Accroître la dégressivité des indemnités chômage

La question de la dégressivité des indemnités chômage refait surface, avec ce rapport de la Cour des Comptes : le système français est peu dégressif, du fait du plafond d’indemnisation très élevé du chômage, plus de 6000€ en France, contre autour de 2000€ en Belgique et en Allemagne.

J’avais évoqué cette question lors de l’affaire Domenech, qui se retrouvait à toucher, après l’épopée glorieuse de l’équipe de France, autour de 5600€ nets mensuels d’indemnités chômage. Les Econoclastes s’interrogent sur la pertinence d’une baisse du plafond, en renvoyant notamment à cet article de la Tribune : la baisse du plafond devrait s’accompagner d’une baisse des cotisations des cadres, or ils contribuent beaucoup et bénéficient peu des indemnités car is sont très peu exposés au chômage. Par sûr que l’on y gagne, nous dit le journaliste…

Comme toujours sur ce sujet, je renvoie à l’excellent article des Ecopublix, qui montrait qu’une proportion non négligeable des personnes à très haut salaire attendaient le dernier moment pour reprendre un emploi, contrairement aux personnes à salaire plus faible. Logique : ces personnes à très haut salaire peuvent très vite retrouver un emploi, elles peuvent s’accorder entre deux jobs une bonne pause en vivant d’allocations généreuses et retouner à l’emploi lorsque l’allocation s’arrête (je force le trait, je ne dis pas que 100% de ces personnes font ça). Ce rapport du CERC, datant de 2005, évoquait déjà cette question. A l’époque, une baisse du plafond à 1500€ aurait concerné 14,6% des allocataires ; une baisse du plafond à 1800€ en aurait concerné 8%.  A 3000€, on tombait à une proportion de 2,3%. A l’époque toujours, le passage à un plafond de 1500€ aurait conduit à une économie pour l’Unedic de 2,75 milliards d’euros par an. Somme non négligeable, potentiellement mobilisable pour accompagner les personnes à l’inverse très exposées au risque de chômage.

Bref, compte-tenu de ces éléments, une baisse du plafond d’indemnisation en France me semble une mesure plutôt adaptée. Ni miraculeuse, ni révolutionnaire, mais plutôt adaptée : bien calibrée, elle permettrait de réduire ces comportements opportunistes et de se doter de moyens financiers supplémentaires pour former les personnes les moins qualifiées par exemple.

Mesure plutôt adaptée qui ne sera pas prise, bien sûr, car comme le dit le député socialiste Jean-Jacques Germain cité par Le Monde : “Surtout en temps de crise, il n’y aurait rien de pire que de toucher aux droits des chômeurs. (…) S’il y a un déficit qu’il faut accepter, c’est celui-là.” Je me demande ce que Jean-Jacques Germain pensait du montant des indemnités perçues par Raymond Domenech, il y a deux ans…

Percevoir des allocations décourage-t-il de travailler?

Question récurrente dans le débat public : est-ce qu’octroyer des allocations à des personnes sans emploi ne les inciterait pas à ne pas travailler (les petites feignasses, serais-je tenté d’ajouter) ?

L’Insee s’est emparé de ce sujet en se concentrant sur le cas du RMI et du RSA. Une des difficultés de ce type d’évaluation est que, pour pouvoir mesurer l’impact précis d’un dispositif, il faut pouvoir contrôler tout un ensemble de biais potentiels, chose souvent difficile à moins de recourir à des expériences contrôlées, consistant par exemple à tirer au sort des personnes bénéficiant du dispositif (groupe test) et d’autre personnes n’en bénéficiant pas (groupe témoin). Stratégie souvent difficile voire impossible à mettre en œuvre pour tout un ensemble de raisons que je ne développerai pas ici.

Une autre stratégie, adoptée dans le cas de cet étude, consiste à comparer deux groupes de personnes très proches. En l’occurrence, de comparer des jeunes sans enfant, d’un tout petit peu moins de 25 ans, ne bénéficiant donc pas du RMI ou du RSA, à des jeunes toujours sans enfant, d’un tout petit peu plus de 25 ans, pouvant bénéficier de ces dispositifs. Les deux groupes étant quasiment identiques aux abords de la limite d’âge, le premier groupe constitue donc un groupe témoin presque parfait tandis que le second, le groupe test, est potentiellement affecté dans ses choix par la possibilité de recourir au RMI/RSA.

Résultat attendu : si le RMI et le RSA désincitent à travailler, on devrait observer une rupture dans les taux d’emploi entre les deux groupes de personne. En l’absence de rupture, pas d’effet désincitatif. En cas d’effet, on peut également en mesurer l’ampleur.

Résultat de l’étude (résumé ici, étude complète ) : pas de rupture nette dans les taux d’emploi à 25 ans pour l’ensemble des jeunes sans enfant, ce qui indique que le RMI et le RSA n’auraient pas d’effet désincitatif marqué sur l’emploi des jeunes autour de cet âge. Une légère rupture dans les taux d’emploi est toutefois décelable pour les jeunes les moins diplômés (ayant au mieux le brevet des collèges) lors des premières années de l’étude (2004 et 2005), mais elle n’est plus repérable par la suite, en particulier après la mise en place du RSA.

Et la rupture est légère, j’insiste : “L’effet désincitatif du RMI sur l’emploi des jeunes célibataires sans enfant autour de 25 ans pour la période 2004-09 semble très faible et circonscrit à une population spécifique (jeunes célibataires sans enfant et non diplômés). Selon les spécifications, entre 1,7 % et 2,9 % de ces jeunes seraient découragés de travailler en raison du RMI, ce qui représente seulement entre 2,0 % et 3,4 % des jeunes allocataires du RMI de 25 ans, célibataires et sans enfant” (extrait de la conclusion).

Bien sûr ce résultat n’est pas généralisable à d’autres catégories de personnes, d’autres dispositifs, etc., mais, sur la base de ces résultats, la réponse à la question titre de cet article est claire : non.

Tu gagnes combien de Big Macs à l’heure?

Exercice compliqué que de comparer les niveaux de vie des salariés ou la productivité du travail entre pays : les tâches réalisées par les salariés ne sont pas les mêmes, leur niveau de qualification non plus. Dès lors, en s’appuyant sur les données macroéconomiques disponibles, on ne sait pas ce qui relève de ces différences de spécialisation et de différences liées à l’organisation générale des pays.

Pour contourner ce problème, Orley C. Ashenfelter a collecté des informations sur les salaires des employés de MacDonald dans une soixantaine de Pays, pendant une dizaine d’années, ainsi que les prix des Big Mac. L’intérêt de l’exercice est que les tâches confiées aux salariés dans tous les pays sont totalement standardisées, les conditions d’approvisionnement, les contraintes en termes de qualité, …, sont très proches pour ne pas dire identiques. En bref, mêmes tâches, mêmes qualifications, mêmes technologies, mêmes produits.

En divisant le salaire moyen de chaque pays (les Mac wages) par le prix du Big Mac, il obtient un indicateur qualifié de Big Macs Per Hours Worked (BMPH), qui est un bon indicateur des taux de salaires réels pratiqués dans les différents pays de son échantillon. Son BMPH varie de 0,35 en Inde et en Amérique du Sud à 3,09 au Japon, en clair des différences de 1 à 10 pour, je le répète, une activité strictement identique. Les “scores” des pays développés sont très proches, un employé de McDonald gagnant en moyenne, dans ces pays, entre 2 et 3 Big Macs par heure travaillée.

Il montre également que les pays à bas coût ont connu une croissance très forte de leur BMPH sur les dix dernières années, mais que cette croissance s’est ralentie, voire à été totalement stoppée dans de nombreux pays, à partir du début de la crise financière.

Son article est disponible ici (accès payant). Un diaporama est librement disponible à cette adresse. Voici le résumé (en) :

In Comparing Real Wages (NBER Working Paper No. 18006), Orley Ashenfelter notes that real wage rates are important indicators of both living standards and labor productivity, but are difficult to measure accurately. He then reports on the results of a decade-long project designed to estimate real wages by studying the hourly worker wages at McDonald’s restaurants in over 60 countries. The findings suggest that workers in India, China, Latin America, and the Middle East earn 10 to 15 percent of what workers earn in the developed countries. Workers in Russia, Eastern Europe, and South Africa face wage rates that are 25 to 35 percent of those in developed countries. These differences are attributable to national economic organization, not to differences in skill or human capital.

 Defining the wage of a crew member at McDonald’s in each country as the “McWage”, Ashenfelter calculates a rather unconventional measure of real wages by dividing the McWage by the price of a Big Mac — in other words, the Big Macs per Hours Worked (BMPH) estimate of real wage rates. These estimates range from 3.09 in Japan to 0.35 in Latin America and India. The developed countries, the United States, Canada, Japan, and Western Europe have similar BMPH real wage rates: workers earn between two and three Big Macs per hour.

 Between 2000 and 2007, the BMPH real wage declined slightly in the United States and Canada, but remained constant in Japan, grew by over 50 percent in China and India, and rose by over 150 percent in Russia, which was recovering from a severe financial crisis in the late 1990s.

 In most countries, BMPH real wage growth stalled between 2007 and 2011. BMPH real wages fell in the United States, Canada, South Africa, India, and Japan, and remained constant or grew slightly in Eastern Europe, the Middle East, and Latin America. BMPH real wages only grew in China, Russia, and Eastern Europe during those years.

L’immigration? Parlons-en, mais intelligemment…

La question de l’immigration est régulièrement mise sur la table des débats. Des chercheurs en sciences sociales s’intéressent bien sûr à cette question, produisent des analyses empiriques, mesurent l’importance quantitative de l’immigration des différents pays, en étudient l’impact sur les pays d’origine et de destination, etc.

Parmi eux, E. M. Mouhoud, Professeur d’économie à Dauphine. En moins de vingt minutes, il propose une synthèse efficace de la question que je vous invite à visionner.

Voici quelques éléments que j’ai pu retenir :

i) les flux d’immigrés en France pèsent 0,2% de la population, ce qui place la France en avant dernière position des pays de l’OCDE, derrière l’Allemagne et devant le Japon, pays le plus fermé,

ii) l’immigration est un des moyens de subvenir aux besoins de certains métiers en tension observés dans certaines zones d’emploi, son faible niveau pénalise le développement économique de ces zones,

iii) l’impact sur les salaires et l’emploi de l’immigration est négligeable. Ceci s’explique d’abord par le fait que le niveau de l’immigration est faible et ensuite par le fait que quand il y a impact, il se porte non pas sur les natifs, mais sur les anciens migrants,

iv) la stigmatisation des immigrés en France conduit à des effets d’éviction, les immigrés qualifiés et très qualifiés préfèrent d’autres destinations, ce qui a un impact évident en termes de perspective de développement économique de notre pays,

v) il conviendrait de donner un horizon plus long aux immigrés et d’assurer la portabilité de leurs droits, ce qui favoriserait leur investissement, ferait monter leur productivité au travail et bénéficierait logiquement en retour à l’économie française,

vi) il conviendrait de mettre en place un comité indépendant, comme cela se fait au Royaume-Uni et est en discussion aux Etats-Unis, pour produire des statistiques permettant d’alimenter le débat public et assurer le respect des droits des migrants.

Discours clair, cohérent et argumenté de E.M. Mouhoud. Nos politiques feraient bien de s’en inspirer, plutôt que d’instrumentaliser les peurs des citoyens.

Dis, Les Echos, c’est quoi un taux de chômage?

(Mise à jour 19/04/12  : Les Echos ont modifié leur article, en parlant de jeunes actifs. Félicitations aux Echos, donc, pour cette correction!)

Après l’Essec, c’est un quotidien économique phare, à savoir Les Echos, qui s’emmêle les pinceaux avec un indicateur économique de base, le taux de chômage, dans un petit article daté du 13 avril 2012, 7 heures. Le sujet? Le taux de chômage en Grèce, qui s’établit, pour janvier, à 21,8%. Petit article qui se termine sur le taux de chômage des jeunes, avec cette affirmation :

 Les jeunes entre 15 et 24 ans restent les plus touchés, plus d’un sur deux n’ayant pas d’emploi (50,8 %).

Notons que la source des chiffres n’est pas indiquée (ce serait bien, Les Echos, de l’indiquer systématiquement). J’ai pensé qu’ils étaient tirés d’Eurostat, je suis allé voir sur leur site, la dernière note sur les taux de chômage est celle-ci, elle date du 2 avril 2012. On y apprend que le taux de chômage grec était de 21% en décembre 2011 et que le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) était de 50,4%. Chiffres proches de ceux des Echos, pour le mois précédent.

Où est l’erreur des Echos? Les lecteurs réguliers de mon blog l’auront deviné, c’est toujours la même : le taux de chômage est le rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre d’actifs, un taux de chômage des jeunes de 50% ne signifie pas qu’un jeune sur deux est au chômage, mais qu’un jeune actif sur deux est au chômage.

Pour connaître la proportion de jeunes (grecs en l’occurrence) au chômage, il faut multiplier par le taux d’activité. J’ai trouvé cette information, toujours sur Eurostat, dans ce tableau. Le taux d’activité des jeunes grecs est de 42,3% au quatrième trimestre 2011. C’est donc un peu moins d’un jeune grec sur cinq qui est au chômage, non pas un peu plus d’un sur deux. 1/5, c’est beaucoup, mais convenez avec moi que c’est loin d’1/2.

Les Echos, tu me copieras cent fois la définition du taux de chômage des jeunes et cent autres fois “je précise toujours la source de mes données”.

Je complète un peu avec les données pour les jeunes français : taux de chômage de 22,6% en décembre 2011 et de 21,7% en février 2012, dernier chiffre disponible. Idem, ça ne veut pas dire qu’un peu plus d’un jeune français sur cinq est au chômage, vous l’aurez compris. Le taux d’activité est à 40,6% au quatrième trimestre 2011, ça nous fait donc environ 1 jeune français sur 11 au chômage.

Géographie des fainéants

Nicolas Sarkozy semble considérer qu’une des explications du chômage en France tient au fait que certains chômeurs refusent un peu trop facilement les formations où les emplois qu’on leur propose.

Propos pas vraiment nouveau à l’UMP, puisque lors de la dernière campagne présidentielle, en 2007, le futur Premier Ministre de la France déclarait :

la famille qui se lève tôt le matin pour aller “bosser” ne doit pas avoir le sentiment d’être lésée par celle qui, cumulant les aides et allocations, n’en ressent plus la nécessité.

Notre Président de la République et notre Premier Ministre étant des gens biens informés, on ne peut que les croire sur cet enchaînement. Etant donné que, parallèlement, l’Insee vient de publier les taux de chômage par zone d’emploi sur la période 2003-2010, on peut s’amuser à repérer les territoires où se concentrent les personnes qui n’ont décidément aucune envie de se lever tôt le matin. Une sorte de géographie des fainéants donc (car les fainéants ont tendance à se regrouper, c’est bien connu).

Voici le top ten :

ze libellé 2010
2203 Thiérache 16,2
3125 Calais 16,2
3122 Lens-Hénin 16
3117 Maubeuge 15,7
9107 Agde-Pézenas 15,3
3115 Valenciennes 15
2205 St-Quentin 14,9
3110 Roubaix-Tourcoing 14,9
9104 Alès 14,7
9112 Sète 14,6

Vous ne serez pas sans remarquer que le Nord Pas de Calais est bien représenté (5 des 10 zones d’emploi). Un effet Aubry, sans doute…

Bon, je vous vois venir : vous vous demandez où sont concentrés les courageux? Vos désirs sont des ordres, nouveau top ten :

ze libellé 2010
5304 Loudéac 5,9
8306 Saint-Flour 5,8
1112 Rambouillet 5,7
7304 Rodez 5,7
5217 Les Herbiers 5,5
7401 Tulle 5,4
8305 Mauriac 5,4
5314 Vitré 5,3
9113 Lozère 4,9
1109 Houdan 4,5

Le problème, c’est que la géographie des fainéants est particulièrement stable (ce qui est somme toute logique : les fainéants n’aiment guère se déplacer). Pour preuve ce nuage de point qui croise le taux de chômage en 2010 et celui de 2003 :

On remarque enfin que le taux de chômage en 2010 est assez systématiquement supérieur à celui de 2003. Petite vérification à partir des données : sur les 304 zones d’emploi, seules 17 voient leur taux de chômage diminuer entre les deux périodes (dont 4 zones d’emploi Corses…). Conclusion : la fainéantise est contagieuse.

Le rapport Coe-Rexecode sur la durée du travail en France

J’avais parlé il y a quelques
temps
des erreurs et approximations d’une étude de Coe-Rexecode comparant les performances de la France et de l’Allemagne.

Ils viennent de récidiver en publiant une autre étude où ils comparent les durées de travail en Europe et de laquelle ils pensent pouvoir conclure que i) la durée du travail en France est une des plus
faibles d’Europe, ii) non content de cela, c’est le pays où on a le plus réduit la durée du travail (35 heures, le retour), iii) que ceci a plombé la croissance française et donc l’élévation du
niveau de vie des populations.

Eric Heyer et Mathieu Plane expliquent fort heureusement en 7 pages claires et précises les nombreuses erreurs et approximations de cette nouvelle étude.

Ils sont payés chers les économistes de Coe-Rexecode?

Chômage des jeunes : où est la spécificité française?

Dans « La machine à trier », Cahuc et al. s’inquiètent, dans le premier chapitre, du taux de chômage des jeunes français :

« fin 2010, le taux de chômage des 15-24 ans atteignait 24% contre 8,5% pour les 25-49 ans. Le rapport est donc d’un à trois. (…) Certes, les jeunes rencontrent des difficultés d’insertion dans l’emploi dans de nombreux pays (…) [mais] en 2009, le taux de chômage des jeunes n’était « que » d’une fois et demie celui des adultes en Allemagne, deux fois au Danemark, aux Pays-Bas, en Suisse, au Canada, aux Etats-Unis, et même en Espagne, et non trois fois comme en France » (p. 15-16).

J’ai été plutôt surpris en lisant ce passage, qui semble indiquer une vraie spécificité française. Je me suis donc empressé de collecter des données complémentaires sur Eurostat, de faire quelques calculs, qui conduisent non pas à infirmer ce qui est dit par les auteurs, mais à préciser le diagnostic dans un sens cohérent, d’ailleurs, avec ce qu’ils développent dans les autres chapitres.

Premier point, j’ai collecté des données pour un ensemble plus large de pays européens, en calculant d’une part le taux de chômage des 15-24 ans et d’autre part ce taux rapporté au taux des 25-64 ans.

Pays taux jeunes jeunes/25-64 ans
Belgique 22.4 3.20
Danemark 13.8 2.23
Allemagne 9.9 1.48
Irlande 27.8 2.34
Grèce 32.9 2.96
Espagne 41.6 2.31
France 23.7 2.89
Italie 27.8 3.97
Luxembourg 15.8 4.16
Pays-Bas 8.7 2.35
Autriche 8.8 2.38
Suède 25.2 4.27
Royaume-Uni 19.6 3.38
Union européenne à 15 20.4 2.46

On retrouve le ratio d’environ 3 pour 1 pour la France et de 1,5 pour 1 pour l’Allemagne. Mais on observe que d’autres pays souffrent de rapports équivalents, voire supérieurs, à celui de la France : la Belgique, le Royaume-Uni, le Luxembourg et la Suède. On remarque ensuite qu’un ratio élevé peut s’accompagner d’un taux de chômage des jeunes inférieur à la moyenne européenne (cas du Royaume-Uni) et que, symétriquement, un ratio plus faible peut s’accompagner d’un taux de chômage beaucoup plus fort (cas de
l’Espagne). La simple présentation du ratio peut donc être trompeuse, car la situation Espagnole, notamment, peut être considérée comme moins préférable à celle de la France, alors que le ratio espagnol est inférieur au ratio français.

Deuxième complément, plus important sans doute. Le taux de chômage des jeunes est toujours à prendre avec précaution, car la part des jeunes actifs est beaucoup plus faible que la part des actifs dans la population d’ensemble, ceci pour tous les pays, pour une raison évidente : nombre de jeunes sont en étude (les étudiants ne sont pas considérés comme actifs). Plutôt que de calculer le taux de chômage des jeunes, on préfère donc souvent calculer la part des jeunes au chômage.

Ces différents indicateurs peuvent être mis en évidence grâce à une décomposition comptable du taux de chômage. Notons u le taux de chômage, a le taux d’activité (rapport de la population active sur la population totale) et p la part des personnes au chômage (rapport du nombre de chômeurs sur la population totale). On montre facilement que u=p/a. En procédant comme Cahuc et al., on peut rapporter les indicateurs des 15-24 ans aux indicateurs de la classe d’âge supérieure (25-64 ans), pour travailler sur des ratios et effectuer des comparaisons entre pays. En notant x(j) l’indicateur jeunes et x(v) l’indicateur « vieux », on obtient : u(j)/u(v)=(p(j)/p(v))*(a(v)/a(j)).

Dans le cadre de comparaison entre pays, on peut donc voir, dans les écarts entre ratios globaux (u(j)/u(v)), ce qui relève d’une problématique essentiellement « marché du travail » (côté p(j)/p(v)) et ce qui relève d’une problématique essentiellement « formation/éducation » (côté a(v)/a(j)). Voici ce qu’on obtient pour les pays de mon échantillon :

Pays u(j) u(j)/u(v) a(j)/a(v) p(j)/p(v)
Belgique 22.4 3.20 0.45 1.43
Danemark 13.8 2.23 0.75 1.66
Allemagne 9.9 1.48 0.62 0.92
Irlande 27.8 2.34 0.67 1.57
Grèce 32.9 2.96 0.60 1.79
Espagne 41.6 2.31 0.72 1.66
France 23.7 2.89 0.54 1.57
Italie 27.8 3.97 0.63 2.52
Luxembourg 15.8 4.16 0.29 1.23
Pays-Bas 8.7 2.35 0.64 1.51
Autriche 8.8 2.38 0.60 1.44
Suède 25.2 4.27 0.65 2.77
Royaume-Uni 19.6 3.38 0.72 2.42
Union européenne à 15 20.4 2.46 0.65 1.60

On observe alors que la part des jeunes au chômage relativement à la part de la tranche d’âge supérieure, est, en France, inférieure à la moyenne des pays de l’Union à 15. Elle est notamment inférieure au ratio de l’Espagne ou du Danemark pris en exemple dans l’ouvrage. En revanche, le ratio « taux d’activité » de la France est l’un des plus faibles de mon échantillon, seuls la Belgique et le Luxembourg ayant des ratios plus faibles. C’est donc plutôt de ce côté-là qu’il convient de s’interroger. A ce titre, on peut penser que l’organisation du système éducatif français n’est pas étrangère à ce résultat : survalorisation de la voie générale, dévalorisation des filières d’apprentissage, objectif d’amener un maximum de jeunes au bac, etc. Pas sûr que cette organisation soit la plus efficace qui soit…

Présidentielle 2012 : la question Jeunes

La campagne présidentielle 2012 s’amorce. L’occasion de parler de sujets importants, des réformes structurelles dont la France a besoin.

Dans cette perspective, une première lecture incontournable, dont j’ai déjà parlé ici, est l’ouvrage de Landais, Piketty et Saez. La France souffre d’un système fiscal injuste, réformer ce système permettrait d’une part de tendre vers plus de justice sociale et d’autre part de se doter de marges de manœuvre pour financer des dépenses publiques utiles.

Un deuxième ouvrage, qui aborde une autre thématique essentielle, vient d’être publié : « la Machine à trier », co-écrit par Cahuc, Carcillo, Galland et Zylberberg. Il pose la question de la jeunesse française, coupée en deux, avec, d’un côté, des jeunes diplômés qui s’en sortent bien et, de l’autre, des jeunes non ou faiblement diplômés, condamnés à vie.

Dans ce petit ouvrage d’environ 140 pages, les auteurs commencent par montrer que le problème ne réside pas dans une opposition jeunes/vieux. Ceux qui souffrent sont les jeunes non diplômés, le diplôme étant en France le sésame incontournable et définitif pour accéder à un emploi stable de qualité. Ils démontrent ensuite que ce problème des jeunes non diplômés n’est pas lié à leurs caractéristiques intrinsèques (ils sont fainéants, asociaux, etc.) mais à la conjugaison de dysfonctionnements dans les familles, à l’école, sur le marché du travail et dans le système de protection sociale.

Le système éducatif français est un système qui « fait émerger une petite élite sans se soucier vraiment de ceux qui restent sur le bord de la route » (p. 85) (…). « En France, le diplôme n’est pas conçu comme un investissement en capital humain qui permet de mieux se vendre sur le marché du travail (…) c’est un titre, l’équivalent d’un titre de noblesse, qui confère des droits et ouvre l’accès à une place donnée dans la hiérarchie sociale » (p. 94). Le marché du travail ne permet pas de corriger ces inégalités premières : les jeunes sans diplômes sont notamment ceux qui profitent le moins de la formation professionnelle et de dispositifs d’accompagnement.  Le système de protection sociale français les laisse également de côté, puisque, contrairement à de nombreux pays, ils ne peuvent bénéficier de l’assistance sociale (pas de Rmi ni de RSA avant 25 ans dans la plupart des cas).

Le diagnostic dressé par les auteurs, c’est une des forces de cet ouvrage, est abondamment documenté par un ensemble de statistiques et de comparaisons internationales. Du diagnostic dressé, ils déduisent logiquement un ensemble de préconisations en termes d’action publique, en insistant sur les réformes à introduire sur le marché du travail et dans le système éducatif.

Réformes qui coûteront chers et que la situation des finances publiques pourrait contrarier. Sauf que, comme ils le précisent en conclusion, « on trouve chaque année 5 milliard d’euros pour défiscaliser les heures supplémentaires sans effet sensible sur la durée du travail, et trois autres milliards pour baisser la TVA dans la restauration sans effet démontré sur l’emploi. Investir dans l’avenir de notre jeunesse semble bien plus prioritaire ». Au-delà de ces deux points, on est en fait renvoyé à la lecture du premier ouvrage indiqué dans ce billet : une réforme fiscale rapidement mise en œuvre permettra de se donner des marges de manœuvre pour traiter des problèmes essentiels. Le problème traité dans cet ouvrage est à l’évidence l’un de ceux-là.

Le CV anonyme, une bonne idée pour lutter contre les discriminations?

 

Pas sûr du tout vu l’évaluation menée par Pôle Emploi

Résumé (graissé par moi) :

L’évaluation de l’expérimentation du CV anonyme a été conduite et pilotée par Pôle emploi entre novembre 2009 et novembre 2010. Les
résultats indiquent que le CV anonyme n’améliore pas, en moyenne, les chances d’accéder à un entretien d’embauche pour les publics susceptibles d’être discriminés. Son impact est même
négatif sur les taux d’accès aux entretiens des candidats issus de l’immigration ou résidant en Zus/Cucs
. L’absence d’effets moyens pour certaines catégories masque toutefois des
différences importantes en fonction de certaines caractéristiques des recruteurs. Ainsi, le recours au CV anonyme agit contre la tendance des recruteurs à privilégier des candidats du même genre
qu’eux-mêmes.

L’effet défavorable du CV anonyme sur les chances d’accès à l’entretien des candidats immigrés et/ou résidant Zus/Cucs peut
s’expliquer par le profil particulier des entreprises qui ont été volontaires pour participer à l’expérimentation.

 Dans certaines configurations, l’usage du CV anonyme a eu pour effet de modifier les pratiques des recrutements et de réduire
les risques de discrimination dans l’accès aux entretiens d’embauche, voire à l’emploi. Si l’obligation de recourir au CV anonyme parait peu envisageable, le CV anonyme constitue un outil qui
reste pertinent parmi d’autres moyens complémentaires de lutte contre les discriminations.

 

Le résultat le plus surprenant est l’impact négatif sur les candidats issus de l’immigration ou résidant en Zus / Cucs, ce que montre
ce graphique tiré de l’étude :


cvanonyme.jpg

 

Comment expliquer ce résultat? Les auteurs de l’étude avancent plusieurs explications :

* les entreprises ayant participé à l’expérimentation auraient un profil spécifique. Là, j’avoue ne pas comprendre l’argument, car la
méthodologie repose sur de l’expérience contrôlée, donc a priori pas de différences de caractéristiques entre le groupe des entreprises “cv nominatif” et celui “cv anonyme”. Puisque la
participation à l’expérimentation a été fait sur la base du volontariat des entreprises, on a certes une spécificité des résultats (on ne peut pas généraliser à l’ensemble des entreprises), mais
on ne doit pas avoir de spécificité entre les deux groupes,

* les cv anonymes pénalisent les entreprises ayant une approche volontariste en matière de lutte contre les discriminations,

* dernière raison, la plus convaincante selon moi: L’anonymisation des CV empêcherait les recruteurs de relativiser des signaux jugés
défavorables dans les CV de candidats potentiellement discriminés, par exemple des diplômes ou des expériences moins prestigieuses. En focalisant l’attention uniquement sur le contenu du CV, le
CV anonyme pourrait ainsi générer des désavantages spécifiques pour certains candidats.

 

Résultat pas si intuitif que cela je trouve. D’où l’intérêt des démarches d’évaluation!