Le modèle du TGV



Le Monde consacre un édito au
modèle du TGV. Rien de particulier, si ce n’est ce petit passage…

"L’ expérience des lignes précédentes a montré que le TGV n’est pas un instrument miracle du décollage économique. Il peut même vider encore un peu plus un territoire en déclin, car il a tendance à accentuer les dynamiques, plutôt qu’à les inverser."

… qui m’incite à vous renvoyer au billet que j’ai écrit sur le sujet en septembre dernier "TGV et développement économique", et qui montre qu’au delà de "l’expérience des lignes précédentes", l’analyse économique montre qu’effectivement, le TGV n’est pas un "instrument miracle".

Bayrou sur les délocalisations



Interview de François Bayrou dans Les Echos daté du lundi 26 mars 2007. A été évoquée notamment la question des délocalisations. Les questions sur ce sujet ont toutes été posées par Marie-Hélène Bourlard, presseuse et délégué CGT près de Valencienne. Extraits commentés…

MARIE-HÉLÈNE BOURLARD. Vous ne parlez pas beaucoup des délocalisations. Or cela fait des décennies qu’on allège les charges et que les délocalisations se poursuivent. Que comptez-vous faire pour régler cette question ?

Personne ne réglera le problème des délocalisations. Si quelqu’un vient à cette place et vous dit « J’ai la mesure qui va régler la question », il raconte des histoires. Moi, je ne veux pas raconter d’histoires aux gens. Je veux les aider. Qu’a- t-on comme possibilité ? A la vérité, il y en a deux. La première, c’est de réfléchir au coût du travail…

On aurait pu souhaiter que Bayrou recadre le problème, en évoquant le poids globalement faible des délocalisations. Bon, ceci dit, avec un conseiller spécial Mondialisation comme Arthuis… Sur le volet préconisation, Bayrou se focalise immédiatemment sur la question "coût du travail", ce qui n’est pas le problème essentiel.

M.-H. B.Quand on gagne 1.000 euros par mois comme moi, la priorité, c’est surtout d’augmenter les salaires.

Je pourrais aisément me rendre populaire à vos yeux en annonçant que je vais augmenter les salaires. Mais, dans une branche comme la vôtre, si vous augmentez le SMIC – comme certains le souhaitent -, vous avez une délocalisation immédiate. Et je ne connais pas un économiste de gauche qui soit en désaccord avec ça. C’est vrai que c’est dur de vivre comme cela ; je ne peux pas prétendre que ce soit bien payé ni même convenablement payé. Mais vous ne pouvez pas arrêter les délocalisations quand vous êtes un pays exportateur.

L’association hausse du SMIC – délocalisation est pour le moins discutable… Si la seule variable de choix était le différentiel de salaires, avec un rapport coût horaire du travail France-Chine de l’ordre de 30 pour 1, ce n’est pas une hausse du SMIC qui changera grand chose (ni une baisse du SMIC, d’ailleurs…).

Quand des économistes plaident pour un allègement des charges sur le travail peu qualifié, par exemple Salanié ici, ce n’est pas en accusant la mondialisation : "Le chômage s’est en conséquence particulièrement concentré sur les catégories moins qualifiées, et notamment les jeunes sans diplôme. Il n’y a là rien de bien mystérieux et la mondialisation n’est pas le principal ressort de cet effet, comme on l’entend parfois dire. Même si la France fermait ses frontières, les employeurs continueraient de conditionner leurs décisions d’embauche aux coûts du travail des différentes catégories de travailleurs." (souligné par moi. Voir aussi ici pour l’état des études empiriques sur le sujet et un avis plus nuancé que celui de Salanié sur l’intérêt des réductions de charge).

On peut compléter avec ce tableau repris par Askenazy, qui permet de bien situer la France par rapport à un ensemble de pays comparables (variable : coût horaire ouvrier, base 100 Etats-Unis) :



Conclusion d’Askenazy : "a. Il y a potentiellement une marge pour augmenter le coût travail en France (soit en bonifiant les salaires, soit en diminuant les allègements de charges, ce qui donnerait une marge de man?uvre au budget de l’Etat), b. Les difficultés de l’industrie française ne sont pas du coté du travail mais de l’incapacité de nos industriels à trouver leur place dans la division internationale du travail et à bénéficier du boom des économies émergentes, c. En tout état de cause, on peut douter que de nouveaux allègements de charge apportent autre chose qu’un effet d?aubaine"…

Sur la question compétitivité-coût de la France, je renvoie aussi à ce billet.

Il y a donc au moins un économiste de gauche qui est en désaccord avec ce que dit Bayrou… faudra les présenter.

M.-H. B.Instaurons des règles européennes !

La deuxième voie face à la mondialisation, c’est, en effet, que l’Europe accomplisse son travail pour que, au moins, la concurrence soit équitable. Qu’on ait la certitude que, quand on impose des règles aux uns en matière d’environnement, elles soient respectées par les autres. Qu’on essaie d’aller vers une harmonisation en matière sociale, qu’on protège ses sites, ses productions. Par exemple en s’intéressant au niveau des monnaies, parce que certaines – je pense à la monnaie chinoise – sont terriblement sous-évaluées. Le travail en Chine vaut 75 fois moins que le travail en France. L’action ne peut être que politique et européenne.

Mais il y a aussi des entreprises qu’une part de délocalisation sauve. J’ai visité à Marseille une PME de 60 salariés, leader européen dans le domaine des capteurs et régulateurs pour les moteurs Diesel de bateau, avec près de 20 % de parts de marché mondial. Si elle ne faisait pas la moitié de sa production en Tunisie, elle serait déjà morte. Il y a des délocalisations favorables et d’autres mortelles. Quand l’entreprise s’en va, c’est une perte sèche.

Sur la première partie, je crois deviner la patte d’Arthuis : si on souffre, c’est que la concurrence est déloyale… Bon, ok, le dumping fiscal et social, ca existe. Limiter les problèmes français à cet aspect est excessivement réducteur (je ne dis rien sur l’idée consistant à attendre que les pays pauvres s’alignent sur nos conditions de travail pour pouvoir commencer à exporter). Idem pour une explication en termes de taux de change. Plus généralement, cf. ce billet pour la peur de l’ouvrier chinois. Deuxième partie de la réponse plus surprenante, qui tranche avec les discours des autres candidats : les délocalisations peuvent sauver certaines entreprises. Suffisamment rare pour être souligné, ça mériterait des développements…

M.-H. B.Mais que faire dans ce cas ? A la fin de l’année, mon usine délocalisera, ça fera 147 chômeurs de plus, alors que LVMH, notre donneur d’ordres, a réalisé 1,9 milliard d’euros de bénéfice net en 2006. Il nous tue. Et qu’est-ce que vous faites ?

Et vous, qu’est-ce que vous faites ? La candidate à l’élection présidentielle que vous soutenez, qu’a-t-elle fait ? Le parti que vous soutenez, qui a été au gouvernement, qu’a-t-il fait contre les délocalisations ? J’ai vu, en Vendée, une entreprise qui fabrique des ordinateurs haut de gamme, pour les Airbus, les Boeing et même les trains de tige qui forent pour le pétrole. Entre 350 et 400 de ses salariés, sur un total de 500, sont issus des secteurs du textile et du cuir. Cette reconversion est une réussite.

Début de la réponse assez peu constructif, c’est le moins qu’on puisse dire. La suite est plus intéressante, car elle montre l’enjeu de l’accompagnement des salariés. Mais, là encore, on aurait aimé des préconisations (au moins une ou deux pistes) plus précises…

M.-H. B.J’habite dans le Nord, dans l’Avesnois. C’est une zone sinistrée. Il n’y a plus rien.

Peut-être peut-on implanter des entreprises nouvelles ? Je refuse de baisser les bras : je viendrai dans le sud de l’Avesnois.

François Bayrou viendra dans le sud de l’Avesnois : le sud de l’Avesnois est donc sauvé.

Bon, ce n’est ni vraiment pire, ni vraiment meilleur que ce qu’ont pu dire Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sur le sujet. Personnellement, j’en viens à me dire de plus en plus que ce n’est pas sur la base d’une comparaison des programmes économiques que je pourrais choisir entre les candidats… Ce qui m’embête encore plus, c’est que les problèmes économiques de la France ne semblent pas près d’être résolus…

Pôle de compétivité : retour sur le biais du localisme



[Ce billet est également en ligne sur Débat 2007, vous pouvez réagir ici ou là-bas]

Les trois principaux candidats ne s’opposent pas sur tout : il semble y avoir consensus autour des pôles de compétitivité, érigés en nouveau modèle de développement économique des territoires. J’ai déjà dit dans ce billet que si cette politique allait globalement dans le bon sens, elle souffrait de certaines limites importantes. J’ai notamment évoqué le biais du localisme : on prône le rapprochement sur un même territoire des acteurs de la formation, de la recherche et de l’entreprise, sans s’interroger véritablement sur les complémentarités existantes. Dans certains cas, elles existent, dans d’autres cas, on peut en douter… On pourrait prôner une autre stratégie de mise en place de réseaux d’innovation, avec un rôle essentiel dévolu à des structures d’interfaces, chargées de mettre en relation les entreprises d’un territoire avec les acteurs disposant de compétences complémentaires, où qu’ils soient localisés.

J’y reviens et je complète à la lumière d’un document de travail du CPER de Sharon Belenzon et Mark Schankerman (discussion paper n°6120, article payant), qui se focalisent sur les revenus liés à la vente de licences par des universitaires détenteurs de brevets. Les auteurs s’appuient sur les données d’une enquête auprès d’universités américaines sur la période 1995-1999. Ils s’interrogent notamment sur l’effet de l’existence d’objectifs de développement économique local sur les revenus générés par la vente des licences.

Résultat? Les universités qui incluent des objectifs forts de développement local génèrent 30% de revenus en moins par licence. L’existence de ces objectifs locaux n’influe pas sur le nombre total de start-up, mais conduit à l’émergence d’un plus grand nombre de start-up locales.

Il semble donc qu’en prônant le rapprochement des acteurs situés sur un même territoire, on réduise les performances globales tout en augmentant certaines performances locales (augmentation du nombre de start-up locales). Comme les collectivités ne font qu’une évaluation locale des dispositifs qu’ils mettent en place –les rares fois où ils font de l’évaluation– elles seront satisfaites. A l’inverse, si les politiques voient se développer des relations non locales, ils n’aiment pas : certains élus poitevins, par exemple, s’inquiétaient récemment dans la presse du fait que 10% seulement des projets soutenus par le pôle de compétitivité MTA de Poitou-Charentes soient des projets locaux.

Une façon de comprendre une partie du problème consiste à partir de ce petit exercice de statistique : supposons que dans une région A il existe n acteurs, et dans une région B, m acteurs.

Première hypothèse, on « autorise » la mise en relation des acteurs mais seulement au sein d’une même région. Dans ce cas, le nombre de relations potentielles au sein de la région A est égal à n*(n-1)/2. Par exemple, pour 3 acteurs, on a 3 relations possibles = {(1,2) ; (1,3) ; (2,3)}. Pour 10 acteurs, 45 relations potentielles, etc… Pour la région B, m*(m-1)/2 relations potentielles. Le nombre total de relations pour les régions A et B est de :

K1 = n*(n-1)/2 + m*(m-1)/2

Supposons maintenant qu’on autorise la mise en relation de tous les acteurs, peu importe leur localisation. Le nombre de relations potentielles est alors de :

K2 = (m+n)(m+n-1)/2

On montre facilement que K2-K1 = mn : en « forçant » la mise en relation locale, on se prive de mn relations potentielles.

Il s’agit bien sûr de relations potentielles. La mise en place de structures d’interface peut être un bon objectif de politique économique, si elle permet d’accroître le nombre de relations effectives, qui sont essentielles à l’innovation et donc à la croissance, dès lors qu’on reconnaît le rôle de l’apprentissage par interaction (le interactive learning cher à un économiste comme Lundvall). Ces structures d’interface ont pour mission de réduire les coûts de la mise en relation, autrement dit une forme de coûts de transaction. En revanche, confier à ces structures la mission de développer des relations locales est manifestement une erreur.

Quand les délocalisations créent de l’emploi en France…



Dans l’esprit de beaucoup de personnes, la France se vide de toute activité au profit des pays en développement comme la Chine, l’Inde, les Pays de l’Est, etc… Cette idée est doublement fausse : premièrement,  la France attire de nombreux projets industriels, elle présente un degré non négligeable d’attractivité. Deuxièmement, si l’on regarde où se dirigent les investissements français à l’étranger, on s’aperçoit qu’ils ne vont pas prioritairement en Chine ou dans les PECO, mais dans d’autres pays développés.

J’ai fourni dans Les nouvelles géographies du capitalisme quelques chiffres relatifs à ce dernier point. J’ai complété un peu sur le blog avec des données 2003 sur l’Europe.  J’actualise ici  grâce aux documents disponibles de la Banque de France :


Le premier pays "non développé" attirant des IDE français est la Pologne. Elle pèse 1% de l’ensemble des IDE français. Suit le Brésil, avec 1% également. La Chine est assez loin derrière, avec moins de 0,5% de l’ensemble. Les 10 premiers pays de destinations, tous des pays industrialisés, pèsent plus de 80% de l’ensemble.

D’autres tableaux/calculs montrent que 60,5% des IDE français vont dans l’UE à 15 fin 2004, 28,4% dans les autres pays industrialisés et seulement 2,2% dans les PECO10 (8,5% dans le reste du monde). Difficile de croire après ça à un déménagement massif de l’activité économique localisée en France vers les pays en développement.

Est-ce nécessairement une bonne chose? Pas si sûr :
* une bonne part des IDE à l’étranger ne vise pas à rationnaliser le processus productif, mais à accéder à une nouvelle demande. Le faible engagement des entreprises françaises en Chine par exemple peut être considéré comme pénalisant, s’il empêche de prendre position sur un marché aux perspectives prometteuses,
* et ce surtout si on garde en tête le résultat qui commence à émerger de certaines études récentes (accès limité pour certaines études) : les entreprises qui s’engagent à l’étranger crééent plus d’emplois dans leur pays d’origine que les entreprises ne s’engageant pas à l’étranger.

Petit extrait de l’article (abonnement NBER nécessaire) de Navaretti, Castellani et Didier, 2006, "How does investing in cheap labour countries affect performance at home? France and Italy", NBER Working Paper n°5765, juillet (ma traduction) :

Le transfert d’emplois d’industries de basse technologie vers les pays à bas coût est souvent vue par le grand public et par les politiques comme un signe de la désindustrialisation des économies européennes. Cependant, plusieurs études récentes ont montré que les effets sur l’économie domestique sont rarement négatifs et souvent positifs. Notre papier se focalise sur les investissements vers les pays à bas coût de main d’œuvre réalisés par un échantillon de firmes françaises et italiennes s’étant engagées à l’étranger sur la période d’étude. (…) Nous ne trouvons pas de preuve d’effet négatif. En Italie, l’investissement dans ces pays améliore l’efficacité des activités domestiques, avec également un effet positif de long terme  sur la production et l’emploi [3 ans après l’investissement, l’emploi dans le pays domestique est 8,1% plus élevé que pour les entreprises ne s’étant pas engagées à l’international]. Pour la France, nous trouvons un effet positif sur la taille du marché domestique [En termes de production et d’emploi. Cependant, contrairement à l’Italie, les auteurs ne trouvent pas d’effet significatif sur la valeur ajoutée et la productivité] (…).



Bien sûr, et c’est un point essentiel, si le solde est positif, les emplois détruits et les emplois créés ne sont pas les mêmes. Ce que politiques doivent prôner, ce n’est donc pas l’interdiction des délocalisations, mais l’anticipation et la gestion des mutations ainsi que l’accompagnement des personnes les plus exposées (personnes peu qualifiées en milieu rural notamment).

France 3 Poitou-Charentes : debriefing


Retour sur l’émission enregistrée hier, annoncée dans ce billet. Elle devait être est disponible sur le site, il n’y a, pour l’instant, que les vingt dernière minutes. Guénolé Seiner m’a indiqué par mail que ce serait réparé aujourd’hui dimanche ou demain lundi.

Je ne m’étends pas sur ma prestation (n’hésitez pas à commenter!), j’ai essayé de faire passer 2 ou 3 idées :
i) les délocalisations pèsent globalement peu mais localement (certains secteurs, territoires, niveaux de qualification) beaucoup,
ii) il y a des choses à faire en termes d’anticipation des problèmes et d’accompagnement des personnes les plus touchées,
iii) l’industrie française a un avenir, qui ne se limite pas aux pôles de compétitivité.

Sur la prestation des politiques :
i) sur la forme, les représentants LCR et PS ont été de mon point de vue plutôt bons. Les autres plutôt moins bons. J’ai été surpris de voir à quel point on pouvait lire sur mon visage ce que je pensais des propos (particulièrement calamiteux, je ne m’étends pas, jugez par vous-même) de la représentante de l’UMP. Désolé pour elle…
ii) sur le fond :  Fountaine est sans conteste celui qui connaît le mieux l’économie (sa double expérience de politique et de chef d’entreprise expliquant sans doute cela). Je pense qu’il a aussi plus l’habitude des plateaux télé. On peut notamment admirer ses réponses aux questions du journaliste relatives aux propos de Ségolène Royal : il semblerait que Jean-François Fountaine ne partage pas certaines propositions de la candidate socialiste, par exemple celle "d’interdire les délocalisations d’entreprises de marques faisant des bénéfices", mais il nous a sorti une réponse savoureuse permettant de ne pas contredire la candidate sans renier pour autant ses convictions. Difficile exercice d’équilibriste!

Bref, si on m’avait demandé de voter  pour un des politiques présents, j’aurais sans doute voté pour Fountaine. Mais j’insiste : voter Fountaine ne signifie pas voter Ségolène…

Histoires de relocalisation…



L’entreprise Samas a décidé de relocaliser en France la fabrication de mobilier de bureau préalablement délocalisée en Chine. Motifs essentiels invoqués par les responsables : la hausse des coûts de transport, des délais de transport trop longs, la difficulté de se coordonner efficacement avec les clients, localisés pour l’essentiel sur le continent européen. Ces éléments de coût font plus que compenser les gains liés au différentiel de salaire entre la France et la Chine.

 Cette « affaire » Samas a remis sur le devant de la scène la question des relocalisations d’entreprise : et si, finalement, on s’était trompé ? Si, finalement, une cohorte de plus en plus importante d’entreprises s’étant engagées en Chine (plus généralement dans les pays en développement), décidait de revenir en France (plus généralement dans les pays développés) ? Ne pourrions-nous pas échapper à la désindustrialisation de notre économie qu’on nous annonce inéluctable ?

 Certes, les exemples de relocalisation [1] ne manquent pas. Petit tour d’horizon…

L’entreprise Nathan (source : Les Echos, « Une hirondelle ne fait pas le printemps », 18 mars 1996, p. 50)

Nathan avait décidé de délocaliser la production de jeux à Hong-Kong. Conséquence : suppression de 22 emplois en Bretagne. En 1993, Nathan fait demi-tour, en relocalisant la production dans le Finistère, à Loguivy. Deux raisons à cela.

Un premier élément d’explication tient au comportement opportuniste du partenaire chinois : celui-ci a plagié les produits Nathan pour les redistribuer en France, évidemment à moindre prix. Une belle illustration de la théorie de l’Agence, qui montre la difficulté de contrôler à distance les comportements des partenaires (ce n’est pas toujours vrai : l’entreprise Willy Betz (ces camions jaunes que vous croisez sûrement si vous empruntez les autoroutes françaises) contrôle très bien le comportement de ses chauffeurs via la mise en place d’un système informatisé de suivi de sa flotte…).

Un deuxième élément d’explication relève des coûts de la coordination à distance : en 1996, Joëlle Poirier, alors directrice générale des jeux Nathan, expliquait que la délocalisation « imposait de passer commande un an à l’avance » et les délais de transport « atteignaient un mois ». Bref, difficile de suivre efficacement l’évolution de la demande… Problème de réactivité, donc.

 L’entreprise Jeanneau-Benneteau (source : Les Echos, « Une hirondelle ne fait pas le printemps », 18 mars 1996, p. 50)

Histoire assez similaire : l’entreprise Jeanneau, fabricant de bateaux de plaisance, décide de délocaliser 30% de sa production en Pologne, en raison d’un coût de la main d’œuvre huit fois inférieur. Demi-tour, en raison « de gros problèmes de qualité et d’image ». Bruno Cathelinais, directeur général de Bénéteau, déclarait en 1996 « nous avons déjà ramené la fabrication de trois produits en France, et le reste suivra dans les prochaines années ».

 Les entreprises Mobidel et Texim (Source : Libération, « un tee-shirt c’est sept minutes en Inde et deux minutes en Europe », 20 février 1997, p. 27)

80% de la production de ces deux entreprises textiles avaient été délocalisées en Inde, afin de bénéficier d’un coût du travail favorable. Francis Leclaire, PDG des deux entreprises, a décidé de relocaliser la fabrication en France, en comptant sur la réorganisation du processus et sur son automatisation. En Asie, dit-il, « l’outil de travail n’est pas toujours des plus performants. La productivité des ouvrières n’est pas non plus la même. Un certain nombre de tâches se font par exemple à la main et la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. D’où un taux de perte relativement élevé ». Il cite également le problème des délais de transport, des taxes d’importation et des quotas européens.

 L’entreprise Atol (source : Les Echos, « Atol rapatrie de Chine dans le Jura la fabrication de ses lunettes Ushuaïa », 28 octobre 2005, p. 20 et Valeurs Actuelles, « Atol voit plus près » n° 3659, 12 Janvier 2007)

L’entreprise Oxibis-Exalto est un lunettier installé à Morbier (Jura). Atol distribuait déjà les modèles des marques Oxibis (milieu de gamme) et Exalto (haut de gamme). Les lunettes Ushuaïa, également distribuées par Atol, étaient jusqu’alors fabriquées en Chine. Atol a décidé de relocaliser en partie la fabrication en France, en se tournant vers Oxibis-Exalto, afin de gagner en qualité, en créativité et en réactivité : « Nous misons aujourd’hui tout sur le made in France qui nous permet d’avoir une qualité et un design irréprochables ainsi que des couleurs que l’on ne trouvait pas en Chine » (Philippe Peyrard, directeur général délégué in Valeurs Actuelles). Plus loin il ajoute « Nous avons aussi choisi le site de Beaune pour son emplacement géographique qui nous permettra d’offrir de nouveaux services : nos magasins pourront ainsi passer commande jusqu’à 20 heures à l’unité bourguignonne en étant assurés que leurs clients auront leurs lunettes dès le lendemain matin, quelle que soit leur localisation en France ». La fabrication en Chine impliquait de prévoir des délais de livraison de trois à quatre mois…

L’entreprise Aquaprod (Source : La Croix, « Qu’est-ce qu’une relocalisation », 4 janvier 2007 (bref article) et surtout Pénard T., 2006, support de cours disponible en ligne)

L’entreprise Aquaprod est un fabricant français de cabines de douche, qui emploie 300 personnes. Elle a délocalisé sa production en Roumanie en 2002, puis a décidé de relocaliser près de Nantes en 2005. Motifs invoqués : les délais de livraison trop long, les problèmes de communication avec des équipes lointaines, la hausse des coûts de transport côté roumain. Et les gains attendus, côté français d’un accroissement de la productivité (sous-tendue par l’acquisition d’une machine spécifique) et d’une plus grande réactivité ; ainsi que d’un positionnement sur le haut de gamme.

 Des entreprises de Rhône-Alpes (Source : Chanteau J.-P., 2001, L’entreprise nomade : localisation et mobilité des activités productives, L’Harmattan).

Jean-Pierre Chanteau a recensé en 1993 sept cas de relocalisation en Rhône-Alpes et un seul cas en 1997. Les entreprises recensées appartiennent à des secteurs variés (textile, mécanique, pharmacie, jouets, matériel de construction), reviennent de pays différents (Ile Maurice, Maroc, Italie, Japon, …), et relocalisent pour des motifs différents, avec une raison nouvelle par rapport aux cas précédents : confrontées à une baisse d’activité, des entreprises rapatrient de l’activité sur un site sous-employé.

 Des entreprises allemandes (Source : Mouhoud El Mouhoub, 1992, Changement technique et division internationale du travail, Economica)

Dans son ouvrage, Mouhoud évoque le cas d’entreprises du textile-habillement et de l’électronique. Grundig, notamment, qui avait délocalisé à Taïwan sa production de TV, hi-fi et autres produits de l’électronique grand public en 1977, a relocalisé en Allemagne en 1983. 850 emplois supprimés sur Taïwan. Idem pour Siemens, déménagement à Mauritius en 1977, raptriement en Allemagne en 1981, 1000 emplois supprimés.

Une des raisons essentielles de ces rapatriements est l’évolution technologique : les compétences présentes dans les pays ayant bénéficié dans un premier temps de la délocalisation ne sont pas suffisantes pour fabriquer efficacement les biens dont les caractéristiques ont évolué en raison des innovations introduites par les entreprises.

 Quelques cas de relocalisation existent donc bel et bien. Il convient cependant de ne pas les surmédiatiser : de la même façon que les citoyens ou les médias ont tendance à exagérer (doux euphémisme) le poids des délocalisations vers les pays en développement, je crains qu’ils n’en viennent à placer des espoirs peu fondés dans le processus inverse de relocalisation, car dans l’ensemble des emplois créés en France, ces derniers ne pèsent que très peu. Chanteau semble confirmer ce point dans un article récent du Monde : "On peut estimer à environ une cinquantaine le nombre de relocalisations par an en France… sur deux millions d’entreprises françaises".

 Ceci ne signifie pas qu’il n’y a aucun enseignement à en tirer : ces différents exemples montrent la complexité des déterminants à la base de l’avantage concurrentiel des firmes. Le coût du travail, la productivité, la qualité des biens, les coûts de transport, les délais de transport, la capacité d’innovation, la réactivité, les besoins d’interaction clients-fournisseurs, etc … sont autant d’éléments que les entreprises devraient prendre en compte afin de déterminer une localisation « optimale ». Je ne suis pas sûr que toutes intègrent dans leur réflexion l’ensemble de ces déterminants…


[1] Une relocalisation peut être définie comme le retour dans un pays développé d’une activité préalablement délocalisée dans un pays en développement. Une définition plus restrictive limiterait les délocalisations au retour d’un établissement sur son emplacement initial. Une définition plus large désignerait par le terme de relocalisation le déménagement à l’international d’un établissement affilié à une entreprise d’un autre pays (Chanteau, 2001, p. 165).

Délocalisations : interview pour Libé


Le journal Libération publie aujourd’hui, dans son cahier emploi, trois articles autour de la question des délocalisations. Premier article qui permet notamment de faire le point sur le poids des délocalisations dans les destructions d’emploi en Europe. Comme signalé ici à maintes reprises, les délocalisations pèsent globalement peu, mais localement beaucoup (certains secteurs, certains territoires, certaines catégories de salariés). Pour preuve ce graphique (disponible dans la version papier de Libé) :

Ce graphique est construit à partir des données publiées dans le rapport 2005 de l’ERM (European Restructuring Monitor). Sur l’ensemble des pays enquêtés, les délocalisations représentaient, en 2005, 5,9% des pertes d’emplois. En France, le chiffre est un peu plus faible : 4,6%. On est bien loin des chiffres que les citoyens et les politiques ont en tête…

Deuxième article, une interview accordée à Judith Rueff. J’insiste sur le faible poids des délocalisations, sur le pourquoi du décalage entre le discours et les faits et sur quelques pistes en termes d’action publique pour réduire les problèmes locaux rencontrés. Troisième article, enfin,  des réactions des salariés de Well, Dim et Arena, qui considèrent être victimes de licenciements boursiers. Comme expliqué ici et à propos d’Aubade, il conviendrait de ne pas réduire les mouvements observés à la dictature des marchés financiers. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire, mais autant cibler les bons problèmes pour y apporter des réponses pertinentes.

Les territoires de l’innovation



Nouvel article de recherche intitulé "Les Territoires de l’Innovation", paru dans la Revue Economique et Sociale, 64(3), p. 53-58. C’est un petit article qui insiste sur les limites actuelles des politiques en termes de Pôles de Compétitivité (vision étroite de l’innovation et biais du localisme notamment). Si vous êtes intéressés, envoyez-moi un mail, je vous transmettrai une version préliminaire de l’article.

add : je viens de trouver comment mettre en ligne sur over-blog des fichiers de toute nature… plutôt que de m’envoyer un mail, cliquez-ici pour obtenir la version préliminaire de l’article. Toute remarque est bienvenue!