Les chercheurs s’exposent…

Dans le cadre de la fête de la science, l’Université de Poitiers a mis en place une exposition dans le centre-ville, présentant des portraits de chercheurs de différentes disciplines, complétée par une présentation sur le site internet de l’université.

Donc, si vous rêvez de me voir voir l’un de ces dix chercheurs placardés sur un abribus et autre sucette publicitaire, baladez vous dans Poitiers. Si vous rêvez de lire un petit topo sur moi sur l’un de ces dix chercheurs, cliquez ici. En cliquant sur son prénom (olivier est un joli prénom), vous pourrez non seulement lire le petit topo sur moi sur ledit chercheur, mais aussi découvrir une petite vidéo de 3 minutes où je me il se présente.

Bon, plus sérieusement, je trouve l’initiative très sympa (même si l’idée d’être en grand sur une sucette juste à côté de chez moi risque de me faire passer auprès de mes voisins pour un grand narcissique, ce qui n’est pas faux mais ils ne sont pas obligés de le savoir, et ça fait un peu chier quand même!).

J’ai regardé les différentes vidéos : franchement, chercheur est un très beau métier…

Le grand n’importe quoi de l’obsolescence programmée

J’ai pu constater hier soir, lors d’une discussion passionnée et particulièrement arrosée entre amis, à quel point le mythe de l’obsolescence programmée imprégnait les esprits. Ce qui n’est pas très grave pour les personnes en question : elles ne votent pas les lois. C’est plus embêtant quand il s’agit de nos politiques, qui perdent leur temps à produire des textes inutiles.

Plutôt que d’écrire un long billet pour vous expliquer pourquoi, je vous renvoie plutôt vers ce billet d’Alexandre Delaigue, précisément intitulé “Le mythe de l’obsolescence programmée”. Il a plus de trois ans mais n’a pas pris une ride.

Hausse du niveau de formation et chômage : évitez de dire trop de bêtises…

Le Cereq a publié un document intitulé “Sortants du supérieur : la hausse du niveau de formation n’empêche pas celle du chômage”. Ce document exploite les enquêtes à trois ans des sortants du système éducatif de la génération 2004 (enquêtés en 2007) et de la génération 2010 (enquêtés en 2013).

Résultat : le taux de chômage augmente pour toutes les catégories de sortants, passant par exemple de 6,8% à 10,2% pour les Masters et de 7,3% à 11,2% pour les bacs +2 ou 3 ; seuls les docteurs voient leur taux de chômage reculer.

Pierre Dubois s’en inquiète sur son blog en titrant “sorties du sup : quel gâchis !”. Le Monde a également publié un article sur le sujet en interrogeant deux sociologues, Marie Duru-Bellat et Camille Peugny, la première dénonçant la course au diplôme et expliquant “Tout le monde ne peut pas être ingénieur ou manageur. Le marché des diplômés est mondial, et la concurrence est forte.” (sic…)

Je suis allé chercher les données dans le document du Cereq pour me livrer à quelques calculs complémentaires. En effet, déduire de la hausse du taux de chômage des diplômés de Master que faire un Master ne sert à rien est ridicule si, dans le même temps, la situation macroéconomique s’est dégradée, poussant à la hausse le taux de chômage de l’ensemble de la population. Il convient donc d’étudier l’évolution relative du taux de chômage par niveau de diplôme. D’où les deux tableaux suivants :

G2004 G2010 G2010/G2004
non diplômés de l’ESR 15,8 23,1 1,46
bac+2 et +3 7,3 11,2 1,53
M1 et M2 6,8 10,2 1,50
Doctorat 7 5,8 0,83
Ensemble 8,7 13 1,49
taux insee 7,1 9,9 1,39

Les cinq premières lignes de ce premier tableau reprennent les données Cereq par niveau de diplôme et pour l’ensemble des sortants (ligne “ensemble”). La dernière ligne correspond aux taux de chômage, récupérés sur le site de l’Insee, pour l’ensemble de la population. On constate que, hormis les docteurs, les taux de chômage ont tous été multipliés en gros par 1,5, un peu plus pour les bacs+2 et 3, un peu moins pour les non diplômés. Le résultat principal est ailleurs : la crise a affecté plus fortement les sortants du système éducatif que l’ensemble de la population, dont le taux de chômage n’a été multiplié “que” par 1,4.

Deuxième tableau, qui rapporte les taux de chômage de chaque catégorie au taux de chômage des non diplômés de l’enseignement supérieur :

G2004 G2010 G2010/G2004
non diplômés de l’ESR 1,00 1,00 1,00
bac+2 et +3 0,46 0,48 1,05
M1 et M2 0,43 0,44 1,03
Doctorat 0,44 0,25 0,57
Ensemble 0,55 0,56 1,02
taux insee 0,45 0,43 0,95

Ces ratios permettent de dire des choses sur l’intérêt de poursuivre ses études : être diplômé de l’enseignement supérieur plutôt qu’être non diplômé divise par plus de deux le risque d’être au chômage…

Conclusion? i) La crise explique une bonne part de l’évolution du taux de chômage des sortants du système éducatif, ii) elle les touche plus fortement que les générations déjà présentes sur le marché du travail, iii) poursuivre ses études reste le meilleur moyen de se prémunir du risque de chômage, la protection absolue est moins bonne mais la protection relative est globalement stable (comme le dit d’ailleurs Camille Peugny dans l’article du Monde).

Précision importante : dans les tableaux ci-dessus, les non diplômés sont les non diplômés de l’enseignement supérieur. Des jeunes qui ont entamé des études supérieures mais n’ont pas réussi à décrocher un diplôme. Dans cet autre document du Cereq, vous constaterez que les non diplômés dans leur ensemble ont vu leur taux de chômage être multiplié par 1,5 (il passe de 32% à 48%), quant aux diplômés du secondaire (CAP, BEP, Bac), il a été multiplié par 1,67 (de 15% à 25%). Ce sont les diplômés du secondaire qui ont vu leur situation se détériorer le plus et c’est l’ensemble des non diplômés qui est le plus exposé au risque de chômage (taux de près de 50%…).

Pour conclure, je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème avec le fonctionnement du marché du travail français et du système éducatif français. De manière générale, il me semble que les diplômes comptent beaucoup trop en France et qu’un jeune ayant raté la marche autour de ses 18 ans risque d’en souffrir toute sa vie professionnelle, bien plus que dans d’autres pays. Il n’en demeure pas moins que, dans ce contexte, poursuivre ses études reste le comportement le plus rationnel pour accéder à l’emploi et obtenir des rémunérations plus importantes.

La fièvre de l’évaluation

C’est marrant : on décide de beaucoup de choses au sein des Universités, ou bien autour des Universités (dans le cénacle des financeurs, notamment), en se basant sur quelques discours approximatifs autour du classement de Shanghai, des impacts factors, des h index -ce genre de choses- sans se soucier le moins du monde de ce que peuvent produire les mêmes chercheurs de ces mêmes Universités sur ce type d’évaluation.

Un peu comme si, pour traiter d’une épidémie ravageuse, on oubliait de convoquer les spécialistes du sujet.

Je recommande donc la lecture de cette interview d’Yves Gingras, et puis, pour les plus courageux, de quelques uns de ses travaux. On ne sait jamais : ça pourrait servir…

Le culte de l’attractivité

Excellent billet de Michel Grossetti sur le culte de l’attractivité, qui conduit à tant de dépenses au final improductives sur nos territoires… Il compare ce culte de l’attractivité au culte du Cargo, expliqué dans une petite vidéo que je reprends ici :

Le culte du cargo par wesh

Je vous invite à la visionner, puis à aller lire son billet, dont voici le chapô :

Depuis quelques années, l’attractivité est devenue une préoccupation constante des élus et de ceux qui les conseillent, qu’ils soient en charge d’une ville, d’une région ou d’un pays. Il faut attirer des entreprises, des activités, des cadres, des personnes « créatives », des étudiants, bref, tout ce qui est censé contribuer à la croissance économique et à la création d’emplois. En revanche, personne ne semble envisager d’encourager la venue de migrants pauvres, y compris lorsqu’il s’agit d’étudiants, ou de personnes en situation de réinsertion sociale.

Qui vient à l’Université ? Le cas de Sciences Eco Poitiers

Hier matin, 1er septembre 2014, c’était la rentrée des premières années de Licence de Sciences Économiques de l’Université de Poitiers. L’occasion de rédiger un petit billet sur le profil des lycéens qui nous rejoignent, car les choses bougent, suite à l’introduction depuis plusieurs années de différentes innovations résumées dans ce billet et d’une politique active d’information auprès des lycéens de l’académie (avec tout un ensemble d’actions menées par l’Université de Poitiers dans son ensemble et d’autres plus spécifiques à notre composante).

L’évolution des effectifs

Nous avons accueillis hier matin, à la réunion de rentrée, 154 étudiants, ce qui confirme la tendance à la hausse observée depuis deux ans. Figurent également dans le tableau le nombre de vœux déclarés sur APB (stable cette année) et le sous-ensemble des voeux 1 (forte hausse).

2012-2013

2013-2014

2014-2015

vœux APB

371

632

621

dont vœux 1

52

71

125

présents jour de rentrée

86

109

154

inscrits jour de rentrée

91

120

159

inscrits définitifs

111

154

?

Les inscriptions se déroulant jusque fin septembre, on peut estimer le nombre d’inscrits définitifs aux environs de 200 étudiants.

Profil des lycéens

Plus important, l’évolution du profil des étudiants accueillis. Lorsque nous informons les lycéens, nous insistons beaucoup sur le fait que les études en Sciences Économiques sont très bien adaptées aux bacs ES et S, beaucoup moins bien aux autres bacs. Le message passe, et de mieux en mieux, puisque cette année notre public cible pèse 88% de nos effectifs.

2012-2013

2013-2014

2014-2015

% cible (ES+S)

71%

80%

88%

% mention AB, B ou TB

35%

52%

56%

% mention B ou TB

10%

22%

24%

% mention France bac généraux

54%

54%

52%

Vous pouvez également constater que la part des bacheliers avec mention est importante, plus de la moitié de nos effectifs depuis l’an passé. Pour les bacs mention B ou TB, la proportion France entière (non reprise dans le tableau)  est de 30% ; elle est de 24% chez nous. Deux précisions cependant : i) les mentions B et TB sont surreprésentées France entière chez les bacs S (36% en 2013), or nous accueillons majoritairement des bacs ES (2/3 de notre promotion environ), qui sont 24% à avoir obtenu en 2013 une mention bien ou très bien France entière, ii) la part des bacs généraux avec mention B et TB est plus faible dans notre académie que France entière. Compte-tenu de ces éléments, on peut donc considérer que la part des bacs avec mention B ou TB est conforme, voire un peu supérieure, à la part attendue de notre bassin de recrutement.

Sciences Eco Poitiers, un choix par défaut ?

Dernier résultat suite à la petite enquête réalisée hier, une part très importante des étudiants que nous accueillons sont là par choix.

vœu 1

vœu 1 ou 2

ensemble des étudiants

73%

84%

bacs avec mention

82%

90%

bacs avec mention B ou TB

81%

87%

73% des étudiants présents hier nous avaient placés en vœu 1 sur APB, proportion qui monte à 84% si l’on agrège vœu 1 et vœu 2. Autre résultat intéressant : une proportion encore plus forte de bacs avec mention nous avaient placés en 1er vœu (plus de 80%) et/ou en deuxième vœu (autour de 90%).

Conclusion : nous accueillons un nombre croissant d’étudiants, venus des filières adaptées à des poursuites d’études en économie, qui ont un bon niveau scolaire, savent où ils mettent les pieds et le font par choix. On est loin de certaines idées véhiculées sur l’Université…

L’avenir des Sciences Economiques à l’Université en France

Pierre-Cyrille Hautcoueur vient de remettre son rapport sur “l’avenir des sciences économiques à l’Université en France” à Geneviève Fioraso. Le rapport complet est téléchargeable ici. J’avais été auditionné par la commission, pour évoquer les innovations introduites à la Faculté de Sciences Economiques de Poitiers (voir ici pour quelques éléments), certaines ayant pas mal diffusé (notamment lors des JECO).

Je viens de parcourir le résumé et les vingt propositions, elles me vont très bien. Je les reprends ici sans plus de commentaire, n’hésitez pas à réagir pour alimenter le débat.

Résumé

Le rapport dresse une analyse critique de la recherche et de l’enseignement supérieur en économie en France et un portrait statistique des étudiants et des enseignants-chercheurs. Il établit un grand nombre de propositions de réforme groupées en quatre parties distinctes.

1) Pour une formation centrée sur les étudiants et adaptée aux enjeux du monde contemporain

L’ambition est de proposer aux étudiants de premier cycle une formation pluri-disciplinaire, avec spécialisation progressive, et plus tournée vers la compréhension des faits et des institutions économiques. La pédagogie doit être revalorisée et plus innovante. Les étudiants doivent apprendre à maîtriser la construction et l’analyse critique des bases de données et indicateurs statistiques, être en mesure de comprendre et utiliser les différentes approches au sein de la discipline, et se confronter aux autres disciplines pour prendre conscience des limites des approches économiques.

2) Pour une recherche ouverte, internationale et innovante

Il est nécessaire de remédier aux dérives d’une évaluation unimodale de la recherche qui peut décourager les prises de risques scientifiques, les projets et publications interdisciplinaires et les études en prise directe avec les questions sociales et politiques. La communauté des économistes doit mieux préciser les critères de déontologie et de réplication des études aux conclusions politiques. Les commandes publiques d’évaluation doivent inclure des critères de transparence et de publicité.

3) Pour une gestion des carrières des enseignants-chercheurs

Il est souhaitable que les sciences économiques s’alignent sur la majorité des disciplines et que les universités puissent ainsi recruter des professeurs sans passer par le concours d’agrégation, qui ne deviendrait qu’une option possible parmi d’autres. Les critères de promotion au grade de professeur doivent être plus larges que ceux qui prévalent actuellement pour le concours d’agrégation, notamment en valorisant pleinement l’enseignement. Une modulation de service, pluri-annuelle et variable au cours de la carrière, et des décharges de services pour le développement de nouveaux cours et contenus permettraient une meilleure implication dans l’enseignement. Les universités doivent mettre en place une véritable politique de ressources humaines et de suivi des carrières. Le financement de la recherche par projet doit être réformé pour mettre fin aux contrats précaires.

4) Pour une réflexion critique informée sur la discipline

Les étudiants, les employeurs et les enseignants-chercheurs souffrent d’un manque d’information statistique sur la filière sciences économiques, ses débouchés, ses carrières. Il appartient au Ministère et aux universités d’effectuer un travail régulier et important pour que les débats sur les carrières universitaires et extra universitaires soient mieux informés et que les parcours et l’insertion des étudiants soient mieux connus afin de faciliter les orientations. Une réflexion sur l’enseignement et la circulation des contenus pédagogiques est nécessaire et peut être menée par l’Association française de science
économique en lien avec les multiples associations représentant les différents champs ou différentes approches de la discipline. La connaissance de l’histoire et de l’épistémologie de la discipline doit également être acquise au sein de la formation.

Propositions

1. Renforcer le caractère pluridisciplinaire du premier cycle et organiser une spécialisation progressive en économie.

2. Favoriser la construction et la critique des données et des faits stylisés par les étudiants dès le premier cycle, au sein des cours d’une part, et en les associant, en tant qu’assistants, à des projets de recherche d’autre part.

3. Donner une plus grande place à l’histoire, aux faits et au fonctionnement des institutions dans l’enseignement en économie.

4. Faciliter l’intégration des docteurs dans les corps de l’État et leur recrutement par les administrations publiques.

5. Élargir les critères d’évaluation de la recherche et prendre en compte différents supports et formats.

6. Renforcer les infrastructures de recherche sur les données et inciter les administrations et les établissements publics à mettre, via ces infrastructures, leurs données à la disposition des chercheurs, selon des modalités compatibles avec le respect de la vie privée.

7. Imposer aux organisations publiques de publier les évaluations des politiques publiques effectuées sur appel d’offre et de favoriser la réplication de ces évaluations.

8. Préciser les potentiels conflits d’intérêt des enseignants-chercheurs dans les publications, enseignements et rapports d’évaluation.

9. Faciliter les doctorats et projets interdisciplinaires en leur réservant un financement particulier et un mode de qualification adapté.

10. Éviter que les restrictions sur l’accréditation des masters défavorisent l’interdisciplinarité et l’innovation pédagogique.

11. Revaloriser les salaires des enseignants-chercheurs, notamment des maîtres de conférences, en particulier pour faciliter la circulation entre les classes préparatoires des lycées et l’Université et pour éviter la dispersion des activités des enseignants-chercheurs.

12. Permettre aux universités d’ouvrir librement des postes de professeur (supprimer l’agrégation du supérieur comme mode prioritaire de recrutement).

13. Permettre la modulation de services, modifiable au cours de la carrière, entre enseignement et recherche, dans le cadre d’une véritable gestion des carrières.

14. Valoriser l’enseignement et la recherche conjointement et au même niveau dans les recrutements et traitements.

15. Inciter à l’innovation pédagogique, notamment à travers les supports de cours, en dotant les enseignants de décharges temporaires de service.

16. Faire du CNRS une institution finançant principalement, en sciences économiques, des infrastructures de recherche, des contrats post-doctoraux et des délégations temporaires d’enseignants-chercheurs titulaires.

17. Simplifier et harmoniser les dossiers de candidature entre l’ANR et les agences européennes de financement et permettre à ces subventions de financer des contrats doctoraux ou des CDI.

18. Imposer aux universités et au Ministère de publier les statistiques sur les parcours et les débouchés des étudiants et sur les carrières des enseignants-chercheurs pour la discipline sciences économiques.

19. Aider les différentes associations professionnelles à coopérer, notamment par le rapprochement entre l’Association française de science économique et l’Association française d’économie politique.

20. Constituer un lieu de réflexion et de diffusion (revue et congrès annuel) sur la pédagogie en économie, et plus largement sur les transformations de la discipline.

L’attractivité de Poitou-Charentes : origine et trajectoire des étudiants

L’an dernier, j’avais été sollicité par Mutécos pour participer à des ateliers régionaux sur l’accompagnement et l’anticipation des mutations économiques. J’avais été à la fois intéressé et agacé : intéressé parce qu’il s’agissait de faire se rencontrer et de faire échanger des “producteurs de connaissance” (présentation d’analyses d’universitaires et d’études Insee), des responsables politiques et des acteurs socio-économiques ; agacé parce que le champ balayé était si large que les discussions avaient une légère tendance à se transformer en discussion de café du commerce…

Lors du séminaire final, j’avais donc indiqué, en concertation avec le Directeur Régional de l’Insee, la nécessité à la fois d’organiser de tels échanges et de réduire la focale. Proposition entendue en Région, qui se traduit par l’organisation d’une journée de travail sur une question assez précise, en gros : d’où viennent et que deviennent les étudiants de Poitou-Charentes ?

Il s’agira d’interroger des propos souvent entendus du type « les étudiants quittent le Poitou-Charentes », « il y a un faible taux d’accès des bacheliers aux formations du supérieur », « il y a un déficit de cadres dans les entreprises régionales », …, en présentant les résultats de différentes études et recherches et en provoquant des échanges entre chercheurs, institutionnels et représentants du monde socio-économique.

La matinée sera consacrée à la question de la poursuite d’études dans le supérieur. La Région Poitou-Charentes se caractérise en effet par un taux de poursuite particulièrement faible. Béatrice Milard plantera le décor en présentant les résultats d’une recherche sur les processus de production des disparités dans l’enseignement supérieur. L’Insee et le Rectorat présenteront des résultats originaux sur la Région. S’ensuivra une table ronde avec des acteurs qui œuvrent pour augmenter ce taux de poursuite.

L’après-midi sera consacrée à la question de l’insertion des étudiants. Sophie Orange ouvrira le bal en présentant les résultats de ses recherches sur les étudiants passés par des BTS. Comme pour la matinée, des résultats originaux seront ensuite présentés, résultats produits par les Universités de Poitiers et la Rochelle et l’Insee.

Pour ma part, je présenterai les résultats d’une étude basée sur les données des enquêtes Génération du Cereq et d’autres issues du service statistique de l’Université de Poitiers, qui montre que, oui, les mobilités sortantes de Poitou-Charentes sont plus fortes que dans d’autres régions, mais les mobilités entrantes aussi, que globalement la mobilité est faible, et que, quand elle a lieu, c’est surtout vers les régions limitrophes (rôle de la proximité géographique) ou qu’elle s’inscrit dans des stratégies de retour (des étudiants originaires de la région A viennent en Poitou-Charentes pour finir leurs études et cherchent à retourner dans leur région d’origine pour y travailler – résultat non spécifique à Poitou-Charentes). La présentation des données des Universités Picto-Charentaises sur l’insertion des étudiants permettra également de déconstruire le mythe selon lequel faire des études ne sert à rien, que l’Université ne prépare pas à l’obtention d’un emploi ou seulement à de mauvais emplois, etc.

Échanges ensuite entre représentants des entreprises, des Universités et des Institutions. Il y a de mon point de vue de vraies problématiques à traiter, liées à la sur-représentation de PME en Région, au poids des espaces ruraux, à l’absence de grande métropole, qui expliquent une bonne part des constats que l’on peut faire.

Cette journée aura lieu à la Faculté de Sciences Economiques de Poitiers, le 20 juin prochain, avec le soutien de la Direccte et grâce à l’organisation particulièrement efficace de l’ARFTLV . L’entrée est libre et gratuite.

Vous n’y perdrez rien. Au pire, quelques idées reçues. Pour vous inscrire, c’est ici.

Investissements étrangers en France : l’ami américain et l’ami allemand

Dans le contexte de l’affaire Alstom, General Electric, Siemens, j’ai décidé de ne vous parler ni d’Alstom, ni de General Electric, ni de Siemens, mais de vous apprendre des choses intéressantes sur le sujet, malgré tout. J’aime les défis.

Je m’explique : je suis allé dégoter quelques chiffres sur les investissements et désinvestissements réalisés en France recensés par l’Observatoire de l’Investissement. J’avais déjà mobilisé cette base pour évaluer le poids des délocalisations et relocalisations. L’un de ses intérêts est qu’elle s’appuie sur un recensement média très large, en temps réel, si bien que je peux mobiliser des données récentes, en l’occurrence des données sur la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2013. Comme toute base de données, elle souffre aussi, bien sûr, de certaines limites : les “petites” opérations ne sont pas recensées (l’ouverture de la boulangerie du coin, genre) ; si un grand nombre d’opérations sont recensées, les emplois créés ou détruits ne sont pas toujours renseignés (10 à 15% selon ma petite estimation), attention à l’interprétation des chiffres sur l’emploi, donc. Elle permet cependant d’estimer la part des investissements et des désinvestissements réalisés par des entreprises françaises, par des entreprises étrangères et, dans ce dernier cas, d’avoir des chiffres précis par pays d’origine de l’entreprise. Les chiffres obtenus ci-dessous me semblent par ailleurs cohérents avec ceux obtenus à partir de données Insee, voir ici par exemple.

Premier tableau : que pèsent les opérations d’investissement et de désinvestissement étrangers et français, dans l’ensemble des opérations recensées ?

nb opérations investissements désinvestissements différence
France 15138 9789 5349
Etranger 2791 2135 656
Total 17929 11924 6005
% étranger 16% 18%
nb emplois investissements désinvestissements différence
France 654185 -678833 -24648
Etranger 124436 -148592 -24156
Total 778621 -827425 -48804
% étranger 16% 18%

Sur 30 000 opérations recensées, 18 000 environ sont des investissements, 12 000 sont des désinvestissements. Les opérations d’origine étrangère pèsent 16% de l’ensemble dans le premier cas et 18% dans le second cas. Idem s’agissant des données emplois (partie basse du tableau).

Premiers constats : i) le poids des opérations d’origine étrangère est loin d’être négligeable, ii) il est plus fort côté destruction, ce qui peut sembler logique en période de crise, les entreprises ayant tendance à réduire la voilure d’abord dans les entités implantées hors de leur pays d’origine, iii) en nombre d’opérations, les investissements sont supérieurs aux désinvestissements, mais pas en nombre d’emploi : on créé en France des sites de petite taille, on détruit des sites de taille plus importante.

Venons-en à nos amis américains et allemands, avec la même structure de tableau : en haut les données en nombre d’opérations, en bas en nombre d’emplois.

nb opérations investissements désinvestissements différence
Etats-Unis 850 574 276
Allemagne 548 367 181
Etats-Unis (%) 30% 27%
Allemagne (%) 20% 17%
nb emplois investissements désinvestissements différence
Etats-Unis 41800 -48380 -6580
Allemagne 24108 -25998 -1890
Etats-Unis (%) 34% 33%
Allemagne (%) 19% 17%

Les pourcentages correspondent au poids des deux pays dans l’ensemble des opérations d’origine étrangère. Les États-Unis sont largement en tête, avec 30% des investissements d’origine étrangère et 34% des emplois associés. L’Allemagne pèse moins, mais elle arrive juste derrière les États-Unis.

Ces deux pays, qui pèsent beaucoup dans les investissements, pèsent également beaucoup dans les désinvestissements, mais, tous les deux, un peu moins. Ce sont donc de plutôt bons amis, meilleurs que la moyenne de nos amis étrangers (voir les chiffres du premier tableau : 16% des investissements et 18% des désinvestissements).

Alors, quel ami choisir ? Pour trancher, on peut calculer le nombre d’emplois détruits par emploi créé en fonction du pays d’origine de l’entreprise : en moyenne, sur l’ensemble de la base, ce ratio est supérieur à 1, très précisément égal à 1,06, effet crise oblige (1,06 emplois détruits pour 1 emploi créé). Pour les entreprises françaises, le ratio est de 1,04, contre 1,19 pour les entreprises étrangères. Sur cet indicateur, l’Allemagne est préférable (1,08) aux Etats-Unis (1,16). Mais encore une fois, tous les deux sont meilleurs que la moyenne des entreprises étrangères (dans le détail, le ratio est par exemple de 1,58 pour le Royaume-Uni, 1,95 pour l’Italie, 1,51 pour la Suisse, voire 3,84 pour les Pays-Bas…). Personnellement, je garderais les deux amis…

La géographie des taux de chômage

L’Insee vient de publier les taux de chômage par zone d’emploi de 2003 à 2013. Les zones d’emploi (304 pour la France métropolitaine) sont un découpage géographique intéressant de l’espace français, basé sur les migrations domicile-travail.

Sur la base des chiffres publiés, on peut représenter la distribution des taux de chômage aux deux dates, en rouge la courbe pour 2003, en bleu la courbe pour 2013 :

tx_cho

Deux choses : i) la courbe se déplace vers la droite, signe d’un accroissement du taux de chômage pour la grande majorité des territoires français, ii) la distribution est plus étalée en 2013, signe d’une plus grande dispersion des taux de chômage.

Je me suis ensuite amusé (il en faut peu pour amuser un économiste) à calculer la corrélation entre le taux de chômage 2013 et le taux de chômage 2003. L’idée est la suivante : si la corrélation est très bonne, cela signifie que les zones qui avaient un plus fort taux de chômage en 2003 ont toujours un plus fort taux de chômage en 2013. Résultat des courses : la corrélation est très bonne, ce qu’on peut voir sur ce graphique.

corr

En clair, vous prenez le taux de chômage de 2003 de votre zone d’emploi, vous le multipliez par 1,07, vous ajoutez 1,58% et vous obtenez le taux de chômage 2013. Le R² est de 0,82, ce qui signifie en gros que les taux de chômage de 2003 “expliquent” 82% des différences de taux de chômage en 2013. Bref : ça ne bouge pas beaucoup…

Rien n’empêche cependant de regarder les zones pour lesquelles le taux de 2003 explique le moins bien le taux de 2013, soit en positif (elles devraient avoir un taux plus fort en 2013) ou en négatif (elles devraient avoir un taux plu faible). Je me suis concentré sur les 10% des zones les moins bien expliquées, 5% de chaque côté soit 15 zones.

Pour les zones dont le taux de chômage observé est plus fort que celui attendu, on obtient cela :

code libellé taux en 2003 taux en 2013 taux prédit
2416 Gien 6,3 11,0 8,4
2417 Montargis 8,1 12,9 10,3
9101 Carcassonne 8,6 13,1 10,8
2204 Laon 8,6 13,0 10,8
9102 Limoux 8,9 13,3 11,1
8220 Vallée de l’Arve 6,2 10,3 8,2
5307 Carhaix-Plouguer 5,7 9,7 7,7
4208 Mulhouse 7,4 11,5 9,5
2202 Tergnier 11,2 15,5 13,6
4114 Saint-Dié-des-Vosges 10,0 14,2 12,3
2203 Thiérache 12,8 17,2 15,3
4105 Commercy 8,0 12,0 10,2
7301 Foix-Pamiers 8,1 12,1 10,3
7302 Saint-Girons 8,6 12,6 10,8
4106 Verdun 7,8 11,7 10,0

Les deux premiers chiffres des codes des zones d’emploi correspondent à leur région d’appartenance. Les deux premières zones dont les scores sont les pires sont en région Centre (code 24), il s’agit de Gien et Montargis. On trouve également deux zones en Languedoc-Roussillon (code 91), deux en Picardie (code 22), deux en Lorraine (code 41) et deux en Midi-Pyrénées (code 73).

Pour les zones dont le taux de chômage est plus faible que le taux attendu, on obtient cet autre tableau :

code libellé taux en 2003 taux en 2013 taux prédit
9406 Corte 8,1 8,8 10,3
1108 Provins 8,5 9,2 10,7
8218 Annecy 6,1 6,6 8,1
2101 Charleville-Mézières 12,1 13,0 14,6
2607 Autun 9,0 9,6 11,3
2507 Cherbourg-Octeville 9,0 9,6 11,3
1109 Houdan 4,8 4,9 6,7
8305 Mauriac 5,7 5,8 7,7
9401 Ajaccio 8,3 8,5 10,5
9315 Toulon 10,5 10,7 12,9
9308 Aix-en-Provence 9,3 9,4 11,6
5303 Lannion 9,4 9,5 11,7
1101 Paris 8,7 8,7 10,9
2414 Romorantin-Lanthenay 10,3 10,0 12,6
9405 Calvi-L’Île-Rousse 11,3 10,4 13,7

Cette fois, les régions Corse (code 94) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (code 93) dominent (5 des 15 zones), effet économie résidentielle, peut-être. L’Ile de France (code 11) suit, avec Provins, Houdan et Paris.

En résumé : la géographie de l’économie bouge assez peu. C’est un résultat récurrent des recherches sur le sujet, qu’il convient de garder en tête : si un élu vous promet qu’il va tout changer en quelques années, soyez sûr d’une chose, il se trompe… Ce qui ne signifie pas pour autant que tout soit écrit : certains territoires connaissent des évolutions relatives plus favorables, d’autres moins favorables. Reste à en comprendre les raisons, ce que le petit exercice statistique auquel je viens de me livrer ne permet pas : il faut ensuite aller sur le terrain, pour comprendre la spécificité des évolutions observées. Ce que les économistes font rarement. Mais c’est un autre sujet.