Le Renard et le Hérisson

[La première partie de ce billet reprend très largement un article de John Kay]

 Vous le savez sans doute, les prévisions des experts, notamment économiques se révèlent souvent fausses. Si vous ne le saviez pas, Philip Tetlock le montre clairement dans son dernier ouvrage Expert Political Judgment. Mais il fait plus que cela : il explique pourquoi.

 En fait, dit-il, les experts consultés sont souvent de mauvais experts. Mieux encore : plus ils sont mauvais, plus il sont consultés. Plutôt politiquement incorrect, me direz-vous, mais la démonstration est assez convaincante.

Il effectue d’abord des tests psychologiques pour déterminer deux catégories d’individus : les Hérissons et les Renards.  Si vous êtes plutôt d’accord avec cela : « c’est pénible d’entendre des gens ne pas parvenir à se faire une opinion » et « l’erreur la plus fréquente en matière de décision consiste à abandonner trop vite une bonne idée », vous êtes un Hérisson. Si au contraire, vous êtes plutôt du genre « dans la plupart des conflits, j’arrive à voir dans quelle mesure les deux parties ont raison » et « je préfère interagir avec des personnes ayant des idées très différentes des miennes » ; vous êtes plutôt Renard.

 Autrement dit, en forçant à peine le trait, le Hérisson se caractérise par le fait qu’il a une et une seule règle de décision en tête, qu’il voit tout ce qui valide sa règle et dispose d’explications toutes prêtes en cas de défaillance de sa règle. Pendant ce temps le Renard collecte de l’information de différentes sources, révise son jugement en fonction de ces informations et envisage un large ensemble des possibles.

 Bien, quid des prédictions de nos deux animaux ? Et bien, figurez-vous que les prédictions du Renard sont meilleures que celles du Hérisson… mais que les caractéristiques du Hérisson sont exactement celles que recherchent les leaders de tous horizons. Ce que John Kay, dans un billet pour le Financial Times sur l’ouvrage de Tetlock, explique ainsi :

But these hedgehog characteristics are exactly those that politicians, journalists and business leaders demand of advisers and commentators. Harry Truman famously sought a one-armed economist, who would never say: On the one hand, then on the other. Broadcast media look for snappy soundbites. Corporate executives demand the "elevator pitch" for new ideas. Fund managers want specific forecasts. Business audiences do not want to hear that the world is a complex and uncertain place. But, unfortunately, it is.

 Et de citer le hérisson politique, qui envahit l’Irak, le hérisson des affaires, qui délocalise en Chine, le hérisson financier, qui investit dans la nouvelle économie, etc.

 

Bon, inutile de dire qu’en France, les hérissons sont légion. Je n’évoquerai qu’un exemple récent: le problème des méthodes d’apprentissage de la lecture…

 Grave problème pour l’éducation nationale : les difficultés de lecture des jeunes entrant en sixième (15 à 20% des élèves auraient des difficultés pour lire et écrire selon le ministère). Hérisson-de Robien a trouvé sa règle de décision : les difficultés de lecture résulte de la méthode d’apprentissage en vigueur dans les écoles, à savoir la méthode globale. D’où la proposition du Hérisson

« je veux qu’on abandonne partout où elle existe encore la méthode globale ou assimilée et qu’on revienne au début de l’apprentissage de la lecture à la méthode phonique ou syllabique, le b-a-ba. » (source ici).

Question du journaliste du Figaro : « Beaucoup d’enseignants disent que ce débat est dépassé car la méthode globale ne serait plus appliquée. »

Réponse du Hérisson, qui, je vous le rappelle, dispose d’explications toutes prêtes en cas de défaillance de sa règle :

C’est une posture idéologique. Je leur rappelle qu’ils sont fonctionnaires de l’Etat. Je les invite à prendre connaissance des modifications des programmes de la République. On ne peut plus admettre que 15 à 20% des écoliers arrivent au collège sans savoir bien lire et écrire. J’ai demandé que les professeurs réapprennent les lettres aux enfants puis les syllabes puis les mots et enfin la phrase et le sens. C’est la meilleure méthode, selon les scientifiques que j’ai consultés. J’assurerai personnellement le suivi de cette réforme, je vérifierai que mes instructions sont appliquées. J’ai donné des consignes aux inspecteurs d’académie et aux recteurs.

 Et attention à ne pas s’opposer : Roland Goignoux, professeur d’IUFM, n’a pas été reconduit comme enseignant à l’Ecole supérieure de l’Education Nationale pour … avoir écrit un livre. Motif invoqué par le directeur de cette école :

« à la lecture de son dernier ouvrage, j’ai estimé que certains passages allaient à l’encontre des propos du ministre de l’Education ». (lu dans la Nouvelle République du Centre Ouest, 27 septembre 2006, p. V).

 Pour vous faire une idée de la dangerosité de cet individu, je vous invite à consulter ce site. Extraits :

Aucune étude de neurosciences n’a porté, à ma connaissance, sur le rapport entre les pratiques pédagogiques des maîtres de cours préparatoire et le fonctionnement du cerveau. Il y a, entre ces deux questions, un nombre considérable de niveaux d’analyse qui sont loin d’être maîtrisés et encore moins d’être modélisés simultanément !

(…)

Est-ce que pour autant les résultats des sciences cognitives permettent de conclure à la supériorité de telle ou telle méthode ? Non, bien sûr, et je partage sur ce point l’avis de Franck Ramus lorsqu’il affirme dans Le Figaro : « À l’heure actuelle, les recherches en neurosciences ne sont pas assez avancées pour valider ou invalider telle ou telle pratique ». Tout au plus, me semble-t-il, permettent-elles d’indiquer les composantes de la lecture que la pédagogie n’a pas le droit de négliger si elle ne veut pas prendre le risque de pénaliser les élèves. C’est plus modeste mais plus rigoureux.

(…)

Si aucune étude comparative des méthodes de lecture en pays francophones n’a permis d’établir la supériorité de l’une par rapport à l’autre, ce n’est pas parce que toutes les pratiques se valent mais parce que la variable « méthode », trop grossière et mal définie, n’est pas une variable pertinente pour une telle recherche. Pour comprendre ce qui différencie véritablement les choix pédagogiques opérés par les maîtres et pour évaluer leurs effets sur les apprentissages des élèves, il est nécessaire de substituer à cette approche en termes de « méthode » une analyse reposant sur l’examen simultané de nombreux indicateurs. Et de ne pas se contenter des déclarations des enseignants mais d’observer le détail de leurs pratiques effectives.  Pourquoi ne proposerions-nous pas ensemble au ministre de conduire une telle recherche ?

 Roland Goignoux a un côté Renard, forcément déplaisant pour notre Ministre-Hérisson…

Quant à la proposition de Goignoux de conduire une recherche sur ce thème, on peut anticiper la réponse : à quoi bon une nouvelle étude ? Après tout, comme l’a affirmé notre Premier Ministre sur un autre sujet, « une étude ne fait pas le printemps, pas plus qu’une hirondelle »… (source). Beau réflexe de Hérisson…

Complément de dernière minute : Le World Economic Forum a publié son nouveau classement des pays. La France est au 18ème rang. Chute de 6 places. Problème évoqué, entre autres : "la France souffre d’un manque d’efficacité et de flexibilité" sur le marché du travail (voir ici ce que je dis de la confusion flexibilité des entreprises – flexibilité du marché du travail). Econoclaste se désespère de ce genre de classement. Je partage son sentiment et ses remarques. Voir ce que je disais du classement Banque Mondiale dans un précédent billet. A noter que le classement du WEF s’appuie pour une part importante sur une enquête à dire d’experts. 11 000 "business leaders" interrogés dans 125 pays. Soit une moyenne de 88 experts par pays. J’aimerais bien avoir la liste des leaders français. En tout cas, ça nous fait un sacré troupeau de hérissons…

Made in Quality

Idée reçue souvent abordée sur mon blog : la désindustrialisation des pays développés, au profit des PECO ou des pays d’Asie, notamment la Chine.

L’enquête annuelle d’IBM sur les investissements industriels permet une fois de plus de balayer cette idée : en 2005, l’Europe a attiré 39% des investissements directs d’entreprises multinationales, contre 31% pour l’Asie. Ces projets d’investissements concernent trois types d’activité : la Recherche et Développement, les services aux entreprises (centres d’appels, centres de services partagés) et la production industrielle (usines, infrastructures, bâtiments et matériel). (informations vu ici).

L’Usine Nouvelle n°3023 du 21 septembre 2006 précise les résultats sur l’Europe : la France arrive en tête avec 21% de l’ensemble (253 implantations), suivie de la Pologne avec 12%, le Royaume-Uni 11%, la République Tchèque 7% et la Russie 6%. 

Bref, rien de nouveau sous le soleil (voir ici ) : la France reste très attractive. 

Soulignons cependant le commentaire du journaliste de l’Usine Nouvelle : « Malgré un coût du travail élevé, la France reste le pays européen préféré des investisseurs étrangers dans l’industrie ». Manifestement, la rationalité des décisions d’implantation lui échappe…à moins que ce ne soit du second degré, et qu’il souligne avec cette formule que le coût du travail n’est pas le déterminant premier. J’en doute.

Pourtant, pour mieux comprendre la rationalité des décisions des entreprises, il lui suffisait de lire le dossier publié dans… l’Usine Nouvelle, même numéro, même date, sur la « qualité sacrifiée ».

Explications :

 En 2001, 76 produits non alimentaires ont été rappelés dans l’UE, en 2005 : 701. Dernier exemple en date : les batteries d’ordinateurs Dell et Apple fabriquées par Sony, d’où un rappatriement respectivement de 4,1 millions (Dell) et de 1,8 millions d’ordinateurs (Apple). Pour les produits alimentaires, 133 rappels en 2000, 956 en 2005.

Pourquoi cette explosion des chiffres ?

Une partie de l’explication tient à l’accroissement des contrôles, au durcissement de la règlementation, à la pression des populations, etc. Mais ce n’est qu’une partie de l’explication.

Une autre partie tient aux choix productifs des entreprises : dans les industries d’assemblage, les entreprises peuvent décomposer la fabrication du bien en différents composants, les faire fabriquer par des sous-traitants, puis les assembler à l’étape finale. Afin de disposer de composants au moindre coût, certaines entreprises ont opté pour un « sourcing » lointain, notamment en Chine, bien sûr. Plusieurs avantages : i) le faible coût de la main d’œuvre, certes ; ii) les possibilités d’économies d’échelle : les sous-traitants agrègent les différentes demandes du marché et bénéficient de rendements croissants, le coût de production unitaire diminue donc ; iii) le report de l’incertitude sur les sous-traitants : en cas de mauvaise anticipation de la demande, le donneur d’ordre réduit les commandes aux sous-traitants, à charge pour ce dernier de s’adapter.

Sauf que, dans leurs petits calculs, les entreprises oublient de comptabiliser l’ensemble des coûts, notamment des coûts liés à la baisse de qualité :

« en 2005, près de 50% des produits qui présentaient un risque sérieux pour les consommateurs étaient importés de pays situés hors de l’Union Européenne » (Markos Kyprianou, commissaire européen, propos repris dans l’Usine Nouvelle, p. 14).

Or, la Chine concentre 44% des produits défectueux…Le responsable d’une entreprise basée à Hong-Kong ajoute :

« Dans la téléphonie mobile, les Européens réalisent des audits dans leurs usines sous-traitantes chinoises. Après leur départ, la qualité s’effondre. Dans ce pays, les salaires augmentent, le turn-over est immense, la main d’œuvre n’est pas qualifiée et son efficacité minimum si elle n’est pas encadrée » (idem, p. 14).

Bon, je ne prend pas pour argent comptant les propos de ce responsable de PME ; où plutôt je ne généraliserais pas comme il le fait (« dans ce pays »), mais il est clair qu’à côté des coûts de production, les entreprises oublient souvent de comptabiliser ce que l’on appelle des coûts de coordination/de transaction. Cet oubli explique les problèmes qualité évoqués. Il explique aussi en partie le fait qu’une part non négligeable des IDE effectués en Chine (ce n’est pas le seul pays concerné) se soldent par un échec (j’ai vu traîner un chiffre de 1/3 dans une étude Ernst & Young (je crois), je n’arrive plus à mettre la main dessus, si quelqu’un a ça sous le coude…).

Et, à l’inverse, lorsqu’elles intègrent l’ensemble des coûts (coûts de production + coûts de transaction), elles aboutissent parfois à la conclusion qu’une localisation dans les pays développés est préférable à une localisation dans les pays en voie de développement … malgré un coût du travail élevé…

Dernier point, tout à fait essentiel, les positions des différents pays évoluent : les différentiels de salaires ont tendance à se réduire, car les gains de productivité dans les pays en développement se traduisent par des augmentations de salaires conséquentes (variables selon les pays, en fonction notamment des rapports de force entre les collectifs d’acteurs). Leur avantage initial a donc tendance à se réduire. A l’inverse, ces pays améliorent la qualité des biens fabriqués, cherchent à monter en gamme, s’engagent aussi dans des logiques d’innovation, etc (voir à ce sujet cet article sur le cas Japon/Asie). Toujours est-il que pour comprendre les choix effectifs de localisation, c’est l’ensemble de ces facteurs (et leur dynamique) qu’il faut prendre en compte, non pas seulement l’un d’entre eux. En se demandant à chaque fois comment on peut améliorer le positionnement des entreprises sur l’une ou l’autre de ces dimensions.

TGV et développement économique

22 septembre 2006, on fête les 25 ans de la mise en service de la première ligne TGV reliant Paris et Lyon. Tout le monde se félicite de cette innovation, qui a considérablement réduit les distances entre les différents points de l’hexagone. Sur France Inter, le journaliste a indiqué, reprenant les propos d’un politique (je crois, j’ai «raté » le nom de la personne), que le TGV avait été « le meilleur outil de décentralisation »

 

En gros, l’idée est la suivante : la mise en place du TGV réduit considérablement les distances entre les différents points du territoire, donc les temps et coûts de transport, si bien que des territoires « isolés » peuvent maintenant entrer dans l’arène concurrentielle et assurer mieux que par le passé leur développement économique ; ils ne seraient plus victimes de leur éloignement. Cette idée simple est en fait particulièrement fausse, et ce pour plusieurs raisons.

 

Première raison, le déploiement du TGV ne s’est pas fait au hasard : il a d’abord conduit à réduire les distances entre les agglomérations les plus développées (à commencer par Paris-Lyon, bien sûr), ce qui renforce leur attractivité. Son déploiement se caractérise également par la place stratégique de Paris, nœud incontournable du réseau ferroviaire français : pour prendre mon petit exemple, mes déplacements Poitiers-Lyon, Poitiers-Marseille ou Poitiers-Grenoble me font systématiquement passer par la capitale. Au total, 80% des liaisons TGV passent par Paris.

 

Deuxième raison, le déploiement du TGV a conduit à une réduction importante des gares desservies (même si le nombre de gares TGV augmente). Si les grandes agglomérations continuent à être bien irriguées, des agglomérations de taille moyenne ont été mises à l’écart. D’autres territoires ne font qu’être traversés. Ceci se traduit par des effets tunnels, favorables une fois encore aux territoires déjà les plus développés.

 

Troisième raison : dans tout un ensemble de cas, c’est moins la distance ou le temps absolus de transport, mais la distance ou le temps relatifs. Prenons l’exemple de trois villes : Paris, Poitiers et Loudun (petite ville située en gros à une heure de Poitiers par la route). Avant TGV, la distance-temps Poitiers-Paris est disons de 3 heures. La distance Poitiers-Loudun est de 1 heure. Dans le parcours Loudun-Paris, le temps de transport Loudun-Poitiers pèse donc 25% du temps total. Après mise en place du TGV, la distance-temps Paris-Poitiers passe à 1h30. Le segment Loudun-Poitiers pèse donc maintenant 40% du temps total. Le temps de ce trajet résiduel pèse tant qu’il peut conduire à une révision des choix de localisation des acteurs, au profit de Poitiers, et au détriment de Loudun.

 

Cette structuration spécifique de l’espace français se retrouve dans la carte suivante, qui présente l’éloignement des villes par le réseau ferroviaire en durée, après mise en service du TGV méditerrannée.


 

Certes, la carte de France s’est rétrécie, mais certaines agglomérations ont bénéficié plus que d’autres de ce rétrécissement.

 

Quatrième raison, la plus importante : de manière générale, la réduction des coûts/temps de transport ne réduit pas, mais au contraire renforce la tendance à l’agglomération. Pour le comprendre, on peut s’appuyer sur des analyses déjà anciennes de l’économie spatiale, reprises et dévéloppées plus récemment par l’économie géographique, notamment son chef de file, Paul Krugman. L’idée est simple mais puissante : les choix de localisation des activités dépendent de la comparaison des forces de dispersion (forces centrifuges), d’une part, et des forces d’agglomération (forces centripètes), d’autre part. Quand les forces de dispersion diminuent et que, dans le même temps, les forces d’agglomération augmentent, on assiste logique à un accroissement de la polarisation de l’activité économique. Or, les coûts de transport sont des forces de dispersion, si bien que leur réduction renforce la polarisation.

 

Petit exemple pour le comprendre : considérons une entreprise localisée en Ile de France, et une entreprise concurrente localisée en Poitou-Charentes. La première fabrique 100 unités du bien, la seconde 10 unités (le marché local desservie par la première est plus grand). Dès lors que l’activité productive est à rendements croissants, le coût unitaire de production de la première entreprise sera plus faible que celui de la deuxième. Disons 1€ pour la première entreprise, contre 1,2€ pour la deuxième. Supposons maintenant que le coût unitaire de transport entre Paris et Poitiers soit de 0,3€. Dans cette configuration, l’entreprise parisienne ne pourra pas vendre en Poitou-Charentes, puisque le coût total unitaire (coût de production + coût de transport) sera de 1,3€, contre 1,2€ pour l’entreprise pictave. Cette dernière est protégée par la distance, elle se trouve en situation de monopole spatial.

 

Supposons maintenant que les infrastructures et les moyens de transport se développent. Ceci conduit à une réduction du coût unitaire de transport entre Paris et Poitiers qui passe, disons, de 0,3 à 0,1€. Dès lors, l’entreprise parisienne devient compétitive, puisque son coût total unitaire passe à 1,1€ contre 1,2€ pour l’entreprise de Poitiers (ajoutons qu’au fur et à mesure qu’elle remporte des parts de marché, l’entreprise parisienne renforcera son avantage en vertu des rendements croissants). On est finalement conduit, suite à la réduction des coûts de transport, à la concentration de la totalité de l’activité en région Ile de France.

 

Tout ceci ne signifie pas qu’il faille condamner la mise en œuvre de ce type d’infrastructures. Elle a permis à certaines grandes agglomérations d’accélérer leur développement (Lyon) ou de redynamiser le territoire après des crises importantes (Lille). Il s’agit parfois d’une condition nécessaire du développement, jamais d’une condition suffisante. De plus, la réduction des coûts de transport, en permettant de bénéficier encore plus des rendements croissants, conduit à produire plus de richesses avec autant de ressources (ou autant avec moins de ressource : si l’on reprend les chiffres de l’exemple, en raisonnant à production constante de 110, on s’aperçoit que le coût total de production passe de 113 à 112 – en passant, ceci devrait faire réfléchir les partisans de la décroissance qui considèrent que produire localement, vu que ça permet de supprimer des coûts de transport, c’est toujours mieux…). Dit autrement, la richesse par habitant dans l’ensemble du pays augmente. Mais croire que la mise en place de ce type d’infrastructures permet à elle seule de faire du développement économique local est particulièrement faux.

 

A partir de ce petit exemple, on est peu éloigné, au final, de réflexions plus générales sur le caractère ambivalent de la mondialisation (cf. récemment les propos de Stiglitz) : la réduction des coûts de franchissement de la distance à l’échelle mondiale (coût de transport, barrières tarifaires et non tarifaires, …) permet de créer plus de richesses (effet favorable de la mondialisation sur la croissance), mais renforce dans le même temps les inégalités (spatiales et sociales). D’où la question des moyens de dynamiser les territoires en retrait, et celle de la redistribution (à l’échelle nationale, européenne et mondiale) des richesses créées.

 

PS : ce billet a été rédigé dans le TGV…

 

Plaque d’égoût et gauche antilibérale (complément)

J’ai posté un message sur Telos-Eu pour savoir si l’étude de Fleurbaey et Gaulier (trois modèles de bien-être) dont j’ai parlé dans mon précédent post était disponible. Marc Fleurbaey m’a indiqué qu’elle devait être disponible sur Telos-Eu mais qu’il y a eu un bug. Il me l’a transmise par mail, vous pouvez la télécharger en cliquant ici.

Plaque d’égoût et gauche antilibérale

Ce week-end, je ne suis pas allé chez le médecin. Mais je suis allé à la déchetterie. Deux fois. A deux heures d’intervalles. Et à chaque fois, j’ai écouté France Info.

La première fois, j’ai appris qu’une personne d’une trentaine d’années venait de se faire arrêter pour avoir volé dans la région de Nantes quelques tonnes de plaques d’égoûts. Plaques qu’il revendait à un ferrailleur pour quelques centaines d’euros au total (un peu plus de 800€ de mémoire). A ce moment là, le journaliste s’est fendu d’une analyse vertigineuse, en tentant de relier la petite histoire des plaques d’égoûts à la grande histoire de la mondialisation : avec la croissance chinoise, et, donc, la flambée du prix des matières premières, notamment du cuivre et de la fonte, pas étonnant d’observer ce genre de comportements. Les voleurs ont de l’imagination.

Deux heures plus tard, donc, rebelote. re-déchetterie, re-France Info. Même début mais fin différente : le même journaliste (si ce n’était lui, c’était son frère) s’est fendu du laïus suivant (je mets des guillemets, l’idée était celle-là, mais la retranscription est très approximative) : "précisons que le prix de la fonte n’a rien d’exceptionnel, il n’a pas connu la flambée que l’on a observé par exemple pour le cuivre". Ils ont dû recevoir un coup de fil indigné du ferrailleur, chez France Info.

Bon, pour le reste, c’est assez rébarbatif, France Info. Par exemple, j’ai entendu environ vingt-cinq fois le journaliste nous parler de la « gauche anti-libérale ». Bon, que Buffet, Besancenot, Bové et consorts utilisent cette expression, soit. Mais que tous les journalistes la reprennent en cœur, c’est un peu plus surprenant. Personnellement, je les qualifierais plutôt de représentants de la gauche « anti-capitaliste », ce serait plus rigoureux. Et ce n’est pas la même chose.

Car s’il est un fait saillant que de trop nombreux observateurs négligent, c’est que le capitalisme se caractérise par sa diversité (Cf. l’ouvrage d’Amable que j’ai cité à plusieurs reprises, voir aussi ce que j’en dis dans les nouvelles géographies du capitalisme). Dès lors, plutôt que de le réduire à l’une de ses formes particulières (le capitalisme libéral, qui, soit dit en passant, relève plus d’un idéal type que d’un modèle en place, j’y reviendrais si besoin), on peut s’interroger sur les formes qu’il peut prendre, et sur celles vers lesquelles on voudrait tendre.

Dans cette perspective, deux liens récents méritent d’être signalés (c’est là où je voulais en venir depuis le début du billet…) :
* le premier sur Telos-Eu, est une contribution de Marc Fleurbaey et Guillaume Gaulier intitulée "Trois modèles de bien-être". En l’occurrence, un modèle anglo-saxon, un modèle nordique et un modèle latin. Tous capitalistes, tous différents.

* le deuxième : la chronique de Stiglitz dans Les Echos, intitulée "Pour une mondialisation réussie". Où l’on apprend sans surprise que Stiglitz n’est pas anti-mondialiste mais plutôt alter-mondialiste (il n’emploie pas le terme, c’est moi qui le dit). Mais, attention, un alter-mondialiste qu’on peut difficilement taxer d’anti-capitaliste. Alter-capitaliste, plutôt.

Fier d’être économiste…

Ce que j’aime le plus, quand je dois me rendre chez le médecin, c’est le quart d’heure passé dans la salle d’attente… Car dans une salle d’attente de médecin, on trouve toujours le Figaro Magazine. En l’occurrence, j’ai découvert le numéro du 17 juin 2006, qui s’interrogeait sur le programme socialiste. Forcément, on a convoqué les meilleurs spécialistes, et, parmi eux, Pascal Salin, professeur à l’Université Paris-Dauphine. Bon, c’est un habitué des sorties fracassantes, mais là, dans le genre, je crois qu’il atteint des sommets :

Incapables de se renouveler, contrairement à tant d’autres, les socialistes français restent habités par les fantômes de Marx et de Keynes, ces deux auteurs à qui l’on doit certains des pires ravages du XXe siècle (p. 44).


Finalement, c’est parfois une bonne chose que les économistes ne soient pas trop écoutés en France…

Rentrée des classes

C’est la rentrée à la Faculté de Sciences Economiques de Poitiers, pour les 1ères années jeudi dernier (7 septembre), et aujourd’hui 11 septembre pour les autres années (information importante pour ceux qui pensent encore, peut-être, que l’année universitaire commence en novembre…)

Ce matin, j’ai démarré avec les 3ème années de la Licence d’Economie Appliquée. La réunion de rentrée a été l’occasion de présenter aux étudiants un travail d’enquête qu’ils doivent réaliser par groupes de 4 : définition d’une problématique, rédaction d’un questionnaire, production des résultats statistiques sous Spad, analyse et interprétation des résultats. Ce travail doit faire l’objet d’une restitution écrite sous forme de dossier et d’une restitution orale – utilisation impérative d’un diaporama (Information importante pour ceux qui pensent encore, peut-être, qu’à l’Université on ne fait que de l’abstraction pure…)
 
Le choix du sujet est libre. J’ai cependant suggéré une ou deux idées (je ne sais pas si elles trouveront preneurs), notamment l’une portant sur le profil des lecteurs de blogs d’économie. Si un groupe est intéressé, je vous en reparlerais, puisque le questionnaire serait transmis via mon blog. Si certains économistes bloggeurs sont intéressés (econoclasteceteris paribusleconomiste? etc…), n’hésitez pas à me contacter par mail ou via un commentaire, on pourrait échanger sur la définition du questionnaire par exemple. Autre suggestion formulée : enquête sur les connaissances en économie soit auprès d’étudiants de différentes filières, soit auprès d’une population plus large. En évitant les travers de l’enquête du Codice dénoncés par Econoclaste

Enfin, premier cours de Stratégies de localisation, avec présentation de faits stylisés relatifs à l’ampleur et l’évolution des disparités spatiales et la tendance à l’agglomération des activités économiques. Et ce à différentes échelles spatiales : Monde (via gapminder, dont j’ai déjà parlé ici), Europe (statistiques Eurostat) et France (statistiques Insee).

Juste un résultat ici : les disparités régionales dans l’Europe à 25, mesurées par le PIB par habitant des régions en 2003 (source Eurostat, voir ce document pour la liste complète) :

Sans surprise, les 10 régions les plus "riches" sont en Europe de l’Ouest, les 10 régions les plus "pauvres" dans les Pays d’Europe Centrale et Orientale. Le rapport entre la région la plus riche (Inner London, UK) et la région la plus pauvre (Lubelskie, Pologne) est d’environ 8,5 pour 1. Pour se donner un ordre de grandeur, le rapport du PIB/H des Etats-Unis et de la Chine est de 7/1. Il y a donc quelque chose qui ressemble à un problème régional en Europe…

Autre résultat important, insuffisamment pris en compte dans la réflexion, y compris des économistes : la tendance à la convergence des PIB par habitant des pays de l’UE à 25, d’un côté, et au maintien, voire à l’accroissement, des disparités entre régions, toujours en termes de PIB par habitant, d’autre part. Bref, un double processus de convergence et d’agglomération, coeur du problème que doit traiter l’économie spatiale (voir ce document de travail de Geppert et al. (2005) pour des précisions sur les méthodes statistiques mobilisables et les résultats obtenus pour l’UE25).

La stratégie du poisson rouge

Dans les nouvelles géographies du capitalisme, j’explique que pour favoriser l’adaptation des économies à l’approfondissement de la mondialisation, deux grandes stratégies dominent. J’ai qualifiée la première de stratégie du poisson rouge, la deuxième de stratégie du pingouin.

Je me concentre ici sur la première, que je décris ainsi :

Première stratégie possible : la stratégie libérale. Elle consiste à supposer que l?essentiel du problème [de l’adaptation de l’économie française] tient à la trop grande intervention des Etats et à la flexibilité insuffisante observée sur les marchés : pourquoi existe-t-il du chômage en France ? Car le marché du travail n’est pas assez flexible (…). Pourquoi la France n’est-elle pas attractive [idée reçue] ? Car les charges sociales et fiscales qui pèsent sur les entreprises où sur les « talents » que l’on veut attirer sont trop lourdes. Pourquoi les entreprises françaises ne sont-elles pas suffisamment efficaces (autre idée reçue). Car (…) les créateurs d’entreprises sont victimes de la lourdeur administrative (…). On pourrait multiplier les exemples : à chaque fois, on considère que, au niveau de chacune des institutions nécessaires au bon fonctionnement du capitalisme, on est trop éloigné de l’idéal du modèle libéral, et l’on propose donc logiquement de s’en rapprocher, par la mise en place de nouvelles règles mieux adaptées.
Stratégie libérale que nous qualifierions volontiers de stratégie du poisson rouge : Comme dans la publicité Ikéa, où le poisson redécouvre émerveillé, à chaque tour de bocal, l’étagère fraîchement installée, certains économistes redécouvrent béatement les vertus supposés du libéralisme, en oubliant un peu trop rapidement les dégâts économiques et sociaux qu’engendre nécessairement le modèle qu’ils défendent. (p. 200-201)

 Dans le genre, la Banque Mondiale vient de faire très fort : elle publie pour la quatrième fois un rapport intitulé Doing Business (la pratique des affaires). Ce rapport « identifie les pays qui ont le mieux réussi à réformer la réglementation des affaires, et décrit les pratiques les meilleures en matière de lancement et de conduite des réformes.  Le rapport propose des indicateurs quantitatifs mesurant les différents aspects de la réglementation des affaires, ce qui permet de comparer les réglementations et leur mise en application dans 175 économies, allant de l’Afghanistan au Zimbabwe, mais aussi dans le temps. »

Alors bien sûr, la Banque Mondiale commence par des exemples imparables :

Par exemple, le Rwanda a tout récemment éliminé une loi qui datait de l’époque coloniale et qui n’autorisait qu’un seul notaire pour l’ensemble du pays.  Aujourd’hui, grâce à la réforme, près de 36 notaires ont ouvert leur cabinet dans le pays, avec pour résultat de réduire considérablement le temps nécessaire pour démarrer une entreprise.

 Au Yémen, le gouvernement a éliminé un impôt sur la production de 10% que les entreprises devaient payer chaque fois qu’elles vendaient leurs produits à d’autres entreprises.  Au niveau du consommateur, le montant total de ces impôts, en fait une imposition sur le chiffre d’affaires déguisée, était de loin plus élevé que la marge bénéficiaire de l?entreprise sur ces produits.  En remplaçant l’impôt sur la production par un impôt de 5% sur les ventes aux consommateurs, le Yémen a pu diminuer le taux d’imposition total de 79% à 48%, ce qui a grandement aidé tant le monde des affaires que les consommateurs.


Ok, rien à redire, on comprend bien que travailler à la suppression de ce genre d’abérations et, plus généralement, à la simplification de certaines règles et procédures ne peut que reccueillir l’aval de tous.

Là où les choses sont moins évidentes, c’est lorsque l’on regarde les indicateurs retenus. Premier exemple, s’agissant de l’embauche des salariés : "Doing Business measures the regulation of employment, specifically as it affects the hiring and firing of workers and the rigidity of working hours. (…) ". Pour cela, ils construisent notamment un indicateur de rigidité de l’emploi.
Comment?
Explications :
The rigidity of employment index is the average of three subindices: a difficulty of hiring index, a rigidity of hours index and a difficulty of firing index. All the subindices have several components. And all take values between 0 and 100, with higher values indicating more rigid regulation.The difficulty of hiring index measures (i) whether term contracts can be used only for temporary tasks; (ii) the maximum cumulative duration of term contracts; and (iii) the ratio of the minimum wage for a trainee or first-time employee to the average value added per worker. A country is assigned a score of 1 if term contracts can be used only for temporary tasks and a score of 0 if they can be used for any task. A score of 1 is assigned if the maximum cumulative duration of term contracts is less than 3 years; 0.5 if it is between 3 and 5 years; and 0 if term contracts can last 5 years or more. Finally, a score of 1 is assigned if the ratio of the minimum wage to the average value added per worker is higher than 0.75; 0.67 for a ratio greater than 0.50 and less than or equal to 0.75; 0.33 for a ratio greater than 0.25 and less than or equal to 0.50; and 0 for a ratio less than or equal to 0.25.

En clair : si les entreprises peuvent embaucher en CDD pour n’importe quelle tâche, c’est bien, sinon, c’est mal. Si les CDD durent plus de 5 ans, c’est bien, sinon c’est mal. Si l’écart entre salaire minimum et productivité moyenne du travail est grand, c’est bien, sinon c’est mal… Inutile de vous dire qu’à ce petit jeu, la France est mal classée : 56 sur 175.

En oubliant que flexiblité des entreprises et flexibilité du travail ne riment pas nécessairement. Dans le cadre du modèle du toyotisme, par exemple, on assure aux salariés un contrat de long terme, on investit considérablement en formation, ce qui renforce la productivité et la polyvalence des salariés, et ce qui garantit une très bonne flexibilité à l’entreprise (cf. cet autre post pour des développements). Avec des performances pas vraiment mauvaises paraît-il.
Je ne dis pas, bien sûr, qu’il faut mettre en place pour tous et partout des contrats à vie. Je dis que la flexibilité et la compétitivité des entreprises peut être atteinte par différents moyens, présupposer une one best way est pour le moins contestable lorsque l’on voit la diversité des solutions mises en oeuvre par des pays capitalistes de niveau de développement comparable.

Autre exemple, sur le thème des impôts qui pèsent sur les entreprises :

Doing Business records the tax that a medium-size company must pay or withhold in a given year, as well as measures of the administrative burden in paying taxes. Taxes are measured at all levels of government and include the profit or corporate income tax, social security contributions and labor taxes paid by the employer, property taxes, property transfer taxes, the dividend tax, the capital gains tax, the financial transactions tax, waste collection taxes and vehicle and road taxes.


Et bien sûr, vous l’aurez deviné, si les impôts sont élevés, c’est mal, s’ils sont faibles, c’est bien. En oubliant que les impôts, il paraît que ca alimente le budget des gouvernements et qu’ils donnent lieu, ensuite, à des dépenses publiques, dépenses qui, paraît-il (c’est peut-être une rumeur), permettent de renforcer la compétitivité des entreprises (dépenses d’éducation, de formation, de recherche, d’infrastructure, etc…).

Oui, mais ca, le rapport n’en parle pas. D’ailleurs, ils le reconnaissent :

Un classement élevé sur la facilité de conduire les affaires signifie qu’un gouvernement a su créer un environnement réglementaire favorable à la conduite d’une entreprise.  Cependant, ces classements à eux seuls ne permettent pas de comprendre l’ensemble de la situation.  Ils ne prennent pas en compte d’autres facteurs, tels que la qualité des services d’infrastructure, la proximité de marchés importants ou l’ordre public.

Là encore, je ne dit pas qu’il faut augmenter les impôts qui pèsent sur les entreprises, mais affirmer a priori qu’un taux d’impôt élevé est une mauvaise chose est absurde, tout dépend de  ce que l’on fait de l’impôt collecté.
Bon, je n’insiste pas plus, tout est dans la même veine…

Deux remarques complémentaires :
Le Monde reprend les conclusions du rapport dans un article daté du 7 septembre 2006, en titrant "La France améliore son attractivité mais reste encore très mal placée". Titre particulièrement stupide, puisque le rapport de la Banque Mondiale ne parle absolument pas d’attractivité des entreprises… La journaliste s’est mélangée les pinceaux, entre les conclusions du rapport, d’une part, et la critique faite par le gouvernement français, d’autre part :   Pascal Clément, Ministre de la justice, a en effet critiqué le rapport Doing Business en ces termes :

Considérer uniquement dix critères pour évaluer l’environnement des affaires, c’est insuffisant. Faire l’impasse sur le régime politique d’un pays, sa taille, la stabilité économique et ses infrastructures est une erreur profonde. Est-il réellement sérieux de mettre sur le même plan en termes économiques les îles Fidji et la Chine, le Kiribati et la France ? Les faits contredisent l’analyse de la Banque mondiale. La Chine est un grand pays, où le monde entier va, aujourd’hui, investir. A écouter Doing business, il ne faudrait pas y investir. De même, la France est le quatrième pays vers lequel se dirigent les investissements internationaux."


Assez d’accord avec cette critique … mais avouez que c’est assez cocasse qu’un membre du gouvernement français, dont on ne peut pas dire qu’il vante l’attractivité française (tout fout le camp mon bon monsieur, les jeunes s’enfuient à Londres ou à New-York, les entreprises partent en Chine, etc…), et qui reprend à l’envie le thème de la lourdeur administrative, du manque de flexiblité du marché du travail (CNE, CPE, …), des freins mis aux entreprises, etc… en vienne à changer de discours lorsqu’il se sent attaqué par une organisation internationale…

Deuxième remarque : l’étude de la Banque Mondiale n’est pas une simple petite étude vouée à disparaître au fond de je ne sais quel tiroir. Comme le rappelle Le Monde :

En dépit des critiques dont il fait l’objet, le rapport de l’IFC est devenu une référence pour de nombreux petits pays, qui l’érigent en objectif économique. En effet, le rapport a des conséquences concrètes. Pour l’obtention de prêts à taux zéro de l’International Development Association (IDA), le bras financier de la Banque mondiale, les pays les plus pauvres doivent prouver qu’ils ont fait des efforts significatifs dans le domaine de la facilitation des affaires.

Bref, encore un bel exemple de Benchmarking stupide dont les organisations internationales et les gouvernements sont de plus en plus friands.

Nicolas Sarkozy au Medef

Jeudi dernier, invité par le Medef, Nicolas Sarkozy a déclaré :

la France ne s’est "pas encore remise du choix historiquement stupide d’expliquer aux gens qu’en travaillant moins, on pourrait gagner davantage".


Moi, je dis qu’il a raison, Nicolas : il faut faire sortir de la tête des gens l’idée que l’on peut gagner plus en travaillant moins. C’est une contre-vérité totale : pour gagner plus, il faut travailler plus. Logique. Les responsables du Medef ont eu raison de lui faire une standing ovation, l’autre jour (normal, me direz-vous, les chefs d’entreprises, ça connaît l’économie).

 La preuve en image (les tableaux sont tirés de l’ouvrage remarquablement bien fait intitulé "The State of Working America 2006-2007" du Economic Policy Institute).

 Image numéro 1, où l’on apprend que le revenu par tête des habitants des pays développés a sensiblement augmenté de 1970 à 2004. En gros, doublement en 34 ans (il s’agit des revenus par tête exprimés aux prix et taux de change PPA 2000).



Image numéro 2, où l’on découvre stupéfaits que pendant ce temps,  les salariés sont devenus de plus en plus fainéants : dans tous les pays, le nombre d’heures travaillées par personne et par an a diminué. Même aux Etats-Unis. Beaucoup plus en France, mais y’a encore plus fainéants : Pays-Bas, Norvège, Allemagne. Le Danemark est juste derrière la France.



Image n°3, où l’on comprend que cette évolution paradoxale n’a rien de paradoxale. On peut gagner plus en travaillant moins si la productivité du travail augmente : les gains de productivité, ca veut dire que la croissance des richesses produites est supérieure à la croissance des ressources mobilisées. On peut en profiter soit pour maintenir constant les ressources mobilisées (notamment en travail = constance des heures travaillées) et accroître les revenus des salariés ; soit pour réduire les ressources mobilisées (diminution du temps de travail par exemple).



Après on peut débattre sur les choix les plus pertinents pour l’avenir : faut-il continuer sur cette tendance? Quand? à quel rythme?  N’a-t-on pas été trop loin et/ou trop vite? etc. On peut s’interroger sur le temps partiel subi, notamment par les femmes. On peut s’interroger aussi sur les moyens de gagner encore en termes de productivité, se dire que ces gains de productivité sont passés par une dégradation des conditions de travail dans l’entreprise (cf. l’ouvrage d’Askenazy  "Les désordres du travail"). Mais autant éviter de lancer le débat en affirmant que l’on n’a pas le choix ; en formulant de pseudo-lois économiques démenties clairement par l’histoire des faits économiques.