Entreprise négative contre l’enseignement de l’économie – épisode 1

L’autre jour, Xavier Darcos expliquait que la filière ES n’offrait pas de débouchés. On a vu, statistiques du Ministère de l’Education Nationale à l’appui, que cette affirmation était totalement erronée. C’est à une autre idée
récurrente que je m’attaque aujourd’hui, après avoir lu le rapport de l’Association Positive
Entreprise
, dirigé par Thibault Lanxade, et titré « l’entreprise dans les programmes scolaires » et sous-titré « les Sciences Economiques et Sociales au programme de
seconde ».

Pourquoi discuter du rapport de cette association peu connue, me direz-vous ? Car le point de vue défendu est assez
représentatif des positions des dirigeants d’entreprise, me semble-t-il, mais aussi parce que cette association organise le 10 décembre 2007 un colloque au Sénat placé sous “le haut patronage du
Président de la Commission des Affaires Économiques, Monsieur le Sénateur Jean-Paul Émorine” (voir ici).  Le rapport a également fait l’objet d’un article dans 20 minutes le 31 août dernier, et de quelques reprises
ici.

La thèse défendue est la suivante : les jeunes n’aiment pas l’entreprise à cause de l’école et plus précisément en raison du contenu des manuels scolaires d’économie de seconde, qui
véhiculent « une image pessimiste, incomplète, réductrice et idéologiquement orientée de l’entreprise ». Pour pallier ce problème, Thibault Lanxade propose d’intégrer « des chefs
d’entreprise dans la commission des programmes scolaires », afin de « réactualiser les données des manuels scolaires et [de] proposer une vision objective et positive
du monde de l’entreprise » (je grasse).

Il y aurait plusieurs choses à examiner pour évaluer la validité des propos de Thibault Lanxade : i) peut-on dire véritablement que les jeunes n’aiment pas l’entreprise ? ii) ce
« désamour » est-il le produit de l’enseignement de SES au lycée ? iii) l’analyse des manuels de SES proposée par Positive Entreprise, et les conclusions qu’en tire l’association,
sont-elles recevables ? iv) la proposition d’intégrer les chefs d’entreprise dans la commission des programmes scolaires est-elle une bonne solution ? etc.

Je me concentre ici sur le point 2, je reviendrai sur les autres dans les prochains épisodes. A supposer que les jeunes n’aiment pas l’entreprise, peut-on dire que ce « désamour »
résulte du contenu de l’enseignement de SES ? En fait non, en dehors même de tout examen du contenu des manuels, pour une raison très simple : la grande majorité des
jeunes ne suivent pas l’option SES de seconde…

 Démonstration :

 A la rentrée 2006, selon les chiffres du Ministère,
522 801 élèves sont entrés en seconde générale et technologique, 214 199 en seconde professionnelle, 50 456 en première année de CAP en 2 ans et 151 en première année de CAP en 3
ans. Il y a donc au total 787 607 élèves, ceux entrant en seconde générale et technologique représentent 66,4% de l’ensemble.
Sur ces élèves, tous ne
choisissent pas l’option SES. Ils sont en fait 225 213 à faire ce choix, et 297 588 à faire un autre choix. C’est donc 43% des élèves de seconde générale et technologique qui suivent
l’enseignement de SES.


Sur la base de ces chiffres, il s’avère donc que seuls 66,4%*43,1% des élèves suivent l’enseignement de SES, soit 28,6% et donc, vous l’aurez deviné, 71,4% des élèves ne suivent
pas un tel enseignement
. Affirmer que l’enseignement de SES est une des causes principales du désamour des jeunes pour l’entreprise est donc erroné. Au mieux, sous réserve de validation
des autres points, il peut participer au désamour de moins du tiers d’entre eux (plus près du quart que du tiers, d’ailleurs).

Sarkozy fait de l’économie

Je sais pas vous, mais moi, j’ai un peu de mal avec l’économie, sous Sarkozy. En janvier
dernier, il nous déclare :
« Je propose de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux de fonctionnaires. Cela veut dire pas un seul licenciement. Pour le
reste, on partage les gains de productivité. La moitié de l’économie ainsi réalisée est destinée à la réduction du déficit budgétaire de la France et l’autre moitié sert à augmenter les
fonctionnaires qui restent.
 »

 Là, moi, j’avais compris ça : notons L le nombre de fonctionnaires employés.
Notons Y les services rendus par ces fonctionnaires. Sarkozy, considérant que certains services sont rendus de manière peu efficace, propose d’améliorer l’efficacité des heures travaillées (d’où
la référence à des « gains de productivité »), donc de continuer à « produire » Y de services, mais avec moins de fonctionnaires (baisse de L). En supprimant les doublons dans
la fonction publique, en supprimant les décharges de services de certains enseignants, en
supprimant des heures de cours inutiles
, etc. L’Etat fait donc
instantanément des économies, 50% vont à la réduction du déficit, le reste permettant d’augmenter les fonctionnaires qui restent. Clair et
limpide.
 
Et voilà qu’aujourd’hui, après l’intervention d’un enseignant se plaignant que « le salaire de base reste
insuffisant et ne suive pas l’augmentation de la charge de travail », Not’Président répond,
par “une leçon d’économie politique” nous dit le journaliste : « Si on décide d’augmenter tout le monde (…) sans qu’on augmente les heures de travail dans
la fonction publique
ou la création de richesse dans le privé, comment on paye ? Je suis président depuis quatre mois, je trouve 1.200 milliards d’euros de dette, un déficit, comment on
s’en sort ? »

Ben, et les gains de productivité, alors, ils sont passés où ???

Libération de la croissance : nouvelles du front

Econoclaste-SM reprend les
propos au JDD de Jacques Attali, qui n’a visiblement pas compris que comparer la croissance française à la croissance
mondiale ne rimait à rien
. A ce petit jeu, Sarkozy est meilleur qu’Attali en économie –c’est vous dire– puisque dans sa lettre de mission, il compare la France à ses partenaires européens (“la croissance est
plus forte chez nos partenaires européens, le chômage y est souvent plus bas”), ce qui a quand même plus de sens.
Que le taux de croissance français soit
inférieur au taux de croissance mondial est normal et souhaitable.

“Les internautes peuvent sauver la croissance”. C’est le titre d’un
article de 20 minutes
, signé par Guillaume Guichard, qui a interviewé quelques économistes blogueurs (Alexandre Delaigue, Anne Lavigne, Etienne Wasmer et moi-même) pour avoir leur avis,
plutôt sceptique…

Darcos au pays des statistiques

L’autre jour, nous avons vu que l’argumentation de Xavier Darcos sur la filière ES ne
résistait pas à l’épreuve des statistiques. Hier,  notre ministre, lors d’un chat sur Le Monde.fr,
a lui même utilisé des statistiques. Pour le moment, c’est un peu laborieux et peu convaincant… Extrait du chat :

jeremi : Comment pouvez-vous dire que la filière ES n’a que des débouchés incertains alors que les titulaires du bac ES réussissent
plutôt bien dans l’enseignement supérieur ? Est-ce une attaque cachée envers notre président, titulaire d’un bac B, l’ancien bac ES ?  

Xavier Darcos : Je n’ai évidemment pas le moindre projet hostile vis-à-vis de la filière ES.
Je sais cependant que seuls 6 % de ces bacheliers accèdent aux classes préparatoires et que 68 % d’entre eux vont vers l’enseignement du droit ou de la
gestion.
Je sais aussi que ce sont dans ces filières de l’enseignement supérieur, comme dans les sciences humaines, que les déperditions sont importantes

Bon, je me concentre sur les inexactitudes :

“seuls 6% de ces bacheliers accèdent aux classes préparatoires” : Exact ! (5,9% en fait). En revanche, ils sont 12,4% à aller en Grandes Ecoles d’après les statistiques du ministère (voir le 2ème tableau ici).  Mais au-delà : On dirait que notre Ministre sous-entend par ce chiffre qu’en dehors des classes prépas et des Grandes Ecoles, point de salut… Me trompe-je?
Intéressant, je trouve, je pense que les Présidents d’Université apprécieront…  

“68% d’entre eux vont vers l’enseignement du droit ou de la gestion” : Faux, très faux ! Ils sont 15% en Droit. Quant à la gestion, il n’y a pas de
filière longue juste après le bac… Peut-être voulait-il dire économie ? Ils sont 8,5% à aller en Fac d’économie, ajoutons la filière Administration Economique et Sociale (8%), on obtient au
total 31,5%. Je ne sais pas d’où viennent ces 68%…

“Je sais aussi que ce sont dans ces filières de l’enseignement supérieur, comme dans les sciences humaines, que les déperditions sont importantes” :
Ca veut dire quoi “déperditions importantes?”. S’il s’agit des débouchés, droit, éco et gestion en offrent de nombreux.  S’il s’agit du taux d’échec, oui, on sait qu’il est important à
l’Université, y compris dans ces filières, mais il ne touche pas plus les élèves ES que les autres, voire moins, comme déjà dit dans mon billet précédent (sur la base des statistiques ministère présentées ici).


Bon, mais heureusement, pas de souci à se faire, Darcos n’a “évidemment pas le moindre projet hostile vis-à-vis de la filière ES”…