Covid 19 et densité : le cas américain (épisode 33)

Je continue mon exploration du lien entre densité et Covid 19, en me focalisant sur le cas américain, à l’échelle des États américains. Je croise ici le nombre de décès par million d’habitants et le nombre d’habitants par km².

Lorsqu’on retient l’ensemble des États américains, on obtient ce graphique :

La corrélation entre les deux variables est relativement forte, mais on voit qu’elle est tirée par 6 États tous contigus à L’État de New-York (New-Jersey, Connecticut, Massachusetts, Rhode Island, Maryland, Delaware). Pris ensemble, ces 7 États concentrent un peu plus de 15% de la population et un peu plus de 58% des décès Covid.

Lorsqu’on estime le lien sans New-York ni ces États, la relation disparaît :

Au final, le résultat récurrent est le suivant : on n’observe pas de relation générale entre densité et épidémie, mais dans la plupart des pays, une zone plus ou moins large de forte densité est particulièrement touchée. C’est le cas en France avec Paris (voir ici), au Royaume-Uni avec Londres (voir ici), en Espagne avec Madrid (voir ici) et désormais aux États-Unis avec New-York et les États limitrophes. Seule l’Italie fait exception, aucun lien entre densité et épidémie même quand on intègre l’ensemble des territoires (voir ici).

Attention à ne pas aller trop vite en besogne, car j’imagine déjà certains m’expliquant qu’il s’agit là de “villes monde”, qui seraient plus touchées : d’autres très grandes villes rangées dans cette catégorie comme Chicago, Los Angeles, Singapour, Séoul, Shangaï, Tokyo,… ne le sont pas ou beaucoup moins.

Covid 19 et densité : le cas Italien (épisode 32)

Je continue à explorer le lien éventuel entre densité et pandémie. Pour la France, le lien semble ténu, dès qu’on exclut l’Ile-de-France des calculs (voir ici et ). Au Royaume-Uni également, dès qu’on exclut Londres (voir ici). Idem semble-t-il en Chine et en Espagne (voir ici).

Je vous propose de présenter les résultats pour le cas italien. Pour cela, j’ai collecté le nombre de cas par province italienne ici, et les données sur la densité et la population sur Eurostat. Il suffit ensuite de croiser la densité et le nombre de cas par habitant.

Résultat : aucune corrélation entre la densité et le nombre de cas par million d’habitants, les deux variables sont totalement indépendantes.

Au Royaume-Uni également, la densité joue peu (épisode 29)

Petit billet pour signaler le travail de Valentine Quinio, du Centre for Cities,  qui s’est intéressée au lien entre densité et épidémie pour le Royaume-Uni dans ce billet. Elle montre que la relation existe quand on inclut l’ensemble des local authorities (échelle géographique à laquelle elle raisonne), mais qu’elle disparaît pratiquement quand on exclut Londres de l’analyse.

Le R² est d’un peu plus de 46% dans le premier cas : les différences de densité “expliquent” un peu plus de 46% des différences d’occurrence de l’épidémie (mesurée par le nombre de cas pour 100 000 habitants). Mais quand on enlève Londres, le pourcentage tombe à un peu moins de 10%.

Ceci est conforme à ce que j’avais trouvé pour la France en croisant densité et taux de mortalité : le R² est de 22% quand on inclut l’ensemble des départements, il tombe à 4% quand on exclut les départements d’Ile-de-France.

La densité favorise-t-elle l’épidémie ? (épisode 26)

J’ai vu passer différentes analyses et travaux qui posent la question du lien entre la densité des territoires et l’épidémie en cours, la plupart du temps en supposant qu’une densité supérieure se traduirait par une propension à être contaminé, ou par un taux de mortalité, plus forts.

Je dis bien la plupart du temps, car le premier a en avoir parlé, Jacques Levy, pronostiquait l’inverse fin mars, dans un texte visible ici :

« En France, c’est le Grand Est et la Bourgogne-Franche-Comté qui ont les taux de mortalité les plus élevés et, même en tenant compte de la pyramide des âges, l’Île-de-France reste relativement épargnée ». (…) « On peut se demander si les citadins bénéficient d’une immunité particulière qui serait liée à leur forte exposition permanente à des agents pathogènes multiples. En tout cas, l’habitat dans une zone à forte urbanité (densité + diversité) apparaît plutôt protecteur. » (souligné par moi)

Il semble qu’il ait été démenti depuis : l’urbanité parisienne n’a pas protégé ses habitants.

A l’inverse, Jean-Pierre Orfeuil, dans un texte disponible ici, brasse tout un ensemble de statistiques par département pour évaluer l’impact de la densité sur la mortalité, sur la base desquelles il croit pouvoir affirmer en conclusion que “l’impact de la densité des territoires sur la mortalité Covid apparaît au moins égal et probablement supérieur à celui des facteurs de comorbidité comme l’âge”. Nadine Levratto, Mounir Amdaoud et Giuseppe Arcuri, dans ce qui constitue à ma connaissance le premier travail économétrique sur données françaises cherchant à expliquer les différences géographiques relatives à l’épidémie, estiment également l’impact de cette variable, parmi d’autres, variable qui joue significativement dans leurs différents modèles. Sur cette base, certains en vont même jusqu’à affirmer que “la ville dense a trahi ses habitants”.

J’aurai personnellement tendance à être très prudent sur ce lien supposé. D’abord parce que si des villes très denses sont touchées (New-York, Paris, Londres, …), d’autres le sont beaucoup moins (Los Angeles, Singapour, Shangaï, …). Ensuite parce que, dans le cas chinois, Wanli Fang et Sameh Wahba montrent clairement que la densité des villes n’influe pas sur le nombre de cas de Covid 19, mais que la distance à Wuhan, en revanche, joue un peu.

Creusons un peu sur le cas français, en nous appuyant sur les données départementales fournies par Santé publique France d’une part, et celles sur la densité fournies par le recensement de la population millésime 2016, d’autre part.

La carte des densités est la suivante :

La densité varie de 14,8 habitants au km² en Lozère, à 20 860,3 à Paris, en passant par 564,7 dans le Rhône, ou 454,2 dans le Nord. On peut ensuite représenter sous forme de nuage de points le lien entre densité (le logarithme de la densité plus précisément) et le taux de mortalité :

On voit clairement ressortir des départements d’Ile-de-France, qui allient forte densité et forte mortalité, mais aussi des départements à densité plus faible, qui pâtissent d’une mortalité au moins aussi forte (Territoire de Belfort, Haut-Rhin, Moselle, Vosges) pendant que d’autres (Nord, Rhône, …) ont une mortalité comparativement faible. Bref : c’est un peu le bazar.

Pour valider ou invalider ce sentiment, j’ai testé le lien entre le taux de mortalité, d’un côté, et la densité de population de l’autre : lorsqu’on estime la relation en prenant en compte l’ensemble des départements, le R² n’est pas totalement négligeable, il est de 23% (et le coefficient associé à la densité est positif et significatif au seuil de 1%). Ceci signifie que les différences de densité “expliquent” 22% des différences de taux de mortalité. Quand on teste la même relation en enlevant les départements d’Ile-de-France, le R² tombe à 4% (et le coefficient n’est plus significatif qu’au seuil de 5%). En dehors de l’Ile-de-France, la densité semble donc peu explicative.

Pour compléter, on peut identifier les départements pour lesquels la relation joue le moins bien, en calculant ce que l’on appelle les résidus : s’ils sont très négatifs, cela signifie que le taux de mortalité est très inférieur à ce que l’on attend vu la densité du département, et inversement pour les résidus très positifs. Dans le premier cas, on trouve la Haute-Garonne, le Vaucluse, le Finistère, l’Ile-et-Vilaine, la Loire-Atlantique et l’Hérault : taux de mortalité plus faible qu’attendu vu la densité. Dans le deuxième cas, on trouve le Territoire de Belfort, le Haut-Rhin, les Vosges, la Moselle et la Meuse.

La carte des résidus montre sans surprise une opposition, non pas entre les départements denses et les départements moins denses, mais entre un grand quart Nord-Est plus touché et des parties Ouest et Sud largement épargnées.

Une réflexion plus générale, sur la base de ces éléments : je crois que nous sommes face à une épidémie qu’il faut voir comme un processus, avec des territoires touchés les premiers en raison “d’accidents historiques” (le hasard dit autrement,  comme le rassemblement religieux ayant eu lieu sur Mulhouse, qui aurait pu avoir lieu ailleurs), au sein desquels s’enclenchent ensuite des processus cumulatifs locaux. Sans doute que la densité joue un peu ensuite sur l’ampleur du processus cumulatif local, comme pourrait jouer l’âge moyen pour le taux de mortalité, mais on ne peut pas en faire des facteurs explicatifs de la géographie de l’épidémie, qui reste pour une très large part le produit de processus multifactoriels et largement contingents.