On ne voit de relocalisation nulle part, sauf dans les journaux

N’ayant plus de vie dans Candy Crush Saga, je me suis amusé à dénombrer dans les Echos le nombre d’articles traitant du sujet des relocalisations entre 2009 et 2013 (via la base Factiva à laquelle est abonnée l’Université de Poitiers, je n’ai pas épluché toutes les éditions du quotidien, non plus).

Ensuite, aucun de mes amis Facebook ne m’ayant envoyé de vie de secours, j’ai collecté via l’Observatoire de l’Investissement développé par Trendéo, le nombre effectif de relocalisations observées.

Au final, j’ai construit ce graphique :

relocD’où le titre de ce billet.

Je me demande si Arnaud Montebourg joue à Candy Crush Saga. Ce ne serait pas mal, je me dis, en termes de bonne allocation des deniers publics. Au cas où, Arnaud, tu pourrais m’envoyer une vie?

Une nouvelle quantification des délocalisations

L’Insee vient de publier les résultats d’une nouvelle étude qui vise à mesurer les délocalisations opérées par des entreprises françaises. Les chiffres portent sur la période 2009-2011.

On y apprend que 4,2% des entreprises de 50 salariés ou plus ont délocalisé, chiffre qui monte à 8,8% dans l’industrie manufacturière et les services de l’information et de la communication. Ces délocalisations ont lieu majoritairement dans l’Union Européenne (55% des opérations), avant tout dans l’UE à 15 (38%). L’Afrique arrive derrière (24%), suivi de la Chine (18%) et de l’Inde (18%).

Quel impact sur l’emploi? L’enquête estime à 20 000 le nombre d’emplois détruits sur 2009-2011 pour motif de délocalisation, soit 6 600 en moyenne par an, soit encore 0,3% de l’emploi salarié en 2011. Parmi eux, 11 500 relèvent de l’industrie manufacturière, soit 0,6% de l’emploi salarié de l’industrie manufacturière.

L’étude réalisé a également été conduite dans d’autres pays de l’Union Européenne, ce qui permet de construire ce graphique :

deloc

La France est l’un des pays les moins touché de l’échantillon.

Tous ces chiffres sont globalement conformes à ceux produits par d’autres études. Les délocalisations existent, mais elles pèsent beaucoup moins qu’on l’imagine et contribuent beaucoup moins que d’autres processus aux destructions d’emplois.

Le retour de la vengeance des relocalisations

Cet après-midi, un journaliste de Libé m’a contacté au sujet des relocalisations : il paraît que notre ministre du redressement productif (Arnaud Montebourg) souhaite mettre en place un programme confié à “l’Agence française des investissements internationaux (Afii) [qui] va offrir gratuitement aux entreprises qui le souhaitent un nouveau service en leur permettant de calculer les avantages de tous ordres à relocaliser des activités”. J’étais passé à côté de l’info, j’ai trouvé cet article du JDD daté du 18 janvier dernier et celui-ci (quasi le même) dans le Figaro (daté du 11 janvier).

Il y a près de deux ans, je m’étais fendu d’un billet pour montrer, à partir d’une des rares bases de données permettant de quantifier le phénomène (la base de l’Observatoire de l’Investissement de Trendéo), que les relocalisations ne pesaient quasiment rien dans les opérations d’investissement réalisées en France (ni dans les emplois créés à l’occasion de ces opérations). Les délocalisations pas beaucoup plus, en passant. Ceci sur données 2009. Un an plus tard, j’avais récidivé en co-écrivant un article sur données 2009 et 2010, qui arrivait au même résultat : les relocalisations ne pèsent quasiment rien, les délocalisations pas beaucoup plus.

Les politiques, qui n’aiment tant rien que de se saisir des sujets majeurs, se sont très vite emparés du sujet. J’en avais parlé un an plus tard, à la quasi-veille des élections présidentielles, pour rappeler que Nicolas Sarkozy avait confié à Yves Jégo la rédaction d’un rapport destiné à mettre fin à la mondialisation anonyme, de proposer des préconisations pour favoriser les relocalisations, tout ça, tout ça… Arnaud Montebourg, fils spirituel de Nicolas Sarkozy et d’Yves Jégo, donc, si je comprends bien.

Comme ce soir, je n’avais pas piscine, j’ai décidé d’actualiser un peu les statistiques de l’Observatoire de l’Investissement, en compilant les chiffres pour 2009, 2010, 2011 et 2012. Ce qui conduit à deux tableaux, le premier recense les opérations de délocalisation, de désinvestissement, de relocalisation et d’investissement observés en France par Trendéo ; le deuxième quantifie la même chose, en termes d’emplois créés/détruits plutôt qu’en nombre d’opérations. A chaque fois, on peut calculer le ratio délocalisation/désinvestissement (ça pèse lourd dans les emplois détruits les délocalisations?) et le ratio relocalisation/investissement (ça pèse lourd dans les emplois créés les relocalisations?).

Tableau 1, en nombre d’opérations :

année délocalisation désinvestissement ratio relocalisation investissement ratio
2009 106 2728 3,9% 12 3011 0,4%
2010 37 2712 1,4% 13 5261 0,2%
2011 30 2279 1,3% 8 4106 0,2%
2012 52 2067 2,5% 12 2961 0,4%
Total 261 10161 2,6% 45 15577 0,3%

Tableau 2, en nombre d’emplois

année délocalisation désinvestissement ratio relocalisation investissement ratio
2009 -12688 -285884 4,4% 406 169511 0,2%
2010 -3022 -172810 1,7% 205 194900 0,1%
2011 -2477 -119858 2,1% 108 165199 0,1%
2012 -3296 -117225 2,8% 245 132328 0,2%
Total -25495 -747487 3,4% 964 691130 0,1%

Les délocalisations pèsent 2,6% des opérations de désinvestissement et 3,4% des emplois détruits. Côté relocalisation, c’est 0,3% des opérations d’investissement et 0,1% des emplois créés.

Bon, on peut toujours se dire que, justement, il faudrait fissa mettre en place des politiques pour booster la dynamique. Pour preuve les cas de relocalisations aux Etats-Unis. Sauf qu’en pourcentage des emplois créés et détruits, aux Etats-Unis comme en France, ça doit pas peser lourd. Sauf qu’en plus, aux Etats-Unis, l’hétérogénéité des conditions de travail et de rémunération entre Etats est sans aucune mesure avec l’hétérogénéité des conditions de travail et de rémunération entre régions françaises : en forçant un peu le trait, certains Etats du Nord feraient palir d’envie la Suède, certains Etats du Sud feraient s’enfuir les travailleurs chinois. Et ça relocalise pas mal au Sud, quand même.

Voilà, voilà… Bon, sinon, en creux, les emplois détruits pour d’autres motifs que les délocalisations, ça pèsent 96,6% de l’ensemble des emplois détruits en France. Et les emplois créés pour d’autres motifs que pour des relocalisations, ça pèse 99,9% des emplois créés en France. Je me demande si le Ministère du Redressement Productif ne devrait pas se pencher un peu plus sur ces autres chiffres. Question idiote d’un chercheur qui n’a pas piscine, sans doute…

Délocalisation des centres d’appels : le retour !

C’est reparti sur la question des délocalisations des centres d’appels, suite à la décision du syndicat des transports parisiens (Stif) de confier son service relation clients à une entreprise localisée au Maroc. Les politiques se sont bien sûr emparés du sujet et dénoncent tous en coeur cette délocalisation.

Première remarque : le Stif n’a pas délocalisé son centre d’appels au Maroc. Le Stif ne possède pas de centre d’appels. Le Stif a lancé un appel d’offres auquel plusieurs entreprises ont répondu et c’est une entreprise dont l’établissement est localisé au Maroc qui a remporté le contrat, préalablement assuré par l’entreprise Webhelp. La perte de ce contrat affecte bien sûr deux établissements de Webhelp localisés en France, mais ça n’a rien à voir avec une délocalisation, qui correspond stricto sensu à la fermeture d’un établissement en France suivi de sa réouverture à l’étranger. Si a chaque fois qu’une entreprise localisée à l’étranger remporte un appel d’offres lancé par une collectivité on crie à la délocalisation, on n’est pas rendu…

Deuxième remarque : Frédéric Jousset, un des responsables de l’entreprise Webhelp, qui s’offusque de la décision du Stif de délocaliser au Maroc et demande que le Conseil Régional revienne sur sa décision au nom de “l’intérêt général” (sic) est un petit rigolo : Webhelp est certes implanté en France, mais aussi en Roumanie et… au Maroc.

Il faut dire que ce secteur des centres d’appels fait fantasmer médias, politiques et citoyens, tous convaincus que ce secteur n’a pas d’avenir en France, que forcément, tous les emplois afférents vont disparaître. J’en ai parlé à plusieurs reprises ici, je vous redonne les liens et actualise sur l’aspect statistique.

Je vous renvoie d’abord à ce texte co-écrit avec Emilie Bourdu et Marie Ferru, qui analyse l’évolution de l’organisation du secteur des centres d’appels et montre que la question des délocalisations est secondaire.  Autre lien, ce billet où je faisais le point sur l’évolution des effectifs du secteur des centres d’appels externalisés, en France, entre 2004 et 2008.

Actualisation des chiffres, ensuite. De moins en moins simple, car les bases de données Unistatis ne sont plus disponibles aussi facilement qu’avant et que côté Insee, j’ai dû naviguer sur plusieurs pages pour arriver à trouver l’info (ils ont délocalisé leur service statistique à l’Insee et à Pôle Emploi?).

Résultats :

Vous constaterez que les effectifs de ce secteur ne sont pas franchement déclinants… Sur la période 2004-2010, le taux de croissance des emplois équivalent temps plein est, en moyenne, de 9,6%. Quel secteur fait mieux? (Attention cependant, il peut s’agir d’emplois d’autres secteurs que les entreprises ont décidé d’externaliser auprès d’entreprises de ce secteur, pas sûr qu’il s’agisse de créations nettes, pas en totalité en tout cas.)

Affaire à suivre, mais je redoute le pire dans les déclarations à venir de nos politiques…

Je ne suis pas d’accord avec moi-même…

Yves Jégo, ancien ministre, auteur d’un rapport sur les relocalisations, anime des “ateliers de l’innovation politique” intitulés La fabrique sociale. Le 7 février dernier, un article sur les délocalisations/relocalisations d’entreprises a été posté. Article dans lequel l’auteur me fait tenir les propos suivants :

Selon l’économiste Olivier Bouba-Olga les relocalisations ne seraient pas un phénomène marginal, «  Beaucoup d’entreprises s’engagent à l’étranger pour découvrir rapidement que leur choix n’était pas judicieux. »

Ce qui m’avait quelque peu énervé, car je passe mon temps à dire que les relocalisations sont un phénomène quantitativement marginal. Je m’étais donc empressé de poster un commentaire, en renvoyant à cet article du Figaro au titre explicite…

Eh bien figurez-vous que je découvre aujourd’hui, grâce à la sagacité d’un de mes lecteurs (merci Thomas F.!), que mon commentaire a été supprimé et que l’article n’a en rien été modifié… Je fais comment pour qu’il m’écoute Yves Jégo??? Je reposte un commentaire qu’il va s’empresser de supprimer de nouveau??? En matière d’innovation politique, il fait fort, Yves Jégo…

Expérience de délocalisation

Voilà, c’est ici que je suis désormais installé. Ça change de mon ancienne localisation, n’est-ce pas? WorPress me semble plutôt pas mal, je ne fais que commencer à l’utiliser, plutôt envie de profiter de cette délocalisation pour innover (la délocalisation comme moteur d’innovation, joli sujet, tiens…). N’hésitez pas à poster des suggestions. Merci à l’équipe de l’Université de Poitiers pour l’accompagnement!