Michel Edouard a-t-il poussé à la grève dans la grande distribution?

Curieux
billet
de Philippe Askenazy dans Le Monde, titré “pricing out”. Ou plutôt, curieuse application à la grande distribution. Je m’explique, en reprenant d’abord l’argumentation d’Askenazy.
Qu’est-ce que le pricing out?

“Un acteur menace votre position sur un marché grâce à des coûts plus faibles ou à un concept plus innovant. La solution : lui
faire augmenter ses prix, par exemple en accroissant ses coûts, et ainsi réduire sa capacité de nuisance sur vos propres marges. Votre concurrent est “pricé-out”. L’usage de cet outil est en
plein essor en France, en particulier dans le commerce.”

Appliqué à l’affaire Amazon/distributeurs classiques de livres, ça marche plutôt bien. Là où je tique, c’est quand Askenazy étend l’analyse à
la grande distribution :

“Depuis le lancement en 2005, par la Commission européenne, de la procédure contre la loi Raffarin, d’inventifs dirigeants de
grandes enseignes françaises ont mûri un plan B : le pricing out de ces dangereux concurrents en augmentant le coût du travail. Pour cela, il suffit d’améliorer la convention collective
de branche, qui, une fois étendue par le gouvernement, s’applique aux discounters.”


En clair, les responsables de la grande distribution verraient d’un bon oeil la grogne sociale, car celle ci conduirait à un accroissement du
coût du travail, ce qui dissuaderait la menace de nouveaux entrants.

Intuitivement, ça me semble un peu tiré par les cheveux. En réfléchissant un peu, ça me semble aussi tiré par les cheveux.

Supposons que pour les distributeurs en place le coût du travail par unité de chiffre d’affaires soit wL/CA avec w le salaire unitaire, L le nombre de personnes employées, et CA le chiffre
d’affaires. Dans le hard discount, on écrira w*L*/CA*.

Ce que semble dire Askenazy, c’est que dans le hard discount, le coût du travail pèse moins car les salaires sont plus faibles (“le
point commun entre ces nouveaux distributeurs est une stratégie “low cost”, qui assure la viabilité de leurs modèles économiques. En particulier, les salaires y sont plus faibles que dans les
enseignes classiques”). Autrement dit, si le coût du travail pèse moins, c’est parce que w*<w. En obligeant à un alignement de w* sur w, on comprend que les grands distributeurs réduisent la
menace d’entrée.

Mais supposons maintenant que le coût du travail pèse moins non pas en raison de salaires inférieurs, mais parce que l’intensité en travail dans le hard discount est plus faible. Autrement dit,
non pas parce que w*<w, mais parce que L*/CA*<L/CA. Ca ne me semble pas coomplètement stupide : on rend moins de services (moins de caisse, moins de conseil dans les rayons, moins de
personnes pour mettre en place de “jolis” rayons, etc…), on utilise donc moins de main d’oeuvre. A la limite, on pourrait supposer w=w* et w*L*/CA*<wL/CA.

Sous cette hypothèse (w et w* peu différents), un accroissement généralisé des salaires ne réduirait pas la menace d’entrée, elle l’augmenterait, car l’impact sur les coûts totaux unitaires dans
la grande distribution serait plus fort que dans le hard discount.  Les entreprises de ce dernier groupe devraient donc s’attendre à un gain de part de marché plus important, suite à
l’augmentation des salaires…

Bon, tout l’enjeu est de savoir quelle est l’hypothèse la plus crédible : coût unitaire du travail plus faible dans le hard discount, ou intensité en main d’oeuvre plus faible? On a peut-être un
peu des deux, mais je parie plutôt sur la deuxième hypothèse. Si quelqu’un a des chiffres en stock, je suis preneur.

Grève chez Dacia-Renault en Roumanie

Grève en Roumanie, chez
Dacia-Renault, pour réclamer des hausses de salaire
. 80% de grévistes selon les syndicats, 49% selon la direction. Beaucoup de monde, en tout cas. Mais c’est qu’on peut pas augmenter les
salariés, affirme le directeur du site hier soir aux infos : sinon, on sera obligé de délocaliser en Russie, au Maroc ou en Turquie…

Quelques petits chiffres pour fixer les idées (source : Eurostat). Quand le coût horaire du travail est de 100
dans l’Union à 15, il est, en 2005, de 9 en Roumanie. Soit l’avant dernière place, juste devant la Bulgarie (indice de 6) et derrière la Lettonie (indice de 11). Sachant qu’en France,
l’indice est de 117, on en déduit qu’une heure de travail coûte 13 fois plus en France qu’en Roumanie.

Cependant, vous le savez, la comparaison de ce coût horaire n’a pas de sens, si on n’intègre pas en même temps les différentiels de
productivité. En 2005, quand la productivité horaire du travail est de 100 dans l’Union à 15, elle est de 29 en Roumanie, soit la dernière place, derrière la Bulgarie (31) et la Lettonie (39). En
France, l’indice est de 118. Soit une productivité en France quatre fois plus importante qu’en Roumanie. Le coût salarial unitaire, rapport entre le coût du travail et la productivité du travail,
est donc de 32 en Roumanie, contre 99 en France, soit un rapport de trois pour un.

Comment tout ceci évolue-t-il ? Pour la Roumanie, l’indice de coût horaire du travail est passé de 6,4 (pour 100 dans l’UE15
toujours) en 2000 à 9,3 en 2005, pendant que la productivité est passée de 23,1 en 2002 (année la plus ancienne disponible) à 29,1 en 2005. Au total, entre 2002 et 2005, le coût
salarial unitaire a légèrement augmenté relativement à la moyenne UE15, passant de 31,1 à 31,9.

On dispose de séries plus longues pour certains PECO, qui permettent de reconstruire l’évolution des coûts salariaux unitaires (base 100=UE15)
:

Evolutions plutôt hétérogènes : tendance à la baisse en Slovénie, qui s’explique par un coût horaire du travail stable et une productivité
croissante par rapport à l’UE15 ; tendance à la hausse en République Tchèque et Hongrie, avec hausse relative du coût horaire et de la productivité, mais hausse plus rapide du coût horaire ; ça
stagne enfin en Lituanie et Slovaquie, avec hausse relative de même ampleur du coût du travail et de la productivité.

Si on se focalise seulement sur l’évolution du coût horaire du travail, on peut calculer pour un large ensemble de pays le taux de croissance
de ce coût horaire, sur la période 2000-2005. On obtient alors ceci :

Globalement, les PECO voient leur coût du travail augmenter plus vite que les pays de la partie occidentale de l’Europe (et, que je
sache, on n’a pas vu de délocalisations massives de Hongrie, de Tchéquie ou d’Estonie). Les pays les plus pauvres de l’Union deviennent progressivement moins pauvres. On a eu pire comme
nouvelle.

Simple comme un coup de fil…

Ami lecteur, j’en appelle à toi, pour essayer de mieux  comprendre la différence entre une communication à distance et une communication en face à face. C’est
une vraie question, à laquelle je n’ai pas trouvé jusqu’à présent de réponse vraiment satisfaisante, je me dis que tu pourras peut-être me donner des éléments. Je t’explique.


Tu sentiras facilement la différence entre un échange par mail et une discussion en face à face,
ne serait-ce que parce que l’échange de mail se fait par écrit, alors que la discussion est orale.


La différence est moins grande si l’on compare un coup de téléphone et une discussion en face à face. On est dans les deux cas dans du langage
oral, on entend l’intonation de la personne, on peut “sentir” son humeur, … mais il manque encore des choses : on ne la voit pas, on ne voit pas les gestes qu’elle fait,
etc…


Imaginons maintenant que tu es en visio-conférence avec une autre
personne, tu as le son et l’image, tu entends et tu vois la personne, bref, la différence entre cette discussion à distance et un échange en face à face devient très faible (on suppose que les
moyens techniques sont bons, l’image et le son de qualité, etc.).


Or, quand
un enseignant fait un cours dans deux amphis, en direct dans un amphi et en visio-conférence dans l’autre amphi, certains étudiants se battent pour être dans le premier amphi (sauf erreur, c’est
le cas en première année de médecine sur Poitiers), alors qu’on peut penser que ce qui manque dans l’amphi en visio est très faible. Pourtant, il doit bien manquer quelque chose, sinon, les
étudiants ne se battraient pas pour ne pas y être.


D’où la question :
quelle(s) différence(s) y-a-t-il entre les deux situations, que manque-t-il dans l’amphi en visio ?

La Chine? Trop cher…

Petit article intéressant du Quotidien du Peuple, d’après une dépêche de l’agence de
presse chinoise Xinhua (merci à Jacques Debord pour l’info!) :

Chine : la fermeture d’entreprises de RDC n’a pas d’impact important dans le Shandong

La récente fermeture d’entreprises à capitaux de la République de Corée (RDC) n’a pas d’impact majeur sur l’économie locale dans la province du Shandong
(est), a dit le gouverneur Jiang Daming en marge de la session parlementaire de Chine.
“Au contraire, cela permettra d’améliorer notre structure
industrielle et la qualité de l’économie locale”, a dit Jiang, également député à la 11e Assemblée populaire nationale (APN, Parlement chinois).

De nombreuses compagnies à investissements de la RDC ont mis fin à leur activité en Chine cette année, sans payer les ouvriers. A Jiaozhou, ville près du port de Qingdao, 103 entreprises à
capitaux de la RDC ont fermé leurs portes sans payer les salaires et les taxes. “La plupart de ces compagnies sont de petites usines”, a dit Jiang, ajoutant qu'”il est considéré comme naturel
par les investisseurs de s’en aller lorsqu’ils ne peuvent pas gagner d’argent ici”.

Il a dit que les fermetures étaient principalement précipitées en raison d’un impôt sur les sociétés uniforme qui a commencé à s’appliquer pour les compagnies chinoises et à capitaux étrangers
en 2008. Une nouvelle loi entrée en vigueur le 1er janvier 2008 fixe un taux unifié de l’impôt sur les sociétés à 25% pour les compagnies chinoises et étrangères.

Auparavant, le taux moyen de l’impôt sur les sociétés chinoises était de 25%, contre 15% pour les entreprises étrangères. En plus du taux d’imposition plus élevé, la presse de la RDC a indiqué
que l’augmentation du coût de la main-d’oeuvre et des restrictions en matière de pollution étaient des facteurs importants des retraits.

transparence et modernité

Réunion particulièrement utile au Medef :

La présidente du Medef Laurence Parisot a estimé que sa rencontre vendredi avec une vingtaine de grands patrons avait fait émerger une “unanimité sur des principes
d’éthique, de transparence et de modernité”. (…) “C’est apparu de manière aussi évidente aussi unanime et aussi enthousiaste à la fois ce soir et dans toutes les conference call que
j’ai eues”

C’est qu’avant, il y en avait pour plaider publiquement l’immoralité, l’opacité et l’archaïsme?

Fonds de pension, piège à con?

On connait le discours largement diffusé en France sur  les investisseurs institutionnels (les “zinzins” pour faire court, les fonds de pension en étant une
partie),  développé par exemple par Frédéric Lordon, ou encore plus récemment par Patrick Artus et Marie-Paule Virard :
les zinzins prennent le pouvoir sur les marchés financiers, ils imposent des objectifs  collectivement irrationnels aux dirigeants (rentabilité financière à court terme, comportements
mimétiques), qui mettent en oeuvre, pour les atteindre, tous les moyens avouables ou inavouables. Dernier exemple en date, les propos de Michel Rocard dans sa tribune du Monde :

(…) La principale cause de ce drame planétaire est le réveil de l’actionnariat. Celui-ci, plutôt maltraité de 1945 à 1975, s’est réveillé et puissamment organisé
en fonds de pension, fonds d’investissements et fonds d’arbitrage ou hedge funds. Il a pris souvent le pouvoir et toujours de fortes minorités dans toutes les grandes entreprises de la planète.
Il a partout pressuré les revenus du travail pour assurer de meilleurs dividendes. (…)

On a vu depuis apparaître des contre-arguments sérieux, par exemple dans l’ouvrage de Thesmar et Landier.  Ainsi que
des études montrant l’hétérogénéité des zinzins,  la variabilité de leur horizon temporel, leur impact différencié sur les performances des entreprises, ainsi que leur poids très variable
selon les pays. Voir notamment le document de travail passionnant de Claude Dupuy et Stéphanie
Lavigne, ainsi que ce document de travail du CPER (€) sur le cas suédois.

Les déclarations sur le rachat de Charles
Jourdan par le fonds d’investissement Finzurich montrent une certaine versatilité des acteurs vis-à-vis des zinzins : toutes les personnes interrogées –Bénédicte Jourdan, petite fille du
créateur, les représentants du personnel, et Hervé Novelli, secrétaire d’Etat chargé des entreprises et du commerce extérieur– s’en félicitent, ce dernier expliquant que
c’est le seul repreneur qui offrait un projet industriel et une reprise d’emplois très importante”. Versatilité qu’on a pu observé en janvier dernier dans le positionnement de
Nicolas Sarkozy vis-à-vis des fonds souverains, qui assure, un jour, que la France assumerait “le choix politique, stratégique de protéger ses entreprises”, pour déclarer, le lendemain, que la
France “est ouverte aux fonds souverains”,
si leurs intentions sont “sans ambiguïté” et leur gouvernance “transparente”.

Quel que soit le sujet, je crois que c’est une constante : l’incapacité de beaucoup à prendre acte de la diversité du réel. Diversité sectorielle, diversité spatiale, diversité temporelle,
diversité des logiques à l’oeuvre, …, incapacité qui s’explique sans doute par la facilité avec laquelle on part d’un cas particulier pour en tirer une proposition que l’on croit
générale.

L’enquête de 60 millions de consommateurs

Edit : billet complémentaire chez Dirtydenys.

Je vous l’avais signalé dans mon précédent billet, Christian Aubin, doyen de l’UFR de Sciences Economiques de Poitiers,  était l’invité de France Bleu Poitou pour une émission sur la hausse
des prix dans l’alimentaire. Pour préparer cette émission -notre doyen est consciencieux-  il s’est procuré le numéro de 60 millions de consommateurs. Voici le billet qu’il m’a fait
parvenir.

 

Et oui, c’est vrai, j’ai accepté de participer à une émission sur la fameuse enquête de l’Institut National de la Consommation, publiée dans le mensuel
« 60 millions de consommateurs », selon laquelle les prix des produits alimentaires ont explosé entre novembre 2007 et janvier 2008. J’ai un peu hésité de peur de n’avoir rien à dire
d’original car tous les médias s’en sont déjà largement fait l’écho. Et chacun d’y aller de son commentaire, parfois pour critiquer la méthode d’enquête, le plus souvent pour chercher les
coupables : la réglementation sur les marges arrières, la grande distribution, les producteurs, les pays émergents ou les méchants spéculateurs…
Bêtement, j’ai
commencé par acheter le magazine en question. Couverture sans appel : « 1055 produits passés au crible », « La liste noire des prix qui flambent », « des hausses
de 5% à 48% ».

J’ouvre le mensuel et le titre de l’éditorial confirme l’impression première : « Flambée des prix, gare aux spéculateurs ! ». Le contenu
est édifiant : « En janvier nous avons noté des augmentations de plus de 30% pour le lait et les fromages et de plus de 40% pour les yaourts, de plus de 30% pour les pâtes… Celles-ci
touchent toutes les familles de produits… » ; le reste de l’éditorial est sur le même ton et un intertitre précise « dans nos prévisions les plus sombres, nous n’imaginions pas
l’ampleur des hausses de prix que nous avons relevées entre la fin novembre 2007 et le début janvier 2008 ».

Je tourne les pages, impatient d’en savoir plus. Enfin, page 43, j’entre dans le vifs du sujet : je vais découvrir ces relevés qui « révèlent des
hausses inimaginables, atteignant jusqu’à 48% ! ». Comme bien des gens, je commence par feuilleter le dossier et j’admire l’à propos des titres qui accompagnent des tableaux de
relevés des hausses avec illustration des champions de la hausse : « Yaourts nature : ils se sucrent », « laits UHT : la vache ! »,
« camemberts : beaucoup trop coulants », « beurre : la grimace de la crémière », « céréales petit-déjeuner : quel tonus ! »,
« pâtes : il en faut du blé… », etc. Les titres sont accrocheurs et collent aux chiffres des tableaux qui recensent des hausses de 5% à 48%, comme annoncé sur la
couverture.

Arrivé à ce stade de mon survol rapide des titres et des images destinées à capter l’attention du lecteur pressé, il m’apparaît que les tableaux que je viens
de voir sont loin de reproduire les données pour les 1055 produits annoncés. Je fais le compte : les tableaux ne donnent les évolutions de prix que pour 58 articles… C’est un peu court, et
j’ai quelques doutes sur l’interprétation à donner à ce qui n’est pas un échantillon représentatif mais bien, comme l’indique le titre de l’article, une « liste noire des prix qui
flambent ». Alors je me mets à lire…

Yaourts : « presque 80% des références de ce rayon yaourts nature ont augmenté »

Laits UHT : « plus de huit articles sur dix ont connu une inflation ».

Camemberts : « un peu plus de la moitié des références a subi une hausse ».

Beurres : « les trois quarts du rayon affichent une hausse ».

Céréales petit-déjeuner : « seules 25% des références ont augmenté ».

-Pâtes : les hausses « n’ont touché qu’environ 60% des références ».

Biscuits au chocolat : « environ 15% des produits de la gamme ont augmenté ».

Biscottes et pains de mie : « 25% et 13% des produits ont respectivement augmenté ».

Riz : « pas de mouvement inflationniste général sur le riz ».

Jambon blanc et blanc de dinde : « trois produits sur dix ont augmenté » pour le premier et « presque un
produit sur deux » pour le second.

Au total, il semble bien que les hausses soient assez générales sur les laits, yaourts et beurres. Encore faudrait-il savoir de combien en moyenne
puisque sur les yaourts, il est précisé que « la moitié des yaourts nature enregistrent des hausses de plus de 10% », ce qui laisse des hausses de moins de 10% pour l’autre moitié…
Pour les autres produits, les choses sont moins nettes.

Un peu plus loin, le dossier fournit quelques données complémentaires par enseigne. A nouveau, les tableaux qui recensent les 20 plus fortes hausses
s’accompagnent de titres alarmistes. Mais ici encore, les textes d’accompagnement des tableaux contiennent quelques informations utiles. Pour quatre des cinq enseignes analysées, il est précisé
le nombre de produits surveillés et le nombre de ceux qui ont connu une augmentation. Une rapide addition donne les résultats suivants : sur 717 références suivies dans les quatre
enseignes, 122 ont subi une hausse…

J’ajoute que les produits suivis par l’enquête ont été choisis pour former « neuf familles de produits à base de lait et de céréales », une dixième
famille étant ajoutée, constituée « des jambons, blancs de dinde et de poulet (en tranches sous vide), porcs, dindes et poulets étant nourris aux céréales ». Il s’agit bien pour l’INC
de mesurer l’impact sur les prix à la consommation des fortes hausses enregistrées sur le lait et les céréales, hausses illustrées par deux graphiques en page 50 du dossier.

Au final, je me demande si le dossier aurait eu autant de succès si le magazine « 60 millions de consommateurs » avait titré : « Malgré
les fortes hausses du lait et des céréales, les prix à la consommation restent stables sur plus des trois quarts des produits dérivés ! »…

Au fait, les commentateurs en tout genre lisent-ils les articles ou se contentent-ils de regarder les images ?

 

Les dépenses d’alimentation : quelques chiffres

L’enquête de 60 millions de consommateurs a fait du bruit, avec sa “liste noire des prix qui
flambent”. La méthodologie a été critiquée par certaines enseignes. Le gouvernement a embrayé très vite derrière 60 millions de consommateurs, pour demander sa propre étude, qui semble confirmer certains points et en infirmer
d’autres
.
  Peu de choses sur le sujet sur les blogs, hormis cette brève  et  ce billet chez les éconoclastes. A lire également sur le sujet l’interview de Moati dans le Monde.

Petit complément, pour signaler qu’il existe des données Insee particulièrement intéressantes, accessibles gratuitement, sur la consommation des ménages depuis 1959, par produit d’une
part, et par fonction de consommation d’autre part. Une mine.

On peut par exemple calculer le poids de la consommation de chaque produit dans l’ensemble de la consommation des ménages, ce que l’on appelle un coefficient
budgétaire. Par grande fonction de consommation, ça donne ce tableau :

 
DESIGNATION DU POSTE 1959 1985 2006
Prod. alimentaires et boissons non alcoolisées 26,8 16,9 13,7
Boissons alcoolisées et tabac 6,2 3,1 3,0
Articles d’habillement et chaussures 11,6 7,3 4,7
Logement, eau, gaz, électricité et autres combustibles 10,8 20,5 25,2
Meubles, articles de ménage et entretien courant de l’habitation 9,3 6,9 5,9
Santé 2,3 2,4 3,4
Transport 10,3 14,9 14,7
Communications 0,5 1,8 2,8
Loisirs et culture 6,9 8,2 9,3
Education 0,6 0,5 0,7
Hôtels, cafés et restaurants 6,5 5,5 6,2
Autres biens et services 7,4 12,7 11,2
Dépense de consommation des ménages 100,0 100,0 100,0
 

 

 
Les dépenses alimentaires, qui représentaient près de 27% des dépenses de consommation, ne pèsent plus que 13,7%. C’est cette fraction du budget qu’une hausse du
prix du lait, pâtes, yaourts, … affecte. En simplifiant, une hausse de 10% des prix de l’alimentaire vous fait perdre 1,37% de pouvoir d’achat.

Sur longue période, vous noterez l’augmentation de la part des dépenses de logement, eau, gaz…, d’une part, des dépenses de loisirs et culture, d’autre part. Sur
les 20 dernières années, c’est le poste communication qui a le plus fortement augmenté (+53% entre 1985 et 2006).
L’impact de l’évolution des prix du logement
et des transports est potentiellement plus fort que celui des prix de l’alimentaire, car ces postes de consommation pèsent plus dans le budget.

On dispose de données à des échelles très fines. Par exemple, voici un graphique qui reprend l’évolution des coefficients budgétaires pour les sous-catégories de la
catégorie “industrie du lait”, elle-même sous-catégorie de la catégorie “Industries agricoles et alimentaires” :

 


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Vous noterez la chute du beurre et du lait, la hausse des yaourts et des glaces et sorbets. On vérifie que la France reste le pays du fromage.

Je précise qu’une baisse du coefficient budgétaire ne signifie pas une baisse de la consommation du produit, mais une augmentation moins rapide de cette consommation.

On peut également regarder l’évolution des prix de l’alimentaire, à comparer à l’évolution de l’ensemble des prix à la consommation. On obtient la courbe suivante
:


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On observe bien la déconnection des prix sur 2000-2006, avec un pic en 2003. Reste à en préciser les raisons, le débat tournant autour du poids respectif des lois
dans la grande distribution, de l’envolée des prix agricoles, de la PAC, …  
Sur le rôle de la PAC et des quotas laitiers décriés par Alexandre
Delaigue, j’aurais tendance à nuancer  (voir d’ailleurs certains
commentaires intéressants sur le billet d’Alexandre
) : les quotas ne sont pas atteints dans tout un ensemble de régions car il y a des productions aujourd’hui plus rentables, et aussi pour
des raisons socio-économiques : l’élevage est une activité beaucoup plus contraignante que l’activité céréalière par exemple. Sur la loi Galland, le débat est entre les partisans d’une
déréglementation rapide (Attali-Askenazy) et les partisans d’une déréglementation plus en douceur (Moati) pour éviter différents effets négatifs. Sur les prix mondiaux : d
ans tous les cas, leur évolution risque de continuer un certain temps, et de peser sur le pouvoir d’achat des ménages. Comme le rappelle Moati dans son interview au Monde, mesurer
le pouvoir d’achat des ménages consiste à suivre l’évolution de R/P, avec R le revenu nominal et P l’indice des prix à la consommation. On a tendance à se focaliser très fortement sur le
dénominateur (comment assurer la baisse des prix?), en “oubliant” le numérateur (comment assurer une hausse des revenus?), sachant que sur ce dernier point, d’autres débats émergent : est-ce un
problème de répartition des richesses? de croissance trop faible? etc. 

Pour finir, je signale que l’impact des prix de l’alimentaire n’affecte pas de la même manière les ménages, on observe notamment que le poids dans le budget des dépenses alimentaires décroît avec le niveau de revenu
:

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Le poids de l’alimentaire décroît tendanciellement pour tous les quintiles, mais les différences subsistent entre quintiles. Bon, il y aurait plein d’autres choses à
dire à partir de ces chiffres, je vous laisse vous amuser avec!

PS : Christian Aubin, doyen de l’UFR de Sciences Economiques de Poitiers, est interviewé par France Bleu
Poitou
lundi matin, entre 9h10 et 10h50 dans l’émission “Les Spécialistes”, sur la question hausse des prix/pouvoir d’achat. Vous pouvez poser des questions par mail ou par téléphone, infos
ici.

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