Recherche : la France est-elle victime d’une fuite des cerveaux?

C’est le titre d’un article du Monde, pour lequel j’ai été contacté par David Larousserie et Hervé Morin. J’ai brassé avec Bastien Bernela les données issues des enquêtes générations du Cereq (2001, 2004, 2007). Conclusion : la réponse est non. Conclusion conforme aux études mobilisant d’autres sources de données et d’autres indicateurs, par exemple celles menées par Frédéric Docquier.

Je vous laisse lire l’article, vous pouvez commenter ici ou là-bas.

Enseignants-chercheurs : pourquoi il ne faut pas (nécessairement) recruter les candidats des meilleurs labos…

Article passionnant de John P. Conley and Ali Sina Onder trouvé via Freakonometrics.

Je vous explique la problématique : supposons qu’une faculté d’économie de province, au hasard Poitiers, doive recruter un maître de conférences. Des candidats issus de différentes facultés françaises vont postuler, certains issus des sites considérés comme les plus performants (disons Toulouse School of Economics (TSE) et Paris School of Economics (PSE) en France), d’autres de sites considérés comme moins performants. Vaut-il mieux recruter un candidat de “milieu de tableau” de PSE ou TSE, ou bien un candidat de “haut de tableau” d’un site moins performant? On pourrait supposer qu’un candidat de “milieu de tableau” de TSE ou PSE est préférable : ces sites sont très attractifs, ils attirent les meilleurs candidats en thèse, même les moyens doivent être très bons, meilleurs que les bons des universités moyennes, en tout cas. De plus, les formations qu’ils dispensent et l’encadrement doctoral assuré par les directeurs de thèse, eux-mêmes considérés comme étant les plus performants, doivent permettre de “produire” les meilleurs docteurs et les futurs meilleurs chercheurs.

C’est précisément ce type de problématique qui est traité dans l’article cité, qui s’appuie sur des données américaines. Les auteurs ont collecté des informations sur la productivité des docteurs, six ans après leur recrutement comme Assistant Professor et ont regardé si ce qui comptait le plus, dans leur performance, était le site d’origine (departmental rank) ou leur rang dans leur département d’origine (class rank).

Résultats :

  • c’est le class rank qui est déterminant, il vaut donc mieux recruter un très bon d’un site moyen qu’un moyen d’un site très bon,
  • la performance des docteurs décroît très vite dans tous les sites, le docteur médian issu d’Harvard obtenant un score loin de lui permettre d’obtenir une tenure (d’être titularisé en quelque sorte) dans quelque département que ce soit,
  • tout ceci semble indiquer que les meilleurs sites ne font pas un très bon travail en terme de formation puisque seuls leurs meilleurs étudiants vont réussir à devenir de très bons chercheurs.

Bien sûr, il s’agit d’un travail sur données américaines, la transposition au cas français est sujette à caution. Mais pour avoir participé à pas mal de jury de recrutement en économie, je le trouve instructif. Il est arrivé assez souvent que des candidats issus de sites très réputés ne comprennent pas, mais alors absolument pas, comment il était possible qu’ils se soient fait “doubler” par des candidats issus de petites universités de province. J’ai eu écho, également, de normaliens ou de polytechniciens devenus docteurs ne comprenant pas plus comment il était possible qu’ils ne soient pas recrutés, au profit de candidats issus de simples facs.  Dans tous les cas, leur tendance naturelle les conduit à dénoncer des systèmes de recrutement nécessairement mauvais, qui ne le sont pas toujours…

La mobilité des enseignants-chercheurs : Paris est-elle attractive?

Baptiste Coulmont a exploité des données du Ministère de l’Enseignement Supérieur sur les demandes de mutation des Maîtres de Conférences et des Professeurs des Universités. Il montre notamment la forte attraction de l’Académie de Paris, qui accueille plus de 450 personnes sur la période 2004-2011. Educpros en a tiré une interview, logiquement intitulée “la région parisienne reste très attractive pour les enseignants-chercheurs”.

Je précise que Baptiste Coulmont se borne à faire parler les chiffres disponibles, en précisant leurs limites et sans interprétation particulière. Mais bien sûr, certains vont y voir une validation de l’évidente supériorité des Universités parisiennes (elles attirent car elles sont attirantes, plus jolies, quoi), pour preuve le titre d’Educpros.

Interprétation beaucoup trop hâtive à mon goût… J’ai rapidement posté un commentaire sur le blog de Baptiste Coulmont, pour proposer l’interprétation suivante : les Universités parisiennes continuent à “produire” beaucoup de docteurs, mais les dynamiques démographiques favorisent plutôt la création de postes hors Ile de France. De ce fait, de nombreux docteurs franciliens trouvent un premier poste hors Ile de France. Ils demandent ensuite, dès qu’ils le peuvent, une mutation dans leur région d’origine. Michel Grossetti, dans un autre commentaire du même billet, attire l’attention sur un point complémentaire, qui pourrait fortement biaiser les résultats : les mutations vers l’Académie de Paris pourraient provenir pour une bonne part de personnes issues de l’Académie de Créteil ou Versaille. Dans les deux cas, on en viendrait à la conclusion que l’Ile de France attirerait avant tous… les parisiens…

En parcourant plus attentivement le document utilisé par Baptiste Coulmont, je me suis ensuite aperçu que les auteurs de l’étude posaient la même hypothèse, confirmée par ailleurs par une étude précédente : “Pour s’en tenir aux mutations des PR, ces dernières années, les auteurs ont avancé une tentative d’explication envisageant un mouvement circulaire : des MCF parisiens sont recrutés PR dans des universités de province et, quelques années plus tard, reviennent à Paris et en Ile-de-France par la voie d’une mutation. L’étude consacrée au bilan des recrutements des MCF dans le corps des PR entre 1993 et 2007 a confirmé cette hypothèse” (haut de la page 21).

Avec ce type de remarque, il s’agit d’attirer l’attention sur le fait que tous les débats sur la mobilité géographique des enseignants-chercheurs ne devraient pas se focaliser uniquement sur le mode de fonctionnement du système universitaire pour analyser les comportements de mobilité observés : la demande de mobilité (ou de non-mobilité) résulte aussi de déterminants sociaux très classiques, on peut penser par exemple qu’elle sera plus faible si le candidat est marié, que son conjoint travaille, qu’ils ont des enfants, etc. (En passant, c’est assez cocasse que ce soit un économiste qui attire l’attention sur ce point en commentant des analyses de sociologues). C’est un des points essentiels sur lequel j’insiste dans un article co-écrit avec Bastien Bernela, que nous venons de finaliser, qui prend pour point de départ le débat autour du localisme. La faible mobilité des enseignants-chercheurs résulterait sans doute moins des pratiques localistes que de la préférence pour l’inertie spatiale des docteurs.

Bastien Bernela continue dans cette direction, en analysant les comportements de mobilité géographique des sortants du système d’éducation, en fonction du niveau de diplôme, avec un focus sur les docteurs. Les données mobilisées sont les enquêtes génération du Cereq 2001, 2004 et 2007. Le focus sur les docteurs consiste à distinguer, parmi les docteurs d’une génération, ceux qui, trois ans après, sont dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche (docteursESR), ceux qui sont au chômage (docteursCho) et ceux qui travaillent hors Enseignement Supérieur et Recherche (DocteursNonEsr). On aboutit à ce graphique.

Taux de mobilité interrégionale trois ans après l’obtention du dernier diplôme (%)

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Plusieurs résultats intéressants, je trouve :

  • la mobilité géographique augmente dans le temps, pour tous les niveaux de diplôme et ce de manière substantielle sur une période aussi courte,
  • la mobilité est logiquement croissante avec le niveau de diplôme, mais seulement jusqu’au niveau Master, elle décroît ensuite pour les docteurs. Dans l’article déjà cité, nous montrons que ceci s’explique notamment par des déterminants sociologiques : par exemple, le fait d’avoir un enfant au moment de l’obtention de son diplôme réduit significativement la probabilité d’observer une mobilité trois ans après,
  • résultat le plus surprenant peut-être : la mobilité géographique des docteurs ESR est plus grande que celle des docteurs non ESR, elle-même plus forte que celle des docteurs au chômage.

Il reste bien sûr beaucoup de travail pour bien comprendre les déterminants de ces résultats (Bastien, arrête de regarder Game of Thrones, retourne au boulot!). Mais ils me semblent suffisamment saisissants pour s’interroger autrement sur la question de l’attractivité des Universités ou sur celle du localisme…

Le qualifié, l’évaporé, le faux évaporé et le quasi-évaporé…

Rappel des épisodes précédents et élargisemment de la problématique : Pour être recruté dans l’enseignement supérieur en France, il faut passer par une phase nationale de qualification, puis candidater sur les postes ouverts au concours dans les différentes Universités.

Baptiste Coulmont a montré dans cet article que dans l’ensemble des personnes qualifiées,  certaines ne candidataient pas. Sur la campagne 2012, le taux d’évaporés est de 43,5%. Taux qui monte avec le temps, puisqu’il n’était que de 34% en 2007. J’avais un peu complété dans mon billet précédent pour montrer que ce taux d’évaporation était lié positivement au taux de qualification (plus une section qualifie de personnes, plus la proportion d’évaporés augmente) et du taux de pression (plus le rapport candidats/postes est élevé, plus il y a d’évaporés). On observe également des effets disciplinaires (plus d’évaporés en Sciences et Pharmacie).

Ce matin, Gaia Universitas reprend ce chiffre pour alimenter un autre débat : faut-il supprimer la qualification, comme le suggère le rapport Berger? Les phases de qualification mobilisent en effet de nombreux collègues qui pourraient sans doute être plus utiles à faire de la recherche, à préparer des cours, à expertiser des projets de recherche, etc. Quand on constate que 43,5% des qualifiés ne candidatent même pas, on se dit que franchement…

Hier soir, enfin, Baptiste Coulmont a posté un message twitter en exploitant un autre chiffre du même document du Ministère :

Ce à quoi Mixlamalice répond :

Si on garde en tête la question de la suppression de la qualification, ça en rajoute une couche : non seulement une bonne part des qualifiés ne candidatent jamais, mais une bonne part de ceux qui candidatent ne sont jamais recrutés… Ça commence à faire cher pour pas grand chose…

Cependant, je pense qu’il faut être prudent avec ces chiffres. D’où ce petit billet, qui exploite un autre tableau du Ministère, celui sur la cohorte des qualifiés de 2008, suivis jusqu’en 2012 (tableau utilisé par Baptiste Coulmont pour son message twitter).

43,5% d’évaporés?

Les chiffres que Baptiste Coulmont et moi-même avons utilisé dans nos premiers billets concernent la cohorte des qualifiés de 2013. On obtient effectivement un taux d’évaporation de 43,5% pour l’ensemble des sections CNU. Petit complément en passant, ce taux varie fortement selon les sections :

Section taux d’évaporation
Lettres 28,3%
Droit 22,8%
Pharmacie 50,8%
Sciences 50,7%

Comme on le voit, il est fort en Sciences et Pharmacie, bien plus faible en Lettres et Droit. Dans tous les cas, il y a une limite à ces chiffres : si certains qualifiés n’ont pas candidaté cette année, rien ne nous dit qu’ils ne vont pas candidater l’an prochain… Les données sur la cohorte 2008 nous aident à aller plus loin.

Si on regarde les chiffres de cette cohorte, on peut d’abord refaire le même calcul que pour la génération 2013 : combien de qualifiés 2008 n’ont pas candidaté en 2008? On obtient un chiffre de 35%.

Mais les chiffres sur la cohorte nous permettent de dénombrer les personnes qui certes n’ont pas candidaté en 2008, mais qui ont candidaté en 2009, 2010, 2011 ou 2012 (une qualification est en effet valable quatre ans). Les vrais évaporés sont ceux qui, qualifiés en 2008, n’ont jamais candidaté sur toute la période de validité de leur qualification. Les autres sont des faux évaporés. Le taux d’évaporés n’est alors plus de 35%, mais de 21%, ce qui est nettement plus faible…

Comment expliquer que des qualifiés en 2008 ne candidatent pas en 2008, mais en 2009 ou après? Je pense que certains docteurs, au moment où ils tentent la qualification, sont déjà engagés dans des contrats de type post-doctorat. Même s’ils obtiennent la qualification, ils terminent d’abord leur post-doc d’un à deux ans et candidatent au retour. Dans certaines disciplines, le passage par la case post-doc est d’ailleurs obligatoire. Peut-être y-a-t-il d’autres explications, je suis preneur.

L’Université ne recrute pas ses docteurs?

On peut regarder les mêmes chiffres autrement, pour se concentrer sur les recrutés. Dans l’ensemble des qualifiés 2008, seuls 34,2% sont recrutés avant 2013. Est-ce à dire, comme le suggère @mixlamalice, que l’Université n’aime pas ses docteurs? Là encore, les choses me semblent plus compliquées…

D’abord, ce chiffre concerne les qualifiés Professeurs et Maîtres de Conférences. Il est en fait un peu plus faible si on se concentre sur la catégorie des Maîtres de Conférences : il est de 31%. Mais attention, les vrais évaporés sont comptabilisés! Si on exclut (logiquement) les personnes qui ne candidatent jamais, le ratio n’est pas de 31%, mais de 39%, ce qui est un peu mieux…

On peut même sans doute aller un cran plus loin : en plus de la distinction entre vrais évaporés et faux évaporés, je propose d’introduire la catégorie des quasi-évaporés : des personnes qualifiées, qui candidatent une fois en 2008, ne sont pas retenus et ne candidatent jamais ensuite. On peut considérer que ces personnes ont trouvé un emploi hors Université qui leur convient plutôt, puisqu’ils ne retentent pas leur chance. Je sais, ça peut être plus compliqué, mais cette hypothèse n’est pas aberrante. Difficile en tout cas de considérer que l’Université ne veut pas d’eux… Si l’on rapporte le nombre de recrutés non plus à l’ensemble des qualifiés mais à cet ensemble moins les vrais évaporés et les quasi-évaporés, le chiffre monte alors à 49%. En procédant de même pour les personnes candidatant deux fois de suite et ne candidatant plus ensuite, il monte à 55%.

Bref, des conclusions à nuancer parfois et une incitation forte à poursuivre l’analyse (les comportements de la cohorte 2008 sont sans doute très différents selon les disciplines). Dans cette perspective, Baptiste Coulmont a demandé au Ministère s’il pouvait mettre à notre disposition des données individuelles anonymisées, pour mieux cerner cette question de l’évaporation. J’espère sincèrement qu’ils vont accepter. Ce serait ballot que le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche nous empêche de développer de nouvelles connaissances, surtout lorsqu’il s’agit de mieux comprendre le comportement d’acteurs dont ils financent en grande partie le doctorat…

Université : faut-il renforcer le recrutement local?

Je vous avais promis il y a quelques temps de vous présenter les résultats d’une étude sur la mobilité géographique des enseignants-chercheurs, en France. Il s’agit en fait de la nouvelle version d’un travail co-réalisé avec Bastien Bernela et Marie Ferru.

Dans la première version, nous avions montré que la mobilité géographique des enseignants-chercheurs semblait faible : 63,5% des individus de notre base ont dirigé leur première thèse dans la région où ils ont soutenu la leur. Je dis bien semblait faible, car nous n’avions pas de point de comparaison avec d’autres populations de diplômés.

Dans la nouvelle version de notre travail, nous avons notamment complété sur ce point, en mobilisant les enquêtes génération du Céreq. Plus précisément, nous avons utilisé les résultats sur l’insertion à 3 ans et à 10 ans des diplômés en 1998, pour mesurer la mobilité géographique des personnes interrogées en fonction de leur niveau de diplôme. Les docteurs sont-ils plus ou moins mobiles que les titulaires d’un Master ? Nous avons également distingué, parmi les docteurs, ceux qui se sont engagés ensuite dans le monde de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (docteurs ESR) et les autres (docteurs non-ESR), afin de savoir si la faible mobilité évoquée plus haut est ou non spécifique au monde universitaire.

Premiers éléments de réponse dans le tableau ci-dessous :

Les sortants du système éducatif sont en moyenne 22% à changer de région entre 1998 et 2001. Proportion qui monte à 29,5% en 2008. Fortes variations selon le niveau de diplôme : les personnes titulaires d’un diplôme inférieur au Master ne sont que 19,9% à changer de région entre 1998 et 2001, proportion qui monte à 45,7% pour les titulaires d’un Master mais qui redescend à 33% pour les docteurs. Premier résultat intéressant, donc, la mobilité géographique est moins importante à bac+8 qu’à bac+5.

Deuxième résultat essentiel et qui nous a surpris : les docteurs ESR sont plus mobiles géographiquement que les docteurs non ESR, avec des taux respectifs de 38,3% et 30,7% entre 1998 et 2001. Les proportions convergent cependant en 2008 : les docteurs ESR sont donc mobiles en tout début de carrière, mais ne bougent plus ensuite ; les docteurs non ESR, à l’inverse, commencent plus souvent leur carrière dans leur région d’étude mais migrent davantage après.

Comment expliquer que les docteurs soient moins mobiles géographiquement que les titulaires d’un Master ? Que les docteurs ESR soient plus mobiles que les docteurs non ESR ? Pour avancer un peu sur ces questions, nous avons testé des modèles économétriques avec comme variable expliquée le fait de changer de région entre 1998 et 2001 et comme variables explicatives le niveau de diplôme (inférieur au Master, Master, Doctorat), le monde professionnel dans lequel s’engagent les docteurs (ESR et non ESR) et l’âge. Résultats ci-dessous.

Le fait d’être titulaire d’un Doctorat plutôt que d’un Master réduit de 8,5 points de pourcentage la probabilité de changer de région entre 1998 et 2001 (modèle 1a). Si l’on introduit la variable âge (modèle 2a), l’effet diplôme disparaît au profit d’un effet d’âge non linéaire : la mobilité augmente avec l’âge jusqu’à un point de retournement de 24,3 ans, après lequel la mobilité diminue. Ce sont sans doute des considérations sociologiques qui expliquent ce résultat : pendant le doctorat, on se met en couple, le conjoint est en emploi, on a éventuellement des enfants, …, tout ceci ancre géographiquement les docteurs.

La troisième version testée (modèle 3a) introduit la distinction entre docteurs ESR et non ESR. On observe qu’il n’y a pas de différence significative entre docteurs ESR et titulaires de Master en termes de mobilité géographique. En revanche, les docteurs non ESR sont significativement moins mobiles. Dans la dernière version (modèle 4a), enfin, on retrouve le même type d’effet d’âge (effet positif puis négatif), mais cet effet n’annule pas l’effet monde professionnel pour les docteurs non ESR, qui restent significativement moins mobiles.

Je cite un petit passage de notre texte où l’on esquisse des hypothèses d’interprétation, nous sommes bien sûr preneurs d’autres hypothèses :

Au terme de ces traitements CEREQ, le résultat le plus surprenant au regard des débats français est la plus faible mobilité des docteurs non ESR relativement aux docteurs ESR. Pour l’expliquer, nous proposons plusieurs hypothèses interprétatives. Les postes se  font  plus  rares  à  l’université qu’ailleurs : pour un individu ne souhaitant pas faire carrière dans  l’ESR, il est donc plus facile de trouver un emploi localement. En effet, pour  être  recruté  dans  l’université de soutenance, il faut d’abord   qu’un   poste   soit ouvert l’année   qui   suit   la   thèse.   Les   logiques   de   recrutement hors université  (recrutement  dans  le  privé,  création  d’entreprise)  dépendent  moins  de  contraintes de calendrier : elles offrent davantage de souplesse et permettent aux docteurs non ESR de trouver plus facilement un travail en région. De plus, le recrutement local peut simplement être interdit dans certaines universités, impliquant un changement d’établissement   si le docteur souhaite continuer dans l’ESR. Enfin, avant  d’accéder  à  un  poste  académique  permanent,  notamment  celui de maître de conférences, de plus en plus de docteurs passent par des statuts transitoires, comme le post-doctorat. Ces transitions ne se font pas forcément localement et génèrent donc des mobilités.

En tout cas, ces résultats m’ont inspiré ce titre volontairement provocateur (car ce n’est pas pour cela que je plaide) : à contre-courant du discours dominant, si l’on considère que le marché privé du travail est plus fluide et plus efficace que le marché public du travail, qu’il assure donc un meilleur appariement entre offre et demande de travail, on devrait logiquement plaider non pas pour une réduction, mais pour un accroissement du localisme…

PS : Bastien Bernela présentera notre article au séminaire interne du CRIEF, jeudi 14 février, entre 14h et 15h, Faculté de Sciences Economiques, 2 rue Jean Carbonnier, bâtiment A1, 86000 Poitiers – salle A 150. Entrée libre sur simple inscription par mail à ufr.sceco(at)univ-poitiers.fr.

Le recrutement local dans les Universités : rien ne change

La question du localisme semble retrouver une certaine actualité en France. Pour ceux qui l’auraient oublié, cette question avait suscité pas mal de débats en 2008, suite à l’étude de Godechot et Louvet, étude dont j’avais fait une analyse critique avec Michel Grossetti et Anne Lavigne. Plus récemment, j’avais posté un billet qui décalait quelque peu le débat, en présentant les résultats d’une étude s’intéressant moins aux pratiques de recrutement qu’à la mobilité géographique (inter-régionale) des enseignants-chercheurs.

Je viens de recevoir les résultats d’une autre étude empirique de Didier Chauveau et Stéphane Cordier, qui analysent l’Indice de Mobilité Académique (IMA) qui est publié par le ministère de la recherche et l’enseignement supérieur depuis 4 ans. Ils montrent que le taux de localisme est stable dans le temps et variable selon les disciplines. Sur le premier point, ils ont construit le graphique suivant, en distinguant les Professeurs des Universités et les Maîtres de Conférences :

L’endorecrutement des PU tourne autour de 50%, celui des MCF est autour des 20-25%. Tout corps confondus, il a été de 32%, 36 %, 27% et 28 % entre 2008 et 2011. Dans tous les cas, pas d’évolution statistiquement significative, précisent les auteurs.

Ils insistent ensuite sur le cas particulier des mathématiques, qui s’interdisent depuis pas mal d’années de recruter localement les MCF, ce que l’on retrouve logiquement dans les chiffres. Le pourcentage d’endorecrutement est également faible dans cette discipline au niveau des PU, mais là, un complément serait utile : étant donné que les recrutements locaux sont rares, n’assiste-t-on pas, lors du passage au corps des PU, à un retour plus important que la moyenne des autres disciplines à l’Université de soutenance de la thèse? Je ne suis pas sûr que les données mobilisées permettent de répondre à cette question, je transmets cependant aux auteurs, qu’ils n’hésitent pas à répondre en commentaire s’ils le souhaitent.

Je reviendrai bientôt sur le sujet, car nous sommes en train de finaliser une nouvelle version de notre article, qui complète le précédent sur un point essentiel : la faible mobilité géographique des enseignants-chercheurs est-elle spécifique à notre monde professionnel? Les docteurs ne s’engageant pas ensuite dans le monde de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche sont-ils plus mobiles géographiquement que ceux qui s’y engagent? Vous pouvez faire un pronostic en commentaire, réponse dans quelques jours…

Dis, papa, il est où, papa?

C’est de saison : parler de l’homoparentalité. Juste pour vous inciter, quand un sujet de société comme celui-ci émerge, à regarder ce qu’en disent les chercheurs. Un moyen simple est d’aller sur Google Scholar, de taper des mots-clés, de regarder ce qui ressort (je sais, ce n’est pas si simple, il faut trier, savoir décrypter, etc. Se former à la recherche, quoi).

Personnellement, j’ai dégoté cet article en français, qui analyse 311 publications dont 35 à orientation empirique ou expérimentale (qui essaient de quantifier d’éventuels problèmes, donc). Pas de vulnérabilité plus forte des enfants. Cet article a le mérite de prendre du recul, en s’intéressant aussi à l’évolution des sujets traités ou non-traités.

Via @SH_lelabo, j’ai aussi trouvé cet article en anglais, qui conclut que les mères lesbiennes seraient de meilleurs parents. Résultat surprenant, selon les auteurs, qui citent en passant 9 articles ayant conclu à l’absence d’impact psychologique sur les enfants de l’orientation homosexuelle ou hétérosexuelle de leurs parents (références 7 à 15 de la bibliographie de l’article).

Plus de 40 études qui concluent qu’il n’y a pas de différence significative. Perso, chercheur que je suis, je conclus pareil.

Comment améliorer de 8% la réussite des étudiants sans effort?

Réponse : en espaçant les examens.

C’est ce qui ressort de cette étude sur données américaines de Ian Fillmore et Devin G. Pope, qui s’intéresse au lien entre fatigue cognitive et performance : les étudiants qui passent deux examens à 10 jours d’intervalle ont 8% de chance en plus de les valider que ceux qui les passent à une journée d’intervalle. Je garde cette idée en tête pour l’organisation des examens de fin d’année.

Résumé : In many education and work environments, economic agents must perform several mental tasks in a short period of time. As with physical fatigue, it is likely that cognitive fatigue can occur and affect performance if a series of mental tasks are scheduled close together. In this paper, we identify the impact of time between cognitive tasks on performance in a particular context: the taking of Advanced Placement (AP) exams by high-school students. We exploit the fact that AP exam dates change from year to year, so that students who take two subject exams in one year may have a different number of days between the exams than students who take the same two exams in a different year. We find strong evidence that a shorter amount of time between exams is associated with lower scores, particularly on the second exam. Our estimates suggest that students who take exams with 10 days of separation are 8% more likely to pass both exams than students who take the same two exams with only 1 day of separation.

 

L’exit d’Albert O. Hirschman…

Albert O. Hirschman nous a quitté hier (11 décembre 2012). Pour ceux qui veulent un peu plus en savoir sur ce chercheur, voici quelques liens.

Vers sa page Wikipédia en français et en anglais, et vers un site (en) dédié au prix qui porte son nom, où l’on trouve différents éléments sur lui.

Vers des billets que j’ai posté, en lien avec son modèle exit-voice, que je ne cesse de trouver remarquable :

Vers un article (en) de Marginal Revolution qui contient de nombreux liens vers d’autres billets consacrés aux travaux d’Hirschman.

Que valent les revues scientifiques? ou “Dis-moi la taille de ton sexe, je te dirai qui tu es”.

L’étude largement médiatisée sur l’expérience de Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen, avait commencé à m’interpeller. Pas mal de buzz dans le milieu de la recherche. Avec, au final, des doutes plus que sérieux sur la méthodologie employée et les conclusions tirées par le chercheur. Une des meilleures analyses sur le sujet, trouvée via @freakonometrics, est sans doute celle-là. Pour le dire vite, les résultats de l’expérience ne sont pas statistiquement significatifs. En gros, on ne peut rien conclure de cette étude sur la dangerosité de l’alimentation OGM. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas dangereux, ça ne veut pas dire que c’est dangereux, ça veut dire qu’on n’en sait rien. Question ouverte par certains chercheurs, sur twitter : certes, mais si l’on passait au crible de l’analyse statistique l’ensemble des articles de biologie publiés dans des revues à comité de lecture, la moitié passerait à la trappe. Argument non suffisant pour accepter l’étude, mais qui jette un froid un peu plus large, je dirais.

Et là, ce soir, je découvre l’étude de Richard Lynn, publiée dans la revue Personality and Individual Differencies editée par Elsevier, revue référencée, au moins dans la rubrique psychologie, par la très sérieuse Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES). L’article est ici (accès payant). Avec une comparaison, à l’échelle mondiale, de la taille des pénis en érection et des stats par pays (pour une synthèse en français, voir ici. J’ai des stats sur le nombre de clics des liens que j’insère, je suis sûr que le lien précédent va battre des records). Sauf que les données sont pourries, la méthodologie douteuse, les résultats bidons.

Forcément, le chercheur que je suis, ça l’interpelle (j’euphémise). Deux articles publiés dans des revues à comité de lecture, autrement dit des articles évalués par 2, 3, 4, 5 chercheurs réputés compétents (le nombre dépend des revues), articles qui s’avèrent après coup plus que douteux, ça fait mal.

Que faut-il en déduire? Que le processus d’évaluation par les pairs (les chercheurs évaluent d’autres chercheurs) n’est pas infaillible. Il y a de mauvais articles dans des “bonnes” revues (tout comme il y a de bons articles dans des revues “mal classées”, car certains chercheurs s’auto-censurent, pensant ne pas pouvoir accéder aux meilleurs supports). Que ceci ne signifie pas que le processus est à rejeter totalement : aucun système n’est infaillible, l’évaluation par les pairs est sans doute le moins mauvais système. Il ne faut pas l’idéaliser, c’est tout.

Je prolonge un peu la réflexion, car j’ai pu participer ces dernières années à plusieurs concours de recrutement de Maître de Conférences, de Professeurs des Universités, de Chargé de Recherche ou Directeurs de Recherche de différentes institutions. Principalement en économie, mon expérience ne valant donc que pour cette discipline. L’économie, la science des choix, je rappelle.

J’ai été à plusieurs fois surpris (j’euphémise encore) par l’attitude de certains collègues, qui se contentaient, pour évaluer les candidats, de regarder le classement des revues dans lesquelles ils avaient publiés. Pas le temps de lire les articles ou autres productions, de toute façon. Avec une tendance à internaliser les normes les plus récentes assez sidérante. Capacité de réflexivité tendant asympotiquement vers zéro.

Sans doute certains auraient-ils pu plaider pour le recrutement d’un Gilles-Eric Séralini ou d’un Richard Lynn à l’aune du rang de leurs publications : après tout, ils ont publié dans de bonnes revues, et ils devraient avoir un nombre de citations phénoménal, l’un comme l’autre…