Sarkozy et la Mondialisation

Nicolas Sarkozy a donc livré sa vision de la mondialisation dans une interview aux Echos du 10 novembre, puis dans son discours de Saint-Etienne le même jour.

Patchwork étonnant d’éléments de diagnostic et de propositions de Nicolas Sarkozy autour de la mondialisation. Résumer l’essentiel de son propos, comme je pensais le faire, est impossible. Il est selon les cas pro, alter ou anti-mondialiste. Il propose des mesures parfois libérales, parfois anti-libérales. Aucune cohérence, aucune hiérarchie dans les problèmes, aucun raisonnement à plus d’un coup.

Juste deux régularités.

La première consiste, en matière de diagnostic, à considérer que l’on est toujours dans un jeu opposant les bons et les méchants :

* les méchants français qui ne veulent rien faire, qui brûlent des bus, etc… et les gentils français qui bossent dur et voudraient travailler plus pour gagner plus, être moins imposés pour ne pas s’expatrier, etc…

* les méchants patrons voyous qui délocalisent, veulent faire monter les actions sur le Cac40 et les gentils chefs d’entreprise qui sont désespérés par les 35 heures,

* la gentille France et les méchants étrangers qui font du dumping fiscal/social (PVD), qui taxent les produits étrangers plus que leurs produits nationaux (US), qui profitent des subventions de l’UE (pays de l’Est)

* etc, etc…

La deuxième régularité consiste, sur cette base, à prendre ces pseudo-problèmes bien populistes un par un pour avancer une réponse qui a toutes les apparences de l’évidence, sans s’interroger sur les conséquences en chaîne des décisions prises, sur les interdépendances entre les différents problèmes, etc. Bref, la stratégie du hérisson de la fable, poussée à l’extrême.

Chez certaines personnes, le cerveau est un organe vestigial.

L’économie contre Bush

Information intéressante par rapport à la défaite des républicains, c’est moins l’Irak que l’état de l’économie qui a joué :

Pour plus de 80 % des électeurs, démocrates comme républicains, les questions économiques ont été « extrêmement » ou « très » importantes. L’Irak n’étant décrit dans les mêmes termes que par 60 % à 70 % des votants. (Les Echos)

Mais le plus intéressant n’est peut-être pas là, plutôt dans les commentaires surpris entendus à différentes reprises dans les médias français :

La pilule risque d’être difficile à avaler pour George Bush junior. Car, si le bilan économique de son père n’avait rien de flatteur, « W » peut, lui, revendiquer un quasi-sans-faute sur ce front. (même source)

Sans-faute pourquoi? car la croissance est forte et le chômage est faible. Sauf que, dans le même temps, la pauvreté explose (ce que ne manque pas de souligner, mais dans un second temps seulement, les commentateurs). Curieusement, donc, cette pauvreté n’empêche personne de parler d’économie florissante et de bilan flatteur. Comme si le creusement des inégalités et le développement de la pauvreté ne relevait pas d’une problématique économique. Il me semblait pourtant, et sans doute très bêtement, que l’objectif économique essentiel de tout pays était d’assurer à l’ensemble des habitants un niveau de vie élevé et si possible croissant.

C’est en tout cas une idée que semblent partager quelques économistes américains (des marginaux bien sûr) (document trouvé il y a quelque temps chez La Lettre Volée).

Qui a dit (#4) ?

Qui a dit …

j’aimerais qu’on soit moins naïf et qu’on accepte de pratiquer en France et en Europe ce que les Américains font très bien : ils ne taxent pas de la même façon les produits qu’ils fabriquent et ceux qu’ils importent.

Audience du blog

Actualisation des données sur l’audience du blog : 11 753 visiteurs uniques et 78 999 pages vues en octobre. Ci-dessous le tableau complet.

Mois visiteurs uniques pages vues visiteurs  par jour
février 216 1077 11
mars 3218 15837 104
avril 4750 25594 158
mai 6953 39556 224
juin 6343 30019 211
juillet 4904 24145 158
août 5858 30246 189
septembre 10771 57882 359
octobre 11753 78999 379
total 54766 303355 207


avec en prime le graphique associé sur les visiteurs uniques :

et celui sur les pages vues :

Si vous les comparez aux graphiques du mois dernier, vous noterez que la pente est forte, de plus en plus forte..

La métaphore de l’horoscope




Econoclaste en remet une couche sur la dette publique. Leconomiste complète en critiquant l’éternelle litanie "l’Etat gaspille, le privé gère bien". Il explique ce sentiment bien ancré chez certaines personnes par le fait qu’on dispose de plus d’information sur le public que sur le privé. Je complète un peu.

Pourquoi certaines personnes pensent-elles que le privé est plus efficace que le public? Pour la même raison que d’autres personnes croient en l’astrologie : quand la prédiction de l’horoscope se réalise, on la retient et on se dit, "mince alors! il (elle) avait raison!" Quand la prédiction ne se réalise pas, on oublie l’horoscope. Idem pour les rêves qualifiés de prémonitoires. Et bien pour le débat public/privé, c’est un peu pareil, en pire…

Si on voulait être un peu rigoureux, en effet, il faudrait envisager quatre possibilités :
* service public efficace
* service public innefficace
* service privé efficace
* service privé innefficace

Ensuite, il conviendrait de recenser dans l’ensemble des services rendus s’ils sont publics ou non, efficaces ou non. Je vous garantie que beaucoup auraient des surprises…

Bien sûr, personne ne fait cela : quand on observe un dysfonctionnement dans une entreprise privée, on ne l’attribue pas au fait qu’il s’agisse d’une entreprise privée, mais soit à la personne qui nous a servi, soit à l’entreprise –mais seulement à celle là — à qui on a eu affaire. Quand on observe un dysfonctionnement lors d’une prestation de service public, on l’attribue à la nature publique de l’activité (ah, ces fonctionnaires!). Et quand le service public est rendu correctement, on ne révise pas sa théorie pour autant, on n’en tient simplement pas compte (on attribue par exemple la qualité du service rendu à la personne précise à qui on a eu affaire). [On notera que c’est la même erreur d’attribution qui explique le racisme lanscinant de certains : un noir (remplacez au choix par maghrébin, gitan, etc…) qui vole, il vole parce qu’il est noir. Un blanc qui vole, il vole pour une autre raison…]

Preuve récente d’un tel raisonnement, le (jamais) surprenant Alain Lambert, qui invite "tous les gestionnaires à nous raconter sur [son] blog leurs histoires courtelinesques avec nos administrations." Avec une telle expérience, sûr qu’il va trouver 100% de dysfonctionnement dans l’administration publique, et qu’il va pouvoir continuer à se désespérer de la situation…

La stratégie Calida-Aubade

Petits rappels : le groupe suisse Calida a racheté en juillet 2005 l’entreprise Aubade. Elle a décidé récemment de licencier 180 personnes travaillant sur le site de la Trimouille (Vienne), l’activité de production étant délocalisée en Tunisie. D’où la question : pourquoi cette délocalisation?

Dans un billet précédent, j’ai expliqué que l’hypothèse d’un licenciement boursier était plus que sujette à caution : Calida est un groupe familial à l’abri d’éventuels investisseurs institutionnels court-termistes. La délocalisation est plutôt sous-tendue par la stratégie industrielle du groupe. Explications.

Aubade est une entreprise qui appartient au secteur du textile – habillement. Elle est spécialisée dans la lingerie (principalement féminine) et sur le segment du haut de gamme. Elle est confrontée à une double concurrence : i) concurrence d’entreprises localisées dans des pays en voie de développement, notamment d’Asie, qui fabriquent des biens partiellement substituables (lingerie de gamme inférieure (montée de gamme en cours) à prix inférieur), ii) concurrence surtout des autres entreprises positionnées sur le même créneau : Dim, Playtex, Wonderbra, Princesse Tam-Tam, Barbara, etc… Pour maintenir son avantage concurrentiel, Calida-Aubade cherche donc  à réagir, en développant une stratégie multidimensionnelle.


1. La stratégie industrielle de Calida-Aubade

Différenciation

La stratégie de différenciation est double : différenciation verticale, d’abord, en développant la qualité des produits, différenciation horizontale, ensuite, avec comme arme essentielle la stratégie marketing. S’agissant du premier point, on estime qu’Aubade consacre 3% de ses ventes annuelles à la R&D. Preuve que l’innovation n’est pas qu’affaire de haute technologie. Sur le deuxième point : Aubade consacre 10% de son chiffre d’affaires à la communication, dont on connaît l’efficacité (les 71 leçons de séduction).

Diversification

La diversification est à la fois de la diversification géographique et de la diversification produit. Sur le premier point, Aubade réalise 55% de ses ventes en France et à peine 20% hors d’Europe. Cette « faible » internationalisation pèse en partie sur ses résultats, en raison de la faible croissance française et européenne, comparativement à la croissance observée sur d’autres continents. Le groupe souhaite donc renforcer cet engagement à l’international. Sur la diversification produit, Aubade s’est lancée en 2002 dans la fabrication de maillots de bain et en 2005 dans les dessous pour hommes. Ces deux activités représentent 8% du chiffre d’affaires.

Flexibilité

Les effets de mode et les besoins de différenciation des consommateurs obligent les entreprises à renouveler sans cesse leurs produits. Aubade n’échappe pas à la règle : sur la lingerie féminine, elle propose huit collections deux fois par an. L’étape « conception des produits » est donc tout à fait fondamentale.

Réduction des coûts

 On oppose trop souvent logique d’innovation et logique de coût, en pensant qu’une entreprise innovante n’a pas à se préoccuper outre mesure du niveau de ses coûts. En dehors de quelques secteurs très spécifiques, cette opposition n’est pas pertinente : l’entreprise se doit d’être innovante tout en répondant à une contrainte forte de coût (et à l’impératif de flexibilité).

 Ceci conduit certaines entreprises à procéder à des délocalisations. Non pas de l’ensemble des étapes du processus productif, mais des étapes délocalisables. Quelles sont ces étapes ? Pour l’essentiel, celles qui réclament une main d’œuvre dite peu qualifiée. Le groupe Calida est engagé depuis longtemps dans cette stratégie : 70% de la production est réalisé en Tunisie. Les autres unités de production sont localisées en Hongrie et, jusqu’à récemment, en France.


 2. Les effets de la stratégie sur l’emploi

 Pour comprendre les incidences de la réorganisation d’Aubade sur l’emploi, il faut procéder à une analyse par grande fonction de l’entreprise, en distinguant les étapes de conception, production, distribution et marketing :



L’étape de conception est essentielle, elle vise à développer des produits innovants permettant de sortir de la guerre des coûts. Cette étape se nourrit de dépenses de R&D (3% du CA) et de main d’oeuvre qualifiée (H pour capital Humain). Cette activité est localisée dans les pays développés, plus précisément sur les territoires denses en compétences adaptées. Il s’agit souvent de territoires métropolitains, dotés d’institutions de formation dans le domaine (design notamment). Implication : création d’emplois qualifiés dans certains territoires des pays développés.


L’étape de production réclame pour l’essentiel du travail peu qualifié. Dans le secteur du textile-habillement, industrie de main d’œuvre par excellence, l’automatisation du processus est plutôt faible, si bien que le coût du travail est la composante essentielle du coût de production.  L’avantage de coût d’un pays comme la Tunisie incite fortement Aubade à localiser la production dans ce pays. Le fait que Calida connaisse ce pays (il y a délocalisé depuis longtemps une large partie de l’activité de fabrication du groupe) peut laisser penser que les coûts d’une coordination à distance, d’une part, l’ensemble des coûts de production, d’autre part, sont plutôt bien connus. Implication : destruction d’emplois peu qualifiés dans les pays développés, création d’emplois dans les pays en développement.


L’étape de distribution est étroitement liée à la géographie de la demande. L’enjeu pour Aubade est de développer des réseaux de distribution de ses produits, afin de dépendre de manière moins importante de l’évolution de la demande en métropole. Elle peut, pour cela, s’engager dans des relations de marché (appel à des distributeurs indépendants), des relations de coopération (franchisés) ou des relations hiérarchiques (développement de ses propres boutiques par croissance interne ou externe). Les qualifications nécessaires pour vendre en boutique les produits Aubade ne sont pas très élevées, mais les boutiques sont localisées dans les plus grandes agglomérations, plus précisément encore dans les quartiers les plus chics de ces agglomérations. Implication : création d’emplois sur certains territoires des pays développés ou de certains pays en développement à demande fortement croissante.

L’étape Marketing, enfin, obéit à une logique similaire à l’étape de conception : coûts fixes importants (dépenses de publicité), main d’œuvre qualifiée, localisation sur les territoires des pays développés qui disposent de cette main d’œuvre et des institutions de formation adaptées. Une localisation à proximité des principaux foyers de clientèle est souvent nécessaire afin de « sentir » les évolutions de la demande et de mieux vendre les produits. Implication : création d’emplois qualifiés sur certains territoires des pays développés.


Au final, si on généralise l’exemple, on devine une double implication en termes d’emplois : i) création d’emplois qualifiés dans les pays développés, destruction d’emploi peu qualifiés, ii) création d’emplois peu qualifiés dans les pays en développement. Cette double dynamique laisse ouverte la question du solde global sur l’emploi dans les pays développés. Plusieurs études tendent à montrer que le solde est plutôt positif, mais clairement biaisé au détriment des personnes à moindre qualification.


3. Implication en termes d’action publique

L’interdiction des délocalisations a toutes les chances d’être contreproductive : non seulement l’entreprise verra son désavantage sur l’étape fabrication s’accentuer, mais en plus son effort en matière de conception/marketing et de diversification géographique risque d’être plombé par les surcoûts occasionnés. Même chose si l’on conditionne d’éventuelles subventions à l’engagement à ne pas délocaliser : la délocalisation est un moyen pour les entreprises de réorganiser leur activité productive afin de conserver leur avantage concurrentiel. Ceci ne signifie pas que toute délocalisation est rationnelle (cf. un billet précédent), mais, à l’inverse, il ne faudrait pas croire qu’aucune délocalisation n’est rationnelle… Je rappelle également que les délocalisations sont un levier important de création d’emplois et de richesses dans les pays en développement, ce dont ils ont, paraît-il, un peu besoin (et si l’on pousse un cran plus loin : le développement de ces pays participe à l’accroissement mondial de la demande, donc à la création de nouveaux débouchés pour les entreprises localisées dans les pays développés, etc.).

Est-ce à dire qu’il faut laisser faire les entreprises, à charge pour la collectivité de gérer les transitions ? Non, et ce pour une raison évidente : la délocalisation de l’entreprise de la Trimouille était largement anticipable depuis plusieurs années, aussi aurait-on pu s’interroger sur le problème de la reconversion des personnes peu qualifiées au sein du groupe et/ou au sein du territoire (le « on » désignant l’entreprise et les collectivités locales).

Deux grandes possibilités existent :

* développer la formation de ces personnes afin qu’elles puissent évoluer dans le groupe ou qu’elles puissent être employées dans d’autres entreprises du territoire (territoire régional ou départemental, avec des problèmes évidents de mobilité géographique de la main d’œuvre),

* s’interroger sur les emplois peu qualifiés en émergence : une prospective du Conseil d’Analyse Stratégique (une publication pilotée par C. Afriat est prévue en décembre 2006) indique qu’à horizon 2015, 25% des emplois créés en France relèveront des Services aux Personnes. Il y a là matière à repositionnement des personnes les moins qualifiées, pour autant que l’on anticipe les besoins et que l’on travaille à l’organisation de cette filière d’activité, afin que les emplois proposés ne soient pas sous-payés, fragmentés, etc…

La première possibilité est, dans l’état actuel des choses, difficile à mettre en œuvre : tant que l’entreprise est satisfaite de sa situation, elle n’a aucune incitation à former sa main d’œuvre. L’entreprise est également fortement incitée à ne pas divulguer d’information, ressource stratégique essentielle des organisations. Ce n’est qu’en renforçant les relations élus-managers (la route est longue et la pente est forte, et dans les deux sens !) d’une part, et en réfléchissant autour de la thématique de la sécurisation des parcours professionnels (ou terminologie approchante), d’autre part, que l’on pourra avancer sur ce dossier.

Les collectivités locales ont un rôle décisif à jouer dans le domaine, car des dispositifs territorialisés innovants existent (genre groupements d’employeurs, mais il y en a d’autres) pour concilier besoins de flexibilité de l’entreprise et besoins de sécurité des salariés. Il me semblerait plutôt pertinent de conditionner les subventions aux entreprises non pas à la « promesse » de ne pas délocaliser, mais plutôt  à l’engagement de s’insérer et de favoriser le développement de ce type de dispositifs.

La professionnalisation de l’Université

En route pour Fribourg, j’ai pu lire et apprécier quelques articles du quotidien les Echos (édition du 24/10) au sujet du rapport de la commission Hetzel. Il y a de mon point de vue de très bonnes propositions, d’autres plus discutables, j’y reviendrai à l’occasion. Juste un petit billet d’humeur ici…

La commission Hetzel, créée au lendemain de la crise du CPE, a remis son rapport (mardi 24 octobre 2006) au gouvernement. Un objectif clé : donner à tous les étudiants les moyens de s’insérer correctement et durablement sur le marché de l’emploi. Car, nous dit-on, 11% des jeunes sont au chômage trois ans après leur sortie du système éducatif. Une raison essentielle avancée : la mauvaise professionnalisation de l’Université… Dans cette perspective, afin d’améliorer l’insertion des jeunes, la commission propose de doter chaque cursus de licence d’outils professionnalisant : anglais, informatique, préparation d’un CV.

Je trouve ces propositions très intéressantes : dans notre faculté, nous utilisons en effet des bouliers pour que les étudiants résolvent leurs problèmes de statistiques, comptabilité-gestion, macroéconomie, microéconomie, etc… Bien sûr, c’est assez intéressant d’un point de vue financier, car les bouliers s’usent peu. Mais les calculs prennent parfois pas mal de temps, si bien qu’un passage à l’informatique me semble nécessaire. Pour l’anglais aussi, c’est une bonne idée. On n’y avait encore jamais pensé. Les étudiants n’ont d’ailleurs pas de cours d’anglais, ils ne peuvent pas partir à l’étranger pour étudier les langues, on ne leur propose pas de passer le Toeic ou assimilé, etc. Rien… (Non, je rigole : on leur fait des cours d’anglais ; bon, mais c’est vrai on utilise la méthode globale, ne le répétez pas, surtout, on se ferait virés…).

La rédaction des CV me semble en revanche superflue, en tout cas à court terme : puisqu’on n’apprend rien d’utile à l’insertion professionnelle, je ne vois pas l’intérêt de rédiger des documents vierges. Ca ne fera qu’accroître le problème de la déforestation.

Délocalisations : élargir la problématique


Je suis invité dans le cadre du Congrès International Francophone en Entrepreneuriat et PME (CIFEPME) qui a lieu à Fribourg (Suisse) du 24 au 27 novembre à une conférence-débat intitulée : "Délocaliser dynamise l’emploi dans l’entreprise mère?".  Participent également un chef d’entreprise ayant délocalisé en Chine, un élu suisse/président d’un syndicat de salariés, le directeur de la Chambre de commerce, de l’industrie et des services de Fribourg. La "commande" qui m’a été adressée est de prendre un peu de recul par rapport aux cas qui seront évoqués par les acteurs de terrains, d’où le titre de mon intervention : "Délocalisations : élargir la problématique". J’ai organisé ma présentation autour de dix idées clés (je ne les évoquerai sans doute pas toutes), qui ont pour vocation à chaque fois de chasser quelques idées reçues. La plupart ont déjà été évoquées sur le blog, ce billet permet donc de réorganiser un peu l’ensemble (j’ai mis quelques liens pour retrouver les autres billets).

idée #1. les délocalisations vers les pays en développement pèsent peu

Les statistiques disponibles (étant entendu qu’il existe des problèmes de définition et de quantification) montrent que les délocalisations vers les pays en développement pèsent peu.  L’hypothèse d’une désindustrialisation des pays développés est à rejeter (voir ici ). Ceci ne signifie pas qu’il n’y a pas de problème, mais que le problème ne se réduit pas à celui des délocalisations/désindustrialisation. La question est celle du processus (multidimensionnel) de réorganisation transnationale des activités économiques.

idée #2. la minimisation des coûts de production ne se limite pas à la minimisation du coût du travail

On se focalise sur les différentiels de coût du travail, mais la variable stratégique est le coût salarial unitaire, qui incorpore les différentiels de productivité. Des écarts subsistent, mais ils sont réduits, et tendent à se réduire car les salariés des PVD bénéficient des gains de productivité (+/- selon les pays). Ceci montre aussi qu’un enjeu essentiel est de gagner en productivité, ce qui dépend des choix d’investissement en capital physique, humain, public et de l’évolution des pratiques organisationnelles (dans et entre entreprises).

 idée #3. la minimisation des coûts ne se limite pas à la minimisation des coûts de production

Il faut prendre en compte aussi les coûts de la coordination à distance. nombre d’IDE échouent en raison d’une insuffisante prise en compte de ces coûts (délais d’approvisionnement, problèmes de qualité, problèmes de fiabilité, etc..). La minimisation de l’ensemble des coûts permet de comprendre le rôle toujours décisif de la proximité.

 idée #4. la flexibilité des entreprises n’est pas synonyme de flexibilité des salariés

Toutes les entreprises sont soumises à la contrainte de flexibilité, mais il existe plusieurs façons d’y répondre : i) flexibilité quantitative externe, ii) flexibilité quantitative interne, iii) flexibilité qualitative interne, iv) externalisation. La flexibilité quantitative externe n’est pas synonyme d’accroissement de la précarité si elle est gérée intelligemment sur les territoires (exemple des groupements d’employeurs). (cf. ici pour des développements)

idée #5. L’innovation ne se réduit pas à la haute technologie

L’entrée pertinente n’est pas le secteur. Dans chaque secteur, il existe des possibilités importantes d’innovation. Exemple évident : les textiles techniques. Plus généralement, « raisonner par secteurs comme l’électronique, l’informatique, les télécoms, n’a plus de sens, tant l’innovation se diffuse rapidement : il faut identifier les produits hi-tech dans chaque secteur. L’OCDE et Eurostat en ont listé 252 parmi 5111 catégories de produits échangés dans le commerce international » (Fontagné (€)).

 idée #6. L’activité d’innovation ne se réduit pas à l’activité de recherche

De plus, des entreprises innovent sans avoir développé d’activité spécifique de R&D. Elles bénéficient d’effets d’apprentissage (learning by doing, using, interacting…). Exemple de certains districts industriels ou approchants (je développerai un exemple un de ces jours, il y en a dans les Nouvelles géographies du capitalisme).

 idée #7. Les clusters technologiques ne sont pas le seul modèle de développement territorial

On a tendance à prôner le rapprochement local de tous les acteurs impliqués (entreprises, recherche, formation). D’autres stratégies réseaux pourraient être tentées (voir ici pour des développements sur la critique des pôles de compétitivité, transposition française des clusters).

idée #8. Les marchés financiers produisent parfois des résultats collectivement irrationnels

Le problème essentiel sur les marchés financiers n’est pas un problème de moralité (présupposé des rapports sur les bonnes pratiques de gouvernance), mais un problème de comportements mimétiques et court-termistes. Il convient d’en prendre acte et de favoriser la survie/le développement des différents modes de gouvernance. Ces problèmes de gouvernance sont cependant à relativiser (cf. ici).

idée #9. La rationalité des entreprises doit être interrogée

Les choix de délocalisations sont parfois assimilables à de pures conventions : on délocalise par imitation des concurrents des mêmes secteurs, sans avoir mis dans la balance l’ensemble des coûts à supporter (comportements mimétiques / stratégie du pingouin, je développe dans les Nouvelles géographies du capitalisme…).

idée #10. En matière d’action publique, il n’existe pas de one best way

L’étude des différents pays montre la diversité des capitalismes. Il n’y a pas de réponse unique à l’approfondissement de la mondialisation, mais des réponses plurielles, qui dépendent de l’économie, de la géographie et de l’histoire des territoires, et des rapports de force entre les collectifs d’acteurs. La one best way préconisé implicitement ou explicitement par certains politiques ou institutions (banque mondiale par exemple), relève plus de la diffusion d’une idéologie que d’un quelconque déterminisme économique.