Auchan défend votre pouvoir d’achat…

Photo volée dans le supermarché Auchan de Poitiers Sud :


Auchan.jpg

Heureusement qu’il est là, Monsieur Auchan (et son copain Michel-Edouard aussi), pour défendre le pouvoir d’achat des consommateurs, face au vilain Monsieur
Andros…

Plus sérieusement, on n’est pas loin de ce dont je vous parlais dans la deuxième partie de ce billet : un
industriel veut répercuter la hausse de ses coûts de production sur les prix de vente, le distributeur refuse, l’industriel se sent en mesure de resister, les produits sont retirés des rayons.
Quelques hypothèses/remarques : i) Auchan laisse entendre que l’accroissement de 17% des prix, c’est pour qu’Andros s’en mette plein les poches, on peut penser qu’il s’agit plutôt de répercuter
une partie de la hausse du prix des matières premières, ii) Auchan refuse en prétextant défendre le pouvoir d’achat des consommateurs, je rappelle aux étourdis que les marges arrières pratiquées
par la grande distribution ont pu représenter jusqu’à 45% du
prix des produits
. Pas vraiment bon pour le pouvoir d’achat des consommateurs, ça (sur ce sujet, voir cet article (€) dans le dernier Alter Eco, avec notamment une interview
de Moati), iii) Si Andros s’engage dans ce bras de fer, c’est sans doute parce que ce groupe estime que ses produits sont suffisamment différenciés (les grandes surfaces ne pourront pas s’en
passer longtemps) et/ou que le groupe est fortement internationalisé (le marché français est dès lors moins stratégique), iv) Auchan, de son côté, pense pouvoir le faire plier, sûr de son pouvoir
de négociation. Il faudrait voir si l’Oligopole de la distribution s’est entendu pour s’opposer à Andros. En clair : avez-vous vu de telles étiquettes dans votre Leclerc, Intermarché ou Carrefour
favori?

Affaire à suivre…

Réorganisation contre délocalisations

J’avais évoqué dans un article précédent la question des coûts cachés : une entreprise s’interrogeant sur la meilleure solution entre délocaliser ou rester en France doit comparer non seulement le différentiel de coût du travail, mais aussi les différentiels de productivité, ainsi que les coûts de coordination sur les deux territoires :

* les coûts de la coordination à distance avec le sous-traitant étranger (problèmes éventuels de délai, de qualité, de fiabilité, de coût de transport, d’assurance, etc.). La non prise en compte de ces coûts par les entreprises explique largement les échecs rencontrés par certaines entreprises suite à leur engagement à l’international,

* les économies sur les coûts de la coordination que l’on peut réaliser en réorganisant localement le processus productif via, notamment, l’engagement dans la lean production (cf. l’article déjà cité).

 Or, il semble que, sur ce dernier point, des progrès puissent être faits en France : l’Usine Nouvelle n°3032 du 23 au 29 novembre 2006 indique par exemple que dans l’automobile, 70% des problèmes de qualité constatés sur les véhicules sont localisés chez les sous-traitants.

 Dans le même article, l’Usine Nouvelle développe un exemple intéressant de réorganisation locale. Il concerne l’entreprise Tokheim, fabricant de pompes à essence de Grentheville (Calvados) et son sous-traitant MPI, fournisseur de pièces en fonte. L’objectif : « réduire de 35% le prix de revient des 110 pièces produites par jour pour mettre le sous-traitant de Vire (Calvados) au niveau des concurrents chinois », ceci grâce au lean manufacturing

La méthode : formation des salariés afin d’accroître leur polyvalence, réaménagement de l’espace de travail, redéfinition du rôle des opérateurs, etc…

Le résultat : en juillet (l’opération a débuté en mars), l’objectif est atteint à 80%, le prix de revient par pièce ayant baissé de 20%.

 D’autres cas sont évoqués dans l’article, notamment celui de l’équipementier de l’aéronautique DCN qui, en trois mois, a fait reculé la non-qualité chez ses sous-traitants de 15%, et parvient à gagner 400 000 euros par frégate construite. L’entreprise Delphi, autre exemple, est parvenu à faire « chuter les temps de changement d’outils chez l’un de ses sous-traitants de 5h à 1h20 ».

Solution efficace, donc, mais qui n’est pas sans soulever d’autres questions ou problèmes : on peut d’abord se demander qui récupère les gains de la réorganisation. L’article de l’Usine Nouvelle parle de « partage des gains ». Le responsable de Delphi  affirme également « nous partageons les bénéfices ». On peut douter de la généralité de ce partage, compte tenu des rapports de force asymétriques entre donneurs d’ordre et sous-traitants. On remarque ensuite que les sous-traitants n’ont pas le choix (ce qui est à relier au point précédent), l’Usine Nouvelle citant le cas d’une entreprise ayant perdu son marché pour avoir refusé les services du consultant de son donneur d’ordre. On peut s’interroger enfin sur les conséquences en termes de condition de travail sur les salariés des différents sites.

 Bref, la réorganisation sur place n’est pas la solution universelle à tous les problèmes, mais c’est sans conteste une piste à développer, d’autant plus quand le responsable de MPI affirme « nous nous sommes remis en question sur d’autres postes (…) et certains clients, déçus par les pays Low Cost, reviennent vers nous avec une philosophie proche de celle de Tokheim ».

 Ceci n’est pas sans conséquence en termes d’action publique : nombre de PME pourraient sans doute bénéficier d’une réorganisation, mais la plupart n’ont ni les moyens, ni le temps de réfléchir à cette réorganisation. On peut dès lors se demander si un travail d’interfaçage ne pourrait pas être initié par certains acteurs locaux afin de les accompagner dans cette direction. Il s’agirait en quelque sorte de réfléchir non seulement à la question de la sécurisation des parcours professionnels des salariés, mais aussi à ce que j’appellerai la sécurisation des parcours organisationnels des entreprises, notamment des PME indépendantes.

L’industrie française a perdu pied…

Pierre Bilger recommande très vivement sur son blog la lecture de l’article d’Eric Le Boucher  intitulé "L’industrie française a perdu pied". Pierre Bilger explique "De temps à autre, un article ou un livre, tant ils sont exacts et pertinents, n’appellent aucun commentaire, mais simplement un conseil: les lire".

Personnellement, j’aurais envie de dire "De temps à autre, un article ou un livre, tant ils sont exacts  inexacts et pertinents affligeants, n’appellent aucun commentaire, mais simplement un conseil: les lire puis vite les oublier pour lire des choses plus intéressantes"…

Explications.

En gros, l’argumentation d’Eric Le Boucher est la suivante :
1er temps, le diagnostic : la France est en train de se désindustrialiser ("La France est en train de perdre pied en matière industrielle, régulièrement, insidieusement, sans que personne ne s’en alarme en haut lieu.")

2ème temps, les explications, en trois coups de cuillère à pot :
i) la faible compétitivité de la France, en raison
"d’une bureaucratie paralysante" et, "il n’est plus possible de l’occulter, [des] 35 heures".
ii) l’incapacité de l’Europe à entrer dans l’économie de la connaissance. Rendez-vous compte,
"Les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Russie) comptent près du double d’étudiants que l’Europe !"
iii) la déconfiture dans des secteurs importants comme l’automobile ("l
a sous-traitance des pièces se délocalise, il en sera de même des usines de montage"), l’aéronautique et les biotechnologies (ELR parle plutôt de "biotechnos", ce qui, vous en conviendrez, fait beaucoup plus branché et démontre à l’évidence qu’il sait de quoi il parle).

Sur le diagnostic, d’abord, rappelons que l’analyse de l’évolution de l’industrie doit se faire avec des pincettes :
i) l’emploi industriel recule fortement depuis les années soixante-dix, en raison principalement du phénomène d’externalisation, qui fait passer nombre d’activités préalablement comptabilisées dans l’industrie dans le secteur des services (j’en avais parlé ici)
ii) la production en valeur recule, mais ceci résulte pour une part importante des gains de productivité importants du secteur, plus que d’une désindustrialisation,
iii) pour preuve, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée en volume, plutôt stable (légère baisse) depuis les années 1970 (24,2% en 1978, 22,3% en 2002 alors que la part dans le PIB en valeur a chuté de 26,3% à 17,8%).

Sur les explications, ensuite.
i) Faisons l’hypothèse (fausse) d’une désindustrialisation de la France. Sur ce, évaluons le pouvoir explicatif d’une responsabilité de la "bureaucratie paralysante" et des 35 heures. Problème : les calendriers s’accordent mal! Il me semble que les 35 heures n’ont pas été introduites dans les années 1970 ; la bureaucratie française date de beaucoup plus longtemps… Mieux aurait valu dénoncer mai 68,
ce serait plus en phase (je ne désespère pas qu’Eric Le Boucher s’y essaye. Il conviendrait aussi qu’il explique assez vite la responsabilité des 35 heures dans le réchauffement climatique, qu’on arrête de dénoncer de faux coupables).
ii) sur le deuxième argument, la formule
"Les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Russie) comptent près du double d’étudiants que l’Europe !" est savoureuse.  Il serait bon de prendre en compte le fait que ces pays sont de taille paraît-il légèrement supérieure à celle de l’Europe, si bien que comparer le nombre d’étudiants est  tout sauf pertinent.  Qu’ensuite  on s’interroge sur la capacité de l’Europe à  entrer dans l’économie de la connaissance,  pourquoi pas, mais il conviendrait de ne pas trop généraliser : la situation est très hétérogène selon les pays d’une part, selon les secteurs, d’autre part (certains secteurs français sont entrés dans une telle économie, et plutôt bien, depuis longtemps),
iii) sur l’automobile, l’hypothèse du tout est délocalisable et tout va se délocaliser est bêtement fausse dès que l’on creuse un peu (je ne m’étends pas, cf. les références infra, notamment l’ouvrage Colletis/Lung). Quant à sa proposition "Seule une montée en gamme de Renault et PSA permettrait d’en reculer l’échéance
"… Mazette! Comment ne pas y avoir pensé plus tôt! Je lui propose de se lancer immédiatement dans le conseil en entreprise  avec de telles formules, il va y faire fortune…

Bref, s’agissant des chroniques d’Eric Le Boucher, je suis plutôt en phase avec les propos d’Econoclaste  au sujet de certaines de ses chroniques : "Le problème vient de cette façon de présenter tous les problèmes à l’aide de grands concepts globalisants qui favorise les idées fausses et les grands débats idéologiques et stériles."
Eric Le Boucher se désole en fin d’article des politiques qui n’ont pas pris conscience de l’effort à fournir. J’aurais plutôt tendance à me désoler de la tendance de nombre de politiques et de journalistes à apporter de mauvaises solutions à de faux problèmes…

Bref, si vous souhaitez vous faire une meilleure idée de la situation de l’industrie française, des problèmes qu’elle rencontre, des défis qu’elle doit relever, je vous recommande plutôt de regarder l’analyse approfondie de Gille Le Blanc, en complétant par l’ouvrage coordonné par Colletis et Lung, qui propose une analyse secteur par secteur des mutations industrielles.

La stratégie Calida-Aubade

Petits rappels : le groupe suisse Calida a racheté en juillet 2005 l’entreprise Aubade. Elle a décidé récemment de licencier 180 personnes travaillant sur le site de la Trimouille (Vienne), l’activité de production étant délocalisée en Tunisie. D’où la question : pourquoi cette délocalisation?

Dans un billet précédent, j’ai expliqué que l’hypothèse d’un licenciement boursier était plus que sujette à caution : Calida est un groupe familial à l’abri d’éventuels investisseurs institutionnels court-termistes. La délocalisation est plutôt sous-tendue par la stratégie industrielle du groupe. Explications.

Aubade est une entreprise qui appartient au secteur du textile – habillement. Elle est spécialisée dans la lingerie (principalement féminine) et sur le segment du haut de gamme. Elle est confrontée à une double concurrence : i) concurrence d’entreprises localisées dans des pays en voie de développement, notamment d’Asie, qui fabriquent des biens partiellement substituables (lingerie de gamme inférieure (montée de gamme en cours) à prix inférieur), ii) concurrence surtout des autres entreprises positionnées sur le même créneau : Dim, Playtex, Wonderbra, Princesse Tam-Tam, Barbara, etc… Pour maintenir son avantage concurrentiel, Calida-Aubade cherche donc  à réagir, en développant une stratégie multidimensionnelle.


1. La stratégie industrielle de Calida-Aubade

Différenciation

La stratégie de différenciation est double : différenciation verticale, d’abord, en développant la qualité des produits, différenciation horizontale, ensuite, avec comme arme essentielle la stratégie marketing. S’agissant du premier point, on estime qu’Aubade consacre 3% de ses ventes annuelles à la R&D. Preuve que l’innovation n’est pas qu’affaire de haute technologie. Sur le deuxième point : Aubade consacre 10% de son chiffre d’affaires à la communication, dont on connaît l’efficacité (les 71 leçons de séduction).

Diversification

La diversification est à la fois de la diversification géographique et de la diversification produit. Sur le premier point, Aubade réalise 55% de ses ventes en France et à peine 20% hors d’Europe. Cette « faible » internationalisation pèse en partie sur ses résultats, en raison de la faible croissance française et européenne, comparativement à la croissance observée sur d’autres continents. Le groupe souhaite donc renforcer cet engagement à l’international. Sur la diversification produit, Aubade s’est lancée en 2002 dans la fabrication de maillots de bain et en 2005 dans les dessous pour hommes. Ces deux activités représentent 8% du chiffre d’affaires.

Flexibilité

Les effets de mode et les besoins de différenciation des consommateurs obligent les entreprises à renouveler sans cesse leurs produits. Aubade n’échappe pas à la règle : sur la lingerie féminine, elle propose huit collections deux fois par an. L’étape « conception des produits » est donc tout à fait fondamentale.

Réduction des coûts

 On oppose trop souvent logique d’innovation et logique de coût, en pensant qu’une entreprise innovante n’a pas à se préoccuper outre mesure du niveau de ses coûts. En dehors de quelques secteurs très spécifiques, cette opposition n’est pas pertinente : l’entreprise se doit d’être innovante tout en répondant à une contrainte forte de coût (et à l’impératif de flexibilité).

 Ceci conduit certaines entreprises à procéder à des délocalisations. Non pas de l’ensemble des étapes du processus productif, mais des étapes délocalisables. Quelles sont ces étapes ? Pour l’essentiel, celles qui réclament une main d’œuvre dite peu qualifiée. Le groupe Calida est engagé depuis longtemps dans cette stratégie : 70% de la production est réalisé en Tunisie. Les autres unités de production sont localisées en Hongrie et, jusqu’à récemment, en France.


 2. Les effets de la stratégie sur l’emploi

 Pour comprendre les incidences de la réorganisation d’Aubade sur l’emploi, il faut procéder à une analyse par grande fonction de l’entreprise, en distinguant les étapes de conception, production, distribution et marketing :



L’étape de conception est essentielle, elle vise à développer des produits innovants permettant de sortir de la guerre des coûts. Cette étape se nourrit de dépenses de R&D (3% du CA) et de main d’oeuvre qualifiée (H pour capital Humain). Cette activité est localisée dans les pays développés, plus précisément sur les territoires denses en compétences adaptées. Il s’agit souvent de territoires métropolitains, dotés d’institutions de formation dans le domaine (design notamment). Implication : création d’emplois qualifiés dans certains territoires des pays développés.


L’étape de production réclame pour l’essentiel du travail peu qualifié. Dans le secteur du textile-habillement, industrie de main d’œuvre par excellence, l’automatisation du processus est plutôt faible, si bien que le coût du travail est la composante essentielle du coût de production.  L’avantage de coût d’un pays comme la Tunisie incite fortement Aubade à localiser la production dans ce pays. Le fait que Calida connaisse ce pays (il y a délocalisé depuis longtemps une large partie de l’activité de fabrication du groupe) peut laisser penser que les coûts d’une coordination à distance, d’une part, l’ensemble des coûts de production, d’autre part, sont plutôt bien connus. Implication : destruction d’emplois peu qualifiés dans les pays développés, création d’emplois dans les pays en développement.


L’étape de distribution est étroitement liée à la géographie de la demande. L’enjeu pour Aubade est de développer des réseaux de distribution de ses produits, afin de dépendre de manière moins importante de l’évolution de la demande en métropole. Elle peut, pour cela, s’engager dans des relations de marché (appel à des distributeurs indépendants), des relations de coopération (franchisés) ou des relations hiérarchiques (développement de ses propres boutiques par croissance interne ou externe). Les qualifications nécessaires pour vendre en boutique les produits Aubade ne sont pas très élevées, mais les boutiques sont localisées dans les plus grandes agglomérations, plus précisément encore dans les quartiers les plus chics de ces agglomérations. Implication : création d’emplois sur certains territoires des pays développés ou de certains pays en développement à demande fortement croissante.

L’étape Marketing, enfin, obéit à une logique similaire à l’étape de conception : coûts fixes importants (dépenses de publicité), main d’œuvre qualifiée, localisation sur les territoires des pays développés qui disposent de cette main d’œuvre et des institutions de formation adaptées. Une localisation à proximité des principaux foyers de clientèle est souvent nécessaire afin de « sentir » les évolutions de la demande et de mieux vendre les produits. Implication : création d’emplois qualifiés sur certains territoires des pays développés.


Au final, si on généralise l’exemple, on devine une double implication en termes d’emplois : i) création d’emplois qualifiés dans les pays développés, destruction d’emploi peu qualifiés, ii) création d’emplois peu qualifiés dans les pays en développement. Cette double dynamique laisse ouverte la question du solde global sur l’emploi dans les pays développés. Plusieurs études tendent à montrer que le solde est plutôt positif, mais clairement biaisé au détriment des personnes à moindre qualification.


3. Implication en termes d’action publique

L’interdiction des délocalisations a toutes les chances d’être contreproductive : non seulement l’entreprise verra son désavantage sur l’étape fabrication s’accentuer, mais en plus son effort en matière de conception/marketing et de diversification géographique risque d’être plombé par les surcoûts occasionnés. Même chose si l’on conditionne d’éventuelles subventions à l’engagement à ne pas délocaliser : la délocalisation est un moyen pour les entreprises de réorganiser leur activité productive afin de conserver leur avantage concurrentiel. Ceci ne signifie pas que toute délocalisation est rationnelle (cf. un billet précédent), mais, à l’inverse, il ne faudrait pas croire qu’aucune délocalisation n’est rationnelle… Je rappelle également que les délocalisations sont un levier important de création d’emplois et de richesses dans les pays en développement, ce dont ils ont, paraît-il, un peu besoin (et si l’on pousse un cran plus loin : le développement de ces pays participe à l’accroissement mondial de la demande, donc à la création de nouveaux débouchés pour les entreprises localisées dans les pays développés, etc.).

Est-ce à dire qu’il faut laisser faire les entreprises, à charge pour la collectivité de gérer les transitions ? Non, et ce pour une raison évidente : la délocalisation de l’entreprise de la Trimouille était largement anticipable depuis plusieurs années, aussi aurait-on pu s’interroger sur le problème de la reconversion des personnes peu qualifiées au sein du groupe et/ou au sein du territoire (le « on » désignant l’entreprise et les collectivités locales).

Deux grandes possibilités existent :

* développer la formation de ces personnes afin qu’elles puissent évoluer dans le groupe ou qu’elles puissent être employées dans d’autres entreprises du territoire (territoire régional ou départemental, avec des problèmes évidents de mobilité géographique de la main d’œuvre),

* s’interroger sur les emplois peu qualifiés en émergence : une prospective du Conseil d’Analyse Stratégique (une publication pilotée par C. Afriat est prévue en décembre 2006) indique qu’à horizon 2015, 25% des emplois créés en France relèveront des Services aux Personnes. Il y a là matière à repositionnement des personnes les moins qualifiées, pour autant que l’on anticipe les besoins et que l’on travaille à l’organisation de cette filière d’activité, afin que les emplois proposés ne soient pas sous-payés, fragmentés, etc…

La première possibilité est, dans l’état actuel des choses, difficile à mettre en œuvre : tant que l’entreprise est satisfaite de sa situation, elle n’a aucune incitation à former sa main d’œuvre. L’entreprise est également fortement incitée à ne pas divulguer d’information, ressource stratégique essentielle des organisations. Ce n’est qu’en renforçant les relations élus-managers (la route est longue et la pente est forte, et dans les deux sens !) d’une part, et en réfléchissant autour de la thématique de la sécurisation des parcours professionnels (ou terminologie approchante), d’autre part, que l’on pourra avancer sur ce dossier.

Les collectivités locales ont un rôle décisif à jouer dans le domaine, car des dispositifs territorialisés innovants existent (genre groupements d’employeurs, mais il y en a d’autres) pour concilier besoins de flexibilité de l’entreprise et besoins de sécurité des salariés. Il me semblerait plutôt pertinent de conditionner les subventions aux entreprises non pas à la « promesse » de ne pas délocaliser, mais plutôt  à l’engagement de s’insérer et de favoriser le développement de ce type de dispositifs.

Délocalisations : élargir la problématique


Je suis invité dans le cadre du Congrès International Francophone en Entrepreneuriat et PME (CIFEPME) qui a lieu à Fribourg (Suisse) du 24 au 27 novembre à une conférence-débat intitulée : "Délocaliser dynamise l’emploi dans l’entreprise mère?".  Participent également un chef d’entreprise ayant délocalisé en Chine, un élu suisse/président d’un syndicat de salariés, le directeur de la Chambre de commerce, de l’industrie et des services de Fribourg. La "commande" qui m’a été adressée est de prendre un peu de recul par rapport aux cas qui seront évoqués par les acteurs de terrains, d’où le titre de mon intervention : "Délocalisations : élargir la problématique". J’ai organisé ma présentation autour de dix idées clés (je ne les évoquerai sans doute pas toutes), qui ont pour vocation à chaque fois de chasser quelques idées reçues. La plupart ont déjà été évoquées sur le blog, ce billet permet donc de réorganiser un peu l’ensemble (j’ai mis quelques liens pour retrouver les autres billets).

idée #1. les délocalisations vers les pays en développement pèsent peu

Les statistiques disponibles (étant entendu qu’il existe des problèmes de définition et de quantification) montrent que les délocalisations vers les pays en développement pèsent peu.  L’hypothèse d’une désindustrialisation des pays développés est à rejeter (voir ici ). Ceci ne signifie pas qu’il n’y a pas de problème, mais que le problème ne se réduit pas à celui des délocalisations/désindustrialisation. La question est celle du processus (multidimensionnel) de réorganisation transnationale des activités économiques.

idée #2. la minimisation des coûts de production ne se limite pas à la minimisation du coût du travail

On se focalise sur les différentiels de coût du travail, mais la variable stratégique est le coût salarial unitaire, qui incorpore les différentiels de productivité. Des écarts subsistent, mais ils sont réduits, et tendent à se réduire car les salariés des PVD bénéficient des gains de productivité (+/- selon les pays). Ceci montre aussi qu’un enjeu essentiel est de gagner en productivité, ce qui dépend des choix d’investissement en capital physique, humain, public et de l’évolution des pratiques organisationnelles (dans et entre entreprises).

 idée #3. la minimisation des coûts ne se limite pas à la minimisation des coûts de production

Il faut prendre en compte aussi les coûts de la coordination à distance. nombre d’IDE échouent en raison d’une insuffisante prise en compte de ces coûts (délais d’approvisionnement, problèmes de qualité, problèmes de fiabilité, etc..). La minimisation de l’ensemble des coûts permet de comprendre le rôle toujours décisif de la proximité.

 idée #4. la flexibilité des entreprises n’est pas synonyme de flexibilité des salariés

Toutes les entreprises sont soumises à la contrainte de flexibilité, mais il existe plusieurs façons d’y répondre : i) flexibilité quantitative externe, ii) flexibilité quantitative interne, iii) flexibilité qualitative interne, iv) externalisation. La flexibilité quantitative externe n’est pas synonyme d’accroissement de la précarité si elle est gérée intelligemment sur les territoires (exemple des groupements d’employeurs). (cf. ici pour des développements)

idée #5. L’innovation ne se réduit pas à la haute technologie

L’entrée pertinente n’est pas le secteur. Dans chaque secteur, il existe des possibilités importantes d’innovation. Exemple évident : les textiles techniques. Plus généralement, « raisonner par secteurs comme l’électronique, l’informatique, les télécoms, n’a plus de sens, tant l’innovation se diffuse rapidement : il faut identifier les produits hi-tech dans chaque secteur. L’OCDE et Eurostat en ont listé 252 parmi 5111 catégories de produits échangés dans le commerce international » (Fontagné (€)).

 idée #6. L’activité d’innovation ne se réduit pas à l’activité de recherche

De plus, des entreprises innovent sans avoir développé d’activité spécifique de R&D. Elles bénéficient d’effets d’apprentissage (learning by doing, using, interacting…). Exemple de certains districts industriels ou approchants (je développerai un exemple un de ces jours, il y en a dans les Nouvelles géographies du capitalisme).

 idée #7. Les clusters technologiques ne sont pas le seul modèle de développement territorial

On a tendance à prôner le rapprochement local de tous les acteurs impliqués (entreprises, recherche, formation). D’autres stratégies réseaux pourraient être tentées (voir ici pour des développements sur la critique des pôles de compétitivité, transposition française des clusters).

idée #8. Les marchés financiers produisent parfois des résultats collectivement irrationnels

Le problème essentiel sur les marchés financiers n’est pas un problème de moralité (présupposé des rapports sur les bonnes pratiques de gouvernance), mais un problème de comportements mimétiques et court-termistes. Il convient d’en prendre acte et de favoriser la survie/le développement des différents modes de gouvernance. Ces problèmes de gouvernance sont cependant à relativiser (cf. ici).

idée #9. La rationalité des entreprises doit être interrogée

Les choix de délocalisations sont parfois assimilables à de pures conventions : on délocalise par imitation des concurrents des mêmes secteurs, sans avoir mis dans la balance l’ensemble des coûts à supporter (comportements mimétiques / stratégie du pingouin, je développe dans les Nouvelles géographies du capitalisme…).

idée #10. En matière d’action publique, il n’existe pas de one best way

L’étude des différents pays montre la diversité des capitalismes. Il n’y a pas de réponse unique à l’approfondissement de la mondialisation, mais des réponses plurielles, qui dépendent de l’économie, de la géographie et de l’histoire des territoires, et des rapports de force entre les collectifs d’acteurs. La one best way préconisé implicitement ou explicitement par certains politiques ou institutions (banque mondiale par exemple), relève plus de la diffusion d’une idéologie que d’un quelconque déterminisme économique.

Délocalisations : les actionnaires coupables?


Le numéro de novembre de la revue Sciences Humaines est dans les kiosques. Au sommaire, un dossier sur les nouvelles formes du capitalisme (€). Dans le dossier, une interview de Richard Senett, sociologue, sur les failles culturelles du nouveau capitalisme, un article de Bruno Amable intitulé "Le modèle européen ébranlé", et un article d’un certain Olivier Bouba-Olga intitulé "Délocalisations : les actionnaires coupables?"

L’objectif de cet article est de relativiser la thèse selon laquelle nous serions entrés dans un capitalisme patrimonial, au sein duquel les actionnaires auraient tous les pouvoirs et seraient donc à l’origine de tous nos maux. Ce n’est pas (encore) le cas, n’en déplaise à Jean Peyrelevade, ou Patrick  Artus et Marie-Paule Virard.

Exemple d’actualité : l’entreprise Aubade, dont j’ai parlé il y a quelques jours (fermeture du site de la Trimouille (86) et délocalisation vers la Tunisie). Certains ont dénoncé dans les médias picto-charentais des "licenciements boursiers". On peut en douter. Petite enquête sur le contrôle de l’entreprise…

En 1875, le Docteur Bernard créé une entreprise de fabrication de Corsets qui deviendra Aubade en 1958. Depuis, se succèdent à sa tête trois génération de Pasquier (la petite dernière étant Ann-Charlotte). En juillet 2005, Aubade a été rachetée par le groupe suisse Calida. La question du contrôle d’Aubade est dès lors déplacée : qui contrôle Calida?

A la tête du groupe, on trouve la société Calida Holding AG, dont le capital est détenu à 36,2% par la famille Kellenberger. Les autres actionnaires ont tous moins de 5% du capital. Calida Holding détient la totalité du capital d’autres entités du groupe, certaines spécialisées dans la production, d’autres dans la vente, d’autres encore dans la publicité, etc… Une de ces entités, détenue à 100% par Calida Holding, est la société Calida France SAS. Cette société, à son tour, détient 100% du capital de Aubade France SAS qui détient elle-même la totalité (en fait de 99 à 100% selon les cas) du capital des sociétés de l’ex-groupe Aubade. La division vente de la branche Aubade est dirigée par Claude Flauraud. Les divisions Marketing et Management des produits sont dirigées par Ann-Charlotte Pasquier.

Petit schéma récapitulatif :


Le groupe Calida est donc un groupe à contrôle familial, largement à l’abri de la "dictature" des marchés financiers. Comprendre le choix de délocalisation suppose donc de regarder dans une autre direction : non pas du côté des marchés financiers, mais du côté de la sphère réelle, en s’interrogeant sur la stratégie industrielle suivie par l’entreprise. La suite au prochain numéro…

Coûts cachés

Je l’ai dit souvent sur ce blog, expliquer les délocalisations par les différentiels de coût du travail n’a pas de sens : il faut intégrer d’une part les différentiels de productivité et d’autre part les coûts de la coordination à distance liés à la délocalisation (coûts de transaction).
Si on peut espérer que les responsables d’entreprises intègrent les différentiels de productivité avant de prendre une décision, on peut s’interroger sur leur prise en compte des coûts de la coordination à distance. C’est d’une certaine façon ce qui ressort d’un de mes derniers billets sur les problèmes de qualité. C’est ce qui ressort également d’une étude de McKinsey [1] réalisée aux Etats-Unis en 2005.

Graphique et explications :

Le Cabinet d’étude compare, pour deux secteurs d’activité (fabrication de plastique et habillement) les coûts liés à une production en Californie (Cal. sur les graphiques) et les coûts liés à une fabrication en Asie.
Première colonne : les gains de coût perçus par les responsables d’entreprises en délocalisant. 22% dans la fabrication de plastique, 50% dans l’habillement.
Deuxième colonne : les gains en intégrant les coûts complets, c’est à dire les surcoûts liés à la logistique, assurance, formation, défauts, etc… Ces coûts complets sont la somme des coûts de production et des coûts de transaction, ils sont souvent sous-estimés par les entreprises.
Troisième colonne, les gains de "coût complets réels après lean".

La lean production correspond à un mode d’organisation de la production ("production au plus juste") introduit par Toyota et destiné à réduire les délais, les stocks et à améliorer la qualité des produits. Et si les firmes occidentales, dans tout un ensemble de secteurs, en voient bien les avantages, elles ont parfois du mal à le mettre en oeuvre.

Ce que suggère l’étude McKinsey, c’est que les entreprises auraient intérêt à mettre dans la balance la réduction potentielle des coûts liée à cette nouvelle forme d’organisation. Au final, le différentiel de coût entre délocaliser en Asie, d’une part, ou rester aux Etats-Unis avec travail de réorganisation de l’activité, d’autre part, est considérablement réduit : 3% dans le plastique, 13% dans l’habillement. Dans certains cas, l’écart résiduel reste suffisant pour que le choix se porte sur la délocalisation (l’écart de 13% dans l’habillement). Dans d’autres cas, il est "négligeable" (l’écart de 3% dans le plastique) voire favorable aux pays développés,  surtout si l’on garde en tête que l’étude de McKinsey relève d’un travail de "statique comparative", qui néglige la dynamique des coûts.

Ceci permet de comprendre pourquoi, au final, les délocalisations vers les pays en développement pèsent peu. Ceci montre aussi que si des adaptations sont nécessaires côté pays développés, elles consistent moins à faire pression à la baisse sur les salaires qu’à faire évoluer les modes d’organisation dans l’entreprise et entre les entreprises…

Notes

[1] McKinsey, "California Manufacturing Competitiveness Initiative", 2005

Le papy boom, un levier pour la délocalisation?



Le papy boom, un levier pour la délocalisation? C’est en gros la question que m’a posée la semaine dernière un journaliste de libé pour alimenter sa réflexion suite, notamment, à l’annonce par Axa quer sur les 3 000 départs en retraite prévus à l’horizon 2012, 1 500 postes seront délocalisés au Maroc…

Ce à quoi je lui ai répondu à peu près dans cet ordre :
1. Les départs massifs en retraite donnent effectivement de la souplesse aux entreprises pour se réorganiser. Elles le font déjà, la réorganisation pourrait s’accélerer.

2. Ne pas croire cependant que l’on est dans une économie du tout délocalisable. La réorganisation va affecter plus particulièrement certains métiers, certaines tâches (cf. le billet précédent). D’où de l’externalisation auprès d’entreprises françaises dans certains cas, étrangères dans d’autres cas. D’où des besoins importants en main d’oeuvre qualifiée aussi.

3. Ne pas croire cependant que le papy boom va conduire à un problème général de recrutement qui obligerait les entreprises à délocaliser (ou, autre idée reçue ayant pas mal circulée, que le Papy boom est synonyme de fin du chômage) . Une étude récente de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (depp, Ministère de l’éducation nationale) montre que "sur la période 2002-2015, les recrutements de jeunes sortant du système éducatif pourraient représenter un flux annuel d’entrées dans l’emploi se situant légèrement au-dessous de 600 000. Ces besoins seraient vraisemblablement inférieurs aux flux de sortie du système éducatif qui pourraient être d’environ 680 0000." Les problèmes à venir sont donc plus des problèmes "locaux" (problèmes dans certains secteurs et/ou sur certains territoires).


Vous pouvez retrouver en partie ces idées dans un article paru vendredi dernier, signé par Florent Latrive et Judith Rueff, au milieu d’autres exemples plutôt intéressants.

PS : quel succès médiatique des économistes bloggeurs! à peu près en même temps, Econoclaste se faisait interviewé sur France Inter. J’en profite pour recommander vivement et explicitement à tout étudiant d’économie qui traînerait ici de prendre une dose d’Econoclaste matin, midi et soir pendant toute l’année universitaire, amélioration des résultats universitaires garantie!

Made in Quality

Idée reçue souvent abordée sur mon blog : la désindustrialisation des pays développés, au profit des PECO ou des pays d’Asie, notamment la Chine.

L’enquête annuelle d’IBM sur les investissements industriels permet une fois de plus de balayer cette idée : en 2005, l’Europe a attiré 39% des investissements directs d’entreprises multinationales, contre 31% pour l’Asie. Ces projets d’investissements concernent trois types d’activité : la Recherche et Développement, les services aux entreprises (centres d’appels, centres de services partagés) et la production industrielle (usines, infrastructures, bâtiments et matériel). (informations vu ici).

L’Usine Nouvelle n°3023 du 21 septembre 2006 précise les résultats sur l’Europe : la France arrive en tête avec 21% de l’ensemble (253 implantations), suivie de la Pologne avec 12%, le Royaume-Uni 11%, la République Tchèque 7% et la Russie 6%. 

Bref, rien de nouveau sous le soleil (voir ici ) : la France reste très attractive. 

Soulignons cependant le commentaire du journaliste de l’Usine Nouvelle : « Malgré un coût du travail élevé, la France reste le pays européen préféré des investisseurs étrangers dans l’industrie ». Manifestement, la rationalité des décisions d’implantation lui échappe…à moins que ce ne soit du second degré, et qu’il souligne avec cette formule que le coût du travail n’est pas le déterminant premier. J’en doute.

Pourtant, pour mieux comprendre la rationalité des décisions des entreprises, il lui suffisait de lire le dossier publié dans… l’Usine Nouvelle, même numéro, même date, sur la « qualité sacrifiée ».

Explications :

 En 2001, 76 produits non alimentaires ont été rappelés dans l’UE, en 2005 : 701. Dernier exemple en date : les batteries d’ordinateurs Dell et Apple fabriquées par Sony, d’où un rappatriement respectivement de 4,1 millions (Dell) et de 1,8 millions d’ordinateurs (Apple). Pour les produits alimentaires, 133 rappels en 2000, 956 en 2005.

Pourquoi cette explosion des chiffres ?

Une partie de l’explication tient à l’accroissement des contrôles, au durcissement de la règlementation, à la pression des populations, etc. Mais ce n’est qu’une partie de l’explication.

Une autre partie tient aux choix productifs des entreprises : dans les industries d’assemblage, les entreprises peuvent décomposer la fabrication du bien en différents composants, les faire fabriquer par des sous-traitants, puis les assembler à l’étape finale. Afin de disposer de composants au moindre coût, certaines entreprises ont opté pour un « sourcing » lointain, notamment en Chine, bien sûr. Plusieurs avantages : i) le faible coût de la main d’œuvre, certes ; ii) les possibilités d’économies d’échelle : les sous-traitants agrègent les différentes demandes du marché et bénéficient de rendements croissants, le coût de production unitaire diminue donc ; iii) le report de l’incertitude sur les sous-traitants : en cas de mauvaise anticipation de la demande, le donneur d’ordre réduit les commandes aux sous-traitants, à charge pour ce dernier de s’adapter.

Sauf que, dans leurs petits calculs, les entreprises oublient de comptabiliser l’ensemble des coûts, notamment des coûts liés à la baisse de qualité :

« en 2005, près de 50% des produits qui présentaient un risque sérieux pour les consommateurs étaient importés de pays situés hors de l’Union Européenne » (Markos Kyprianou, commissaire européen, propos repris dans l’Usine Nouvelle, p. 14).

Or, la Chine concentre 44% des produits défectueux…Le responsable d’une entreprise basée à Hong-Kong ajoute :

« Dans la téléphonie mobile, les Européens réalisent des audits dans leurs usines sous-traitantes chinoises. Après leur départ, la qualité s’effondre. Dans ce pays, les salaires augmentent, le turn-over est immense, la main d’œuvre n’est pas qualifiée et son efficacité minimum si elle n’est pas encadrée » (idem, p. 14).

Bon, je ne prend pas pour argent comptant les propos de ce responsable de PME ; où plutôt je ne généraliserais pas comme il le fait (« dans ce pays »), mais il est clair qu’à côté des coûts de production, les entreprises oublient souvent de comptabiliser ce que l’on appelle des coûts de coordination/de transaction. Cet oubli explique les problèmes qualité évoqués. Il explique aussi en partie le fait qu’une part non négligeable des IDE effectués en Chine (ce n’est pas le seul pays concerné) se soldent par un échec (j’ai vu traîner un chiffre de 1/3 dans une étude Ernst & Young (je crois), je n’arrive plus à mettre la main dessus, si quelqu’un a ça sous le coude…).

Et, à l’inverse, lorsqu’elles intègrent l’ensemble des coûts (coûts de production + coûts de transaction), elles aboutissent parfois à la conclusion qu’une localisation dans les pays développés est préférable à une localisation dans les pays en voie de développement … malgré un coût du travail élevé…

Dernier point, tout à fait essentiel, les positions des différents pays évoluent : les différentiels de salaires ont tendance à se réduire, car les gains de productivité dans les pays en développement se traduisent par des augmentations de salaires conséquentes (variables selon les pays, en fonction notamment des rapports de force entre les collectifs d’acteurs). Leur avantage initial a donc tendance à se réduire. A l’inverse, ces pays améliorent la qualité des biens fabriqués, cherchent à monter en gamme, s’engagent aussi dans des logiques d’innovation, etc (voir à ce sujet cet article sur le cas Japon/Asie). Toujours est-il que pour comprendre les choix effectifs de localisation, c’est l’ensemble de ces facteurs (et leur dynamique) qu’il faut prendre en compte, non pas seulement l’un d’entre eux. En se demandant à chaque fois comment on peut améliorer le positionnement des entreprises sur l’une ou l’autre de ces dimensions.