Sciences Eco Poitiers : petit point sur la rentrée

Hier matin (1er septembre), nous avons accueillis dans nos locaux la nouvelle promotion de Licence 1ère année. France 3 Poitou-Charentes en a profité pour faire un reportage chez nous, dans le cadre de la rentrée universitaire, il est visible ici (édition du 19/20 du 1er sept.).

Comme chaque année, nous enquêtons les étudiants l’après-midi, ce qui permet de faire un petit point statistique :

  • nous avons accueillis 173 étudiants à la réunion de rentrée, contre 154 l’an dernier (+12%). Certains étudiants continuent à arriver, nous étions montés à 188 inscrits au 15 janvier l’an dernier, nous allons vraisemblablement dépasser les 200 cette année,
  • la proportion de bacheliers ES et S est stable : 88% cette année, 87% l’an dernier. Petite déformation de la structure, puisque les bacs ES passent de 64% à 56% pendant que les bacs S passent de 23% à 32%,
  • la proportion de bacheliers avec mention baisse un peu pour l’ensemble (de 56% à 53%), elle est quasi-stable pour notre public cible (57% contre 58% l’an dernier). Là aussi, déformation de la structure : les mentions AB passent de 32% à 22% ; les mentions B de 22% à 27% ; les mentions TB de 4% à 9%,
  • parmi les étudiants accueillis, 73% nous avaient mis en vœu n°1 sur APB, même proportion que l’an dernier. Si on agrège vœux 1 et 2, la part passe de 84% l’an dernier à 88% cette année.

Le bilan ? Nos effectifs continuent d’augmenter, il s’agit massivement d’étudiants de notre public cible (bacs ES et S), de bon niveau, qui viennent chez nous par choix. A rebours des représentations que beaucoup ont sur l’Université…

Entreprises-Universités : de timides fiançailles ?

Je viens de voir passer un article du Monde se désespérant du peu de relations entre Universités et Entreprises, à l’occasion de la signature d’un “pacte” entre le MEDEF et  des représentants du monde de l’enseignement supérieur.

S’il y a des marges de progrès, notamment sur la part du financement privé dans les budgets des Universités évoquée en fin d’article, ou encore sur la faible reconnaissance des doctorats dans les entreprises, je tiens à préciser que les relations entreprises-universités existent bel et bien et sont forts nombreuses, contrairement à ce que pensent nombre d’acteurs et à ce que sous-entend plus ou moins cet article.

Je prends l’exemple que je connais le mieux, celui de la Faculté de Sciences Economiques de Poitiers, étant entendu que nous ne sommes pas l’exception, même si je sais que la situation est hétérogène.

En licence, nos étudiants ont la possibilité de :

  • faire des stages courts d’un à deux mois entre la première année et la deuxième année, plutôt des stages d’observation pour découvrir des univers professionnels susceptibles de les intéresser,
  • faire un stage long de quatre à six mois, au premier ou au deuxième semestre de licence, qui remplace l’ensemble des enseignements. C’est une vraie mission qui leur est confiée, co-encadrée côté entreprise et côté fac,
  • créer une start up dans le cadre d’un partenariat que nous menons avec l’association européenne de dirigeants d’entreprises “Entreprendre pour Apprendre”. Quatre start up ont été créées ces deux dernières années,
  • participer à des projets tuteurés : des entreprises nous sollicitent pour, par exemple, réaliser une étude de marché. Une équipe d’étudiants produit cette étude, co-encadrée par un enseignant et le responsable de l’entreprise,
  • participer au forum des métiers qui a lieu chaque année et permet aux étudiants d’échanger avec un large panel de professionnels,
  • plus classiquement, les étudiants ont chaque semestre un module de professionnalisation, avec préparation de CV, lettres de motivation, interviews de professionnels, simulation d’entretiens d’embauche, …

En Master, (nous en avons deux sur Poitiers, l’un dans le domaine de la banque, l’autre plus orienté “économie internationale”) cela continue :

  • la moitié des enseignements de M2 sont assurés par des professionnels du domaine du Master,
  • stage long obligatoire de quatre à six mois en fin d’études,
  • pour notre Master “banque”, possibilité de suivre la deuxième année en alternance (contrat d’apprentissage ou contrat de professionnalisation),
  • pour notre Master “international”, possibilité de remplacer le deuxième semestre de première année par un stage long en entreprise, solution adaptée pour ceux qui sont partis à l’étranger en L3 plutôt que de faire un stage,
  • organisation de plusieurs conférences, chaque année, avec des professionnels.

Le deuxième axe stratégique que nous défendons dans notre faculté concerne l’internationalisation, avec la possibilité pour les étudiants de partir à l’étranger au moins une fois, voire deux fois, pour un semestre ou une année à chaque fois, dans le cadre de plus de quarante conventions avec des universités partenaires.

Notre objectif : que nos étudiants qui entrent dans nos masters aient fait au moins un stage et un séjour à l’étranger. Qu’ils sortent de nos masters avec au moins deux stages et un séjour à l’étranger. Vu le menu que nous leur proposons, certains peuvent très bien faire trois stages et bénéficier de deux mobilités.

Au niveau de l’Université de Poitiers, je n’ai pas les chiffres précis, mais je crois que ce sont 3 ou 4000 stages qui sont réalisés par les étudiants chaque année (pour des effectifs globaux autour de 25 000 étudiants).

Bref, on n’en est peut-être toujours au stade des fiançailles, mais elles sont particulièrement actives…

La dynamique économique des territoires français : de l’obsession métropolitaine à la prise en compte de la diversité des configurations territoriales

Gauguin-Doù-venons-nous-que-sommes-nous-où-allons-nous-1898-1VSuite à la diffusion de notre article “La métropolisation, horizon indépassable de la croissance économique ?”,  (version courte ici), Michel et Grossetti et moi-même avons reçus de nombreux retours, côté “académique”, d’une part, mais aussi côté “acteurs des territoires” (politiques, institutions nationales et régionales, agences d’urbanisme ou de développement économique, …).

Du côté de ces derniers, une demande récurrente : convaincus par notre critique de “l’obsession métropolitaine”, la question devient “que faire alors ?”. Demande légitime, nous avons bien conscience de son importance, nous nous étions limités à une analyse critique d’une thèse dominante (idem dans ce billet vis-à-vis de l’économie géographique), tout en nous disant qu’il faudrait compléter en expliquant comment nous proposons de regarder les territoires pour mieux calibrer les politiques de développement économique.

Nous avons avancé un peu en rédigeant un article présenté lors des 8e journées de la proximité, à Tours, en mai dernier. Nous venons de poster l’article sur Hal, vous pouvez le télécharger en cliquant sur ce lien. Son titre : “La dynamique économique des territoires français : de l’obsession métropolitaine à la prise en compte de la diversité des configurations territoriales”.

La première partie reprend des éléments de critique que nous avions commencé à développer, pour insister sur la diversité des configurations territoriales. La deuxième partie (à partir de la page 8), surtout, esquisse la trame d’une conceptualisation alternative des dynamiques territoriales. Nous finissons par quelques propositions en termes de politiques publiques, en illustrant avec les exemples de territoires sur lesquels nous travaillons (Belfort-Montbéliard, d’une part, Toulouse, d’autre part).

C’est du work in progress, commentaires bienvenus, prolongements à venir !

Où fait-il bon vivre en France ? La copie très moyenne des Echos

Ça doit être l’effet vacances, pas d’étudiants, pas de copies à corriger, que voulez-vous, cela me manque… Alors quand j’ai vu le petit exercice cartographique des Echos, je n’ai pas pu m’empêcher de faire mon prof. Bilan? Copie moyenne, très moyenne…

Les Echos ont récupéré des données Insee par zones d’emplois pour 9 indicateurs (variation de la population, taux de chômage, revenu médian, espérance de vie, …), ils ont bâti un classement des zones sur chaque indicateur, puis ils ont calculé la moyenne de ces 9 classements et cartographié le résultat obtenu, ce qui donne cette carte :

carte_les_echosPremier problème, bien qu’affirmant travailler sur données zones d’emplois, on s’aperçoit que pour 4 des 9 indicateurs, ce sont en fait des données départementales. Or, le découpage par zones d’emploi ne respecte pas le découpage départemental. Mais rien n’est dit sur la façon dont les Echos ont procédé pour affecter des valeurs aux zones qui traversent les départements.

Deuxième problème, rien n’est dit sur le lien entre l’objectif de l’article (mesurer la qualité de vie des territoires) et les variables retenues. En quoi le fait qu’un territoire accueille plus de diplômés du supérieur améliore-t-il la qualité de vie sur ce territoire ? Ça manque de justification…

Troisième problème, faire des classements, calculer des moyennes de classements, ça n’a pas beaucoup de sens. Avec ce type de données hétérogènes, mieux vaut procéder à des analyses de données pour faire émerger des typologies. L’enjeu n’est alors plus de faire ressortir les meilleurs/moins bons, mais de faire émerger des classes de territoires semblables et de repérer les variables discriminantes. Moins vendeur mais plus utile. L’Insee s’était livré à ce type d’exercice, j’en avais parlé ici.

Troisième problème, je pressens des corrélations fortes entre les indicateurs mobilisés : taux de pauvreté, revenu médian, taux de chômage, … tout ça me semble un peu redondant. Pour preuve, je me suis contenté de récupérer le taux de chômage par zones d’emploi pour 2012 (j’avais ça en stock sur mon ordinateur) et j’ai cartographié ce simple indicateur, ça donne cette carte :

ma_carte_choJe vous laisse regarder, on retrouve globalement la même chose : situation mauvaise au Nord et dans le Sud-Est, bien meilleure en Rhône-Alpes, Alsace et dans l’Ouest. La carte des Echos est en gros la carte des taux de chômage.

Bref, peut mieux faire, je propose aux Echos de revenir en deuxième session…

 

 

La circulation invisible des richesses : quand le Cantal, l’Aveyron et la Lozère viennent au secours des Métropoles

Lorsqu’on analyse la géographie des PIB par habitant et celle des Revenus par habitant, on constate rapidement une déconnexion forte entre les deux, le cas le plus extrême concernant l’Ile-de-France, dont le PIB par habitant est environ 60% supérieur à la moyenne, pendant que son Revenu par habitant n’est supérieur que d’environ 20%. Il n’en faut pas plus à quelqu’un comme Jacques Levy pour affirmer alors que « les contribuables des villes les plus productives financent à fonds perdus les territoires urbains les moins efficaces » (source ici).

Je ne reviendrai pas sur les nombreuses limites du PIB par habitant comme indicateur de performance des régions, j’en ai déjà (trop) parlé, je vous invite à parcourir cette tribune du Monde ou d’aller voir, pour plus de détails, l’article co-écrit avec Michel Grossetti Je préfère me concentrer sur les éléments explicatifs de la déconnexion PIB/Revenu, pour insister sur un mécanisme contre-intuitif, dont l’importance vient d’être mise en évidence dans un article tout juste publié.

Quand Jacques Levy affirme que « les contribuables des villes les plus productives financent à fonds perdus les territoires urbains les moins efficaces », il a en tête un mécanisme et un seul, celui de la redistribution des revenus assurée par l’Etat : certains territoires produisent plus de richesses que d’autres, l’Etat y collecte logiquement plus d’impôts qu’il reverse sous forme de prestations aux habitants des autres territoires. Notons en passant que l’Etat ne procède pas à une redistribution spatiale des revenus, mais à une redistribution sociale : en forçant le trait, il prend aux « riches » pour donner aux « pauvres », comme « les riches » sont concentrés en certains lieux (notamment sur Paris) et « les pauvres » dans d’autres lieux (« les territoires urbains les moins efficaces » dirait Levy), la redistribution sociale devient involontairement spatiale.

Ce faisant, on oublie d’autres mécanismes essentiels de la circulation invisible des richesses : le premier d’entre eux relève du transfert opéré entre les actifs d’aujourd’hui et les actifs d’hier, autrement dit les retraités. Une part non négligeable de la déconnexion entre PIB et Revenu par habitant de l’Ile-de-France s’explique par le fait que les actifs franciliens, une fois à la retraite, vont se localiser un peu partout sur le littoral. Les actifs franciliens d’aujourd’hui financent donc les retraites des actifs franciliens d’hier, localisés hors région capitale. Un autre mécanisme important relève du fait que de nombreux actifs participant à la création de richesse en Ile-de-France résident hors Ile-de-France : ils créent du PIB dans la région capitale mais perçoivent leurs revenus hors région capitale. C’est vrai de toutes les régions limitrophes, le cas le plus emblématique étant celui de la Picardie, 13% des actifs y résidant travaillant en Ile-de-France.

Tout ceci est plutôt bien connu des chercheurs travaillant sur ces sujets. Un autre mécanisme moins connu vient d’être étudié par Pierre Bouché, Elisabeth Decoster et Ludovic Halbert dans un article pour la revue Géographie, Economie, Société intitulé « L’épargne réglementée, une géographie méconnue de la circulation de richesse en France ». Ces auteurs s’intéressent à l’épargne sur Livret collectée par la Caisse des Dépôts et Consignations, qui sert massivement à financer le logement social. Les sommes concernées ne sont pas négligeables : on apprend dans l’article que la Direction du Fonds d’Épargne gère 250 Milliards d’euros en 2013, dont environ 55 % sont distribués sous forme de prêts. Comme les lieux de collecte de l’épargne diffèrent des lieux d’investissement, on observe là encore une circulation invisible des richesses qui avait jusqu’à présent échappé aux observateurs.

Que montrent-ils ? Que certains départements épargnent beaucoup plus qu’ils ne perçoivent en termes d’investissement, à commencer par le Cantal (solde négatif de 72 %), l’Aveyron, la Haute-Loire, la Nièvre, la Lozère, ou encore la Manche (-56 %). A l’inverse, d’autres départements affichent des soldes positifs, c’est-à-dire que les montants des prêts qui leurs sont distribués sont plus élevés que ce que les encours observés ne laisseraient supposer. « Il s’agit de départements accueillant une agglomération de grande taille comme le Nord (Lille), la Haute-Garonne (Toulouse), la Gironde (Bordeaux), le Rhône (Lyon), l’Hérault (Montpellier), ou les départements franciliens, aux exceptions de Paris et, surtout, des Yvelines. La Seine-Saint-Denis affiche ainsi le solde positif le plus élevé de France avec +180 % (…) ».

Le Cantal, l’Aveyron et la Lozère viennent au secours de la Seine-Saint-Denis, Lille, Toulouse, Bordeaux, Lyon et Montpellier. Les « pauvres inefficaces » qui financent les « riches efficaces », voilà qui devrait en consoler certains, voire, soyons fous, les inciter à regarder autrement les dynamiques territoriales…

La “divergence des territoires” : une erreur d’analyse

Le Monde a publié récemment une tribune de Laurent Davezies et Thierry Pech intitulée “les territoires sont de plus en plus divergents”. Cette tribune synthétise les propos de leur note pour Terra Nova, sans rien changer à leur argumentation, malgré les limites importantes dont nous avions fait état.

La répétition étant la base de la pédagogie, nous avons proposé au Monde une tribune en réponse. Cette tribune vient d’être mise en ligne, elle est visible ici.

Universités, Villes et Territoires : quel avenir pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche français ?

21 Présidents d’Université ont rédigé un communiqué après les résultats du Programme d’Investissement d’Avenir 2. Ils y dénoncent justement les allants de soi qui guident les décisions de l’État en la matière (il faut soutenir les métropoles et rien d’autres ; il faut des Universités de grande taille pour monter dans les classements internationaux).

A lire et diffuser sans modération.

Elle exporte quoi, votre région ?

Comme me l’a fait remarqué mon jeune (et néanmoins brillant) collègue Marc Pourroy, pour dire des choses sur les performances des territoires, les chercheurs traitent des données sur les PIB, la productivité des entreprises ou la croissance de l’emploi, mais très peu de données relatives au commerce international, alors qu’à l’échelle des pays, elles sont souvent utilisées, pour calculer par exemple ce qu’on appelle les avantages comparatifs révélés de telle ou telle économie.

N’écoutant que notre courage, nous avons donc décidé de nous y mettre, en commençant par exploiter des données fournies par les douanes, pour l’année 2014, disponibles à l’échelle des (anciennes) régions et des (futurs-ex ou ex-futurs-ex ou on ne sait pas trop) départements. Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer deux petites cartes réalisées sous Philcarto.

La première représente le premier secteur exportateur de chaque région de France métropolitaine, la taille des cercles étant proportionnelle à la valeur des exportations.

exports région.pngLa France exporte des avions, des voitures, du vin et des médocs, plus quelques autres petites choses. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les précautions de lecture : il s’agit de données pour 2014, le classement des secteurs peu changer d’une année à l’autre ; le fait qu’une région exporte tel ou tel bien ne signifie pas qu’elle en fabrique l’ensemble, la fabrication des Airbus exportés de Toulouse fait par exemple travailler de très nombreuses régions ; le Cognac se boit aussi en apéritif, par exemple avec du Schweppes ; etc.

Une autre limite de ce type de traitement est que, paradoxalement vu le contexte actuel, les régions françaises sont trop grandes pour saisir les logiques de spécialisation productive, qui se déploient à des échelles plus fines. Regardons donc à l’échelle des départements, en nous focalisant, si vous en êtes d’accord, sur la Grande Aquitaine, dont je vous avais déjà un peu parlé.

exports_gaOn retrouve le Bordeaux et le Cognac, mais aussi le papier-carton, les céréales, l’industrie de la viande, ainsi que, dans la Vienne, les instruments et appareils de mesure d’essais et de navigation. A l’échelle de l’ensemble des départements, on trouve 35 secteurs différents comme premiers secteurs de spécialisation, ce qui me semble plutôt important et témoigne de la diversité productive de la France.

Vous voulez connaître le premier secteur d’exportation de votre département et il ne figure pas sur cette carte ? Demandez-moi en commentaire, je vous donne la réponse !

Guerre entre économistes : éléments de réflexion

Francois_Dubois_001Le Monde vient de publier un article sur la guerre entre économistes « hétérodoxes » et « orthodoxes », à l’occasion de la sortie d’un ouvrage rédigé par des membres de l’Afep (économistes « hétérodoxes ») intitulé « A quoi servent les économistes s’ils disent tous la même chose ? » et sur fond de débat sur l’opportunité de la création d’une nouvelle section au CNU.

L’Afep (et les médias avec eux) en font une lutte essentiellement politique : les « orthodoxes » seraient convaincus que la régulation par les marchés fonctionne plutôt bien, tandis que les « hétérodoxes » jugeraient que les marchés seraient déficients.

Les « orthodoxes » (à commencer par Jean Tirole, dans son courrier adressé à la Ministre) en font une lutte entre les « bons économistes », capables de publier dans des revues en tête des classements scientifiques, et les « mauvais économistes », incapables de publier dans ces supports.

Je vous livre ici quelques éléments de réflexion, car je pense que ces lectures ne sont pas les bonnes, tout en étant convaincu qu’il y a un problème avec le fonctionnement de la science économique en France (voir aussi pour une analyse assez proche la tribune de Richard Arena et Jérôme Vicente).

Pourquoi je ne suis pas d’accord, ni avec les « hétérodoxes », ni avec les « orthodoxes »

Je ne suis pas d’accord avec les « hétérodoxes » quand ils assimilent l’ensemble des économistes « orthodoxes » à des économistes « néo-libéraux », convaincus des vertus du marché. Des économistes comme Stiglitz ou Krugman ne peuvent être considérés comme néo-libéraux mais peuvent être rangés dans la case « orthodoxes ». Dans le même sens, les échanges que j’ai pu avoir avec des collègues de TSE/PSE, lieux essentiels de concentration des économistes « orthodoxes », me font penser qu’ils se répartissent sur un large spectre de l’échiquier politique.

Je ne suis pas d’accord non plus avec les « orthodoxes », incapables de voir toutes les limites de leur façon de juger de la science sur la base du classement de revues qui privilégient clairement certaines façons de « faire de la science » en économie (penchant pour la modélisation mathématique et pour les traitements économétriques notamment).

L’opposition principale, de mon point de vue est précisément là : ce n’est pas une opposition politique, mais une opposition sur les méthodes mobilisées pour « faire de la science ». Un économiste qui, pour éclairer un problème quelconque, s’appuie sur des enquêtes sera très vite taxé de sociologue (inutile de préciser que « c’est mal »). S’il fait du terrain pour comprendre la dynamique économique d’un territoire, il sera taxé de géographe (c’est « très mal »). S’il fait de l’économétrie (des mathématiques appliquées, quoi), « c’est bien ». S’il fait des modèles (des mathématiques (presque) pures, quoi), c’est « très bien ». Ce problème essentiel dépasse largement l’économie, comme l’a montré récemment Michel Grossetti dans ce texte. Les méthodes et les instruments supplantent parfois l’objet d’étude et sa compréhension.

En quoi est-ce un problème ?

Pour avoir participé à de nombreux jurys de recrutement de Maîtres de conférences, les « allants de soi » qui se diffusent dans la sphère économique conduisent à « produire » de plus en plus de docteurs qui ont une assez faible connaissance de l’économie, qui ont entamé une thèse avec un directeur de thèse qui leur a fourni une base de données, ils se forment à l’économétrie, procèdent à des traitements sophistiqués, identifient quelques relations statistiquement significatives, publient tout cela dans des revues classées et parfois publient beaucoup quand ils maîtrisent une technique économétrique reproductible sur différents jeux de données. Ils s’interrogent assez peu sur le problème économique qu’ils traitent et/ou sur la qualité des données qu’ils mobilisent. L’essentiel est la maîtrise du modèle (théorique et/ou économétrique). Leur capacité à tirer des conclusions de leurs propres travaux est parfois très faible. Quant à parler d’un autre sujet économique…

Une autre façon de montrer les problèmes que cela pose consiste à revenir sur mon dernier billet, suite à la publication de l’article de Combes, Gobillon et Lafourcade, économistes que l’on peut qualifier d’« orthodoxes ». Je ne sais absolument pas quel est leur positionnement politique, mais leur analyse souffre à l’évidence de ce problème de méthode. Je m’explique.

Pour penser la géographie économique, la science économique a développé ce qu’on appelle la « nouvelle économie géographique », avec comme chef de file Paul Krugman. Les modèles de l’économie géographique sont « la » référence pour publier dans de bonnes revues sur ce sujet. Publier dans une revue de rang 1 ou 1* avec un autre cadre théorique est particulièrement difficile, voire impossible. Il faut dire que la « nouvelle économie géographique » se prête bien au développement de modèles mathématiques (qui offrent de plus de multiples variantes, donc d’opportunités de publication) et ensuite à des traitements économétriques sophistiqués. Assez logiquement, Combes, Gobillon et Lafourcade inscrivent leur analyse de la géographie des salaires dans ce cadre et commencent par développer une modélisation pleine d’hypothèses qu’ils n’interrogent pas : sont-elles recevables pour le sujet étudié ?

L’une des hypothèses fortes dans ce type de modèle consiste à supposer que les individus sont rémunérés en fonction de leur productivité. C’est ce qu’ils disent de manière littéraire en haut de la page 9 de leur document, puis sous forme mathématique en bas de la même page. L’objection que j’ai formulée avec Michel Grossetti, suite à quelques traitements statistiques particulièrement simples, qu’ils auraient pu (dû) faire en préalable à leur travail, est que si cette relation n’est pas totalement fausse, elle marche très mal pour certaines professions. Ne pas voir que les écarts géographiques de salaire peuvent s’expliquer aussi, en partie, par la géographie particulière de ces professions atypiques, plus généralement par la composition métiers des territoires (qu’ils intègrent de manière trop grossière, alors que des données plus fines existent dans les bases qu’ils mobilisent), m’a d’abord totalement sidéré mais, après réflexion, je pense que cela s’explique assez bien par cet aveuglement produit par les méthodes mobilisées par ces chercheurs.

Faut-il créer une nouvelle section, alors ?

Mon sentiment est que cette question est totalement différente des propos et débats mentionnés ci-dessus. Elle relève d’un problème de stratégie, plutôt même de tactique, la question étant de savoir comment faire bouger le plus efficacement les choses. Car il faut les faire bouger. La politisation du débat par les « hétérodoxes » me semble contreproductive. Le dédain affiché par les « orthodoxes », Jean Tirole en tête, franchement calamiteuse.

Certains plaident pour une évolution du dedans de la section actuelle, en indiquant que la suppression de l’agrégation modifie significativement les choses, que les taux de qualification pour les Maîtres de Conférences ou les Professeurs des Universités ont été assez importants et qu’ils ont permis à des candidats des différents courants de pouvoir ensuite candidater sur des postes. D’autres considèrent que ce n’est pas suffisant, que dans d’autres disciplines le nombre de sections est bien plus important et qu’il permet d’atteindre très vite un meilleur équilibre.

Personnellement, je ne sais pas, je n’ai pas d’avis très tranché sur la question. Je suis juste totalement convaincu de l’importance de maintenir une forte diversité des méthodes d’investigation.

Article sur le Grand Paris pour la Société du Grand Paris : les bras nous en tombent, encore…

Alors que je travaillais tranquillement avec Michel Grossetti, à côté de Toulouse (à Ramonville, très précisément, dont l’atmosphère est particulièrement propice à la création de connaissances nouvelles – et le tajine, aussi, mais là je m’égare…), sur une analyse de la géographie des salaires, j’ai vu passer un article de Pierre-Philippe Combes, Laurent Gobillon et Mirem Lafourcade sur le même sujet, si ce n’est que la perspective adoptée est très différente.

Ces auteurs viennent de publier un document de travail intitulé « Gains de productivité statiques et d’apprentissage induits par les phénomènes d’agglomération au sein du Grand Paris ». L’intention est clairement indiquée en début de document : « L’objectif de ce rapport est d’estimer ce qui, dans la prime salariale dont bénéficient les travailleurs des grandes métropoles françaises, provient de leurs compétences propres et des économies d’agglomération engendrées par la taille des villes ». Ce travail s’inscrit donc dans le cadre de la nouvelle économie géographique, tout comme celui de Philippe Askenazy et Philippe Martin, dont j’avais fait une analyse plutôt nuancée.

L’idée de base est toujours la même : l’agglomération des activités permettrait de mieux diviser le travail localement, de réduire les coûts de transaction, d’améliorer l’appariement entre offre et demande de travail et de faciliter la circulation des connaissances tacites. Tous ces éléments permettraient de dégager des gains de productivité et par suite de verser des salaires plus élevés. Vive les métropoles, quoi.

Je ne vais pas rentrer dans une analyse détaillée de leur travail, mais simplement présenter les résultats d’un petit traitement du même type de statistiques qu’eux (les DADS, ici pour l’année 2011) auquel nous nous sommes amusés, consistant à identifier les 20 métiers (sur plus de 400) qui présentent les écarts de salaire Paris/province les plus élevés.

PCS sur-rémunération
Cadres des marchés financiers 2.2
Chefs de grande entreprise de 500 salariés et plus 2.1
Artistes dramatiques 2.0
Artistes du cirque et des spectacles divers 2.0
Chefs d’établissements et responsables de l’exploitation bancaire 1.7
Directeurs, responsables de programmation et de production de l’audiovisuel et des spectacles 1.7
Cadres commerciaux de la banque 1.7
Chefs de moyenne entreprise, de 50 à 499 salariés 1.7
Convoyeurs de fonds, gardes du corps, enquêteurs privés et métiers assimilés 1.6
Chefs d’entreprise de services, de 10 à 49 salariés 1.6
Professeurs agrégés et certifiés en fonction dans l’enseignement supérieur 1.6
Avocats 1.6
Cadres d’état-major administratifs, financiers, commerciaux des grandes entreprises 1.5
Juristes 1.5
Cadres des opérations bancaires 1.5
Ouvriers de production non qualifiés du textile et de la confection, de la tannerie-mégisserie et du travail du cuir 1.5
Cadres chargés d’études économiques, financières, commerciales 1.5
Ouvriers qualifiés du travail de la pierre 1.4
Cadres de l’immobilier 1.4
Conducteurs de voiture particulière 1.4

En moyenne, les cadres des marchés financiers d’Ile-de-France perçoivent des salaires 2,2 fois supérieurs à la moyenne des régions de province. Je vous laisse découvrir la liste, avec en vingtième position le métier de « conducteurs de voiture particulière ». Michel et moi avons du mal à voir dans ces sur-rémunérations le jeu des mécanismes décrits par l’économie géographique, mais peut-être les « conducteurs de voiture particulière » échangent-ils à l’occasion des connaissances tacites décisives pour leurs performances… sans compter les échanges tacites très profitables des « Chefs de grande entreprise de 500 salariés et plus » qui seraient de surcroît patrons des groupes du CAC40 … A moins que certaines fonctions professionnelles fortement rémunérées soient concentrées dans la région parisienne pour des raisons historiques : activités financières (plus de 6 fois plus de « Cadres des marchés financiers » en Île de France que dans le reste du pays) ; sièges et donc chefs de très grands groupes industriels ; artistes de renom ; etc.

Le document que nous avons lu présente les mêmes défauts que beaucoup d’autres du même genre : les auteurs confondent des effets de composition avec l’effet substantiel d’une variable qu’ils veulent mettre en avant et qui serait la population de la ville. Ils ont pensé contrôler ces effets de composition en intégrant dans leurs modèles les « Professions et Catégories Socioprofessionnelles des Emplois Salariés d’Entreprise » en 29 postes. Notre petit exercice utilise la version beaucoup plus précise de la même nomenclature en 412 postes, qui fait disparaître une grande partie de ces effets. Comme d’autres, ce document associe une théorie socio-économique présentée en partie sous la forme d’équations économétriques et des analyses statistiques dont les résultats peuvent s’interpréter d’une toute autre façon. Il serait temps de laisser de côté, au moins pour un temps, les batteries d’hypothèses des modèles économétriques, tenues pour vraies mais jamais vérifiées sur le terrain, pour analyser en détail les données pour ce qu’elles sont, en cherchant simplement à comprendre ce qu’elles révèlent sur les activités économiques et leur organisation spatiale…