Louis Gallois a annoncé devoir délocaliser en zone dollar, compte tenu de l’évolution du taux de change euro/dollar. Les Echos du 4 décembre titrent
précisément : “L’Euro fort oblige Airbus à produire hors d’Europe”. Quelques remarques à ce sujet.
Première remarque : EADS dit souffrir de la hausse de l’euro, car l’essentiel des coûts sont libellés en euros, pendant que l’essentiel des ventes est libellé
en dollar. L’appréciation de l’euro par rapport au dollar réduit donc mécaniquement les recettes du groupe, ce qui pèse sur les profits de
l’entreprise. On oberve effectivement un décalage important entre la géographie de la production de l’Airbus (76% des achats en Europe, 21% en Amérique du Nord et 3% dans le reste du
monde) et la géographie de la demande (39% du carnet de commande en Europe, 28% en Asie, 19% en Amérique du Nord et 14% dans le reste du monde). Décalage qui résulte, soit dit en
passant, des choix passés du groupe, pas de l’évolution des devises.
Deuxième remarque : les dirigeants du groupe ont conscience depuis quelques temps déjà de ce décalage, et certains affirment que “Dassault comme Airbus imposent à leurs fournisseurs, y compris français, d’être payés
en dollars. Si bien qu’aujourd’hui, au moins 65 % des pièces d’un Airbus sont payées en dollars.” Qui croire sur le sujet? Sans plus d’information, difficile de se prononcer… On ne peut que
souhaiter un peu plus de transparence de la part du groupe, afin de savoir précisément ce qui est payé en euros et en dollars. Un représentant de la CFDT
Airbus, qui a adressé cette demande à la direction, indique que jusqu’à présent elle “nous l’a toujours refusé”.
Troisième remarque : ce problème de parité euro/dollar touche certains secteurs d’activité, mais pas tous les secteurs : l’essentiel des échanges extérieurs de
la France se fait avec des pays européens, ce problème de change ne se pose pas. Une autre partie se fait aussi avec des pays tiers, où le dollar n’intervient pas. Wyplosz explique ainsi que “en moyenne vis-à-vis d’un large de panier de devises, l’euro ne
s’est apprécié que de 28% depuis son point bas en octobre 2000, et de moins de 10% depuis le début de l’année”. Attention donc à ne pas généraliser trop rapidement le problème à tous les secteurs
d’activité, comme l’a fait encore récemment Jean Arthuis, en
expliquant que “c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase”, que d’autres secteurs d’activité vont suivre, et que, au final, “c’est la politique économique européenne qui est en
cause”.
Quatrième remarque : le dollar est faible actuellement, on sait qu’il remontera, le problème est que l’on ne sait pas quand. Autrement dit, la seule certitude qu’on
puisse avoir, c’est qu’il y a de l’incertitude. Délocaliser en zone dollar, autrement dit s’engager dans des investissements de long terme (on ne va pas s’amuser à déplacer les établissements
tous les 6 mois), en accusant le niveau actuel du taux de change dont l’évolution à moyen terme est non anticipable est donc plutôt étrange (voir les propos de Pascal Lamy sur ce point, ainsi que ceux de Gilles Le Blanc).
Cinquième remarque : EADS a connu ces derniers temps des problèmes importants, de différentes natures, qui sont analysés de manière détaillée dans ce document de travail
de Damien Talbot (2007) : i) des problèmes de gouvernance, d’abord : présidence bicéphale, reporting croisé (le dirigeant français d’une filiale dépend d’un dirigeant allemand de la maison mère et
réciproquement), succession de dirigeants à la tête du groupe, soupçon de délits d’initié, … ii) des problèmes de division spatiale du travail, ensuite, pilotée initialement par des Etats
soucieux d’accueillir en leur sein une partie de l’activité du groupe européen, et d’assurer au travers de l’implantation précise des sites leur politique d’aménagement du territoire. D’où des
complications et des coûts logistiques importants, et un éparpillement peu rationnel de certaines fonctions (l’assemblage notamment). iii) des problèmes de coordination productive enfin
: “La complexité de l’A380 l’a fait éclater, avec les problèmes de câblage qui ont été révélateur de l’incohérence du processus industriel Airbus : incompatibilité des systèmes de CFAO entre
Toulouse et les usines allemandes, refus d’utiliser le standard universel Catia (…) et absence de maquette numérique” (Air & Cosmos, 22 décembre 2006 cité par Talbot (2007, p. 11). Ces
problèmes, qui n’ont pas empêchés EADS de produire des avions de qualité et de conquérir des parts de marché conséquentes (comme le disent les ingénieurs toulousains : “Et pourtant, il
vole”!), obligent le groupe à se lancer dans un vaste plan de réorganisation de l’activité productive et de transformation des modes de gouvernance, dont l’engagement en zone dollar est une
des faces.
Conclusion : invoquer l’évolution d’un déterminant exogène (le taux de change euro/dollar) pour justifier les choix de réorganisation du groupe est abusif : la
réorganisation se justifie avant tout par les choix passés, parfois peu rationnels, du groupe lui-même. Bien sûr, l’externalisation de la faute permet de mieux faire passer la pilule auprès
des parties prenantes du groupe. Ces déclarations permettent sans doute aussi de relayer le lobbying de certains de nos politiques pour faire pression sur la politique de la
BCE.