Hue cocotte ! (Seb part en Chine)



Seb est sous les feux de l’actualité avec le rachat de l’entreprise Zhejiang Supor Cookware, leader chinois du matériel de cuisine. On en parle un peu partout dans les médias, par exemple ici. DirtyDenis aussi, qui s’énerve contre la réaction du délégué CGT (add : pendant qu’Etienne s’énerve contre le PDG du groupe).

Quelques commentaires à chaud  et dans le désordre :

1. on notera qu’il ne s’agit pas d’une délocalisation (fermeture d’un site en France suivi de sa réouverture en Chine), mais d’une acquisition. On redoute bien sûr, côté français, des licenciements voire fermetures de sites. Tout ca pour dire que l’analyse des nouvelles géographies du capitalisme ne peut se réduire à l’analyse des délocalisations au sens strict.

2. le motif essentiel évoqué ne relève pas d’un problème de réduction des coûts de production, mais d’un objectif d’accès à de nouveaux marchés en croissance forte. La Chine attire au moins autant par sa demande que par le coût de sa main d’oeuvre (une étude de la Banque de France de 2004 estime qu’environ 50% des IDE vers la Chine sont motivés par une volonté de réduire les coûts, 50% par une volonté d’accéder à une nouvelle demande). Ceci n’est pas anecdotique : l’Europe souffre actuellement sans doute moins d’un désavantage en termes de coûts que d’un problème de croissance faible.

3. En accédant au marché chinois, Seb va pouvoir mieux connaître ce marché, et sans doute écouler, aussi, à plus ou moins long terme, des produits plus haut de gamme, dont certains sont fabriqués en France. Le bilan en termes d’emplois, en France, n’est donc pas nécessairement négatif. Il sera en revanche très certainement biaisé : diminution des emplois les moins qualifiés, augmentation des emplois les plus qualifiés. Avec une transition à gérer si possible efficacement.

4. La comparaison des coûts de production n’est pas si simple qu’il y paraît. Alors, certes, Le Monde ressort le sempiternel "les coûts de production y sont [en Chine] parfois 50 fois plus faibles qu’en France" (à mon avis, l’ordre de grandeur concerne plutôt le coût du travail, pas les coûts de production, ce qui n’est absolument pas la même chose, cf. ce que mes explications dans Les Nouvelles Géographies du Capitalisme), mais en fonction du produit fabriqué, des coûts de production et des coûts de coordination, des compétences à mettre en oeuvre, etc… l’avantage peut être inversé. Pour preuve la déclaration d’un responsable de Seb, en octobre 2005 : « Sur un fer à repasser dont la fabrication est très automatisée et où l’on est leader mondial avec 10 millions de fers produits par an, notre prix de revient en Europe est de 20% inférieur à celui que nous pourrions obtenir en Chine » (source ici, article très bien fait des Echos, qui permet de bien comprendre la stratégie actuelle de Seb).

5. On ne peut donc pas réduire la stratégie de Seb a une seule proposition du genre : "hue cocotte, tous en Chine, les coûts y sont si bas!". Pour certains produits, Seb délocalise. Pour d’autres, Seb a intérêt à produire en Europe et en France. En fonction de la dynamique de chacun des segments et de la qualité du positionnement de Seb, l’emploi en France sera soit gagnant, soit perdant.

6. Si Seb prend maintenant le contrôle de l’entreprise Chinoise, c’est parce que la réglementation chinoise a évolué : on peut maintenant acquérir une entreprise sans payer en cash, mais en actions. En gros, Seb rachète en faisant ce que Mittal voulait faire avec Arcelor (payer pour l’essentiel en action), chose qu’en France on a vivement critiqué. [Au fait, en passant, j’espère que chacun aura apprécié l’évolution des relations entre les responsables de Mittal et Arcelor…]

7. Je ne dis pas non plus que l’opération de Seb est nécessairement et a priori gagnante : il faut savoir qu’environ 1/3 des IDE sont des échecs, en raison, notamment, d’une sous-estimation des coûts de la coordination à distance. Disons plutôt que, compte tenu des infos disponibles aujourd’hui, il me semble que l’opération est plutôt pertinente et sans doute profitable à l’économie française, y compris en termes d’emplois…

Affaire à suivre…

Qu’est-ce qu’une bonne entreprise?

J’ai posté sur Débat 2007 un billet intitulé "Qu’est-ce qu’une bonne entreprise?". Je reprends des éléments déjà évoqués dans de précédents billets, j’en développe d’autres.

Je le reprends ci-dessous, n’hésitez pas à réagir ici ou là-bas.

L’entreprise Mittal Steel est une mauvaise entreprise. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une entreprise familiale. C’est pour cette raison que Guy Dollé, président de la direction générale d’Arcelor, ironise : "je vais vous présenter les dirigeants présents, mais mon fils n’est pas là !". C’est aussi ce qu’affirme Elie Cohen quand il s’interroge en ces termes "Si l’OPA de Mittal sur Arcelor venait à réussir, M. Mittal continuerait à contrôler à titre personnel la majorité du nouvel ensemble. Qui peut croire que la gouvernance du nouvel ensemble s’en trouverait améliorée ? Qui ne voit ce qui est perdu avec le passage d’Arcelor, entreprise transparente, sous la surveillance permanente des marchés et des Etats, sous la coupe de Mittal, entreprise familiale ?" (Le Monde, 14 février 2006).

En clair, il existerait de bonnes entreprises, contrôlées par les marchés financiers, qui se conforment aux canons de la gouvernance actionnariale, et de mauvaises entreprises, qui échappent à ce contrôle et se complaisent dans les formes archaïques d’une gouvernance familiale, managériale, coopérative ou mutualiste…

Sauf que…

Côté entreprises familiales, d’abord :

  • l’OCDE estime que 70% des entreprises des pays industrialisés sont des entreprises familiales, et qu’elles emploient 50% des salariés. En France, près de la moitié des entreprises du CAC40 sont familiales (L’Oréal, Peugeot, Michelin, …) ;
  • le cabinet Oddo-Pinatton a construit un indice pour comparer les performances des entreprises familiales aux entreprises non familiales : les premières dégagent une rentabilité financière (ROE) de 16,5% par an, contre 12,5% par an pour les dernières ;
  • tout un ensemble d’études convergent pour dire que ces entreprises investissent plus en formation, mettent en oeuvre un rapport salarial plus stable, pratiquent des politiques de rémunération moins inégalitaires, etc… (voir notamment les études et synthèses de Allouche et Amann, par exemple celle-ci). Bref, on a vu modèle plus désatreux…

Côté surveillance des marchés, ensuite, se pose un problème évident d’efficacité du processus de sélection : l’enjeu, pour un acteur souhaitant acquérir des actions, est de repérer les bonnes entreprises, celles qui ont les bons fondamentaux. Dans un monde d’information parfaite, ceci est possible. Mais quand l’incertitude est radicale, c’est impossible. Il ne s’agit donc plus de repérer les bonnes entreprises (on ne sait pas faire), mais de repérer les entreprises que la majorité des acteurs, à tort ou à raison, considèrent comme bonnes. Comment procéder ? En repérant ce que Schelling (prix Nobel d’économie 2005) appelait des points saillants, ce que l’on appelle aujourd’hui des conventions partagées par les acteurs sur les marchés.

Exemple de convention qui s’est imposée il y a quelque temps : une bonne entreprise est une entreprise de la nouvelle économie. On sait où cela nous a conduit. Autre exemple : une bonne entreprise est une entreprise qui se recentre sur son cœur de métier. Avec là aussi, des dérives qu’André Lévy-Lang a dénoncé le 11 octobre 2004 dans une tribune particulièrement intéressante publiée par le Figaro Entreprises (perche tendue à un autre contributeur de Débat 2007 !).

Ceci ne signifie cependant pas, a contrario, que les bonnes entreprises sont les entreprises familiales. Il semble plutôt qu’il n’existe pas de modèle optimal de gouvernance, mais une diversité de modèles plus ou moins pertinents selon les pays, les secteurs et les périodes. Chaque modèle a ses avantages, chacun a ses limites : la gouvernance managériale pose le problème de l’opportunisme des dirigeants (cf. les débats sur la rémunération des dirigeants, les scandales Enron, Parmalat, WorldCom, etc…), la gouvernance actionnariale pose la question du mimétisme des comportements sur les marchés, la gouvernance familiale conduit à une certaine inertie des comportements (cf. mon dernier ouvrage pour des développements et une hiérarchisation des problèmes).

Or, curieusement, chacun fait comme si la gouvernance actionnariale s’était déjà imposée partout. Tout le monde a en tête une espèce de chronologie selon laquelle nous serions passés d’une gouvernance familiale, au 19ème siècle, à une gouvernance managériale, au tournant du 20ème siècle aux Etats-Unis, un peu plus tard en Europe occidentale, pour, enfin, tous converger vers une gouvernance actionnariale. Certains le déplorent, d’autres s’en félicitent, mais en fait, tous ont tort ! Preuve, parmi (beaucoup) d’autres : en 2000, les entreprises non financières détiennent, en France, 20,8% de l’ensemble des actions des entreprises cotées, 40,1% en Allemagne et 3,5% au Royaume-Uni, signe de l’importance, dans les deux premiers pays, des participations croisées (et donc, derrière, du poids de la gouvernance managériale et/ou familiale). Symétriquement, la part des investisseurs institutionnels (indicateur du poids de la gouvernance actionnariale) est de 19,6% en France, 9,6% en Allemagne et 50,8% au Royaume-Uni (source : Banque de France).

C’est sans doute en prenant acte de cette diversité des modes de gouvernance (et plus généralement du capitalisme) et en tentant de la préserver que l’on renforcera la capacité d’adaptation de la population d’acteurs aux contraintes économiques futures. De l’évolutionnisme bien pensé, en quelque sorte, qui fait de la diversité des populations la clé de l’adaptation.

France – Suisse




Je pars ce matin à Lausanne pour une conférence (ce soir) sur les délocalisations : affiche de présentation, heure et lieu plus précis ici.

Je pars rassuré après le match d’hier : je craignais que l’on me fusille du regard en cas de victoire française (peu probable), ou que l’on ricane sur mon passage en cas de victoire suisse. Un match nul, finalement, c’est très bien!

Mittal – Arcelor – Serverstal

La saga continue, avec la fusion Arcelor – Severstal… Je ne reviens pas sur l’affaire Mittal-Arcelor, dont j’ai déjà parlé ici, , encore , et même ici), mais je rappelle que le principal reproche que Guy Dollé fait à Mittal est d’être une entreprise familiale ("je vais vous présenter les dirigeants présents, mais mon fils n’est pas là", a-t-il ironisé).

Critique très à la mode qu’Elie Cohen a essayé de théoriser dans un article du monde : "Si l’opération venait à réussir, M. Mittal continuerait à contrôler à titre personnel la majorité du nouvel ensemble. Qui peut croire que la gouvernance du nouvel ensemble s’en trouverait améliorée ? Qui ne voit ce qui est perdu avec le passage d’Arcelor, entreprise transparente, sous la surveillance permanente des marchés et des Etats, sous la coupe de Mittal, entreprise familiale ?" (E. Cohen, Le Monde, 14/02/2006).
En effet, quelle perspective horrible, je n’ose même pas y penser…

Tient, pour info :
* l’OCDE estime que 70% des entreprises des pays industrialisés sont des entreprises familiales, et qu’elles emploient 50% des salariés. En France, près de la moitié des entreprises du CAC40 sont familiales (L’Oréal, Peugeot, Michelin, …).
* le cabinet Oddo-Pinatton a construit un indice pour comparer les performances des entreprises familiales aux entreprises non familiales : les premières dégagent une rentabilité financière (ROE) de 16,5% par an, contre 12,5% par an pour les dernières.
* tout un ensemble d’études convergent pour dire que ces entreprises investissent plus en formation, mettent en oeuvre un rapport salarial plus stable, pratiquent des politiques de rémunération moins inégalitaires, etc… (voir notamment les études et synthèses de Allouche et Amann, par exemple celle-ci)

Bon, ce n’est pas non plus l’alpha et l’omega de la gouvernance : je défendrai plutôt la thèse que les entreprises familiales sont mieux adaptées à certains contextes concurrentiels, une gouvernance actionnariale étant mieux adaptée à d’autres contextes (cf Les nouvelles géographies du capitalisme). Rien ne justifie en tout cas que l’on en fasse une critique aussi définitive que celle de Dollé et Cohen… (je ne poursuis pas, mais a contrario, on pourrait montrer les limites de la "surveillance permanente des marchés" que vante Cohen : Cf. de nouveau mon bouquin, chapitre sur la dictature financière).

Revenons à Severstal. Groupe Russe. Et là, l’équipe dirigeante fait fort, en pointant, en creux, un autre défaut irrémédiable de Mittal : son origine indienne. En effet, Joseph Kinsch, président du Conseil d’Administration d’Arcelor, vient de déclarer que  le russe Alexeï Mordashov, principal actionnaire de référence de SeverStal, est un "véritable européen" (entendez que Mittal est un faux européen, bien sûr). Parce que lui, monsieur, après des études d’ingénieur à Léningrad, il a fait des études en Grande-Bretagne! Puis après, il a exercé des responsabilités en Autriche! (source : ici). Ah, ca fait plaisir de voir la hauteur de vue de (certains) dirigeants d’entreprises françaises… [Add du 27/05 : Guy Dollé himself s’y met : "M. Dollé a beaucoup insisté sur les "valeurs communes" d’Arcelor et Severstal, répétant que M. Mordachov était "très européen" et "très occidentalisé."" (source : ici) Guy Dollé, lui, il est très quoi?]

Tient, je vais faire dans le même genre : ne vaudrait-il mieux pas s’en remettre à une famille indienne qu’à la mafia russe (une autre grande famille, certes…)?

PS : "la surveillance permanente des marchés" est à l’oeuvre : l’action Arcelor chute de 3,70% aujourd’hui, signe que les gentils  actionnaires n’aprouvent que moyennement l’opération en cours… D’ici qu’ils préfèrent l’opération de Mittal…

La métaphore du match de foot

Quand on interroge les français sur les délocalisations (considérées en gros comme des déménagements d’activité des pays développés vers des pays en développement), 88% déclarent qu’il s’agit d’un phénomène grave, 70% d’un phénomène durable, phénomène grave et durable s’expliquant, pour 95% d’entre eux, par un coût inférieur de la main d’oeuvre (source sondage CSA, retrouvé via prag). Bref, ils ont peur…

Quand on interroge des économistes sur les délocalisations, disons surtout ceux qui  essaient de collecter de l’information, de quantifier un peu le phénomène et de se prononcer sur son ampleur (voir par exemple cette étude particulièrement bien faite de l’Insee),  ils  disent que  les délocalisations pèsent très peu dans les destructions d’emploi en France, que c’est donc même pas grave, et qu’en tout cas, eux, ils n’ont même pas peur…

Dès lors, quand on met un économiste devant [des représentants] des citoyens, ca  peut nous donner ça : un Greg Mankiw, éminent économiste américain un temps propulsé à la tête du Council of Economic Advisers (l’équivalent US de notre Conseil d’Analyse Economique), se faisant comparer à "Alice au Pays des Merveilles" par un sénateur américain après que le premier se soit félicité des délocalisations / externalisations d’entreprises US…

Pourquoi ce décalage entre ce que les gens pensent et ce que les économistes observent du même phénomène ? Pour le comprendre, allons-y pour la métaphore du match de football…

Supposons que la guerre économique est assimilable à la coupe du monde de football et que, chaque soir, la France  est opposée à une autre équipe. Supposons aussi que, dans cette guerre, marquer un but, c’est attirer une nouvelle entreprise sur son territoire et se prendre un but, c’est voir une entreprise fermer sur son territoire pour rouvrir ailleurs.

Et bien, si les français s’inquiètent, c’est parce qu’on ne leur diffuse que les matchs contre la Chine, l’Inde ou la Tchéquie, et qu’ils se disent que ceux dont il faut avoir peur, bien sûr, ce sont eux. Et c’est surtout parce qu’on ne leur diffuse que des extraits de match, jamais les matchs entiers, et qu’à chaque fois, on ne leur montre que les buts encaissés, jamais ceux que la France marque ! Si bien que tous les soirs, c’est la même litanie : on s’est pris 3-0 contre la Chine…
De leur côté, les économistes, eux, regardent les matchs dans leur intégralité (regarder du foot, ils n’ont que ca à faire et/ou ne savent faire que ca, de toute façon…). Et ils voient que, d’abord, la plupart des matchs opposent des pays développés (un précédent billet montre que les pays de l’UE à 15 sont à l’origine de 99% des IDE sortants et accueillent 95% des IDE entrants de l’Europe).  Et ils constatent que, ensuite, la France marque beaucoup de buts (cf. les derniers chiffres sur les IDE entrants en France ou un autre de mes billets sur le classement de la France dans une étude KPMG). En clair, si ca se trouve, chaque soir, on gagne 5-3 sans le savoir…

Vous me direz, ce n’est pas parce qu’on gagne qu’il ne faut pas faire quelque chose pour la défense, histoire de ne pas se prendre 3 buts à chaque fois. Et j’en vois déjà certains qui s’interrogent sur le choix du gardien de buts… Ce qui n’est pas complètement stupide : se cramponner au même gardien alors qu’on sait que de toute façon, il est condamné à perdre, ca semble pas très rationnel (pensons au secteur textile par exemple) . Sans doute aurait-il fallu anticiper un peu et changer plus tôt de gardien (=repositionnement sur du textile innovant notamment) plutôt que de se désespérer après coup et d’accuser les adversaires de salauds (voire cracher sur l’arbitre / OMC).

Sauf qu’on oublie aussi que l’économie n’est pas un match de foot : dans un match, il y a un gagnant et un perdant, ou bien partage des points. En économie, a contrario, les deux équipes peuvent gagner, autrement dit, même quand on perd on gagne… Et ca, soit dit en passant, se serait bien pour l’équipe de France dans la perspective du mondial, surtout avec Barthez dans les buts [Add 25/05 : et qu’il est pas foutu de gravir une montagne]
 Pourquoi les deux gagnent en économie et pas au foot? parce que l’économie est un jeu à somme positive, alors qu’un match de foot c’est un jeu à somme nulle… Pour le dire vite, les délocalisations sont un moyen d’approfondissement de la division du travail à l’échelle internationale, et cet approfondissement, synonyme de meilleure spécialisation des économies, permet de dynamiser la croissance mondiale, autrement dit de créer plus de richesses. Si, ensuite, chaque pays récupère une partie des richesses, tout le monde y gagne…

Bon, mais bien sûr, il faudrait que les économistes soient un peu moins naïfs, moins "Alice au pays des merveilles", car si les français s’inquiètent, c’est aussi parce qu’ils sentent bien qu’il y a problème, même s’ils se trompent de problème : en même temps qu’elle permet d’accroître la création de richesses, la mondialisation (au sein de laquelle, je le répète, les délocalisations vers les pays en développement pèsent peu) est productrice d’inégalités, au détriment, pour l’essentiel, des détenteurs des ressources les plus banales (main d’oeuvre peu qualifiée notamment).

Certains diront que ce n’est là que transition, que problème d’adaptation à court terme, sauf qu’à se tromper de diagnostic, en répétant sans arrêt que tout le problème vient du coût du travail peu qualifié et du manque de flexibilité du marché du travail, on se trompe aussi de politique économique, et, avec tout ça, le court terme risque de durer longtemps, très longtemps…

Débat sur BFM

BFM Radio organise un débat vendredi prochain de 10h à 11h auquel j’ai été convié.

Sujet : "Comment lutter contre les délocalisations?"


Le débat est animé par
Vincent Giret, directeur adjoint de la rédaction du Parisien-Aujourd’hui en France. Outre ma modeste personne, sont invités Lionel Fontagné, économiste et directeur du CEPII (qui a notamment co-rédigé le rapport Délocalisations, désindustrialisation avec Jean-Hervé Lorenzi publié en 2005 par la Documentation Française) et Jean-Louis Levet (voir notamment une contribution ici), économiste également, responsable du pôle politique industrielle du Centre d’analyse stratégique.

Reste à savoir ce que peut produire "l’enfermement" de trois économistes dans un studio de BFM sur un sujet aussi brûlant !

Bon, pour intéresser le billet, je propose à ceux qui le souhaitent de me dire en quelques mots (deux ou trois phrases, capacité de synthèse exigée!) ce qu’ils répondraient si d’aventures on leur posait la question? non pas que je manque d’argument, ce serait un comble, mais plutôt histoire de sonder ce que les esprits nécessairement brillants qui s’aventurent sur mon blog auraient à dire… Peut-être aurais-je le temps d’en dire un mot vendredi?

La compétitivité française

Dans les nouvelles géographies du capitalisme, j’explique que pour se prononcer sur l’avantage concurrentiel des nations, on ne peut se limiter à une comparaison des coûts du travail : différentes logiques sont à l’oeuvre (logique de coût, de compétences, financière, impératif de flexibilité, rôle de la proximité vis-à-vis de la demande, vis-à-vis des fournisseurs, etc…). Et même s’agissant des logiques de coût, il convient de comparer non seulement le coût du travail, mais aussi l’efficacité de l’heure travaillée (la productivité), ainsi que, à côté des coûts de production, les coûts de coordination entre acteurs.

Dans cette perspective, KPMG vient de publier une étude particulièrement intéressante permettant de comparer, pour 9 pays développés (le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, Singapour, le Royaume-Uni et les États-Unis) les coûts supportés par les entreprises. Cette étude s’appuie sur 27 éléments de coûts (notamment la main-d’oeuvre, les avantages sociaux, les installations, les impôts et les services publics) associés à plusieurs types d’activités. Elle comprend  également une analyse détaillée des coûts observés dans 128 villes des neuf pays.

Résultats pour les pays (indice 100 = Etats-Unis) :

La France est sur le podium, derrière Singapour (on peut s’interroger sur la présence de ce pays dans l’échantillon…) et le Canada. Et devant les Pays-Bas, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne. Preuve s’il en était besoin que le prétendu désavantage de coût de la France (parce que les impôts de l’Etat, parce que les avantages acquis des salariés, parce que etc…) vis-à-vis des pays de niveau de développement comparable est à relativiser.

Les résultats par secteur permettent d’affiner le diagnostic : la France arrive en deuxième position (la première place est toujours occupée par Singapour) dans l’Automobile, les composants en métal et le plastique.  Elle occupe la troisième place dans 9 secteurs, et la quatrième dans les 6 autres.

S’agissant des villes, différents classements sont proposés (Paris est 6ème des grandes métropoles, Lyon est 2ème des grandes agglomérations, etc.). Si on se concentre sur les villes d’Europe continentale (comparaison des villes de France, d’Allemagne, d’Iltalie et des Pays-Bas), les villes francaises arrivent en tête : la ville la plus attractive est Montpellier (indice de 92,6) suivie par … Poitiers ! (indice de 92,9).

Bien sûr, il convient de rester prudent dans l’interprétation des résultats : je suis plutôt critique vis-à-vis de ces exercices de comparaisons internationales (exercices de benchmarking comme on dit de manière plus "savante"), tant les résultats que l’on obtient dépendent des pays de l’échantillon (je le redis, inclure Singapour me semble un peu étrange…) et des variables retenues (je précise la critique dans les nouvelles géographies du capitalisme en montrant que se livrer à des exercices de benchmarking c’est en quelque sorte se comporter comme des pingouins…). De plus, il est clair que la situation de pays comme l’Allemagne et le Japon, bons derniers du classement, s’explique en partie par un positionnement différent dans de nombreux secteurs : l’avantage concurrentiel de ces pays repose sur des logiques hors coût, autour desquelles il convient de travailler en France aussi…

Ici Londres #3

Ben Mince alors! J’apprends ce matin qu’une entreprise française (Peugeot) implantée au Royaume-Uni (à Ryton, près de Coventry) va fermer son usine d’ici 2007 ! Et pourquoi donc? Car "une Peugeot 206 coûtait 400 euros plus cher à produire à Ryton qu’à Poissy ou à Mulhouse" (dixit un porte parole du groupe).

Bon, moi je dis stop : tout le monde sait que l’avenir économique passe par un coût du travail plus faible (la Chine a de l’avenir) ou par un marché du travail plus flexible (le Royaume-Uni a de l’avenir), non?

Et bien non, justement : ce que les entreprises souhaitent minimiser, c’est l’ensemble de leurs coûts. Bien sûr, le coût du travail en est une composante. Mais il convient également d’intégrer le différentiel de productivité, qui nous renseigne sur l’efficacité de l’heure travaillée. Et aussi –et dans l’exemple de Peugeot, ca compte– l’ensemble des coûts de coordination (d’autres diraient des coûts de transaction) : entre l’entreprise et ses fournisseurs, d’une part, entre l’entreprise et ses clients, d’autre part. Or, Peugeot indique que le sur-coût britannique s’explique principalement par "des coûts logistiques plus élevés : non seulement la majorité des fournisseurs n’est pas implantée en Grande Bretagne et nous envoie des pièces, mais nous exportons 70% de la production vers le reste de l’Europe" (Cf. Le Figaro ou Libé). Bref, le site britannique est globalement moins compétitif que les sites français…

Ce qui fait dire à un syndicaliste anglais : "Tout cela s’inscrit dans le cadre d’un déclin de l’emploi industriel, plus rapide en Grande Bretagne que dans n’importe quel autre pays d’Europe de l’Ouest".

Tu vas voir, un de ces jours, un Hurluberlu d’Outre-Manche va nous dire que l’économie française a de l’avenir…

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