Qui sont tes amis Facebook?

Voici les résultats de la petite enquête lancée il y a quelques temps, afin de dire des choses sur les réseaux socionumériques, en l’occurrence sur Facebook. Les trois questions clés de l’enquête étaient les suivantes, elles ont permis de définir trois variables :

  1. Combien avez-vous d’amis Facebook? variable X
  2. Parmi vos amis Facebook, combien résident dans la même ville que vous? variable Y
  3. Parmi vos amis Facebook, combien de personnes n’aviez-vous jamais rencontré physiquement avant d’être amis sur Facebook? variable Z
S’agissant de la deuxième question, j’aurai préféré demander aux enquêtés le nombre de personnes résidant dans la même région plutôt que la même ville, mais c’est plus compliqué à obtenir sur Facebook.

A partir des valeurs de ces variables, j’ai défini deux indicateurs :

  1. le degré de proximité relationnelle, égal à (X-Z)/X. En clair, il s’agit de la proportion d’amis Facebook que vous aviez rencontré physiquement avec d’être amis sur Facebook.
  2. le degré de proximité géographique, égal à Y/X.
217 personnes ont répondu (un peu plus, mais il y avait quelques réponses incomplètes que j’ai supprimé). L’échantillon n’a rien de représentatif, ce n’était pas l’objectif. Voici les caractéristiques de base des personnes interrogées, pour les variables quantitatives, d’abord :
variable modalité %
genre homme 59%
femme 41%
Ville Poitiers 34%
Paris 12%
Autres 55%
niveau d’étude <bac +3 28%
bac+4 ou 5 49%
>bac+5 24%
utilisation Facebook tous les jours 80%
moins souvent 20%
Puis pour les variables qualitatives :
variable moyenne
age moyen 31,9
nombre d’années résidence 10,1
nombre d’amis Facebook 199,7
nb années sur Facebook 4,1

Le degré de proximité relationnelle

Premier résultat essentiel : le degré de proximité relationnelle des personnes enquêtés est particulièrement élevé. Moyenne de 93%, médiane de 99%, premier quartile de 97%, premier décile de 80%. Résultat conforme à mes attentes : Facebook ne permet pas, pour l’essentiel, de se faire de nouveaux amis, il permet d’entretenir des relations avec des amis que l’on s’est fait hors ligne. Résultat conforme à cette étude américaine.
J’ai estimé un petit modèle économétrique, avec pour variable expliquée le degré de proximité relationnelle et pour variables explicatives les différentes variables disponibles. Voici les résultats (les étoiles indiquent que les variables explicatives sont statistiquement significatives) :
variable expliquée : degré de proximité relationnelle
Coefficient
age -0,49 ***
homme -2,64
<bac+3 modalité de référence
bac +4 ou 5 2,25
>bac+5 -0,49
autre ville modalité de référence
poitiers -1,89
paris -2,41
nb années résidence 0,07
nb amis -0,04 ***
nb années FB 1,75 **
FB intensif -7,71 ***
constante 116,86 ***
n 217
R2 0,26
 Les variables qui ressortent sont l’âge (influence négative sur le degré de proximité relationnelle) et des variables qui caractérisent le mode d’utilisation de Facebook. Le nombre d’amis et l’intensité d’utilisation de Facebook conduisent notamment à une proximité relationnelle plus faible.

Le degré de proximité géographique

En moyenne, la proportion d’amis Facebook qui vivent dans la même ville que les personnes enquêtées est de 19%. Voici la distribution du degré de proximité géographique :
Les résultats sont sensiblement différents selon la ville des enquêtés : la proportion monte à 27% pour les poitevins et à 29% pour les parisiens. Elle est en revanche de 12% pour les résidents des autres villes.
Ces “scores” sont-ils élevés? Plutôt oui, je dirais : si le monde était plat, la proportion d’amis Facebook des habitants d’une ville donnée devrait être égale au poids de cette ville dans la population mondiale, ou dans la population française si on raisonne simplement sur la France. Poitiers ne pèse pas 27% de la population française, Paris ne pèse pas non plus 29% de la population. En raisonnant à l’échelle des régions, les proportions seraient sans doute significativement plus élevées. Dans tous les cas, la géographie reste marquée et les liens locaux sont plutôt importants.
Résultat assez peu surprenant : on entretient sur Facebook des relations développées hors ligne, relations qui se nouent pour une part importante dans la proximité géographique. Résultat conforme là encore avec celui de l’étude américaine citée plus haut, qui montre que 90% des amis facebook des personnes interrogés (des étudiants de premier cycle universitaire) résidaient dans le même Etat US qu’eux.
Comme plus haut, j’ai testé un petit modèle économétrique, dont voici les résultats :
variable expliquée : degré de proximité géographique
Coefficient
age -0,05
homme 2,43
<bac+3 modalité de référence
bac +4 ou 5 -6,08 **
>bac+5 -6,42 *
autre ville modalité de référence
poitiers 13,29 ***
paris 18,36 ***
nb années résidence 0,52 ***
nb amis 0,00
nb années FB -0,67
FB intensif 3,59
constante 12,77 *
n 217
R2 0,29
Ce sont cette fois des variables qui caractérisent les personnes qui influent sur le degré de proximité géographique. Sans surprise, le niveau d’études influe négativement sur ce degré : les personnes ayant un niveau d’études supérieur à bac+3 sont plus mobiles géographiquement. Le nombre d’années de résidence influe logiquement positivement sur le degré de proximité géographique.

Conclusion

A ceux qui pensaient que les réseaux socionumériques étaient susceptibles de bouleverser le monde social, cette petite enquête, sur le cas d’un réseau spécifique (Facebook), montre plutôt le contraire. L’intérêt de Facebook est ailleurs : il permet d’entretenir à moindre coût des relations préexistantes. Un prolongement possible consisterait à s’interroger sur la nature de ces relations (liens forts vs. liens faibles, cf. Granovetter), pour voir le rôle éventuel d’un tel réseau dans l’activitation des liens faibles, dont le rôle stratégique est mis en évidence depuis longtemps par la sociologie économique.

La géographie de Facebook ? La suite d’une longue histoire…

Toujours en train de préparer ma conférence de lundi prochain, où il sera notamment question de la géographie des réseaux sociaux, j’ai découvert une animation pas inintéressante : pour un pays donné, on peut voir dans quels autres pays, prioritairement, sont localisés les “amis” Facebook.

Sans surprise, on découvre que le monde n’est pas plat, que la géographie de Facebook est même très marquée, elle s’explique notamment par des effets de proximité géographique, des effets de proximité linguistique, qu’elle s’explique plus généralement par l’histoire longue des pays. Pour la France, ça donne cette configuration :

Je vous laisser découvrir les résultats pour le pays de votre choix : c’est ici.

Journalisme pas Net

Bon, c’est pas tout ça, faut que je prépare ma conférence pour la semaine prochaine… Les deux premières parties, ça va. Pour la troisième partie, il s’agit d’être efficace, je n’aurai pas beaucoup de temps…Trois ou quatre diapos max… Je vous rappelle l’idée : “Nous finirons par quelques réflexions sur la qualité des informations et des connaissances accessibles via les réseaux socionumériques, plus généralement via internet, suite au débat récurrent entre médias traditionnels et nouveaux médias (cf. les déclarations récentes de Frédéric Begbeider, Laurent Joffrin ou Aurélie Filippetti). Nous en montrerons la complémentarité et insisterons sur les enjeux d’éducation à l’utilisation des réseaux socionumériques, plus que de censure.”

Première diapo, déclaration d’Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication :

“Si la presse abandonne la qualité, il n’y aura plus de différence entre les journaux, les magazines payants et la presse gratuite, notamment sur le Net où rien n’est éditorialisé.” (Aurélie Filippetti, source : http://www.polkamagazine.com/19/le-mur/polka-image/890)

Deuxième diapo, déclaration de Laurent Joffrin, Directeur de la rédaction du Nouvel Observateur :

« L’utopie babylonienne d’une bibliothèque universelle ouverte au monde entier, comme celle d’un journal planétaire permanent, libre et gratuit, trouve une soudaine incarnation. Personne ne songe, évidemment, à entraver cette marche vers l’avenir. Mais il faut rappeler que si le Net est un magnifique outil de diffusion, il ne produit rien. » (source : http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=7694)

(j’aurai pu aussi prendre un extrait de ce papier plus récent, mais ça aurait été salaud :  http://tempsreel.nouvelobs.com/laurent-joffrin/20120827.OBS0520/la-commission-jospin-et-les-derives-du-web.html)

Troisième diapo, un exemple de production journalistique éditorialisé, avec un redac chef, des journalistes avec des cartes de presse, tout ça, tout ça :

Quatrième diapo, un exemple de contenu trouvé sur le Net, une sorte de non-production, non éditorialisé, par un anonyme qui se prétend avocat, mais on n’a aucune preuve :

Voilà, voilà… Bon, en fait, c’est cool : j’ai fini de préparer la fin de mon intervention. Une sorte de démonstration par l’absurde, je dirais.

Qu’apprend-on avec les réseaux socio(numériques)?

“Qu’apprend-on avec les réseaux socio(numériques)?” est le thème du Campus européen d’été de la Cité des Savoirs, organisé par l’Université de Poitiers et ses partenaires, du 17 au 21 septembre 2012. Toutes les informations sont disponibles ici.

C’est dans le cadre de ce Campus que j’ai été invité à assurer la conférence d’ouverture, le 17 septembre, de 11h à 12h30 (intervention d’une heure suivie d’une demi-heure de questions/réponses), à la MSHS de Poitiers. Titre de mon intervention : “Réseaux sociaux et réseaux socionumériques : quelques éléments de réflexion”. Voilà en gros de quoi je devrais parler :

L’objectif de la conférence est de s’interroger sur la distinction entre les réseaux sociaux tels que définis par la nouvelle sociologie économique, à la suite notamment des travaux de Mark Granovetter, et les réseaux socionumériques.

La nouvelle sociologie économique a en effet mis en évidence l’importance des relations sociales (liens familiaux, amicaux, anciens collègues, …) pour la coordination entre acteurs, qu’il s’agisse de trouver un emploi, initier un partenariat entre entreprises, développer des collaborations science-industrie, choisir les membres du conseil d’administration d’un groupe, etc. Dans tous les cas, les relations sociales seraient un mode essentiel de coordination car vecteur de confiance.

Sur la base de ces analyses, certains considèrent ensuite que les réseaux socionumériques sont un outil puissant de développement des relations sociales. En nous appuyant sur différents exemples, nous montrerons les limites d’un tel raisonnement : Facebook n’est pas un outil de développement de relations sociales, il est un moyen d’entretenir et d’activer des relations sociales préexistantes (liens forts et liens faibles). Viadeo et LinkedIn ne permettent pas plus le développement de liens sociaux, ils s’apparentent plutôt à des annuaires personnalisés. Twitter, de son côté, peut être vu comme un moyen de construire son propre système d’information. Leur vocation est donc moins de développer des liens sociaux que de réduire des coûts de transaction.

Nous nous interrogerons ensuite sur la géographie des réseaux socionumériques, en nous focalisant sur l’exemple de Facebook. Nous montrerons que l’émergence des réseaux socionumériques ne correspond pas à la « mort de la géographie » et à l’avènement d’un « flat world », mais plutôt à des structures de type « small world », au sein desquels se combinent et s’entretiennent différentes formes de proximité.

Nous finirons par quelques réflexions sur la qualité des informations et des connaissances accessibles via les réseaux socionumériques, plus généralement via internet, suite au débat récurrent entre médias traditionnels et nouveaux médias (cf. les déclarations récentes de Frédéric Begbeider, Laurent Joffrin ou Aurélie Filippetti). Nous en montrerons la complémentarité et insisterons sur les enjeux d’éducation à l’utilisation des réseaux socionumériques, plus que de censure.

Pour les deux premières parties, je m’appuierai notamment sur les travaux que je mène avec Michel Grossetti, ainsi, bien sûr, que sur ma petite enquête Facebook. Troisième partie plus exploratoire.

S’agissant de l’enquête, j’ai finalement 217 réponses exploitables. J’ai commencé à regarder, résultats pas inintéressants… Si vous êtes joueur, vous pouvez poster en commentaire vos pronostics :

Q1 : quelle est, en moyenne, le pourcentage d’amis des personnes interrogées qui résident dans la même ville qu’eux?

Q2 : quelle est, en moyenne, le pourcentage d’amis des personnes interrogées avec qui ils n’ont jamais interagis physiquement avant d’être amis avec eux?

La géographie de Facebook : c’est pour un sondage!!!

J’ai été sollicité récemment pour assurer une conférence sur les réseaux socio-numériques (Facebook, twitter, …) qui aura lieu sur Poitiers le 17 septembre prochain. Un des points de que je souhaite aborder est celui de la géographie des réseaux socio-numériques.

Dans cette perspective, j’ai eu l’idée d’organiser un petit sondage auprès de vous, fidèles lecteurs, en tout cas le sous-ensemble d’entre vous qui disposez d’une page Facebook. Vous verrez, répondre à ce sondage ne vous prendra que quelques minutes (il n’y a que 10 questions).

Trois de ces questions vous demanderont un petit effort, mais je compte sur vous, lecteurs adorés, pour accepter de vous livrer au jeu. Vous pourrez ainsi vous vanter, ensuite, d’avoir participé au déplacement de la frontière des connaissances ce qui, vous en conviendrez j’en suis sûr, ne vous arrive pas tous les jours (à moi non plus, je précise)… Voici ces trois questions, autant préparer les réponses avant de compléter le questionnaire en ligne :

  1. Combien avez-vous d’amis Facebook? (niveau facile)
  2. Parmi vos amis Facebook, combien résident dans la même ville que vous? (niveau moyen, cf. infra)
  3. Parmi vos amis Facebook, combien de personnes n’aviez-vous jamais rencontré physiquement avant d’être amis sur Facebook? (niveau difficile, cf. infra)
Pour la question 2, le niveau de difficulté est moyen : pour trouver ce nombre, il vous faut faire une recherche, dans l’ensemble de vos amis, en faisant une recherche par “lieu de résidence”, tapez alors la ville où vous résidez actuellement. Facebook affichera ensuite vos amis qui résident dans la même ville que vous. Hélas, il n’affiche par le nombre d’amis concernés, il vous faut donc les compter “manuellement”, d’où la difficulté…
Pour la question 3, le niveau de difficulté est plus important : il vous faut passer en revue tous vos amis et compter le nombre de personnes que vous n’aviez jamais rencontré physiquement avec d’être amis sur Facebook, c’est un peu plus long, donc… Comme certains pourraient être rebutés par cette question, la réponse n’est pas obligatoire. Mais ça me ferait drôlement plaisir si vous y répondiez, lecteurs vénérés… (petite précision : si votre ami est une institution, association, etc…, demandez-vous si vous aviez rencontré physiquement l’un des membres de cette institution/association avant d’être ami sur Facebook. Si oui, ne la comptez pas, sinon, comptez-là).
Comment participer au sondage? Rien de plus simple : il vous suffit de cliquer sur le lien ci-dessous :
Je publierai bien sûr sur mon blog les résultats et l’interprétation de cette petite enquête, ainsi qu’une synthèse plus générale des thèmes que j’aborderai. N’hésitez pas à diffuser cette enquête dans vos propres réseaux si vous le souhaitez!
Merci encore, lecteurs adulés, et n’hésitez pas à poster un commentaire si quelque chose n’est pas clair…
NB : Je viens de me rendre compte qu’une question est mal libellée (je ne peux plus modifier) ! Je demande à un moment “depuis combien de temps vivez-vous dans cette ville?” Il faut répondre le nombre d’années.

La (faible?) mobilité géographique des enseignants-chercheurs

Il y a quelques années, Olivier Godechot et Alexandra Louvet avaient montré, via l’exploitation d’une base de données originale (la base Docthèse), la tendance du monde universitaire français au localisme (tendance des universités à recruter leurs propres docteurs). D’où leur préconisation : une interdiction du localisme. J’avais réagi, dans un texte co-écrit avec Michel Grossetti et Anne Lavigne, en expliquant que le localisme n’était pas la cause mais la conséquence d’un déficience des processus de recrutement. Plutôt que d’interdire le localisme, donnons aux universités les moyens de mettre en oeuvre des procédures plus efficaces (recruter pour une quarantaine d’années une personne vue en entretien une vingtaine de minutes ne me semble pas optimal).

Quelques temps après, j’avais sollicité Olivier Godechot pour savoir si nous pouvions disposer de la base de données sur laquelle ils avaient travaillé, afin de l’analyser autrement (je remercie sincèrement Olivier Godechot de l’avoir mise à notre disposition). Mon idée : en raisonnant à l’échelle des universités, Godechot et Louvet passaient à côté de certains phénomènes. Notamment : leur étude montre que le localisme des universités parisiennes est moins important que le localisme des universités de province, mais n’est-ce pas lié à des phénomènes de circulation entre universités parisiennes?

Nous avons donc commencé à travailler sur la base (je travaille sur ce chantier avec Bastien Bernela et Marie Ferru), en distinguant notamment entre le “localisme” universitaire et le “localisme” régional. Distinction éclairante s’agissant des universités parisiennes :

Niveau établissement

 

Niveau régional

Alsace

59,0%

63,1%

Aquitaine

53,9%

60,5%

Auvergne

56,5%

56,5%

Bourgogne

64,8%

64,8%

Bretagne

56,2%

62,3%

Centre

44,2%

47,1%

Champagne-Ardenne

44,4%

44,4%

Franche-Comté

48,7%

48,7%

Ile-de-France

29,4%

61,1%

Languedoc-Roussillon

54,1%

60,5%

Limousin

65,5%

65,5%

Lorraine

44,3%

61,8%

Midi-Pyrénées

58,8%

69,3%

Nord-Pas-De-Calais

64,1%

72,3%

Basse-Normandie

50,9%

50,9%

Haute-Normandie

68,9%

73,3%

Pays-de-la-Loire

65,6%

66,2%

Picardie

66,7%

68,9%

Poitou-Charentes

65,3%

65,3%

Provence-Alpes-Côte-d’Azur

54,6%

67,1%

Rhône-Alpes

51,8%

72,2%

France

43,4%

 

63,5%

En moyenne France entière, 43,4% des docteurs d’une université dirigent leur première thèse dans la même université (c’est de cette façon que l’on mesure le localisme, ce qui n’est pas exempt de critique, cf. le texte disponible via le lien plus bas). A l’échelle des régions, ce taux monte à 63,5%.

Quid des universités parisiennes? Taux très faible à l’échelle des universités (29,4%), mais dans la moyenne à l’échelle de la région Ile-de-France (61,1%). Les docteurs franciliens bougent, mais pour rester sur Paris.

De manière générale, ce taux de 63,5% m’apparaît plutôt élevé, plus élevé, je pense, que ce que la plupart des acteurs du monde universitaire ont en tête. Si l’on ajoute à la région de soutenance de la thèse les régions limitrophes, ce taux passe à près de 70%. Les enseignants-chercheurs semblent donc peu mobiles. Je dis bien semble, car nous n’avons pas de point de comparaison : peut-être sont-ils plus mobiles que la moyenne des personnes de même niveau de qualification, peut-être moins. Nous travaillons actuellement sur ce point, résultats à suivre.

Nous avons ensuite testé de premiers modèles économétriques, notamment un modèle gravitaire, pour voir dans quelle mesure la mobilité interrégionales des enseignants-chercheurs pouvait s’expliquer par des facteurs structurels comme la distance entre les régions ou encore la taille des régions. Résultat : la distance géographique entre les capitales régionales joue négativement sur les mobilités, la taille scientifique (mesurée par le nombre de chercheurs) joue positivement. Eléments qui ont peu à voir avec la nature du processus de recrutement mais plus à voir avec des facteurs classiques de mobilité, que l’on retrouve dans de nombreuses études.

Ces premières analyses ont donné lieu à la rédaction d’un article disponible ici et présenté la semaine dernière en colloque sur Montréal. Il s’agit d’une première version, pas mal de compléments en cours, mais toutes vos remarques et commentaires sont les bienvenus!

Cahiers Français : L’excellence des Universités

Juste pour vous signaler que les Cahiers Français viennent de publier dans leur numéro 138, mai-juin 2012, pages 38-39, le billet co-écrit avec Michel Grossetti, visible ici. Billet intitulé : “L’excellence des Universités : oui, mais quelle excellence?!”

Billet insuffisamment diffusé, je trouve. Moins diffusé que d’autres billets, moins importants, que j’ai pu écrire ou co-écrire. La parution dans les Cahiers Français est donc une bonne chose, assimilable pour certains à un signal qu’il faut le lire et le prendre un petit peu au sérieux. Bonne lecture, donc.

Enseignant, que penses-tu de l’échec de tes élèves?

Reportage intéressant vu hier dans le cadre du journal de France 2, ce qui est plutôt rare. Les deux choses, je veux dire : que je regarde un JT sur France 2, d’une part, que j’y vois un reportage intéressant, d’autre part.

Bon, il faut dire qu’il s’agissait d’un reportage sur les résultats des travaux de deux chercheurs poitevins, Jean-Claude Croizet et Frédérique Autin, membres du CeRCA, laboratoire de psychologie cognitive. Le résultat de leur étude est simple et puissant, je trouve : l’échec est une étape normale du processus d’apprentissage, apprendre prend du temps et nécessite d’avoir des difficultés, si on explique cela aux enfants, autrement dit si on banalise l’échec, leurs résultats s’en trouvent améliorés. Pas sûr que ce genre de résultat soit intégré par les enseignants, quel que soit le niveau d’étude, d’ailleurs…

Dans le reportage, Jean-Claude Croizet développe avec pas mal d’humour, en prenant l’exemple de l’apprentissage du vélo, qui se fait hors cadre scolaire : lorsqu’on apprend à son enfant à faire du vélo, on est tolérant, on ne s’inquiète pas de l’échec, on le considère comme normal, on ne compare pas la vitesse d’apprentissage de son enfant par rapport à celle des autres, etc. Résultat? Tous les enfant apprennent avec succès à faire du vélo. Gageons que si l’apprentissage du vélo se faisait à l’école pas mal d’enfants ne sauraient jamais en faire…

L’article scientifique est disponible ici, je vous mets le résumé ci-dessous. Voir aussi cet article du Figaro qui a inspiré le reportage de France 2, ou encore cet article du Huffington Post, toujours sur la même expérience (merci à Jean-Claude Croizet pour tous ces éléments).

Résumé :

Working memory capacity, our ability to manage incoming information for processing purposes, predicts achievement on a wide range of intellectual abilities. Three randomized experiments (N = 310) tested the effectiveness of a brief psychological intervention designed to boost working memory efficiency (i.e., state working memory capacity) by alleviating concerns about incompetence subtly generated by demanding tasks. Sixth graders either received or did not receive a prior 10-min intervention designed to reframe metacognitive interpretation of difficulty as indicative of learning rather than of self- limitation. The intervention improved children’s working memory span and reading comprehension and also reduced the accessibility of self-related thoughts of incompetence. These findings demonstrate that constructing a psychologically safe environment through reframing metacognitive interpretation of subjective difficulty can allow children to express their full cognitive potential.

Attractivité et rayonnement des villes universitaires

Je vous rappelle que Grand Poitiers et l’AVUF (Association des Villes Universitaires de France) organisent au Théâtre Auditorium de Poitiers (TAP), le vendredi 23 mars 2012, un colloque national sur l’attractivité et le rayonnement des villes universitaires. Toutes les informations sont ici. Propos politiquement incorrects garantis.

obésité infantile : quand les chercheurs et/ou les journalistes disent des bêtises

C’est le titre de cet article publié sur SantéLog (la communauté des professionnels de santé, se sous-titrent-ils), qui s’appuie sur les résultats d’une étude de l’Université de Grenade. Extrait du billet de SantéLog :

Cette étude de l’Université de Grenade qui révèle que pour l’enfant, manger à la maison, un repas préparé par sa mère, réduit significativement le risque d’obésité infantile, ne doit, en aucun cas culpabiliser les mères qui doivent laisser leurs enfants déjeuner à la cantine. Cependant, l’étude montre que ces enfants qui ont la chance de pouvoir déjeuner à la maison avec leur mère présentent un meilleur état nutritionnel. Des résultats publiés dans la dernière édition de la revue Nutrición Hospitalaria.

Il ne faut pas culpabiliser, mais quand même…

Je me suis empressé de chercher l’article scientifique en question, pour vérifier les propos du site et la nature de l’étude. J’y suis finalement parvenu. Bon, l’article est en espagnol, que je maîtrise un (petit) peu, suffisamment pour faire plusieurs remarques.

Sur le rôle de “qui nourrit”, on trouve ce graphique dans l’article :

L’IMC est certes faible quand c’est la mère qui prépare les repas, mais c’est surtout en comparaison du père, pas des repas à la cantine (catégorie “otros” je suppose)!

SantéLog a apparemment très mal interprété les propos des chercheurs parus sur la page de l’Université espagnole :

The study revealed that the children who have lunch at home with their mother present a better nutritional status and are at a lower risk of suffering obesity than children whose meal is prepared by a person other than their mother.

Deuxième remarque, l’article ne teste pas que ce déterminant : il s’interroge aussi sur l’influence du niveau d’étude du père et de la mère, et sur le nombre d’heures passées à des activités sédentaires. Sans surprise, les problèmes d’obésité décroissent quand le niveau d’étude des parents augmente et augmentent avec le nombre d’heures passées à glandouiller… On trouve des choses similaires sur données française, par exemple dans ce document de l’Insee, dont est extrait cette série de graphiques qui montre comment évolue la prévalence de l’obésité…

Troisième et dernière remarque : bien qu’ils s’interrogent dans leur article sur le rôle du niveau de diplôme, les auteurs n’échappent pas totalement à la critique quand ils affirment (sur le site de l’Université) que leurs résultats s’expliquent par le fait que :

the mother is the family member who best knows the nutritional needs of children and has the strongest nutritional knowledge for the preparation of children’s meals.

Rien, absolument rien, ne prouve cela dans leur article. Sur la base de leurs résultats, je peux très bien raconter une autre histoire : quand la mère prépare le repas de ses enfants, le risque d’obésité est plus faible, mais ce n’est pas parce que c’est la mère qui prépare les repas, c’est parce qu’on a affaire à une famille de catégorie sociale supérieure. Le père, plus diplômé, détient un emploi mieux rémunéré qui permet à sa femme de ne pas travailler. L’un et l’autre, mieux éduqués, incitent leurs enfants à pratiquer des activités non sédentaires. A contrario, quand c’est le père qui prépare le repas des enfants, c’est que l’on a affaire à des familles dans des situations sociales plus difficiles. Le père ne travaille pas, la mère fait des petits boulots, niveau d’éducation plus faible, etc.

Je ne dis pas que mon histoire est la bonne, mais elle n’est pas moins plausible que celle avancée par les chercheurs espagnols (elle est plus plausible même…). Je suis assez convaincu que les chercheurs en médecine gagneraient beaucoup à solliciter plus souvent le regard critique des chercheurs en science sociale…