interview RTL

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Demain matin (mardi  11 juin 2s007),je suis
interviewé par Christophe Hondelatte sur RTL entre 8h30 et 8h45
sur le sujet des délocalisations, suite à l’affaire Jallatte. Vous pouvez suivre l’émission en direct, ou la réécouter ici.

Comme je l’ai précisé à Catherine Mangin, il ne s’agira pas  de se focaliser sur le cas Jallatte,
plutôt  de discuter autour du problème plus général des délocalisations. Apparemment, il y aura quelques questions de Christophe Hondelatte auxquelles j’essaierai de répondre, puis des
questions/témoignages d’auditeurs avec, si nécessaire, re-intervention de ma part. N’hésitez pas à commenter si vous en avez envie!

Les choix de localisation des firmes françaises


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On connaît le discours ambiant : mon bon monsieur, avec les 35 heures, les impôts, les syndicats, les lourdeurs administratives, le coût du
travail –j’en passe et des meilleurs– pas étonnant que toutes nos entreprises aillent voir ailleurs (et puis nos
cerveaux
, et puis not’chanteur préféré) : en France, y’a plus d’avenir…

 La lettre du CEPII de février 2007
permet d’y voir un peu plus clair s’agissant des choix de localisation des filiales des firmes françaises. Ce travail est particulièrement intéressant, car il se focalise sur les déterminants de
la décision de l’investissement en intégrant, parmi les choix possibles qui s’offrent aux firmes françaises, le territoire français.

  Résultats :
 
1. sur les 21 500 créations de filiales industrielles sur la période 1987-2002, 18 000 correspondent à la création d’une
filiale en France, 3 500 sont des implantations à l’étranger,
 
2. la part des implantations étrangères augmente sur la période, passant de 9,5% en moyenne à la fin des années 1980 à 23% début
2000

3. les investissements hors de France se dirigent principalement en Europe (PECO de plus en plus)

4. le déterminant essentiel des investissements est l’accès au marché : on préfère produire et vendre sur
place, plutôt que d’exporter les biens. Le nombre d’implantations dans un pays donné dépend donc en première instance du potentiel de marché de ce pays

 
5. pour la France, le nombre d’implantation est encore supérieur, et significativement, à ce potentiel de marché. Il y a donc un
biais domestique important.

6. à partir de leur modèle explicatif des choix d’implantation, les auteurs montrent plus précisément que, pour une firme
française, la probabilité d’investir en France est dix fois supérieure à la probabilité d’investir dans un pays comparable en termes de marché, de coût de production, de
distance, …
 
7. ce biais domestique s’expliquerait en grande partie par la densité des relations financières et commerciales dont dispose une
firme dans son propre pays.
 
8. on peut penser que ce biais a tendance à se réduire, car les premiers engagements à l’étranger permettent aux firmes de
développer de tels réseaux financiers et commerciaux
Les auteurs finissent sur cette remarque : « le facteur explicatif crucial de la localisation des entreprises est le dynamisme de la demande. Même si des
mesures visant à réduire les coûts de production ou la charge fiscale ne sont pas à négliger, l’attractivité du territoire français dépend essentiellement des perspectives de long terme de la
demande française et européenne ».

Il y a des résultats complémentaires dans ce document de
travail du Cepii (en)
, dont le résumé en français est ici. Dans ce dernier document, les auteurs
expliquent notamment que « le choix d’investir à l’étranger plutôt qu’en France implique pour la firme d’avoir atteint un niveau de productivité et une taille suffisante (…) la
réduction relative de la propension des firmes à investir en France au cours de la période considérée pourrait [donc] refléter un accroissement de la productivité moyenne permettant à un nombre
accru d’entreprises d’investir sur les marchés étrangers
» (souligné par moi).

C’est typiquement le genre de résultat contre-intuitif qui vous fait aimer l’analyse économique : si les firmes françaises vont de plus en plus à l’étranger, c’est parce qu’elles seraient de plus
en plus productives en France, et non pas parce qu’en France, tout va mal et patati et patata…

La tentation protectionniste

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Le numéro de juin du magazine Alternaltives Economiques vient de paraître (€). J’y ai contribué (à l’invitation de Philippe Frémeaux et Guillaume Duval, que je
remercie au passage pour cette proposition et nos interactions) avec un article intitulé “La tentation protectionniste”, p. 33-35, remis au goût du jour en Europe, et
particulièrement en France, en raison notamment de la montée en puissance de la Chine.

Je montre chiffres à l’appui que la “menace chinoise” est à nuancer fortement. J’insiste aussi sur l’idée qu’une politique commerciale protectionniste est un bien
mauvais moyen de pallier les faiblesses de nos politiques de croissance, industrielle et sociale. Confronté à des difficultés, il est tellement plus facile d’externaliser la faute…

Je dis ça, et en même temps, ça ne m’étonnerait pas que notre nouveau président tente de négocier un mini-traité en échange de quelques mesures protectionnistes. Ca ne m’étonnerait pas que les
citoyens en soient très satisfaits. Ca ne m’étonnerait pas qu’à gauche de l’échiquier politique certains en reste sans voix, incapables de critiquer des décisions qu’on aurait bien aimé
prendre…

En plus de l’article principal, j’ai rédigé un encadré reprenant quelques éléments du débat récent, par blogs interposés, entre économistes américains (Mankiw, Rodrik, Blinder, Krugman notamment). Guillaume Duval a complété avec un encadré titré “Les outils du
protectionnisme”.

Commentaires bienvenus.

L’innovation ne s’arrête pas à la technologie

Le quotidien économique suisse l’Agefi a publié, dans son supplément du 21 mai 2007, un dossier intitulé : “L’idée
et le marché”, dirigé par l’équipe de la Haute école de gestion -HEG- Arc, Neuchâtel, la Business School de l’arc
jurassien.

J’ai contribué à ce dossier avec un article intitulé “L’innovation ne s’arrête pas à la technologie”. Vous pouvez télécharger ma contribution (pdf), voire le dossier dans son ensemble.

Commentaires bienvenus.

Faut-il censurer Oui-Oui?


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Hier soir, j’ai lu un livre à ma fille :
oui-oui et le gendarme. J’en suis encore tout tourneboulé…

Il faut dire que ça commence très mal pour Oui-Oui : son oeuf à la coque a mauvais goût et un pneu de sa petite voiture est crevé. Et voilà que le gendarme l’accuse
d’avoir pillé le garde-manger de Mlle Chatounette pendant la nuit…

 

Et pourquoi donc l’accuse-t-il d’un crime si odieux, me direz-vous ? Eh bien simplement parce que plusieurs des victimes du pilleur de garde-manger ont entendu, sur
les lieux du crime, le grelot de Oui-Oui. Et comme, à Miniville, seul Oui-Oui a un grelot, l’enquête du gendarme est vite conclue. Bien trop vite.

 

C’est à ce moment que j’ai commencé à me dire qu’Enyd Blyton était une auteure subversive,
laissant entendre que les gendarmes pratiquaient le délit de sale gueule (ou de sale grelot, ce qui revient au même : on se limite aux apparences).

 

Mais ce n’est pas tout : après une enquête rondement menée avec son ami Mirou, Oui-Oui a réussi à débusquer le vrai coupable (je me doutais bien depuis le début,
moi, que ça ne pouvait pas être Oui-Oui). Et, tenez vous bien, vous savez qui est le vrai coupable ? Fred. Et vous savez ce qu’il fait dans la vie, Fred ? Il est soldat…

 

Eh oui, dans un petit livre pour enfant, un auteur arrive à mettre dans la tête de nos chérubins que premièrement, les gendarmes sont des incompétents et que,
deuxièmement, les soldats sont des voleurs. Alors, oui, j’ose le demander : ne serait-il pas temps de censurer Oui-Oui ?

(Bon, à la décharge d’Enyd Blyton, je signale que Oui-Oui vouvoie le gendarme).

Publicité spécial délocalisations…

Je suis en train de naviguer sur Internet pour prendre de l’info sur l’entreprise Jallatte,
fabricant de chaussures de sécurité et de bottes professionnelles, qui vient d’annoncer un plan social parachevant la délocalisation de la production vers la Tunisie.

Je tombe sur un article sur le site du Midi Libre (édition du 25 mai 2007),
et là, partie haute de l’article, je découvre une animation publicitaire de Gaz de France (les publicités changent régulièrement, pas sûr que ce soit celle que vous trouviez), qui commence par
cette image :


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Suivent différents plans résumant les points à ne pas oublier, puis celui-ci :

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Enfin, la solution :

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Ils sont un brin cyniques, chez GDF

(annonce du plan social confirmée aujourd’hui, le sous-préfet demande la suspension du plan social, affaire à suivre…).

 

L’indécent alternatif

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Le magazine anti_bug_fckMarianne n°527 du 26 mai au 1er juin 2007 publie un dossier titré “Les 100 qui peuvent reconstruire une alternative” et, oh surprise, je
suis l’un de ceux là, dans la rubrique “les économistes” aux côtés de Aghion, Askenazy, Cohen, Généreux, Muet, Piketty, Philippon, etc… A signaler également la présence des
Econoclastes, qui viennent de réagir et
commentent un peu

En introduction du dossier, les journalistes expliquent que “c’est une longue phase de dialogue qui s’ouvre dans l’ensemble de l’arc de l’opposition républicaine. Cet arc est fait d’acteurs, de
penseurs, de militants inventifs et engagés. Certains sont déjà connus (…), d’autres ne le sont pas encore (…). Tous ,n’attendent qu’une chose : le débat, enfin! Nous avons voulu leur donner
la parole. Regardez-les, lisez-les, écoutez-les : si l’espoir doit renaître dans l’opposition, ils compteront!”.

S’agissant de ma modeste personne, Marianne commence en disant que j’ai 40 ans, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas, même si j’aimerais bien. Ensuite, la question qui tue : “comment faire
entendre sa voix quand on est prof dans une université de province?”, suivie de la réponse : “on se propulse dans la blogosphère”…  pour finir par ce petit commentaire plutôt sympa
“vu de Poitiers, on décortique mieux les politiques publiques, assurant un coup d’avance sur les phénomènes de la mondialisation”. Un coup d’avance dans la compréhension des problèmes, peut-être,
mais s’agissant de leur résolution, les politiques n’ont pas encore embrayés, me semble-t-il…

L’Affaire SFR


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L’entreprise SFR vient de décider de transférer trois centres d’appel pour le grand public, deux à SR Teleperformance (sites de Lyon, 582 personnes, et de
Toulouse, 724 personnes), un à Arvato Services, n°2 des centres d’appel en Europe, filiale du groupe allemand Bertelsman (site de Poitiers, 571 personnes). Sur le site de Poitiers (je ne sais pas
pour les autres), les syndicats de salariés ont immédiatement appelé à la grève, inquiets d’assister à une dégradation des conditions de travail (hausse des heures de travail, baisse des
rémunérations, question de la pérennité de l’emploi, etc.)
[1]. Les politiques poitevins n’ont pas encore réagi…
 
Cette décision correspond à ce que l’on appelle en économie une externalisation : une activité réalisée préalablement au sein de l’entreprise
est confiée à une entreprise extérieure
[2]. Quels sont les avantages (et les risques) d’une externalisation ? En fait, ils sont nombreux.
[add 28 mai : ce qui suit relève d’une analyse générale des avantages de l’externalisation, pas du cas précis SFR. L’enjeu serait de savoir si pour SFR, ils
jouent ou pas, ce qui supposerait, pour pouvoir se prononcer, d’avoir plus d’infos]
 
Premier avantage, une économie sur les coûts de production : SFR service client ne dispose que des clients SFR. Supposons qu’ils sont au
nombre de x. En sous-traitant à une autre entreprise, qui dispose déjà de y clients, la nouvelle entité sera dotée d’un portefeuille client de taille supérieure x+y.
Dès lors qu’il existe des possibilités d’économies d’échelle ou de gamme (mutualisation de certains services ou équipements par exemple), le coût unitaire de production va diminuer. Dit
autrement, on assiste à un approfondissement de la division industrielle du travail, les prestataires de ces nouveaux services agrègent les demandes du marché, dégagent des gains de productivité
et/ou améliorent la qualité du service rendu.
 
Problème éventuel pour les salariés : sur un marché stagnant, ceci peut se traduire par des réductions d’effectifs. Sur un marché en
croissance forte, en revanche, le risque est faible. Or, les études disponibles montrent qu’on doit plutôt s’attendre à un accroissement des effectifs dans les centres d’appel en France sur les
prochaines années (j’y reviendrai dans un prochain billet).
 
Problème éventuel pour l’entreprise : Les approches en termes de coût de transaction montrent que si l’entreprise externalise une
activité alors que le nombre de prestataires est réduit, elle va devenir fortement dépendante de ce prestataire, et donc encourir un risque d’opportunisme (le partenaire peut
« trahir », en augmentant ses tarifs par exemple). Le nombre de prestataire peut être faible avant l’entrée en relation (il n’existe sur le marché que quelques firmes pouvant rendre le
service) ou après la mise en relation (si le contrat de sous-traitance implique que le prestataire investisse dans des actifs spécifiques, celui-ci deviendra quasiment incontournable). Dans le
cas de SFR, je dirai que ce risque est a priori plutôt faible : il existe un ensemble assez grand de prestataires dans le domaine, les actifs sont relativement peu
spécifiques.
 
Deuxième avantage, mis en évidence par les approches en termes de compétences : l’entreprise ne dispose pas des compétences les plus
pointues pour réaliser l’activité, elle préfère s’en remettre à un spécialiste du domaine. La qualité du service rendue sera améliorée, ce qui renforce l’avantage concurrentiel de l’entreprise
ayant externalisé. C’est l’argument essentiel avancé par les responsables de SFR, Hervé-Matthieu Ricour (responsable de l’activité service client) déclarant par exemple « SR Teleperformance
et Arvato Services sont experts dans le traitement des appels (…) les deux sociétés vont augmenter le niveau de qualité du traitement des appels » (Les Echos, 24/05/2007). Problème
éventuel : si l’activité externalisée est au cœur de l’avantage stratégique de l’entreprise, elle se vide de sa substance et risque de devenir une « firme creuse ». Deuxième
problème éventuel : à partir du moment où l’entreprise décide de diviser le travail et de faire appel à un partenaire extérieur, se pose la question du mode de coordination entre les deux
entités. Si la coordination est difficile, prend du temps et se révèle peu efficace, la qualité du service rendu se dégradera.
 
Troisième avantage, la flexibilité. Quand une entreprise développe une activité en interne, elle doit assumer des coûts fixes (masse
salariale, équipements, bâtiments, …), c’est-à-dire des coûts indépendants du volume d’activité. Quand elle externalise, elle transforme des coûts fixes en coûts variables, c’est au sous-traitant
de s’adapter. C’est une des raisons essentiels des stratégies d’externalisation des entreprises et un moyen essentiel de flexibiliser l’entreprise. Dans le cas de SFR, cet avantage joue sans
doute beaucoup, surtout si l’activité est cyclique. Dans ce cas, en effet, certains équipements ou certaines personnes sont sous-employées à certaines périodes. En externalisant l’activité auprès
d’un spécialiste qui dispose de plusieurs clients, et à condition (comme c’est le plus probable) que les cycles des différentes clientèles ne coïncident pas parfaitement, on réduit la
sous-utilisation des facteurs de production.
 
Au total, on a donc trois grands avantages potentiels : accès à des compétences pointues, réduction des coûts de production et meilleure
gestion de la flexibilité ; et deux inconvénients potentiels : disparition des compétences au cœur de l’avantage concurrentiel de l’entreprise et risque d’opportunisme. Dans le cas SFR,
on peut penser que les avantages sont supérieurs aux inconvénients.
 
Est-ce à dire que les salariés ont tort de protester ? Difficile de le dire sans savoir plus précisément quelles sont les nouvelles conditions de travail qui
attendent les salariés. Pascal Fraty (FO) déclare ce matin « nous sommes très inquiets car nous allons perdre nos acquis sociaux. Nous avions une mutuelle, des tickets restaurant, un
13ème mois, une prime à l’intéressement, une participation au bénéfice. Soit environ seize mois de salaire. A compter du 1er août, nous n’aurons plus droit à la prime
d’intéressement, à la participation au bénéfice et pas davantage aux primes de performance d’équipe. Nous passerons de 16 mois de salaire à 12 mois. Soit 25% de nos revenus annuels en
moins »
[3] Pourtant, si les avantages de
l’externalisation que je viens de recenser sont suffisamment importants, la dégradation des conditions de travail ne devrait pas avoir lieu, car ce n’est pas de cette dégradation que l’entreprise
attendrait un renforcement de son avantage concurrentiel. A minima, les conditions de travail devraient être maintenues. A charge pour les différents acteurs du dossier de s’en
assurer…
[Add 28 mai : voir ce billet pour un
complément]
 

[1] Source de ces éléments factuels : La Nouvelle
République du Centre-Ouest, « SFR veut se séparer de son centre d’appels », Centre Presse, « SFR-Poitiers vendu à un groupe allemand », Les Echos, « SFR transfère trois
centres d’appels chez des sous-traitants », La Tribune, « SFR sous-traite ses centres d’appels » – édition du 24/05/2007 pour les quatre.
[2] Hier soir, j’ai vu en incrustation sur i-télé (ou LCI je
ne sais plus) le message suivant : « SFR décide de la fermeture de trois sites à Poitiers, Toulouse et Lyon ». Ce n’est pas une fermeture, mais une externalisation.
[3] La Nouvelle République, 25/05/2007, p. 3.