Les centres d’appels priés de se relocaliser – mise à jour

[Mise à jour en fin de billet avec la déclaration remarquable de Laurent Wauquiez]

C’est le titre du Parisien/Aujourd’hui en France du 11 juillet 2010, et c’est ce que voudrait le gouvernement. Gouvernement qui hésite entre taxation des entreprises faisant appel à des entreprises ayant délocalisé, primes à ceux qui ne délocalisent pas, mise en place d’un code de bonne conduite des entreprises qui ne délocalisent pas ou encore publication de la liste des mauvais élèves. Bref, une bonne petite politique protectionniste aux effets pervers évidents, largement innapplicable, destinée sans doute à surfer sur les peurs des citoyens vis-à-vis de la mondialisation.

Dans le dossier consacré au sujet, deux passages m’ont intrigué : “La « relation clientèle » occupe près de 250000 emplois dans l’Hexagone, dont un quart chez des prestataires externes (…). Un chiffre qui ne décolle pas depuis 2004, malgré les promesses de la profession.”
Plus loin : “En 2005, Jean-Louis Borloo a de son côté créé un label de responsabilité sociale. Récemment, un « accord de développement de l’emploi et des compétences » a été signé le 28 juillet 2009 entre le secrétariat d’Etat à l’Emploi, la profession etles organisations syndicales. Son objectif : revaloriser les métiers, favoriser les carrières, la formation, et atteindre la création de 50000 emplois grâce à un budget global de 20 M€ dont 7 millions à la charge de l’Etat. On attend toujours les emplois…

Je suis donc parti à la recherche des effectifs du secteur Centre d’appels (qui ne comptabilise que les emplois externalisés) sur le site Unistatis, pour la période 2004-2008, histoire de voir si, effectivement, on a un arrêt des créations d’emplois dans ce secteur depuis 2004. Résultat :

Année Centre d’Appels
2004 22706
2005 26899
2006 28603
2007 34403
2008 36352

Résultat : entre 2004 et 2008, les effectifs de ce secteur ont augmenté de 60%. Je ne pense pas que beaucoup de secteurs aient connu une telle évolution sur la période…

Edit 12/07 – 14h30 : je découvre (merci à Jacques Belbenoit-Avich pour l’info) les propos de Laurent Wauquiez repris dans Le Monde :“Il y a cinq ans, [Jean-Louis] Borloo avait passé un accord avec le secteur des centres d’appels, [qui] s’était engagé à créer cent mille emplois. Ils en ont créé combien ? Aucun”

Incompétence ou mensonge?

Combien pèsent les relocalisations?

A chaque fois que des journalistes m’interrogent au sujet des relocalisations, une question les taraude : combien d’opérations de relocalisation ont eu lieu ? Combien d’emplois créés suite à ces opérations ? A chaque fois, je réponds qu’on dispose de trop peu de données et je cite une étude allemande, toujours la même, qui montre que 5% des entreprises interrogées ont relocalisées et 29% ont délocalisés. Le problème est qu’il s’agit d’une étude sur un sous-ensemble de secteurs industriels, dans un pays donné (les chiffres sur les autres pays sont à prendre avec précaution car les échantillons sont
de très petite taille), à une date donnée, rien ne dit qu’ils soient généralisables.

Ce chiffre de 5% de relocalisation pour l’Allemagne (1417 entreprises interrogées) et de 15% pour la France (attention : 72 entreprises interrogées) explique sans doute qu’on lise un peu partout qu’entre 1 entreprise sur 10 et une entreprise sur 20 ont relocalisé (j’ai dit ça parfois dans les médias, El Mouhoud Mouhoub aussi, en s’appuyant sur la même étude je suppose).

 Je viens cependant de recevoir un document du cabinet Trendéo, qui a mis en place un
observatoire de l’investissement en France, à partir duquel de nouveaux petits calculs sont possibles. Les chiffres sont à prendre avec précaution : ils ne prétendent pas à l’exhaustivité et reposent sur un suivi des médias, qui laisse sans doute de côté pas mal d’opérations. Les limites de leur méthode sont assez bien résumées dans le document, sans doute pourra-t-on mesurer un peu plus tard le décalage entre leurs chiffres et les chiffres de l’Insee par exemple Mais bon, cette base a le mérite d’exister et permet de disposer d’informations récentes sur les opérations d’investissement et de désinvestissement réalisées en France.

 Je me concentre ici sur les chiffres 2009 sur les délocalisations/relocalisations (page 9 du document), combinés avec les chiffres sur l’ensemble des opérations d’investissement et de désinvestissement recensées par Trendéo (page 8). Voilà ce qu’on obtient :

 

opérations emplois
total désinvestissements 2496 273473
Délocalisations 99 10499
total investissements 2340 151410
Relocalisations 12 451
délocalisations/désinvestissements 4,0% 3,8%
relocalisations/investissements 0,5% 0,3%
relocalisations/délocalisations 12,1% 4,3%

 Source des données : Trendéo, chiffres 2009

Plusieurs constats : i) les délocalisations pèsent peu, beaucoup moins qu’on l’imagine, 4% du total des opérations de désinvestissement et 3,8% des emplois détruits suite à ces désinvestissements, ii) les relocalisation pèsent encore moins, 0,5% des opérations d’investissement et 0,3% des emplois créés, iii) le ratio relocalisations/délocalisations n’est cependant pas totalement négligeable puisque, en gros, on observe 1 opération de relocalisation pour 10 opérations de délocalisation et 1 emploi créé suite à une relocalisation pour 20 emplois détruits suite à une délocalisation.

Comme déjà dit ici à de multiples reprises : les délocalisations et les relocalisations sont des phénomènes macro-économiquement marginaux. Se focaliser sur elles détourne l’attention des problèmes plus importants à régler. Pas seulement l’attention, d’ailleurs, quand on sait que le gouvernement souhaite allouer 200 millions d’euros à la prime à la relocalisation…

relocalisations : une bulle médiatique?

Depuis quelques mois, je reçois régulièrement mails et coups de fils au sujet des relocalisations. Les derniers en dates
: M6, Metro, Challenge, Marianne, TF1, RFI, Terra Eco, France 2, etc, etc… Avec toujours les mêmes questions : les relocalisations pèsent-elles beaucoup? (réponse : non) vont-elles se
développer fortement? (non) Est-ce un remède à la crise? (non) Que pensez-vous des primes à la relocalisation proposées par Estrosi? (c’est du marketing politique). Auparavant, c’était les
délocalisations qui retenaient l’attention des médias.

Question : l’emballement médiatique s’explique-t-il par une accélération du phénomène réel ou s’agit-il de quelque chose ressemblant à du mimétisme médiatique (machin et truc en ont parlé, donc
on en parle)? Pour en juger, il faudrait disposer de données sur l’importance du phénomène et de données sur l’importance de la médiatisation du phénomène. Difficile sur le premier point, car on
n’a pas de statistiques régulières sur les délocalisations/relocalisations.

Pour l’approcher un peu, cependant, je me suis appuyé sur les statistiques de la Banque de France sur les IDE sortants de France, en calculant la part des IDE à destination des pays hors de la
Triade (Etats-Unis, Japon, UE à 15) sur l’ensemble des IDE sortants. C’est bien sûr insatisfaisant, car tout IDE n’est pas une délocalisation, car on a des formes de délocalisation non prises en
compte dans les IDE (fermeture d’un site + sous-traitance internationale), etc… mais à ma connaissance, on n’a pas mieux.

J’ai également collecté de l’information sur les articles de presse incluant le terme de délocalisation pour trois grands quotidiens : Le Monde, Les Echos et le Financial Times (pour ce dernier,
j’ai mis comme mot-clé “relocation or offshoring”). Résultat des courses sous forme graphique :

statsdeloc
Résultat intéressant, non? La courbe des IDE sortant hors triade évolue peu, alors que le nombre d’articles dans les trois quotidiens connaît un pic important en 2004. Plus généralement, les
courbes “nombres d’articles” semblent très bien corrélées sur toute la période.

A l’occasion, je collecterai l’information sur l’item relocalisation, ça ne m’étonnerait pas qu’on observe un pic en 2009…

Interview Canal +

Canal+ m’a interviewé la semaine dernière sur les relocalisations. Sujet toujours à la mode (petit billet bientôt sur le
sujet, qui m’exaspère). Ca passe demain midi dans l’émission “L’édition Spéciale”, en clair, à partir de 12h20, visible ici  après diffusion. A priori, ils vont reprendre une trentaine de secondes de mon
interview (qui a duré environ 30 minutes), dans les locaux d’Agro Paristech (merci à André
Torre
!).

Je suis curieux de voir le résultat : en effet, une quinzaine de jours plus tôt, j’ai été interviewé sur le même sujet
pour un documentaire qui devrait être diffusé sur France 2 en décembre prochain. Même sujet, mais approche très différente. Non pas, à mon avis, en raison des journalistes qui m’ont interviewé,
mais en raison d’une différence de format.
Vécu de l’intérieur, je pressens que les deux émissions
conduiront à des choses très différentes. J’attends de voir, je vous livre mon analyse après!

Interview Le Parisien sur les relocalisations

Dossier sur les relocalisations dans Le Parisien / Aujourd’hui en France. Vous trouverez dans ce dossier quelques comparaisons chiffrés de coût de main d’oeuvre et de productivité, l’exemple pas inintéressant de la relocalisation (en cours) du groupe
Parisot, celui également de Call Marketing, quelques éléments sur l’Allemagne, et, donc, une interview réalisée hier.

La relocalisation des entreprises en France : mythe ou réalité ?

Patricia Lecompte, de Radio France Internationale, a réalisé un
reportage sur les relocalisations, qui a été diffusé il y a une quinzaine de jours. On y entend notamment les responsables de Majencia (ex-Samas), de Geneviève Lethu
, d’Atol, d’Eugène Perma (fabricant de Pétrolane).
Et quelques (petits) mots
par-ci par-là de votre serviteur.
Vous pouvez entendre son reportage ici. Plutôt bien fait je trouve.

relocalisation de Geneviève Lethu

Nouvel exemple de relocalisation, de l’entreprise
Geneviève Lethu :

La marque Geneviève Lethu, spécialiste des arts de la table, fabrique de nouveau des couteaux, des torchons et des nappes
en France. La part de ses collections fabriquées en Asie est ainsi passée de 40 à 10%. Une “relocalisation” que de plus en plus d’entreprises françaises choisissent. En prenant en compte non
seulement la qualité des produits mais aussi des arguments purement économiques.
Des couteaux fabriqués à Thiers peuvent revenir 20% moins chers que les mêmes produits fabriqués en Asie. Dans les Vosges, le linge de maison est au même prix que celui tissé à l’autre bout de la
planète. Si la marque Geneviève Lethu, spécialiste des arts de la table, a décidé de fabriquer de nouveau des couteaux, des torchons et des nappes en France, et de baisser dans le même temps de
40 à 10% la part de ses collections fabriquées en Asie, c’est avant tout pour des raisons économiques. Ce qui explique que d’autres entreprises françaises s’engagent dans cette voie, celle de la
“relocalisation”.
En Asie, le prix de l’énergie et des matières premières a bondi au cours des derniers mois. Le transport jusqu’en Europe devient moins rentable, coût du pétrole oblige. Surtout, avec la
crise, les entreprises ont de moins en moins intérêt à avoir des stocks importants à financer pendant plusieurs mois.
La “relocalisation” permet aussi de contrôler au plus près la qualité des produits. C’est enfin pour ces entreprises une manière de retrouver l’étiquette “Made in France”. Un plus pour la
clientèle française mais aussi étrangère.

J’insiste une fois de plus : les délocalisations et les relocalisations ne pèsent pas autant qu’on l’imagine. Inutile
donc, sur la base de quelques exemples, de monter trop vite en généralité. Mais l’analyse de ces cas permet de montrer la complexité des choix de localisation des entreprises. Ceux-ci dépendent
des différentiels de coût du travail, de productivité, de qualité, de réactivité, des coûts de la coordination à distance, etc. De l’ensemble de ces éléments et de leur dynamique, parfois
difficiles à anticiper, d’où la révision de certains choix.