Présidentielle 2017, répétition, pédagogie et sourire nostalgique…

Évocation rapide de quelques sujets connexes.

Taux de chômage des jeunes

J’ai lancé mon blog en 2006, pendant les manifestations autour du CPE, fac bloquée, plein de temps pour tester ce que c’était qu’un blog. Mon sujet favori, en plein dans l’actualité, était d’écrire des billets pour expliquer la méconnaissance des politiques sur ce qu’était un taux de chômage. Avec un taux de chômage de 25%, la plupart des politiques, de droite comme de gauche, affirmaient à l’antenne qu’un quart des jeunes étaient au chômage. En fait, non, pas du tout, pas 1 sur 4, plutôt 1 sur 12. Parce que si le taux de chômage des jeunes est élevé, ce n’est pas parce que beaucoup de jeunes sont au chômage, mais parce que peu de jeunes sont actifs.

Parce que, pour rappel, le taux de chômage, c’est le rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre d’actifs, c’est-à-dire les personnes en emploi et les personnes à la recherche d’un emploi. Et que les étudiants ne sont pas des actifs. Et que les “jeunes”, c’est 15-24 ans. Donc le taux de chômage des jeunes il augmente mécaniquement quand plus de jeunes poursuivent leurs études. Que donc c’est un indicateur qui ne veut rien dire pour cette classe d’âge, c’est mieux de regarder la part des jeunes au chômage.

C’est donc avec un brin de nostalgie et un léger sourire que j’ai découvert, dix ans plus tard, dans l’interview d’Alain Juppé pour Le Monde daté d’hier, cette affirmation (source ici) :

Ce qui casse le modèle social, c’est d’avoir 600 000 chômeurs en plus depuis quatre ans et 24 % de jeunes sans emploi.

Parents, rassurez-vous, il n’y a pas 24% de jeunes au chômage, cf. supra. 8 ou 9% plutôt.  Dix ans après, les politiques n’ont rien appris. Mais bon, comme on dit, la répétition est la base de la pédagogie. Ça vous a un côté fatiguant de répéter toujours les mêmes choses, mais en même temps, c’est reposant : je vais refaire un topo sur le sujet devant des étudiants lundi, je peux être sûr que ça leur sera utile.

L’électeur médian

Analyse pas inintéressante de Bruno Roger Petit sur le match Sarkozy-Juppé : le premier serait plus futé, il joue le premier tour, il se moque de ce que les gens pensent à gauche, ce sera pour l’entre deux-tours, donc il clive. Le deuxième se trompe, il nous joue un remake de Jospin 2002 affirmant que son programme n’était pas socialiste, il est déjà dans le deuxième tour alors que pour y être, il faut passer le premier.

Pas faux, je me dis, pas très nouveau non plus, ça s’interprète très bien avec la théorie de l’électeur médian, basée sur le modèle de Hotelling, publié en … 1929… J’avais écrit un billet sur le sujet pour les élections 2007, il faudrait l’adapter au contexte actuel, mais franchement, rien de nouveau non plus.

La seule chose intéressante, c’est peut-être celle-là : le plus stratège des deux n’est peut-être pas celui qu’on croit. Jouer les impulsifs, les sanguins, les incontrôlables, ça peut être jouer, toujours, pour gagner, bien sûr.

Retour d’expérience

Cours en Master 1 hier. J’ai donné une consigne aux étudiants, hier, je ne développe pas, ce serait un peu long. Ils devaient faire des choses en autonomie, après. Je passais derrière eux, voir ce qu’ils faisaient. Je me suis rendu compte qu’un des étudiants se plantait grave dans ses recherches.

Plutôt que de redonner la consigne, j’ai demandé à un autre étudiant d’expliquer au groupe la consigne que j’avais donnée (pour tout dire, si j’ai eu cette idée, c’est grâce à un complice de footing du dimanche matin, enseignant au lycée de profession, à qui je racontais mes déboires avec d’autres étudiants, qui ne semblaient pas avoir compris ce que je leur demandais. “Tu leur as demandé de reformuler la consigne”, m’a t’il dit ?). L’étudiant a reformulé.

Un troisième étudiant a réagi, avant que je n’ai rien dit, en expliquant que ce n’était pas ça, la consigne. Un quatrième a réagi, en désaccord avec les précédents, puis un cinquième, puis un sixième, d’accord avec le troisième. Six étudiants, cinq consignes. Je n’en avais donné qu’une. “Nous voilà bien”, ai-je lâché. Rires dans la salle. Je crois que j’ai vécu l’une de mes plus belles expériences d’enseignant.

Conclusion

La répétition est la base de la pédagogie, c’est sûr. Je continuerai donc à expliquer ce que c’est qu’un taux de chômage, pourquoi en se focalisant sur le taux de chômage des jeunes, on rate l’essentiel, que ceux qui souffrent ce sont surtout les personnes sans qualification, que ce serait bien de s’y intéresser, quel que soit leur âge. Que le diplôme compte trop, en France, aussi, que trop de choses sont écrites lorsque l’on a vingt ans.

Je continuerai aussi à expliquer la différence entre “rationalité économique” (que faut-il faire pour que la situation économique, en termes de création de richesses, de réduction du chômage, d’amélioration du bien-être des individus, …, s’améliore) et “rationalité politique” (que faut-il faire pour être élu, quitte à passer pour un illuminé, dire à peu près n’importe quoi, …, si cela peut servir?). Que le modèle de Hotelling, aussi cynique soit-il, n’est pas trop mal pour ça.

Je demanderai plus souvent qu’auparavant aux étudiants, en revanche, ce qu’ils ont compris de ce que je leur ai dit, des consignes passées, de ce qu’ils ont retenu. Il y a loin entre ce que l’on dit et ce qu’ils entendent. Plutôt que de s’en désespérer, je crois que l’essentiel, c’est d’en discuter. Parce que l’essentiel, pour moi, je crois : ce n’est pas qu’ils pensent quelque chose, c’est qu’ils sachent le défendre et expliquer pourquoi.

Enseignement à l’Université : faire d’une contrainte une opportunité

La rentrée des premières années de la licence “économie-gestion” de l’Université de Poitiers a eu lieu hier matin. Nouvelle montée des effectifs : nous avons accueilli lors de la réunion de rentrée 214 étudiants, sur les 230 inscrits ou pré-inscrits, contre 173 présents et 180 inscrits l’an passé. Le graphique ci-dessous reprend la progression depuis la rentrée 2012.

Image1Les effectifs ont globalement été multipliés par 2,5 en 4 ans. Cette évolution quantitative s’est doublée d’une évolution qualitative du public accueilli :

  • la part du public cible (bacheliers ES et S), de 71% en 2012, dépasse depuis 2013 les 80%, elle est de 84% cette année,
  • parmi ceux-ci, 35% avaient une mention en 2012, cette part est de 52% cette année. 23% ont une mention Bien ou Très Bien pour cette rentrée,
  • 68% des étudiants avaient placés Sciences Eco en voeu 1 cette année, 14% en voeu 2.

Cette évolution s’explique d’abord par une évolution de notre offre de formation, avec de nombreuses possibilités de séjours à l’étranger et de stages en entreprise, ainsi que par une meilleure communication auprès des lycéens (nous accueillons environ 600 lycéens de première et de terminale chaque année). Pour des éléments plus précis, je vous renvoie à ce billet.

Mais ceci n’est pas sans poser problème : nos ressources humaines et financières sont en effet limitées. Globalement, je dirais que nos ressources nous permettent d’accueillir 200 étudiants en L1, or nous dépassons ce seuil et cela risque de continuer les années prochaines, a minima au rythme de l’évolution démographique attendue. Il va sans dire que l’augmentation en L1 conduit à une augmentation des effectifs en L2 et L3, ainsi qu’en master. Les réponses possibles face à cette contrainte sont les suivantes :

  1. demander au Ministère des moyens supplémentaires et attendre de les obtenir pour faire face à la hausse des effectifs,
  2. laisser augmenter la taille des groupes de travaux dirigés, pour passer par exemple de 30 étudiants par groupe à 50 ou 60,
  3. supprimer des cours et/ou des TD dans l’offre de formation,
  4. s’interroger sur nos pratiques pédagogiques et tenter d’innover pour faire face à cette contrainte sans dégrader l’apprentissage des étudiants, voire en l’améliorant.

Ayant anticipé ce dépassement du cap des 200 cette année, n’étant pas naïfs au point de croire en la solution 1 à court terme (même si cette question est évidemment cruciale et qu’on espère que les choses vont bouger), ne souhaitant pas dégrader la qualité de nos enseignements avec les solutions 2 et 3, nous avons opté pour la solution 4.

L’idée générale retenue par l’équipe pédagogique est la suivante. Prenons l’exemple d’un enseignement de 20h de cours et de 20h de TD, avec 6 groupes de TD. Sachant qu’une heure de cours coûte 1,5h TD, le coût de cet enseignement pour la composante est de 20*1,5+6*20=150h TD. Certains collègues proposent d’assurer la moitié des TD en face à face, comme auparavant, l’autre moitié des TD étant faite en autonomie. Lors de ces séances en autonomie, les étudiants doivent travailler sur des ressources en ligne, faire des exercices en ligne, qui donnent systématiquement lieu à évaluation. Si les exercices en ligne sont bien conçus, leur évaluation peut être automatisée (l’idée de corriger 200 copies tous les 15 jours étant peu envisageable…). Le coût est alors de 20*1,5h (cours) + 6*10h (TD en face à face) + 10h (préparation des TD en autonomie) = 100h TD. Soit une économie de 50h.

Que faire de cette économie ? Compte-tenu de la hausse des effectifs, elle permet d’augmenter le nombre de groupes de TD. Dans mon exemple, on peut ainsi passer de 6 groupes de TD à 11 groupes sans coût supplémentaire. Elle peut permettre également de créer de nouveaux enseignements, ou de développer d’autres initiatives (encadrement de plus de projets tuteurés, de création de start-up, …), la limite étant celle de notre imagination.

Tous les collègues ne proposent pas nécessairement la même chose : certains commencent par une ou deux séances en autonomie, d’autres vont jusqu’à la moitié, certains optent pour une réduction du nombre de TD et une augmentation du volume de cours avec TD en cours (avec utilisation de dispositifs numériques pour renforcer l’interaction), d’autres encore proposent en ligne des séquences de cours à travailler avant le cours (avec QCM d’évaluation pour que l’enseignant voit ce qui a été compris avant son cours), etc. Au total, nous allons donc passer en L1 de 6 groupes de TD à 10 groupes pour certaines matières et de 9 groupes à 12 pour d’autres. Les effectifs en TD seront donc plus faibles cette année que l’an passé, alors que nos effectifs devraient augmenter d’une bonne cinquantaine d’étudiants.

Beaucoup de questions en apparence annexes mais en fait essentielles se posent pour basculer vers ce nouveau système. En termes de formation des enseignants à ces nouvelles pratiques, d’outils numériques adaptés pour les ressources en ligne, d’équipement des étudiants pour travailler efficacement en autonomie, etc. Sur tous ces points, l’Université de Poitiers et ses services communs, notamment le CRIIP (Centre de Ressources, d’Ingénierie et d’Initiatives Pédagogiques), nous ont apporté et nous apportent encore un soutien essentiel. Nombre d’enseignants ont suivi un cycle dédié de formations, nous nous sommes équipés en logiciel, de nombreux espaces vont être dédiés au travail en autonomie (amphi, salles informatiques, salles classiques, espaces au centre de documentation), parfois avec un moniteur encadrant. Nous avons également échangé avec des collègues ayant introduits de telles innovations à l’Université de Poitiers ou dans d’autres Universités.

Une des questions que nous nous posions était celui du taux d’équipement en ordinateur des primo-entrants. L’enquête réalisée hier montre qu’il est élevé : plus de 93% des étudiants interrogés disposent d’un ordinateur, ordinateur portable pour 94% d’entre eux. Un seul des étudiants interrogés ne dispose pas de connexion internet sur son lieu de résidence. Pour les étudiants non équipés d’ordinateur, nous assurerons un prêt de portable.

Je précise pour finir que notre objectif n’est pas seulement de répondre à la hausse des effectifs, mais aussi d’améliorer l’apprentissage des étudiants. Les quelques expériences menées montrent en effet que ces innovations pédagogiques réduisent le taux d’abandon des étudiants et améliorent la moyenne des étudiants. L’explication tient sans doute en partie aux possibilités offertes par les outils numériques (possibilités de mettre des ressources supplémentaires pour les étudiants ayant des difficultés, de repérer plus vite les “décrocheurs”, etc.), mais pas seulement : les collègues ayant expérimenté ce type de dispositif expliquent que l’effet massif tient au fait que les étudiants se voient obligés de travailler beaucoup plus, et plus régulièrement qu’auparavant. C’est pourquoi toutes les séances en autonomie seront accompagnées d’un travail à rendre, travail qui sera systématiquement évalué. A charge pour nous de suivre cette expérimentation et de voir les incidences sur nos taux d’abandon et de réussite aux examens, je vous tiendrai bien sûr au courant.