L’innovation ne s’arrête pas à la technologie

Le quotidien économique suisse l’Agefi a publié, dans son supplément du 21 mai 2007, un dossier intitulé : “L’idée
et le marché”, dirigé par l’équipe de la Haute école de gestion -HEG- Arc, Neuchâtel, la Business School de l’arc
jurassien.

J’ai contribué à ce dossier avec un article intitulé “L’innovation ne s’arrête pas à la technologie”. Vous pouvez télécharger ma contribution (pdf), voire le dossier dans son ensemble.

Commentaires bienvenus.

Recherche publique : Paris et le désert français?


paris-province.jpg
A peu près tous les économistes convergent sur l’idée suivante : la croissance économique de la France doit se nourrir de l’innovation,
l’innovation se nourrit elle-même, pour partie au moins, d’une activité amont de recherche (privée et publique), accroître l’effort financier et améliorer l’organisation de la recherche est donc
tout à fait essentiel.

Pour contribuer à la réflexion, on peut s’interroger sur un point particulier, à savoir le poids des différentes régions en matière de recherche publique. Et là, à
première vue, on se dit que, hors de Paris, point de salut… Pensez donc : l’Ile de France, qui concentre, en 2003, 19% de la population, 22% de l’emploi et 29% du PIB rassemble :
* côté ressources mobilisées pour la recherche (en 2003 pour tous les chiffres) : 40,2% des effectifs de R&D, 41,1% des chercheurs et 43,6% de la DIRD (Dépense
Intérieure de Recherche et Développement),
* côté résultats de l’activité de recherche : 36,7% des publications (en 2003), 34,5% des doctorats (en 2004), 40,16% des brevets déposés à l’OEB (Office Européen
des Brevets – données cumulées sur 4 ans 1999-2002) et 38,44% de ceux déposés auprès de l’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle – même période).

Bref, que ce soit côté ressources ou côté résultats, le poids de l’Ile de France est bien supérieur à son poids dans la population, l’emploi ou la production de
richesses. Ça ressemble un peu, côté recherche, à du « Paris et le désert français »…

Sauf que ces chiffres, d’un point de vue économique, n’ont pas beaucoup de sens : en effet ce qui compte, plus que la concentration spatiale de la recherche, c’est
son efficacité. L’enjeu n’est donc pas de mesurer la production scientifique des régions, mais leur productivité.
Or, on la mesure rarement. Un seul exemple,
l’ouvrage de l’Observatoire des Sciences et Techniques (OST), groupement d’intérêt public créé en 1990, qui « a pour mission de concevoir et de produire des indicateurs quantitatifs sur la R&D pour contribuer au positionnement stratégique de la France en Europe et dans le monde, et à
l’analyse des systèmes de R&D ». J’ai sous les yeux l’édition 2002 : le chapitre 2 est consacré aux régions françaises, on y analyse côté recherche publique (1) les
ressources humaines et financières (1.1), la production scientifique mesurée par les publications (1.2) puis l’enseignement supérieur et les thèses soutenues (1.3). A chaque fois, c’est le poids
des régions qui est mesuré (l’Ile de France arrive dès lors toujours en tête, et très largement). On s’approche quelque peu d’un indicateur de productivité en rapportant la production à la
population, mais c’est un piètre indicateur de productivité, car la population n’est pas assimilable à un input de l’activité de recherche (on trouve le même problème dans les comparaisons des
niveaux de productivité entre pays ou régions, lorsqu’on utilise comme indicateur les PIB par habitant).

Un document du CNER (comité National d’Evaluation de la Recherche) sur l’analyse de la politique
de recherche publique en Aquitaine
, publié en mars 2007, permet d’aller plus loin (rapport auquel a contribué
Christian Aubin, professeur d’économie de
l’Université de Poitiers et “accessoirement” (!) doyen de notre faculté – j’en profite pour le remercier de m’avoir fait passer ce rapport et pour nos premiers échanges sur le sujet)

. Dans la section C du chapitre 2 (page 39 et s.), en effet, différents indicateurs de productivité ont été calculés, en rapportant la production scientifique
[mesurée par i) les publications, ii) les citations, iii) les doctorats, iv) les diplômes d’ingénieur, v) les brevets déposés auprès de l’OEB, vi) les brevets déposés auprès de l’INPI] aux
ressources mobilisées [mesurées par i) les dépenses de R&D, ii) les effectifs de R&D, iii) les effectifs de chercheurs de R&D].

Je me focalise ici sur la première série de résultats (tableau 14, page 41), qui rapporte la production de la recherche aux dépenses de R&D. Les auteurs ont calculé un indice de productivité relative : on divise la
productivité de chaque région par la productivité nationale. Si l’indice est égal à 1, cela signifie que la productivité de la région considérée est égale à la productivité nationale, si l’indice
est supérieur à 1, la productivité est supérieure à la productivité nationale, etc.

Concentrons nous sur le premier indicateur de productivité, qui correspond au ratio nombre de publications sur dépenses de R&D. Résultat pour l’Ile de France :
l’indice pour les publications est égal à 0,94, soit une sous-productivité de 6%. Il est en revanche égal à 1,10 pour les citations, mais inférieur à 1 pour tous les autres indicateurs.

Pour compléter l’analyse, j’ai construit un indice composite, égal à la somme des six indicateurs élémentaires de productivité. Pour faciliter l’interprétation, j’ai divisé la somme par 6, puis
multiplié le tout par 100 : une valeur de 100 indique une productivité synthétique relative égale à la moyenne, une valeur supérieur à 100 une sur-productivité, une valeur inférieure à 100 une
sous-productivité. On obtient les résultats suivants :

Région

Poids dans les dépenses de R&D

indice synthétique de productivité

Ile-de-France

39,15%

98

Rhône-Alpes

10,67%

133

Provence-Alpes-Côte d’Azur

7,71%

84

Midi-Pyrénées

6,93%

74

Languedoc-Roussillon

6,03%

61

Bretagne

3,60%

118

Aquitaine

2,97%

106

Nord-Pas-de-Calais

2,75%

128

Alsace

2,66%

138

Pays-de-la-Loire

2,62%

123

Lorraine

2,55%

113

Centre

1,82%

129

Auvergne

1,18%

136

Poitou-Charentes

1,16%

116

Bourgogne

0,92%

156

Basse-Normandie

0,89%

145

Haute-Normandie

0,84%

194

Picardie

0,64%

239

Franche-Comté

0,64%

227

Champagne-Ardenne

0,54%

171

Limousin

0,43%

151


Résultat plutôt intéressant : en dehors de Rhône-Alpes, les plus grandes régions en termes de dépenses de R&D (Paris, bien sûr, mais aussi PACA, Midi-Pyrénées et
Languedoc-Roussillon) ont un indice faible. On a du mal à voir les effets positifs de la concentration spatiale des dépenses… Des petites régions comme la Picardie ou la Franche-Comté obtiennent
en revanche les meilleurs scores.

En calculant les coefficients de corrélation linéaire entre le poids dans la R&D et les 6 indicateurs de productivité, on trouve des coefficients négatifs dans 5
cas, avec des valeurs comprises entre -0,27 et -0,46. Le coefficient est positif pour les citations, mais la relation n’est pas significative (le coefficient est égal à 0,09).

Est-ce à dire qu’on a une nouvelle version du “small is beautiful” (les petites régions sont plus productives que les grandes)? Pas sûr, si on s’en tient au
graphique suivant, construit en excluant l’Ile de France, sur lequel on observe plutôt une courbe en U (en abscisse le poids des régions et en ordonnée l’indicateur synthétique de productivité)
:


productiviterecherche.gif
Résultat à prendre avec précaution toutefois, vu le faible nombre de points (le U tient pour beaucoup à Rhône-Alpes, on devine aussi l’hétérogénéité des
performances des petites régions est élevée, etc) .

Précision supplémentaire, relative à l’ensemble des résultats précédents : la sous-productivité de certaines régions pourrait s’expliquer par des biais disciplinaires, il conviendrait donc de
compléter l’analyse. Bon, mais disons qu’on a avec ces statistiques de premiers éléments assez intéressants conduisant à une conclusion plutôt contre-intuitive…


Pour finir, un petit message aux chercheurs parisiens : faudrait voir à vous remuer un peu, soit pour nous trouver d’autres stats permettant d’infirmer mes
conclusions, soit pour améliorer votre productivité parce que, si vous voulez gagnez plus…

Actualité bordelaise



Suite au commentaire de Clic, je confirme : je pars pour Bordeaux demain matin (jeudi 3 mai), je ferai une conférence autour de mon ouvrage sur Les nouvelles géographies du capitalisme à 18h30, dans le cadre des rencontres de la librairie La Machine à Lire. Les lecteurs bordelais du blog sont bien sûr les bienvenus !

Le lendemain, séminaire de recherche à la faculté de sciences économiques de Bordeaux IV, à l’invitation du GREThA autour du texte co-écrit avec Michel Grossetti.

Innovation et proximité

Nouveau document de travail co-écrit avec Michel Grossetti, sociologue toulousain (personne n’est parfait…). Le titre : "Pourquoi y a-t-il encore des effets de proximité dans les processus d’innovation ?". Econoclaste reconnaîtra la citation de Bill Gates mise en exergue.

Résumé : Les études empiriques montrent que l’activité d’innovation est fortement agglomérée dans l’espace. Ce fait stylisé est souvent expliqué par la nécessité pour les acteurs de se co-localiser afin de bénéficier de connaissances tacites qui, par définition, ne peuvent se diffuser facilement à travers les territoires.
Nous proposons dans cet article une autre lecture du phénomène. Nous montrons notamment que les acteurs doivent résoudre des problèmes de coordination résultant de la mise en place d’une division cognitive du travail. Ils résolvent ces problèmes en s’appuyant sur l’existence préalable de relations de proximités socioéconomiques : proximité relationnelle (rôle des réseaux sociaux) d’une part, proximité de médiation, d’autre part. Dans certains cas, les proximités socioéconomiques et la proximité spatiale se recouvrent, donnant lieu à la formation d’un système productif localisé. Dans d’autres cas, les proximités socio-économiques traversent les territoires, ils donnent lieu, alors, au développement de réseaux productifs trans-territoriaux.
Dans cette perspective, la tendance à l’agglomération de l’activité d’innovation s’expliquerait moins par la nature tacite des connaissances que par le caractère localisé de certaines ressources de médiation et, surtout, d’une part importante des relations sociales.

Vous pouvez télécharger la version française ou la version anglaise. Toute remarque est bienvenue.

Workshop "Délocalisations"

Un peu de publicité pour un Workshop sur les délocalisations auquel je participe. Si des chercheurs sont intéressés, ils peuvent envoyer des propositions de communication (infos sur la procédure ci-dessous). Pour les non chercheurs, cet appel à communication leur montrera (j’espère!) que les chercheurs se posent des questions ayant une certaine pertinence…

Appel à communications

 

Les trajectoires de délocalisation : état des lieux et perspectives

MSHA, Bordeaux, 8 et 9 novembre 2007

 

Dans le cadre du programme de recherches « Les Trajectoires de l’Innovation », la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine organise, en partenariat avec le GREThA[1], un workshop consacré aux trajectoires de délocalisations, les 8 et 9 novembre 2007 à Bordeaux.

L’actualité des délocalisations se lit dans la médiatisation croissante du phénomène et de ses effets sociaux présumés ainsi que dans le nombre de travaux de recherche qui leur sont consacrés. Ces analyses sont souvent menées au niveau macroéconomique et restent majoritairement centrées sur les impacts des délocalisations en termes d’emplois quand  des études menées au niveau plus microéconomique des firmes et des territoires semblent nécessaires. De la même manière, l’association est trop souvent faite entre emplois peu qualifiés et fonctions délocalisées. Rares sont les analyses qui se penchent sur les délocalisations des emplois qualifiés et des fonctions de conception et de recherche et développement afin d’envisager leurs impacts dans les processus d’innovation des firmes. Pour mieux comprendre et expliquer les dynamiques de transformation des économies mondialisées, trois types de questionnements relativement novateurs peuvent être posés et nourrir ainsi diverses contributions.

1- Les trajectoires de délocalisations : firmes, secteurs et fonctions

Sont d’abord attendus des contributions centrées sur les questions de coordination et d’articulation des stratégies d’acteurs, afin d’interroger la cohérence sectorielle et la diversité intrasectorielle des dynamiques de délocalisations. Plus précisément, les communications peuvent porter sur :

  • L’inscription des délocalisations-relocalisations dans le processus continu de localisation des firmes ;
  • La diversité des dynamiques de délocalisations intra et inter-sectorielle ;
  • La variété des trajectoires de délocalisations appréhendée selon les fonctions considérées (de production, de services, de conception, de recherche et développement…) et leur coordination (division du travail).

2- Les nouvelles dynamiques de délocalisation

Si la croissance quantitative des délocalisations s’interprète souvent comme une manifestation de la globalisation des économies, c’est son évolution qualitative qui retient aujourd’hui toute l’attention. Depuis quelques années, les délocalisations semblent s’étendre à de nouveaux secteurs (les secteurs dits à forte intensité technologique ; les services…) ainsi qu’à de nouvelles fonctions (conception et R&D ; emplois intensifs en connaissance…). Il convient alors d’interroger, au plan conceptuel et au plan empirique, les dynamiques de délocalisations qui leurs sont associées et leurs impacts sur les trajectoires d’innovation des firmes.

3- Trajectoires des territoires

Enfin, la question des délocalisations est souvent appréhendée du seul point de vue des territoires émetteurs (national ou infra-national). Si le workshop est ouvert aux communications centrées sur l’analyse des trajectoires (du devenir) de ces territoires, il sera particulièrement attentif aux propositions « renversant » le point de vue, c’est-à-dire analysant la constitution et les trajectoires de territoires « récepteurs » des délocalisations. En effet, peu d’attention a jusqu’alors été portée à la capacité pour les firmes et les territoires situés dans les économies émergentes (lieux de destination des délocalisations) de tirer bénéfice des délocalisations afin de pénétrer, à terme, ces marchés dans les économies développées. Or, la question semble d’importance puisqu’in fine, c’est le statut même des pays récepteurs sur la scène internationale qui pourrait se modifier, passant d’un statut de « territoires de sous-traitance » à celui de « territoires d’innovation ».

Le workshop propose de faire le bilan et de dresser les perspectives des travaux de recherche menés et à mener sur ces trois questionnements, au niveau conceptuel et au niveau empirique. Les travaux théoriques comme les études de cas sont les bienvenus, de même que les mises en perspective historique sur le temps long. De la même manière, des propositions plus transversales ou plus macroéconomiques sont encouragées.

Questions pratiques

Lieu du workshop :

Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, Domaine Universitaire, 10 Esplanade des Antilles, 33607 Pessac.

Envoi des propositions de communication :

Les propositions de communications sont attendues sous le format :

o   Titre de la communication

o   Coordonnées précises du ou des auteurs

o   Mots-clefs

o  Résumé (1 page maximum présentant l’originalité du sujet, les objectifs, la méthode et les principaux résultats)

La date limite de réception des propositions est fixée au vendredi 15 juin 2007. Elles devront être adressées par courriel à : marie.coris@u-bordeaux4.fr

Date de réponse et envoi des communications :

L’avis du comité d’organisation sera communiqué aux auteurs des propositions au plus tard le 13 juillet 2007. Le texte complet des communications devra être adressé pour le 15 septembre 2007.

Comité d’organisation :

Bouba-Olga Olivier (CRIEF-TEIR, Université de Poitiers) : obouba@univ-poitiers.fr

Coris Marie (GREThA, Université Bordeaux IV) : marie.coris@u-bordeaux4.fr

Lung Yannick (GREThA, Université Bordeaux IV) : yannick.lung@u-bordeaux4.fr

Oliva Jan, coordinateur du programme LTI (MSHA) : lsi@msha.fr

Talbot Damien (GREThA, Université Bordeaux IV) :damien.talbot@u-bordeaux4.fr


[1] Groupe de Recherche en Economie Théorique et Appliquée, UMR CNRS 5113, Université Bordeaux IV.

A invençao do mercado



J’ai contribué en 2004 a un ouvrage dirigé par Philippe Norel, intitulé : "l’invention du marché : une histoire économique de la mondialisation" aux éditions du Seuil. Il
est bien sûr toujours disponible sur Amazon, et peut être consommé sans modération. 

 L’instituto Piaget a procédé à la traduction de cet ouvrage en portugais, si certains lecteurs sont intéressés, qu’ils n’hésitent pas (il n’y a pas encore de lien pour une commande en ligne). Ci dessous la quatrième de couverture :

La mondialisation économique est souvent analysée comme un état nouveau de la planète qui verrait les États abandonner le pouvoir aux forces de marché… De la première mondialisation reconnue (dans la seconde moitié du 19ème siècle) à la réalité contemporaine des firmes transnationales, de la globalisation financière et des régulations supranationales (FMI, OMC, BCE), c’est la lente libéralisation des échanges qui s’imposerait sur le devant de la scène. Pourtant la mondialisation ne saurait s’identifier à la victoire planétaire et programmée du libéralisme…
Ce livre s’attache à montrer que la mondialisation contemporaine est tout sauf une réalité statique opposant deux principes abstraits d’organisation de la vie économique. Elle constitue d’abord l’aboutissement provisoire d’un processus historique de très longue durée. Ce processus non linéaire sanctionne une synergie heurtée entre expansion géographique des échanges (marchands ou non) d’une part, approfondissement de l’économie de marché d’autre part. Ces deux mouvements sont ici étudiés dans leur interaction, non seulement depuis la « révolution industrielle » ou les « grandes découvertes », mais aussi depuis leurs balbutiements dans l’antiquité ou le Moyen Age, européen et asiatique. Il apparaît alors que l’invention du marché, ou plus précisément l’émergence de systèmes de marchés, est longtemps contenue en Europe et ne progresse sensiblement que lorsque le pouvoir politique s’en mêle… Venise au 13ème siècle ou Amsterdam au 17ème, le mercantilisme français ou anglais au 18ème constituent autant de jalons dans la constitution progressive de ces systèmes de marchés.
Au cœur de cette dynamique, l’instrumentalisation du commerce de longue distance par les pouvoirs politiques apparaît centrale. De fait les forces de marché qui préexistent à l’État moderne semblent, par elles-mêmes, impuissantes à construire autre chose qu’un commerce lointain de nature opportuniste, ce dont témoignent brillamment l’océan Indien ou la Route de la Soie, bien avant l’éveil de l’Europe. Il revient à l’État de canaliser ces forces de façon à les faire servir à un dessein plus ambitieux, la création de systèmes de marchés nationaux, laquelle appuie l’émergence du capitalisme dès la seconde moitié du 18ème siècle. À partir de là, ce dernier déploie sa logique et les puissances hégémoniques successives poussent à une libéralisation qui sert immédiatement leurs intérêts.
Il n’est pas sûr pour autant que cette libéralisation soit aujourd’hui irréversible : l’entre-deux guerres a bien montré comment le libéralisme hérité du 19ème siècle a fait long feu et, dans la douleur, cédé la place au « fordisme » des trente glorieuses Le grand mérite de l’histoire reste de montrer combien le marché reste fondamentalement une utopie et de préciser les conditions historiques dans lesquelles sa contestation sociale peut se déployer.

(Le lecteur attentif aura remarqué qu’il s’agit de la quatrième de couverture de l’ouvrage en français…)

Publication



Pour information, le numéro 72 1/2007 de Pouvoirs Locaux, revue trimestrielle de l’Institut de la Décentralisation, vient de paraître, avec un dossier titré "La "compétitivité des territoires" : vertus et limites d’une politique".
Il y a 12 articles, dont un intitulé "Délocalisations et désindustrialisation : que peuvent faire les collectivités?" dont je vous laisse deviner l’auteur…

Résumé : Les citoyens, les politiques et les médias portent une attention quasi-obsessionnelle sur les délocalisations vers les pays en développement, accusées de vider progressivement le territoire national de toute activité industrielle. Le problème est pourtant ailleurs : la France, comme les autres pays de la planète, est affectée par un processus plus général de réorganisation transnationale des activités économiques, au sein duquel les délocalisations pèsent finalement peu.

 

Nous proposons dès lors de présenter les différentes logiques qui sous-tendent ce processus de réorganisation : logique de coût, logique d’innovation et logique financière. A chaque fois, nous montrons le caractère trop réducteur des analyses (et donc des préconisations) qui en sont faites, et nous insistons sur les pistes en termes d’action publique que permet d’ouvrir une analyse approfondie. Nous insistons enfin sur la nécessité de mettre en œuvre de nouvelles méthodes de diagnostic territorial, dont quelques éléments sont présentés, afin de répondre aux nouveaux enjeux auxquels sont confrontés les acteurs en charge du développement économique local.

PS: la photo de la couverture n’est pas la bonne, j’ai récupéré celle que j’ai mis ici sur le site de l’Institut de la Décentralisation qui, manifestement, n’est pas à jour…

Dis monsieur, dessine moi le bonheur

Pas de problème, mon petit, le bonheur, ça ressemble à ça :



C’est ce qui ressort en tout cas d’un document de travail de Blanchflower et Oswald (NBER, 2007, WP12935, abonnement nécessaire), qui analyse les réponses d’environ 500 000 américains et européens.
Aux Etats-Unis, la question posée est :

“Taken all together, how would you say things are these days – would you say that you are very happy, pretty happy, or not too happy?”

En Europe :

“On the whole, are you very satisfied, fairly satisfied, not very satisfied, or not at all satisfied with the life you lead?”


Les auteurs montrent que dans tous les cas, le bonheur (en raisonnant toute chose égale par ailleurs) décroît jusqu’à la quarantaine, puis augmente ensuite. les recherches antérieures en psychologie montraient déjà que le bonheur évoluait avec l’âge sous la forme d’une courbe en U. Le problème avec ces études antérieures, c’est qu’un biais pouvait survenir, suite à des effets de cohorte: certaines générations sont nées à des périodes fastes (génération papy-boom), d’autres à des périodes plus difficiles…

L’étude du NBER permet de neutraliser ces effets générationnels. Résultats? La courbe en U est confirmée pour toutes les générations, aux Etats-Unis et en Europe, mais le niveau de bonheur varie selon les générations (la courbe en U est plus ou moins haute dans le plan).

L’étude montre également que le niveau de bonheur décroît aux Etats-Unis en fonction des générations de 1900 à nos jours. En Europe, il décroît jusqu’à la génération 1950, mais il augmente depuis. Si bien que les plus heureux sur terre sont les européens (les hommes plus que les femmes) nés après 1980.

Délocalisation au Luxembourg

Je suis invité par le Ministère de l’Economie et du Commerce Extérieur du Luxembourg pour une journée de l’Economie aujourd’hui 13 février . Thème abordé : "Le défi de la diversification – Le point de vue des CEOs".
Le programme de la journée est ici (fr ou en).

J’y vais non pas en tant que CEO, vous l’aurez deviné, mais en ma qualité "d’expert" des délocalisations. Sans doute l’occasion d’évoquer le cas de l’entreprise Thomson, qui vient de délocaliser son site Luxembourgeois (usine Technicolor spécialisée dans la duplication de CD et de DVD)  vers la Pologne (230 licenciements, dont 80% de frontaliers belges et français) [source : article des Echos (€) du 18/01/2007]. 

L’occasion surtout d’échanger avec des dirigeants, des consultants, des politiques et des responsables d’administration, bref, de faire discuter ensemble un sous-ensemble des parties prenantes de l’entreprise, comme évoqué dans un autre billet.

Pourquoi, mais pourquoi donc n’avons-nous pas de meilleurs journalistes?



Alain Perez est journaliste aux Echos. Il vient de rédiger une série d’articles formidables autour de la recherche mondiale et de la place de la France dans le domaine. En voici les grandes lignes.

Premier article, lundi 8 janvier 2007 : « la science tourne a l’heure américaine ».

S’appuyant sur le Science Citation Index, que l’on appelle aussi l’indice d’impact, et qui mesure le nombre de citations associées à un article, il affirme que « la France affiche de piètres résultats ». Certes, en nombre de citations, elle est à la 5ème place mondiale (il y a beaucoup de chercheurs français). Mais rapporté au nombre de publications, l’indice tombe à 9,91, contre 14,05 pour la Suisse (je ne sais pas si Johnny publie souvent. Si oui, on peut craindre que la France perde encore des places…), 13,36 pour les Etats-Unis, 11,76 pour l’Angleterre et 10,36 pour l’Allemagne.

 Pourquoi de tels résultats ? « pour de nombreux experts (on n’a pas de nom dans son article, ni de référence plus précise…) le système français basé sur l’évaluation endogamique des travaux et la distribution récurrente de crédits publics non incitatifs est responsable de cet assoupissement ». La messe est dite. Pas beaucoup plus d’explications pour lundi.

Mardi, les choses se précisent. L’article est titré « France : la créativité scientifique en panne ». L’article commence par ces propos « un bilan tellement faible qu’on a du mal à le croire ». De qui ce commentaire ? Alain Perez nous dit que « ce commentaire a été arraché sous couvert d’anonymat »… Reprise des chiffres de la veille : avec un ratio de 9,91, la France navigue au-delà de la 20ème place mondiale, loin derrière, la Suisse, les Etats-Unis, etc…

Alain Perez concède qu’il existe de grandes disparités selon les disciplines : les mathématiques, les sciences de la terre et la physique tiennent leur rang, mais il insiste plutôt sur d’autres disciplines qui « plongent dans les profondeurs ». Il tire ensuite à boulet rouge sur l’Inria (Institut National de la Recherche en Informatique et en Automatique), dont les budgets n’ont cessé de progresser, mais qui a l’indice d’impact le plus faible des vingt premiers centres mondiaux de la discipline.

 Il en remet ensuite une couche sur les raisons de ce déclin, en commençant par évacuer sans autre forme de procès d’éventuels opposants : « Selon les tenants de la pensée unique, la recherche publique ne souffre que de deux maux : un manque chronique d’effectifs et des crédits insuffisants ». Toujours pas de nom ni de source. Ce sont ensuite les syndicats qui sont accusés de refuser tout changement. S’ensuivent quelques chiffres montrant que d’autres pays dépensent moins (en pourcentage du Pib) et sont mieux classés, ainsi qu’une reprise des propos de Jean-François Dehecq, président de l’Association nationale de la recherche technique (ANRT), qui considère qu’il y a « trop de monde dans la recherche publique au regard des moyens que l’Etat peut y consacrer ».

 Le pompon, c’est pour mercredi… Alain Perez commence par citer les propos de Sarkozy, qui plaide certes pour un accroissement de l’effort de recherche, mais à condition que cela s’accompagne d’une logique de financement sur projets, et que les chercheurs à fort potentiel puissent voir leurs revenus évoluer plus vite. Bref, un peu de rémunération au mérite. Toujours sans citer personne, Alain Perez nous dit qu’avec de telles déclarations, Nicolas Sarkozy va « ruiner son image dans la communauté scientifique hexagonale », puis qu’il « aggrave son cas en démolissant un autre tabou [la rémunération au mérite] », enfin, en affirmant que « c’est sûr, aucun des syndicats de chercheurs ne votera Sarkozy à la présidentielle ». Il affirme ensuite que la communauté scientifique vit dans la hantise de l’inégalité et de la précarité, que tout ce qui s’éloigne du « système de reconduction automatique et bienveillante de la manne publique » est perçu comme une dérive ultralibérale et une régression sociale, et que, pour les chercheurs français, « seul le doux oreiller de l’argent public serait compatible avec la recherche scientifique ».

Et là, apothéose, Alain Perez nous dit : « En fait, seule une minorité de chercheurs tient ce langage radical, qui semble sorti d’un autre âge » !!! Il passe un tiers de l’article à dénoncer les prétendus discours des chercheurs, sans que jamais, j’insiste, il ne produise un seul élément permettant de corroborer ses propos, pour finir par dire que, finalement, une minorité de chercheur tient ce langage radical, langage que, jusqu’à preuve du contraire, il est le seul à avoir tenu!

Mais , ouf !, c’est pour mieux se rattraper ensuite : « mais le discours de ces « ultras » très remuants pèse sur les direction des établissements » et, en gros, empêche toute réforme… Toujours pas de nom, toujours pas de source, de toute façon, si c’est écrit, c’est que c’est vrai…


Bon, je résume les trois premiers épisodes : sur la base du Science Citation Index, la recherche française est médiocre et déclinante. Cela s’explique par le fait que la recherche est noyautée par une minorité agissante qui contrôle les syndicats et empêche toute réforme.


jeudi 11 janvier. Dernier épisode de la série. Et là, ce n’est plus la recherche publique, mais la recherche des entreprises privées qui est analysée. Même démarche : on commence par présenter des résultats statistiques en s’appuyant sur un ou deux indicateurs permettant de mesurer l’effort de recherche des entreprises privées. On apprend que « dans tous les pays concurrents de la France la part des financements privés (…) est largement supérieure ». Mais cette fois, Alain Perez ne parle pas de "piètres résultats", il ne dit pas "qu’on a du mal à y croire", non : il parle de « résultats honorables » ! Pourquoi ? Parce qu’il a une bonne explication derrière :

Cette densité technologique, variable selon les secteurs, explique en grande partie les écarts. Dans la pharmacie, près de 23 % des effectifs sont affectés à des travaux de R&D. Dans le BTP ou les biens de consommation, ce ratio est inférieur à 2 %. " La dépense privée de R&D d’une économie donnée, qu’elle soit exprimée en volume ou en part de la valeur ajoutée, est fortement conditionnée par sa structure sectorielle ", souligne le rapport Futuris. En France, la production agricole et les industries agroalimentaires qui sont d’importants bassins d’emploi et de gros générateurs de chiffre d’affaires sont de petits acteurs en matière de dépenses de recherche et d’emplois scientifiques.
De même, le rapport entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée et les travaux de développement varient considérablement selon les branches. Alors que la chimie et la pharmacie sont preneurs de percées conceptuelles fondamentales pour ouvrir de nouvelles pistes, l’automobile " se contente " le plus souvent de travaux de développement technologique. Pour toutes ces raisons structurelles et historiques, la recherche industrielle française est donc moins bien placée que ses concurrents directs.

 Très bien. Ce ne sont donc pas de méchants patrons voyous, de vilains actionnaires, ni de puissantes minorités contrôlant les syndicats patronaux qui sont désignés comme responsables de la situation. Ca ne serait pourtant pas très difficile de développer une argumentation de cet acabit, je vous le garanti. Avec, idem, des citations sans nom d’auteur et sans indication de source, bien sûr. Et quelques éléments à charge, genre : « le poids croissant des actionnaires favorise le court-termisme, et n’incite pas à investir dans l’innovation », m’a déclaré un patron influant sous couvert d’anonymat. Vous voyez le genre. Bref, non, ce n’est pas ça, le problème résulte d’effets de structure de spécialisation. Et je suis plutôt d’accord avec cette analyse.

Sauf que, là où il y a comme qui dirait un problème, c’est qu’Alain Perez ne s’est qu’à peine interrogé sur l’existence de tels effets de structures côté recherche publique… Or, si on regarde un peu dans cette direction, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup à en dire. En s’appuyant sur les propos de Laurence Ertele, de l’OST, par exemple (ce qui a du sens, puisque c’est un travail de l’OST qui est la source principale des articles du journaliste) :

Cet indice d’impact est de fait très sensible à l’effet disciplinaire : ainsi les publications dans le domaine des sciences du vivant sont bien plus citées que celles en physique ou en mathématiques. Il convient donc d’être très attentif aux spécialisations d’un pays pour l’interpréter : une moindre spécialisation en biologie fondamentale va mécaniquement diminuer l’indice global (ce qui correspond à la situation française).
Il convient également, là encore, d’examiner, discipline par discipline, les évolutions : en biologie appliquée, l’indice d’impact est devenu très élevé, ceux de la recherche médicale et de la biologie fondamentale sont faibles en France bien que sensiblement égaux à la moyenne européenne. S’il y a un regard à porter en première intention, il serait donc sur les sciences du vivant en France ; leur part baisse légèrement et leur indice d’impact ne progresse guère pour un secteur qui est très visible et porteur. Si on ne peut parler de déclin (les évolutions ne sont pas statistiquement significatives), on peut évoquer leur stagnation. En somme, la France demeure peu spécialisée dans un domaine d’avenir.

 Alain Perez aurait pu également regarder plus précisément les publications de l’OST, par exemple celle-ci, qui présente des résultats par institution et par domaine plutôt hétérogènes (dans le tableau, les chiffres pour le monde sont par définition égaux à 1. Un indice supérieur à 1 équivaut donc plutôt à un bon positionnement et réciproquement) :



Il aurait pu également s’interroger sur la pertinence de l’indicateur (l’Allemagne a un indice d’impact plus faible que le Royaume-Uni, mais elle dépose plus de trois fois plus de brevets), sur des effets linguistiques (il y a pas mal de revues françaises, non incluses dans l’ISI, d’où un biais. Idem pour l’Allemagne, d’ailleurs), sur le pourquoi de la hausse du poids de la France dans les publications mondiales entre 1993 et 1999 avant la baisse entre 1999 et 2004 (le problème semble localisé à la fois dans l’espace des disciplines et dans le temps), etc…

 Pour conclure, que l’on me comprenne bien. je ne dis pas que tout va bien dans la recherche publique et qu’il n’y a pas matière à évolutions. Mais ce n’est certainement pas en délivrant un diagnostic partiel, biaisé idéologiquement et non argumenté, de l’état de la recherche publique et de ses dysfonctionnements que l’on fera avancer les choses. Je me demande dans quelle école de journalisme a été formé Alain Perez… Vu son niveau, sans doute dans une école publique…

PS : le lecteur averti aura remarqué que j’ai "piqué" le titre d’une rubrique récurrente du blog de Brad DeLong (Why oh why can’t we have a better press corps?).