La place des mathématiques en économie

La place des mathématiques dans la recherche et l’enseignement de l’économie fait l’objet de débats récurrents au sein de la discipline, entre chercheurs, enseignants, étudiants.

L’objectif ici n’est pas de revenir sur ce débat et sur le positionnement des différents économistes, mais plutôt de l’ouvrir. Car quand débat il y a, quelle que soit la position des uns et des autres, c’est trop souvent sans regarder comment fonctionnent et comment évoluent, de manière générale, les sciences sociales. De la difficulté de prendre du recul pour faire un meilleur travail d’introspection, en quelques sortes.

Or, Michel Grossetti vient de publier un texte remarquable sur Mondes Sociaux, intitulé “Sciences sociales : quand les instruments et les modèles formels supplantent les objets d’études”. Où l’on découvre des similitudes entre l’histoire des sciences de la parole et celle des sciences économiques. Avec les conséquences évoquées dans le titre…

Le culte de l’attractivité

Excellent billet de Michel Grossetti sur le culte de l’attractivité, qui conduit à tant de dépenses au final improductives sur nos territoires… Il compare ce culte de l’attractivité au culte du Cargo, expliqué dans une petite vidéo que je reprends ici :

Le culte du cargo par wesh

Je vous invite à la visionner, puis à aller lire son billet, dont voici le chapô :

Depuis quelques années, l’attractivité est devenue une préoccupation constante des élus et de ceux qui les conseillent, qu’ils soient en charge d’une ville, d’une région ou d’un pays. Il faut attirer des entreprises, des activités, des cadres, des personnes « créatives », des étudiants, bref, tout ce qui est censé contribuer à la croissance économique et à la création d’emplois. En revanche, personne ne semble envisager d’encourager la venue de migrants pauvres, y compris lorsqu’il s’agit d’étudiants, ou de personnes en situation de réinsertion sociale.

Les métropoles, avenir économique de la France ?

Vous pensez peut-être que l’essentiel du travail d’un chercheur consiste à produire des connaissances nouvelles ? Hélas non : il faut aussi rappeler que certaines connaissances communes, véhiculées parfois par des collègues eux-mêmes chercheurs, sont stupides contestables.

Exemple parmi d’autres : l’idée que la croissance économique passe nécessairement par la concentration des activités dans quelques métropoles, dans le cas de la France : l’Ile de France, avec comme argument en apparence imparable le fait que le PIB par habitant de la région capitale est nettement supérieur à la moyenne des région, preuve d’une évidente sur-productivité.

Michel Grossetti vient de publier un petit billet sur le sujet, dont je recommande vivement la lecture (en complément, voir aussi ce billet que j’avais écrit il y a quelques temps). Ce qui est cocasse, dans l’histoire, c’est que Laurent Davezies, qui est l’un des premiers à avoir critiqué l’utilisation de cet indicateur comme mesure de la performance des régions (page 3 et suivantes), tombe à pieds joints dans les travers qu’il dénonçait. Le côté schizophrène des chercheurs, sans doute (plus vraisemblablement son côté parisien).

Qu’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas que d’une bataille entre chercheurs : j’ai été invité à réagir la semaine dernière aux travaux de la Datar relatifs aux “villes intermédiaires” dans le cadre du travail de prospective “Territoires 2040”, j’ai pu constater que ce discours sur “les métropoles sont l’avenir de la France” et “L’Ile de France est la région la plus productive” imprégnait méchamment les esprits, des gens de la Datar, tout au moins. Dans le même sens, ce qui se prépare côté lois de décentralisation repose aussi très largement sur cette idée reçue.

Sur un sujet proche (“Vive la concentration!”), je recommande la lecture de cette interview de Christine Musselin sur la création des communautés d’Universités. On comprend l’intérêt du Ministère, qui veut réduire le nombre d’interlocuteurs. Croire dans le même temps qu’un nombre réduit de sites permettra d’augmenter la performance du système est une idée aussi stupide contestable que la précédente (voir cet autre billet de Michel Grossetti).

La première idée, comme la deuxième, ne tiennent pas la route empiriquement. J’insiste : elles ne tiennent pas la route empiriquement. Ce ne serait donc pas mal que les politiques publiques qui sont en train d’être définies évitent de reposer sur des idées invalides, je trouve…

La classe créative au secours des villes ?

Je pense que l’une des choses qui m’exaspère le plus, c’est la tendance à succomber aux effets de mode. Je parle de politique publique, de création de richesses, d’emplois. Je parle de la mode des systèmes productifs locaux, des pôles de compétitivité, de l’économie résidentielle, des créatifs… Chaque mode est, d’une certaine façon, une défaite de la pensée.

Puisqu’il faut bien réagir à l’exaspération, je vous signale un lien vers un article intéressant, paru sur la vie des Idées, également disponible en pdf (les tableaux sont plus lisibles). J’aime bien le résumé :

La notion de classe créative a servi à formuler des politiques publiques misant le développement urbain sur les infrastructures susceptibles d’attirer les « concepteurs » de nos sociétés. Mais comme le montrent les résultats d’une enquête européenne, l’hypothèse ne tient pas : développer l’éducation et les infrastructures susceptibles de servir l’ensemble de la population serait une politique bien plus féconde.

Deux remarques : i) l’évidence est plus complexe à démontrer qu’il n’y paraît, ii) le politique a du mal avec l’évidence.

La productivité scientifique des Régions françaises

Gaïa Universitas a publié il y a quelques jours un billet intéressant intitulé “Excellence et productivité scientifique des ensembles régionaux”. Elle montre, notamment au travers de ce graphique, que le nombre de publications des Régions françaises est proportionnel à leur taille :

En gros, une région deux fois plus grande en nombre de chercheurs publie deux fois plus. Soit une productivité identique pour toutes les régions (j’ai dit en gros, on s’écarte parfois un peu de la droite, mais comme le signale Rachel, très bonne corrélation quand même).

Inévitablement, certains commentateurs se sont empressés de dire que “oui mais bon, dans les grandes régions, les publications sont sûrement de meilleure qualité quand même!!!”. Question légitime, plus difficile à trancher empiriquement. L’objectif de ce billet est d’apporter de premiers éléments de réponse.

Je m’appuie pour cela sur le travail réalisé par Michel Grossetti et son équipe sur Toulouse. Je vous avais déjà parlé du début de ce travail dans ce billet : les auteurs montrent qu’on assiste à un phénomène de déconcentration de la recherche pour différents pays. En France, l’Ile de France perd au profit des autres régions en termes de publication scientifique. En présentant ces résultats, Michel Grossetti s’est exposé à la même critique que celle avancée plus haut : “certes, l’Ile de France perd au profit des autres régions, son poids régresse dans les publications, mais les publications franciliennes sont de bien meilleure qualité!!!” (curieusement, ce sont souvent des chercheurs d’Ile de France qui émettent ce genre de remarque…).

Pour éprouver cette hypothèse, Michel Grossetti et Béatrice Millard ont poursuivi leurs investigations, synthétisées dans cet article. Ils retrouvent d’abord le mouvement de déconcentration de la recherche, au détriment des régions centres et au profit des régions intermédiaires et périphériques, et ce pour de nombreux pays (Etat-Unis, Royaume-Uni, France, etc.).

Surtout : ils se focalisent plus loin, pour la France, sur l’évolution de la concentration spatiale de l’ensemble des publications, d’une part, et du sous-ensemble des 10% des publications les plus citées (on considère la qualité d’une publication augmente avec le nombre de fois où elle est citée). En reprenant leurs chiffres, j’ai construit ce petit tableau, qui donne la part de l’Ile de France, de 1993 à 2003, dans :

1993 1998 2003
l’ensemble des publications (1) 45% 38% 39%
les 10% des publications les plus citées (2) 54% 45% 42%
ratio (1)/(2) 1,21 1,19 1,09

En dix ans, l’Ile de France a vu son poids dans l’ensemble des publications baisser de six points de pourcentage, et du double (douze points) dans les publications les plus citées. Le ratio des deux chiffres, que l’on peut considérer comme une sorte d’indicateur de performance, reste certes supérieur à 1, mais il s’en rapproche dangereusement…

Conclusion? La production scientifique se déconcentre en France, mais la production scientifique de qualité se déconcentre encore plus vite…

Comment expliquer ce phénomène? J’avancerais une hypothèse : conformément à ce que disent Grossetti et Milard, le processus de déconcentration de la production scientifique est très lié aux évolutions démographiques. Les régions hors Ile de France ont des dynamiques plus favorables, donc plus d’étudiants, donc plus de création de postes d’enseignants-chercheurs, donc plus de publications. Si l’on considère en outre que les chercheurs et enseignants-chercheurs récemment recrutés produisent des recherches en moyenne de meilleure qualité que ceux des enseignants-chercheurs en poste depuis plus longtemps, on explique assez bien les chiffres observés : déconcentration de la production et déconcentration plus rapide de la production de qualité.