Colloque “Dynamiques de proximité”

Dans de nombreux colloques, notamment en France, la date limite de soumission des propositions de communication est
finalement décalée d’une quizaine de jours. Sachant cela, de nombreux chercheurs attendent que soit annoncée la nouvelle date avant de transmettre leur proposition. C’est pourquoi j’ai le plaisir
de vous communiquer la nouvelle date limite pour les sixièmes journées de la proximité : le vendredi 27 mars 2009. Toutes les informations utiles sont sur le site http://proximite.conference.univ-poitiers.fr.

PS : il n’y aura pas de nouvelle nouvelle date!

Jeu concours pour les économistes/sociologues blogueurs

Joli cas à traiter : Peter Ilic,
propriétaire de 6 restaurants à Londres, a proposé aux clients, dans l’un d’entre eux, Little Bay, de payer ce qu’ils voulaient.

On devine bien le pari du restaurateur : même si les clients ne payent pas, je me fais un énorme coup de pub. Le manque à gagner est donc le prix de la publicité. Et le coup de pub a été
gigantesque, avec des reportages un peu partout sur la planète.

De plus, surprise, rares ont été les clients ne donnant rien, ils ont déboursé autant, voire légèrement plus, qu’en temps normal…

On appréciera enfin les raisons pour lesquelles le restaurateur a décidé d’arrêter : “Parce que je ne peux pas être tout le temps ici à contrôler que les serveurs n’encaissent pas l’argent pour
leur compte”. Belle petite illustration d’un problème d’agence.

Bon, mais c’est le deuxième point qui m’interpelle et pour lequel je lance un appel aux économistes ou sociologues blogueurs, et à tout ceux qui voudront bien répondre : comment expliquer que
les clients laissent de l’argent? 
Allez, les éconoclastes, ecopublix, mafeco, Etienne, Gizmo et tous les autres, je compte sur vous!

PS : récompense toute trouvée pour l’explication la plus convaincante : un repas au Little Bay, c’est moi qui paye!

L’innovation en Poitou-Charentes

J’ai été sollicité pour participer à une table ronde « l’innovation, un remède à la crise ? » dans le cadre de la visite de Danuta Hübner, Commissaire Européen en charge de la politique régionale. Je suis intervenu une dizaine de minutes pour faire un petit diagnostic en Poitou-Charentes, identifier les forces et faiblesses de la région, les menaces et opportunités. Voici quelques uns des éléments présentés.

Idée 1 : Poitou-Charentes, une petite région d’innovation

Pour situer la Région Poitou-Charentes, on peut d’abord s’interroger sur son poids en matière d’innovation. Pour cela, j’ai simplement divisé le poids de la région pour différents indicateurs par le poids de la région en termes d’habitants (2,8% de la France métropolitaine). Un indice de 100 pour l’indicateur x signifie que le poids de la région pour cet indicateur est le même que le poids de la région en termes d’habitants. Un indice inférieur à 100 signifie que la région pèse moins pour cet indicateur qu’en termes d’habitants, etc.

Les indicateurs recensés sont d’abord quelques indicateurs généraux de cadrage (population, PIB, emploi), puis des indicateurs d’innovation, divisés en deux catégories :

* les inputs de l’activité d’innovation ou plus précisément, en fait, de l’activité de recherche, pour laquelle on dispose de données fiables : dépenses de R&D civile, décomposée en R&D publique et R&D privée ; nombre de chercheurs équivalent temps plein, également décomposé en chercheurs publics et privés

* les outputs de l’activité de recherche : demandes de brevets déposés auprès de l’office européen ; publications scientifiques ; nombre de contrats Cifre (contrat permettant de financer une thèse, qui lie une entreprise (qui accueille le doctorant) et un laboratoire).

Résultats :

Population 100
population active 96
PIB 82
DIRD 29
DIRD des Administrations 39
DIRD des entreprises 25
Chercheurs 32
chercheurs  secteur public 46
chercheurs secteur privé 21
publications scientifiques 50
brevets européens 43
Contrats Cifre 36

Par construction, l’indice pour la population est de 100 [(2,8%/2,8%)*100]. Il est proche pour la population active, inférieur pour le PIB (Poitou-Charentes pèse 2,3% du PIB français contre 2,8% des habitants) et, surtout, nettement inférieur pour tous les indicateurs d’innovation, leur valeur oscillant entre 25 pour les dépenses de R&D des entreprises à 50 pour les publications scientifiques. Poitou-Charentes est donc une petite région en matière d’innovation.

On notera cependant que les indicateurs sont plus élevés côté recherche publique que côté recherche privée. Ce qui s’explique largement par les caractéristiques du tissu productif de la région : surreprésentation de PME, de sous-traitants et de secteurs de faible technologie, sous-représentation de secteurs de haute technologie. Poitou-Charentes est donc une petite région pour la recherche publique, et une toute petite région pour la recherche privée.

Idée 2 : petite, mais costaude

So what, me direz-vous ? Les petits calculs ci-dessus ne sont au final que des indicateurs de taille. Les exercices de benchmarking en matière d’innovation se limitent souvent à cela, mais sauf à supposer que big is beautiful (j’y reviens plus loin), on peut préférer construire des indicateurs de performance.

On peut par exemple rapporter le poids de la région côté output de la recherche au poids de la région côté input, pour disposer d’indicateurs de productivité apparente de la recherche. Un indicateur supérieur à 100 indique une productivité apparente supérieure à la moyenne.

Résultats :

publications/chercheurs 156
publications/dird 175
brevets/chercheurs 133
brevets/dird 150
cifre/chercheurs 111
cifre/dird 125

Résultats plutôt flatteurs, puisque tous les indicateurs sont supérieurs à 100. Ne pas croire cependant, sur la base de ces seuls résultats, que le climat picto-charentais rend les chercheurs excellents (quoique …). Les résultats peuvent s’expliquer notamment par des effets de spécialisation (présence de domaines scientifiques qui ont une propension à publier, breveter, contracter plus forte).

Idée 3 : mazette ! Il existe des relations entre universités et entreprises ?!

Petit complément sur les relations science-industrie, dont on nous dit le plus souvent qu’elles sont insuffisantes, qu’il faudrait les développer, en favorisant notamment les relations locales. Difficile avec les chiffres dont on dispose de dire si elles sont suffisantes ou insuffisantes, on peut dire en tous cas qu’elles existent.

Pour preuve d’abord le nombre de contrats entre laboratoires de l’Université de Poitiers et entreprises (nous avons travaillé sur ce point avec la cellule de valorisation de la recherche de l’Université de Poitiers, je remercie en passant Pierre de Ramefort pour son aide !). Sur 2004-2007, 941 contrats ont été signés, dont 559 avec des entreprises privées, soit 59% de l’ensemble des contrats (autour de 140 par an). Sur ces contrats entreprises, 51% sont avec des entreprises de l’Ile de France, 15% sont intra-régionaux, 8% avec des entreprises des Pays de la Loire, 7% avec des entreprises de Midi-Pyrénées.

Autre source, les contrats Cifre (c’est cette fois l’ANRT et Nadine Massard que je remercie pour ces données, sur lesquelles nous commençons à travailler). Sur 1981-2006, l’ANRT en recense 14294. Poitou-Charentes est impliquée dans 293 d’entre eux, soit 1% de l’ensemble (la région peut être impliquée côté laboratoire ou côté entreprise, il faut donc diviser 293 par 14294*2). Côté laboratoires, la Région pèse 1,5% de l’ensemble (soit un indice tel que calculé dans le premier point de 54) ; côté entreprises, elle pèse 0,9% (indice de 32). Les relations tissées par les laboratoires picto-charentais le sont majoritairement avec des entreprises d’Ile de France (49%), des entreprises de la région (25%), puis de Rhône-Alpes (6%).

Idée 4 : une menace principale, les effets de mode

Quelques problèmes importants, liés à la diffusion d’idées à la mode.

i) on est trop à la recherche d’un prétendu modèle optimal (la Silicon Valley, bien sûr ! base incontournable du modèle des clusters), on ne réfléchit pas suffisamment aux spécificités des territoires avant de lancer des politiques de soutien à l’innovation. Or, Poitou-Charentes est une région très spécifique, qui appelle donc des politiques également spécifiques.

ii) nombre de politiques considèrent que l’agglomération est nécessaire à l’innovation, et préconisent donc l’émergence de pôles de taille importante, ainsi que la concentration spatiale de la recherche. Les études disponibles devraient pourtant relativiser ce discours. Il y a sans doute une taille minimale à respecter, mais des territoires de taille moyenne peuvent tout à fait être performants en matière d’innovation, on l’a vu avec la productivité apparente de la recherche en Poitou-Charentes.

iii) on préconise également le rapprochement des entreprises et des laboratoires de chaque région. Or si pour certaines régions c’est pertinent, ça ne l’est pas pour Poitou-Charentes : les compétences des deux parties prenantes sont faiblement complémentaires. Une stratégie réseau serait plus efficace. Or, pour prendre l’exemple des pôles de compétitivité, elle est pénalisée par le zonage R&D.

iv) pour les PME, les enjeux les plus forts sont en termes d’innovation organisationnelle, d’une part, et de diversification cohérente, d’autre part. Ce sont donc des formes particulières d’innovation qui doivent être intégrées dans la réflexion et soutenues par les politiques, notamment en Poitou-Charentes, où le tissu productif est composé de nombreuses PME.

Universitaires créatifs

Des enseignants chercheurs d’une UFR d’une Université Française, opposés aux réformes actuelles, ont décidé de faire la
grève des cours jusqu’au 10 mars prochain. Cependant, pour éviter que les étudiants ne désertent l’Université, ils proposent d’organiser des cours “alternatifs”. En indiquant que ces cours
“alternatifs” pouvaient très bien correspondre aux cours initialement supprimés…

Réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche : l’exploit du gouvernement et au-delà

Michel Grossetti, Sociologue et Directeur
de Recherches au CNRS, avec qui je travaille de temps en temps (pas assez souvent à mon goût car je trouve nos échanges passionnants!),
m’a transmis ce texte sur les réformes en cours. Commentaires bienvenus.


L’exploit
Le gouvernement actuel vient de réaliser l’authentique exploit de provoquer une grève des enseignants-chercheurs en l’absence de tout mouvement étudiant, ce qui ne s’était pas vu depuis très
longtemps. Il a fallu pour cela une combinaison de facteurs favorables. Il y a eu tout d’abord une réforme mal conçue, élaborée dans la précipitation, votée à toute allure, et imposée aux
professionnels de l’enseignement et de la recherche sans concertation suffisante. Ce facteur n’aurait pas suffi à lui seul. En effet, bien que mal construite, la réforme a été conduite avec
habileté par une ministre qui a su donner à beaucoup de ses interlocuteurs le sentiment qu’elle s’intéressait vraiment à leur métier et qu’elle pouvait les écouter. Elle a ainsi réussi à faire
avancer ce projet sans trop de mal jusqu’au moment de la réalisation concrète de l’un de ses éléments clé, la réforme du statut des enseignants-chercheurs. Trois facteurs favorables sont alors
intervenus de façon concomitante pour concourir à l’exploit gouvernemental. D’abord des arbitrages budgétaires à la fois incompréhensibles et en contradiction avec les promesses du gouvernement,
notamment en matière de renouvellement de postes dans les universités. Ensuite, un projet de décret mal préparé, sentant l’improvisation, et ouvrant de multiples possibilités d’injustice et de
dégradation des conditions de travail. Enfin, indispensable huile sur le feu, des propos très maladroits d’un président qui connaît manifestement peu la question et qui semble avoir bien mal
choisi ses conseillers dans ce domaine. Conçue pour simplifier le système français d’enseignement et de recherche et en améliorer les performances, la réforme va probablement le compliquer encore
un peu plus et aggraver le malaise des milieux professionnels concernés.


Le problème

Faut-il modifier ce système ? Pour répondre à cette question il faudrait avoir une idée claire de sa situation
actuelle, ce qui ne semble pas être toujours le cas, tant au gouvernement que parmi ceux qui s’opposent à ses projets. Commençons par la recherche. Contrairement à ce que ses conseillers ont
fait dire au président, le système fonctionne et ses performances sont très honorables. Dans un texte récent[1] un spécialiste internationalement reconnu de
l’étude des systèmes scientifiques montre que pour les sciences de la nature et de la technique, pour lesquelles on peut utiliser les bases de données recensant les revues, la recherche
française est depuis longtemps au même rang (5e) pour ce qui concerne les citations obtenues par les articles qu’elle produit, et elle a récemment été dépassée par la Chine pour le
volume brut des publications, ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour la science mondiale. Que la France soit devancée par des pays plus peuplés et ayant un niveau comparable de richesse par
habitant comme les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon est parfaitement logique. Que le Royaume Uni soit mieux placé s’explique assez bien par les particularités de la position de ce pays dans
le système d’édition scientifique (beaucoup de revues internationales sont dirigées par des britanniques) et par certaines formes de spécialisation disciplinaire (par exemple les chercheurs
français brillent particulièrement en mathématiques, discipline où on publie moins qu’en biologie ou en médecine). Pour les sciences humaines et sociales on dispose de moins d’études
systématiques mais tous les indices disponibles suggèrent que la situation est similaire. Il suffit de participer à des congrès internationaux pour vérifier que les chercheurs français y font
très bonne figure et que leurs travaux font souvent référence. Rien d’alarmant donc concernant les performances de la recherche française. Elle est à sa place logique.


Il est plus difficile d’évaluer la situation de l’enseignement supérieur. Le système des classes préparatoires et des
écoles à recrutement sélectif coûte très cher et sa partie la plus prestigieuse fait de moins en moins de place aux enfants des couches populaires ou même moyennes (si l’on fait abstraction de
quelques initiatives très récentes et encore marginales). Cela signifie que l’ensemble des contribuables finance la reproduction d’une mince élite sociale. Tout le monde est d’accord pour dire
que les universités manquent de moyens. On peut ajouter qu’elles n’utilisent pas toujours au mieux ceux dont-elles disposent, plaçant peu d’enseignants expérimentés face aux étudiants de 1ere
et 2e année qui en ont le plus besoin et dépensant beaucoup de moyens pour maintenir de très nombreuses options à maigre effectif dans les années suivantes. Mais, tant bien que mal,
le système fonctionne et il s’est révélé capable d’absorber une considérable massification des effectifs dans la période 1985-1995.


Comment faire ?

Si l’on veut réformer le système d’enseignement supérieur et de recherche, il me semble qu’il faut impérativement
respecter deux principes qui ont précisément été ignorés par le gouvernement dans sa récente tentative, avec le succès que nous constatons.


Le premier principe est de prendre en compte l’ensemble du système. Celui-ci présente des spécificités bien connues qui
le distinguent des modèles les plus fréquents dans les autres pays. Ces spécificités se sont accentuées au cours des dernières décennies durant lesquelles des pays (l’Espagne par exemple) qui
s’étaient en partie inspirés du modèle français ont choisi de s’aligner sur d’autres modèles. Rappelons succinctement ces spécificités. Là où dans la plupart des pays équivalents les
universités assument l’essentiel des tâches d’enseignement supérieur et de recherche, ce sont en France trois ensembles différents d’institutions qui se les répartissent : les universités ; les
écoles et filières à recrutement sélectif ; les organismes de recherche. Ces trois ensembles, qui forment les piliers du système, sont dépendants les uns des autres : les écoles ont besoin des
universités pour y recruter des enseignants et y trouver des laboratoires de recherche ; la recherche universitaire s’appuie fortement sur les unités mixtes de recherche avec le CNRS ou
d’autres organismes sans lesquels elle aurait du mal à fonctionner ; les organismes de recherche ont besoin des écoles et des universités pour recruter des doctorants ; etc. Réformer l’un des
éléments (les universités par exemple) sans prendre les autres en considération, au mieux ne sert à rien, au pire ne fait que compliquer encore le système. Que veut-on ? Conserver ce système à
trois piliers, quitte à l’améliorer sur certains points ? Ajouter un quatrième type d’institution (les agences de moyens comme l’ANR) ? Se rapprocher des modèles les plus répandus dans d’autres
pays en engageant la convergence de 2 ou de l’ensemble des 3 piliers ? Plusieurs solutions sont possibles, aucune ne s’impose comme la voie évidente à suivre.


Cela conduit au second principe : ne pas se précipiter en cherchant à faire passer en force des décisions prises dans
les allées du pouvoir central. On ne réforme pas un système aussi complexe à la va vite. Il faut prendre le temps, faire remonter des professionnels de l’enseignement supérieur et de recherche
des constats et des propositions. Organiser une vraie consultation démocratique, des assises locales, nationales. Bien sûr ce sera long. Bien sûr certains demanderont d’avoir plus de moyens,
d’autres ne voudront rien changer, ou même revenir à des situations antérieures. Ce sera un cauchemar de technocrate et de ministre pressé, les yeux rivés sur la prochaine échéance électorale.
Mais c’est le seul moyen pour faire évoluer efficacement ce système, dont tout le monde dit qu’il est vital pour le pays.


[1] Yves Gingras, 2008, « La fièvre de l’évaluation de la recherche. Du mauvais usage de faux indicateurs », note de recherche, CIRTS-2008-05.
(http://www.cirst.uqam.ca/Portals/0/docs/note_rech/2008_05.pdf)