parcourir cette tribune du Monde ou d’aller voir, pour plus de détails, l’article co-écrit avec Michel Grossetti Je préfère me concentrer sur les éléments explicatifs de la déconnexion PIB/Revenu, pour insister sur un mécanisme contre-intuitif, dont l’importance vient d’être mise en évidence dans un article tout juste publié.

Quand Jacques Levy affirme que « les contribuables des villes les plus productives financent à fonds perdus les territoires urbains les moins efficaces », il a en tête un mécanisme et un seul, celui de la redistribution des revenus assurée par l’Etat : certains territoires produisent plus de richesses que d’autres, l’Etat y collecte logiquement plus d’impôts qu’il reverse sous forme de prestations aux habitants des autres territoires. Notons en passant que l’Etat ne procède pas à une redistribution spatiale des revenus, mais à une redistribution sociale : en forçant le trait, il prend aux « riches » pour donner aux « pauvres », comme « les riches » sont concentrés en certains lieux (notamment sur Paris) et « les pauvres » dans d’autres lieux (« les territoires urbains les moins efficaces » dirait Levy), la redistribution sociale devient involontairement spatiale.

Ce faisant, on oublie d’autres mécanismes essentiels de la circulation invisible des richesses : le premier d’entre eux relève du transfert opéré entre les actifs d’aujourd’hui et les actifs d’hier, autrement dit les retraités. Une part non négligeable de la déconnexion entre PIB et Revenu par habitant de l’Ile-de-France s’explique par le fait que les actifs franciliens, une fois à la retraite, vont se localiser un peu partout sur le littoral. Les actifs franciliens d’aujourd’hui financent donc les retraites des actifs franciliens d’hier, localisés hors région capitale. Un autre mécanisme important relève du fait que de nombreux actifs participant à la création de richesse en Ile-de-France résident hors Ile-de-France : ils créent du PIB dans la région capitale mais perçoivent leurs revenus hors région capitale. C’est vrai de toutes les régions limitrophes, le cas le plus emblématique étant celui de la Picardie, 13% des actifs y résidant travaillant en Ile-de-France.

Tout ceci est plutôt bien connu des chercheurs travaillant sur ces sujets. Un autre mécanisme moins connu vient d’être étudié par Pierre Bouché, Elisabeth Decoster et Ludovic Halbert dans un article pour la revue Géographie, Economie, Société intitulé « L’épargne réglementée, une géographie méconnue de la circulation de richesse en France ». Ces auteurs s’intéressent à l’épargne sur Livret collectée par la Caisse des Dépôts et Consignations, qui sert massivement à financer le logement social. Les sommes concernées ne sont pas négligeables : on apprend dans l’article que la Direction du Fonds d’Épargne gère 250 Milliards d’euros en 2013, dont environ 55 % sont distribués sous forme de prêts. Comme les lieux de collecte de l’épargne diffèrent des lieux d’investissement, on observe là encore une circulation invisible des richesses qui avait jusqu’à présent échappé aux observateurs.

Que montrent-ils ? Que certains départements épargnent beaucoup plus qu’ils ne perçoivent en termes d’investissement, à commencer par le Cantal (solde négatif de 72 %), l’Aveyron, la Haute-Loire, la Nièvre, la Lozère, ou encore la Manche (-56 %). A l’inverse, d’autres départements affichent des soldes positifs, c’est-à-dire que les montants des prêts qui leurs sont distribués sont plus élevés que ce que les encours observés ne laisseraient supposer. « Il s’agit de départements accueillant une agglomération de grande taille comme le Nord (Lille), la Haute-Garonne (Toulouse), la Gironde (Bordeaux), le Rhône (Lyon), l’Hérault (Montpellier), ou les départements franciliens, aux exceptions de Paris et, surtout, des Yvelines. La Seine-Saint-Denis affiche ainsi le solde positif le plus élevé de France avec +180 % (…) ».

Le Cantal, l’Aveyron et la Lozère viennent au secours de la Seine-Saint-Denis, Lille, Toulouse, Bordeaux, Lyon et Montpellier. Les « pauvres inefficaces » qui financent les « riches efficaces », voilà qui devrait en consoler certains, voire, soyons fous, les inciter à regarder autrement les dynamiques territoriales…