Réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche : l’exploit du gouvernement et au-delà

Michel Grossetti, Sociologue et Directeur
de Recherches au CNRS, avec qui je travaille de temps en temps (pas assez souvent à mon goût car je trouve nos échanges passionnants!),
m’a transmis ce texte sur les réformes en cours. Commentaires bienvenus.


L’exploit
Le gouvernement actuel vient de réaliser l’authentique exploit de provoquer une grève des enseignants-chercheurs en l’absence de tout mouvement étudiant, ce qui ne s’était pas vu depuis très
longtemps. Il a fallu pour cela une combinaison de facteurs favorables. Il y a eu tout d’abord une réforme mal conçue, élaborée dans la précipitation, votée à toute allure, et imposée aux
professionnels de l’enseignement et de la recherche sans concertation suffisante. Ce facteur n’aurait pas suffi à lui seul. En effet, bien que mal construite, la réforme a été conduite avec
habileté par une ministre qui a su donner à beaucoup de ses interlocuteurs le sentiment qu’elle s’intéressait vraiment à leur métier et qu’elle pouvait les écouter. Elle a ainsi réussi à faire
avancer ce projet sans trop de mal jusqu’au moment de la réalisation concrète de l’un de ses éléments clé, la réforme du statut des enseignants-chercheurs. Trois facteurs favorables sont alors
intervenus de façon concomitante pour concourir à l’exploit gouvernemental. D’abord des arbitrages budgétaires à la fois incompréhensibles et en contradiction avec les promesses du gouvernement,
notamment en matière de renouvellement de postes dans les universités. Ensuite, un projet de décret mal préparé, sentant l’improvisation, et ouvrant de multiples possibilités d’injustice et de
dégradation des conditions de travail. Enfin, indispensable huile sur le feu, des propos très maladroits d’un président qui connaît manifestement peu la question et qui semble avoir bien mal
choisi ses conseillers dans ce domaine. Conçue pour simplifier le système français d’enseignement et de recherche et en améliorer les performances, la réforme va probablement le compliquer encore
un peu plus et aggraver le malaise des milieux professionnels concernés.


Le problème

Faut-il modifier ce système ? Pour répondre à cette question il faudrait avoir une idée claire de sa situation
actuelle, ce qui ne semble pas être toujours le cas, tant au gouvernement que parmi ceux qui s’opposent à ses projets. Commençons par la recherche. Contrairement à ce que ses conseillers ont
fait dire au président, le système fonctionne et ses performances sont très honorables. Dans un texte récent[1] un spécialiste internationalement reconnu de
l’étude des systèmes scientifiques montre que pour les sciences de la nature et de la technique, pour lesquelles on peut utiliser les bases de données recensant les revues, la recherche
française est depuis longtemps au même rang (5e) pour ce qui concerne les citations obtenues par les articles qu’elle produit, et elle a récemment été dépassée par la Chine pour le
volume brut des publications, ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour la science mondiale. Que la France soit devancée par des pays plus peuplés et ayant un niveau comparable de richesse par
habitant comme les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon est parfaitement logique. Que le Royaume Uni soit mieux placé s’explique assez bien par les particularités de la position de ce pays dans
le système d’édition scientifique (beaucoup de revues internationales sont dirigées par des britanniques) et par certaines formes de spécialisation disciplinaire (par exemple les chercheurs
français brillent particulièrement en mathématiques, discipline où on publie moins qu’en biologie ou en médecine). Pour les sciences humaines et sociales on dispose de moins d’études
systématiques mais tous les indices disponibles suggèrent que la situation est similaire. Il suffit de participer à des congrès internationaux pour vérifier que les chercheurs français y font
très bonne figure et que leurs travaux font souvent référence. Rien d’alarmant donc concernant les performances de la recherche française. Elle est à sa place logique.


Il est plus difficile d’évaluer la situation de l’enseignement supérieur. Le système des classes préparatoires et des
écoles à recrutement sélectif coûte très cher et sa partie la plus prestigieuse fait de moins en moins de place aux enfants des couches populaires ou même moyennes (si l’on fait abstraction de
quelques initiatives très récentes et encore marginales). Cela signifie que l’ensemble des contribuables finance la reproduction d’une mince élite sociale. Tout le monde est d’accord pour dire
que les universités manquent de moyens. On peut ajouter qu’elles n’utilisent pas toujours au mieux ceux dont-elles disposent, plaçant peu d’enseignants expérimentés face aux étudiants de 1ere
et 2e année qui en ont le plus besoin et dépensant beaucoup de moyens pour maintenir de très nombreuses options à maigre effectif dans les années suivantes. Mais, tant bien que mal,
le système fonctionne et il s’est révélé capable d’absorber une considérable massification des effectifs dans la période 1985-1995.


Comment faire ?

Si l’on veut réformer le système d’enseignement supérieur et de recherche, il me semble qu’il faut impérativement
respecter deux principes qui ont précisément été ignorés par le gouvernement dans sa récente tentative, avec le succès que nous constatons.


Le premier principe est de prendre en compte l’ensemble du système. Celui-ci présente des spécificités bien connues qui
le distinguent des modèles les plus fréquents dans les autres pays. Ces spécificités se sont accentuées au cours des dernières décennies durant lesquelles des pays (l’Espagne par exemple) qui
s’étaient en partie inspirés du modèle français ont choisi de s’aligner sur d’autres modèles. Rappelons succinctement ces spécificités. Là où dans la plupart des pays équivalents les
universités assument l’essentiel des tâches d’enseignement supérieur et de recherche, ce sont en France trois ensembles différents d’institutions qui se les répartissent : les universités ; les
écoles et filières à recrutement sélectif ; les organismes de recherche. Ces trois ensembles, qui forment les piliers du système, sont dépendants les uns des autres : les écoles ont besoin des
universités pour y recruter des enseignants et y trouver des laboratoires de recherche ; la recherche universitaire s’appuie fortement sur les unités mixtes de recherche avec le CNRS ou
d’autres organismes sans lesquels elle aurait du mal à fonctionner ; les organismes de recherche ont besoin des écoles et des universités pour recruter des doctorants ; etc. Réformer l’un des
éléments (les universités par exemple) sans prendre les autres en considération, au mieux ne sert à rien, au pire ne fait que compliquer encore le système. Que veut-on ? Conserver ce système à
trois piliers, quitte à l’améliorer sur certains points ? Ajouter un quatrième type d’institution (les agences de moyens comme l’ANR) ? Se rapprocher des modèles les plus répandus dans d’autres
pays en engageant la convergence de 2 ou de l’ensemble des 3 piliers ? Plusieurs solutions sont possibles, aucune ne s’impose comme la voie évidente à suivre.


Cela conduit au second principe : ne pas se précipiter en cherchant à faire passer en force des décisions prises dans
les allées du pouvoir central. On ne réforme pas un système aussi complexe à la va vite. Il faut prendre le temps, faire remonter des professionnels de l’enseignement supérieur et de recherche
des constats et des propositions. Organiser une vraie consultation démocratique, des assises locales, nationales. Bien sûr ce sera long. Bien sûr certains demanderont d’avoir plus de moyens,
d’autres ne voudront rien changer, ou même revenir à des situations antérieures. Ce sera un cauchemar de technocrate et de ministre pressé, les yeux rivés sur la prochaine échéance électorale.
Mais c’est le seul moyen pour faire évoluer efficacement ce système, dont tout le monde dit qu’il est vital pour le pays.


[1] Yves Gingras, 2008, « La fièvre de l’évaluation de la recherche. Du mauvais usage de faux indicateurs », note de recherche, CIRTS-2008-05.
(http://www.cirst.uqam.ca/Portals/0/docs/note_rech/2008_05.pdf)

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