Présidentielle 2012 : le poids des mots

Article très intéressant de François Guillem (trouvé via un tweet de Baptiste Coulmont).

Prenez les discours des candidats à l’élection présidentielle 2012. Faites une analyse statistique des mots qu’ils utilisent. Classez alors les candidats par groupe, en fonction de leur proximité. Vous obtiendrez cela :

Cette classification résulte de la proximité entre candidats que l’on retrouve dans cet espace à deux dimensions :

Notez la proximité entre François, François et Eva… et celle entre Marine et Nicolas… Pourquoi cette proximité? Comme dit initialement, ce sont les mots qu’ils utilisent qui explique cela :

L’axe horizontal oppose des termes plutôt de gauche à des termes plutôt de droite. L’axe vertical des termes relevant plutôt du registre de l’émotion à des termes relevant d’un registre plus technique.

Dis, l’économiste, tu vas voter pour qui?

Il est assez drôle ce décalage : si vous demandez à un échantillon-représentatif-de-la-population-française-établi-selon-la-méthode-des-quotas (un truc scientifique, quoi) ce qu’il pense de ce que pensent les économistes, sûr que la plupart en feront des suppôts du marché / libéralisme / capitalisme / finance / dérégulation / patrons / salauds / etc.

Pourtant : vous avez, à gauche, des économistes bon tein, plutôt parisiens. Très parisiens, même. Et à la gauche de ces économistes de gauche, des économistes limite girondins, je dirais. Pas d’économiste sarkozyste. Même un économiste juste de droite, vous aurez du mal à en trouver un…

Présidentielles 2012 : une campagne reposante

Je l’avais déjà dit dans ce billet, je le répète aujourd’hui : la campagne 2012 est particulièrement reposante pour les économistes blogueurs, car on voit resurgir les thèmes déjà évoqués en 2007. Il suffit donc d’insérer quelques liens vers nos anciens billets pour montrer l’ineptie de certains propos.

Aujourd’hui, je vous propose quelques liens sur l’immigration, puisque Nicolas Le Pen Sarkozy a décidé de remettre sur la table ce sujet. Les billets vers lesquels je vous oriente sont sur (feu) le site des éco-comparateurs, mis en place par Libération pour la campagne 2007 :

  • Premier billet où je discute sur la tendance à l’instrumentalisation des peurs par les politiques (et par Emmanuel Todd aussi, qui se répète également soit dit en passant),
  • Deuxième billet où je commente une étude portant sur la Californie, plutôt instructive,
  • Troisième billet d’Alexandre Delaigue qui présente les principaux enseignements de l’analyse économique sur la question des migrations.
Pour innover un peu par rapport à 2007, je vous propose un lien vers une autre étude, sur le lien entre migrations et protection sociale. Cette étude a été publié dans la Revue Economique (ici, accès payant), le lien indiqué plus haut pointe vers une version antérieure.

Bon, bon, bon… ça vous ennuie tout ça? Un peu de musique, alors…

Nicolas Sarkozy ou la stratégie du bonimenteur

Stéphane Ménia a posté l’autre jour un billet intitulé “la revanche des bonimenteurs”. Extraits :

(…) nous sommes probablement en train de franchir une étape déterminante dans la communication politique autour des chiffres (…). il semble que nous ayons passé un nouveau cap. Celui où l’on ment tout simplement, de façon décomplexée (…). Puisque les gens veulent des chiffres, on leur en donne à foison. Ce qui traduit implicitement une compétence moderne incontestable. Pensez donc à ces vendeurs de couteaux pourris sur les marchés. Leur discours technique vous fait marrer ? Sachez qu’il inspire le respect et la confiance à d’autres. Mais puisque les gens sont submergés de chiffres, on peut passer au milieu du discours des choses totalement farfelues. Ils n’iront pas vérifier. Surtout quand cela les arrange. Au contraire, ils propageront le message. Si untel a avancé des chiffres aussi catégoriques à l’heure d’Internet, ce ne peut être que vrai (…).

Qu’on prenne le fautif la main dans le sac ? Pas de problème. Si ça ne buzze pas trop, il suffit de laisser les deux ou trois blaireaux qui font une audience confidentielle dans l’électorat du camp d’en face se perdre dans leurs étranglements. Le reste du monde n’en saura rien et campera sur notre propos. Si on en parle au delà, on peut tenter la rectification qui soutient encore davantage l’argument. Dans une version de repli, il suffit d’évoquer des propos scandaleusement reproduits hors de leur contexte. Et si on se fait encore renvoyer dans les cordes, faisons croupir l’affaire à coup de communiqués croisés ou de silence complet. Il viendra bien un jour où l’actualité fera oublier cette affaire datant de 3 mois en arrière qui n’intéresse quasiment plus personne.

Pour avoir commenté hier en direct les propos de Nicolas Sarkozy dans l’émission de Paroles de candidat, un constat s’impose : il a adopté clairement la stratégie du bonimenteur.

En affirmant d’abord, à plusieurs reprises, que nos comptes sociaux souffraient de l’immigration, de tous ces étrangers qui viennent en France profiter de notre système avantageux de protection sociale. Les études sérieuses sur le sujet montrent que ce type d’affirmation est particulièrement contestable :

l’impact global de l’immigration sur les finances publiques est légèrement positif dans le long terme du fait de l’apport perpétuel d’individus d’âge actif et de la prise en compte de la contribution nette des descendants de ces immigrés.

Pour avoir indiqué ensuite que la France était le pays qui avait connu la plus forte hausse du pouvoir d’achat pendant les années de crise. La hausse du pouvoir d’achat peut être mesuré de différentes façon : soit par le taux de croissance du PIB réel, soit, pour tenir compte des évolutions démographiques, par le taux de croissance du PIB réel par habitant. Dans les deux cas, l’affirmation est fausse. Les chiffres pour le premier indicateur se trouve ici (site d’Eurostat). Pour le deuxième indicateur, c’est là. j’ai calculé la moyenne simple du taux de croissance des deux indicateurs sur la période 2007-2011. Nombre de pays ont fait mieux que la France :

 (moyenne des taux de croissance sur 2007-2011, %) PIB réél PIB réel par habitant
Allemagne 1,34 1,20
Autriche 0,98 1,34
Belgique 0,20 1,06
Danemark -0,96 -0,54
Espagne -0,66 0,26
Finlande 0,32 0,56
France -0,04 0,76
Islande -1,08 0,54
Italie -1,16 -0,08
Luxembourg -0,58 -0,56
Norvège -0,52 1,18
Pays-Bas 0,68 0,66
Portugal -0,24 1,02
Royaume-Uni -0,54 0,18
Suède 0,76 1,54
Suisse 0,84 1,68
rang France 8 8

Dans les deux cas, la France se classe au 8ème rang de cet échantillon de 16 pays.

Pour avoir affirmé encore que depuis 2005 la délinquance avait baissé, en France, de 17%. Le rapport de l’Observatoire National de la Délinquance montre que c’est faux :

2005 2010 taux de croissance
Atteintes aux biens 2633571 2184460 -17,1%
Atteintes volontaires à l’intégrité physique 411350 467348 13,6%
Escroquerie et infractions économiques et financières 318680 354656 11,3%
Infractions révélées par l’action des services 317680 359292 13,1%
Total 3681281 3365756 -8,6%

On observe une baisse de 17% si l’on ne regarde que les atteintes aux biens. La baisse est dans l’ensemble de -8,6%, les autres types d’infraction ayant connu une augmentation plutôt forte.

En affirmant enfin que les effectifs de la fonction publique territoriale ont augmenté de 110% sur les dernières années. L’Insee montre là encore que ce chiffre est faux :

 (effectifs en milliers, source Insee) 1996 2006 2007 2008
Collectivités territoriales 1 177,8 1 342,6 1 418,1 1 467,8
Communes 905,2 1 048,5 1 065,6 1 075,1
Départements 155,3 208,2 241,5 276,8
Régions 8,6 22,3 53,7 72,3
Emplois aidés et apprentis des collectivités territoriales 108,7 63,6 57,3 43,5
Etablissements publics à caractère administratif (EPA) 280,0 446,2 457,2 460,5
Etablissements communaux 90,9 120,0 123,7 126,3
Etablissements intercommunaux 100,5 193,5 204,4 212,7
Etablissements départementaux 43,3 92,3 93,4 95,4
Autres EPA locaux 24,7 22,1 19,1 13,1
Emplois aidés et apprentis des EPA 20,5 18,2 16,6 12,9
Total fonction publique territoriale 1 457,8 1 788,8 1 875,4 1 928,2

Entre 1996 et 2008, les effectifs sont passés de 1 million 457 mille à 1 million 928 mille, soit une hausse de 32%.

Nicolas Sarkozy avance des chiffres faux, mais quelle importance? L’expert s’en agace, bien sûr, mais si une telle stratégie permet d’être élu, elle est rationnelle. Il paraît que les courbes se croisent, ce matin. Gageons que Nicolas Sarkozy n’est pas près de changer de stratégie…

Géographie des fainéants

Nicolas Sarkozy semble considérer qu’une des explications du chômage en France tient au fait que certains chômeurs refusent un peu trop facilement les formations où les emplois qu’on leur propose.

Propos pas vraiment nouveau à l’UMP, puisque lors de la dernière campagne présidentielle, en 2007, le futur Premier Ministre de la France déclarait :

la famille qui se lève tôt le matin pour aller “bosser” ne doit pas avoir le sentiment d’être lésée par celle qui, cumulant les aides et allocations, n’en ressent plus la nécessité.

Notre Président de la République et notre Premier Ministre étant des gens biens informés, on ne peut que les croire sur cet enchaînement. Etant donné que, parallèlement, l’Insee vient de publier les taux de chômage par zone d’emploi sur la période 2003-2010, on peut s’amuser à repérer les territoires où se concentrent les personnes qui n’ont décidément aucune envie de se lever tôt le matin. Une sorte de géographie des fainéants donc (car les fainéants ont tendance à se regrouper, c’est bien connu).

Voici le top ten :

ze libellé 2010
2203 Thiérache 16,2
3125 Calais 16,2
3122 Lens-Hénin 16
3117 Maubeuge 15,7
9107 Agde-Pézenas 15,3
3115 Valenciennes 15
2205 St-Quentin 14,9
3110 Roubaix-Tourcoing 14,9
9104 Alès 14,7
9112 Sète 14,6

Vous ne serez pas sans remarquer que le Nord Pas de Calais est bien représenté (5 des 10 zones d’emploi). Un effet Aubry, sans doute…

Bon, je vous vois venir : vous vous demandez où sont concentrés les courageux? Vos désirs sont des ordres, nouveau top ten :

ze libellé 2010
5304 Loudéac 5,9
8306 Saint-Flour 5,8
1112 Rambouillet 5,7
7304 Rodez 5,7
5217 Les Herbiers 5,5
7401 Tulle 5,4
8305 Mauriac 5,4
5314 Vitré 5,3
9113 Lozère 4,9
1109 Houdan 4,5

Le problème, c’est que la géographie des fainéants est particulièrement stable (ce qui est somme toute logique : les fainéants n’aiment guère se déplacer). Pour preuve ce nuage de point qui croise le taux de chômage en 2010 et celui de 2003 :

On remarque enfin que le taux de chômage en 2010 est assez systématiquement supérieur à celui de 2003. Petite vérification à partir des données : sur les 304 zones d’emploi, seules 17 voient leur taux de chômage diminuer entre les deux périodes (dont 4 zones d’emploi Corses…). Conclusion : la fainéantise est contagieuse.

L’oral de Nicolas S. (épreuve de janvier 2012)

Il y a quelques années, Nicolas S. avait passé un
écrit
et un oral plutôt peu concluants. Il a récidivé dimanche soir.

Sujet tiré lors de l’épreuve orale : que faire pour sauver l’économie française de la crise actuelle? Voici le déroulé de
l’épreuve… (en gras, les propos entendus -ce n’est pas une retranscription littérale, mais les idées sont là)

– bonjour Nicolas, installe toi… avant de commencer, cependant, petite précision : j’ai donné le sujet en août dernier, au moment du
retour de la crise… et tu ne t’es pas présenté à l’épreuve… je veux bien t’entendre, mais il faudra que je sanctionne ce retard…

– (…)

– bien, que proposes-tu?

– je propose de réduire les charges patronales pour lutter contre les délocalisations, car il faut bien que tout le monde en prenne
conscience : la France est en train de se vider de son sang industriel…

– tu peux me dire quel est le rapport avec le retour de la crise d’août dernier?

– (…)

– bon, continue. Si je comprends bien, le problème n’est pas le retour de la crise, tu sembles pointer un problème plus structurel de
baisse de l’emploi industriel en France…

– oui, c’est cela! D’où ma proposition!

– d’accord, je te suis… Cependant, je te rappelle que l’emploi industriel baisse en France depuis les années 1970… que les causes
sont assez bien indentifiées par ailleurs… (je te renvoie à ce document).
Pourquoi ne pas avoir évoqué cette solution la première fois que tu as passé cette épreuve??? Souviens-toi, c’était il y a cinq ans, quand même!!!

– je sais… j’ai des regrets… qui n’en aurait pas…

– d’accord, je comprends. Bon, tu veux donc baisser les charges patronales. Mais ceci risque de dégrader encore plus la situation des
finances publiques, ne crois-tu pas?

– pas du tout! Car je propose de financer ces baisses de charge par un accroissement de la TVA!

– eh bien, tu n’y va pas avec le dos de la cuillère! Et tu proposes de faire tout cela quand?

baisse des charges en février, hausse de la TVA en octobre!

– ah, il y a un décalage de 8 mois… pendant 8 mois, tu réduis les rentrées fiscales sans augmenter les recettes… c’est curieux,
non?

– (…)

– bon, passons… revenons à cette hausse de la TVA… n’as-tu pas peur qu’elle pèse sur la consommation en France? Nous risquons
d’assister à une hausse des prix, ne crois-tu pas?

– absolument pas! En Allemagne, aucun effet!

– tu as vérifié les statistiques?

– (…)

tu peux aller voir sur Eurostat… Ton amie Angela M. a augmenté la TVA en 2007, l’inflation allemande, systématiquement sous les 2% entre 2000 et 2006 (1,8% en 2006), est passée à
2,3% en 2007 et 2,8% en 2008… effet inflationniste assez inévitable, Nicolas, même si l’ampleur peut varier selon les pays… Au Royaume-Uni, apparemment, l’effet inflationniste a été très fort
depuis la réforme similaire de David C…

– oui, mais au Royaume-Uni, rien à voir : ils n’ont plus d’industrie!!!

– tu en es sûr? A en croire ce graphique (données Eurostat), l’industrie pèse 11,9% de la valeur ajoutée (en valeur) en France, contre 12,4% au Royaume-Uni…

– (…)

– bon, imaginons que tu aies finalement raison : pas d’effet inflationniste de la mise en place de la TVA. Je ne comprends pas pourquoi
tu ne veux pas l’instaurer plus tôt?

– ben… c’est pour des raisons techniques… le temps que les ordinateurs s’adaptent

– tu te moques de moi?

– (…)

– bon, tu peux justifier d’une autre façon?

– oui! C’est pour faire comme en Allemagne! Ils ont annoncé la hausse de la TVA quelques mois en avance, comme ça les
consommateurs se sont dit qu’il valait mieux vite consommer avant la hausse
, ça a fait repartir la consommation du feu de dieu!

– ok, je comprends… donc, tu annonces la hausse en février, elle n’a lieu qu’en octobre, comme ça, les consommateurs, qui se disent
que les prix vont augmenter seulement en octobre, vont consommer beaucoup en février, mars, avril, mai, etc… et donc faire repartir la croissance en France, plutôt qu’attendre octobre et subir
la hausse des prix?

– oui! oui! oui! c’est ça!!!!

– je comprends… je comprends… mais pourtant… il y a quelques minutes… tu ne m’as pas dit que la hausse de la TVA n’aurait pas
d’effet sur les prix???

– (…)

– donc, si je résume : tu dis aux français que tu augmentes la TVA, tu leur dit en même temps que ça ne fera pas monter les prix, mais
tu espère qu’ils vont penser que ça fera monter les prix histoire qu’ils consomment fissa avant les élections et que la croissance redémarre…

– (…)

– si je résume encore plus : tu veux qu’ils pensent d’une part que ça ne fera pas monter les prix et d’autre part qu’ils pensent que ça
fera monter les prix… tout ça en même temps…

– (…)

– bien… je te dis à la prochaine fois ?


Made in France, again

Mathieu Magnaudeix, de Médiapart, m’a interviewé mercredi dernier sur le Made in France. Alexandre Delaigue et Jean-Luc Gaffard ont également été interrogés. L’objectif?
Synthétiser les analyses (largement convergentes) des économistes sur cette nouvelle mode du Made in France avant de recevoir François Bayrou, ce soir, entre 20h30 et 22h00.

L’article se trouve ici (€). Le débat sera diffusé là.