L’Affaire SFR


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L’entreprise SFR vient de décider de transférer trois centres d’appel pour le grand public, deux à SR Teleperformance (sites de Lyon, 582 personnes, et de
Toulouse, 724 personnes), un à Arvato Services, n°2 des centres d’appel en Europe, filiale du groupe allemand Bertelsman (site de Poitiers, 571 personnes). Sur le site de Poitiers (je ne sais pas
pour les autres), les syndicats de salariés ont immédiatement appelé à la grève, inquiets d’assister à une dégradation des conditions de travail (hausse des heures de travail, baisse des
rémunérations, question de la pérennité de l’emploi, etc.)
[1]. Les politiques poitevins n’ont pas encore réagi…
 
Cette décision correspond à ce que l’on appelle en économie une externalisation : une activité réalisée préalablement au sein de l’entreprise
est confiée à une entreprise extérieure
[2]. Quels sont les avantages (et les risques) d’une externalisation ? En fait, ils sont nombreux.
[add 28 mai : ce qui suit relève d’une analyse générale des avantages de l’externalisation, pas du cas précis SFR. L’enjeu serait de savoir si pour SFR, ils
jouent ou pas, ce qui supposerait, pour pouvoir se prononcer, d’avoir plus d’infos]
 
Premier avantage, une économie sur les coûts de production : SFR service client ne dispose que des clients SFR. Supposons qu’ils sont au
nombre de x. En sous-traitant à une autre entreprise, qui dispose déjà de y clients, la nouvelle entité sera dotée d’un portefeuille client de taille supérieure x+y.
Dès lors qu’il existe des possibilités d’économies d’échelle ou de gamme (mutualisation de certains services ou équipements par exemple), le coût unitaire de production va diminuer. Dit
autrement, on assiste à un approfondissement de la division industrielle du travail, les prestataires de ces nouveaux services agrègent les demandes du marché, dégagent des gains de productivité
et/ou améliorent la qualité du service rendu.
 
Problème éventuel pour les salariés : sur un marché stagnant, ceci peut se traduire par des réductions d’effectifs. Sur un marché en
croissance forte, en revanche, le risque est faible. Or, les études disponibles montrent qu’on doit plutôt s’attendre à un accroissement des effectifs dans les centres d’appel en France sur les
prochaines années (j’y reviendrai dans un prochain billet).
 
Problème éventuel pour l’entreprise : Les approches en termes de coût de transaction montrent que si l’entreprise externalise une
activité alors que le nombre de prestataires est réduit, elle va devenir fortement dépendante de ce prestataire, et donc encourir un risque d’opportunisme (le partenaire peut
« trahir », en augmentant ses tarifs par exemple). Le nombre de prestataire peut être faible avant l’entrée en relation (il n’existe sur le marché que quelques firmes pouvant rendre le
service) ou après la mise en relation (si le contrat de sous-traitance implique que le prestataire investisse dans des actifs spécifiques, celui-ci deviendra quasiment incontournable). Dans le
cas de SFR, je dirai que ce risque est a priori plutôt faible : il existe un ensemble assez grand de prestataires dans le domaine, les actifs sont relativement peu
spécifiques.
 
Deuxième avantage, mis en évidence par les approches en termes de compétences : l’entreprise ne dispose pas des compétences les plus
pointues pour réaliser l’activité, elle préfère s’en remettre à un spécialiste du domaine. La qualité du service rendue sera améliorée, ce qui renforce l’avantage concurrentiel de l’entreprise
ayant externalisé. C’est l’argument essentiel avancé par les responsables de SFR, Hervé-Matthieu Ricour (responsable de l’activité service client) déclarant par exemple « SR Teleperformance
et Arvato Services sont experts dans le traitement des appels (…) les deux sociétés vont augmenter le niveau de qualité du traitement des appels » (Les Echos, 24/05/2007). Problème
éventuel : si l’activité externalisée est au cœur de l’avantage stratégique de l’entreprise, elle se vide de sa substance et risque de devenir une « firme creuse ». Deuxième
problème éventuel : à partir du moment où l’entreprise décide de diviser le travail et de faire appel à un partenaire extérieur, se pose la question du mode de coordination entre les deux
entités. Si la coordination est difficile, prend du temps et se révèle peu efficace, la qualité du service rendu se dégradera.
 
Troisième avantage, la flexibilité. Quand une entreprise développe une activité en interne, elle doit assumer des coûts fixes (masse
salariale, équipements, bâtiments, …), c’est-à-dire des coûts indépendants du volume d’activité. Quand elle externalise, elle transforme des coûts fixes en coûts variables, c’est au sous-traitant
de s’adapter. C’est une des raisons essentiels des stratégies d’externalisation des entreprises et un moyen essentiel de flexibiliser l’entreprise. Dans le cas de SFR, cet avantage joue sans
doute beaucoup, surtout si l’activité est cyclique. Dans ce cas, en effet, certains équipements ou certaines personnes sont sous-employées à certaines périodes. En externalisant l’activité auprès
d’un spécialiste qui dispose de plusieurs clients, et à condition (comme c’est le plus probable) que les cycles des différentes clientèles ne coïncident pas parfaitement, on réduit la
sous-utilisation des facteurs de production.
 
Au total, on a donc trois grands avantages potentiels : accès à des compétences pointues, réduction des coûts de production et meilleure
gestion de la flexibilité ; et deux inconvénients potentiels : disparition des compétences au cœur de l’avantage concurrentiel de l’entreprise et risque d’opportunisme. Dans le cas SFR,
on peut penser que les avantages sont supérieurs aux inconvénients.
 
Est-ce à dire que les salariés ont tort de protester ? Difficile de le dire sans savoir plus précisément quelles sont les nouvelles conditions de travail qui
attendent les salariés. Pascal Fraty (FO) déclare ce matin « nous sommes très inquiets car nous allons perdre nos acquis sociaux. Nous avions une mutuelle, des tickets restaurant, un
13ème mois, une prime à l’intéressement, une participation au bénéfice. Soit environ seize mois de salaire. A compter du 1er août, nous n’aurons plus droit à la prime
d’intéressement, à la participation au bénéfice et pas davantage aux primes de performance d’équipe. Nous passerons de 16 mois de salaire à 12 mois. Soit 25% de nos revenus annuels en
moins »
[3] Pourtant, si les avantages de
l’externalisation que je viens de recenser sont suffisamment importants, la dégradation des conditions de travail ne devrait pas avoir lieu, car ce n’est pas de cette dégradation que l’entreprise
attendrait un renforcement de son avantage concurrentiel. A minima, les conditions de travail devraient être maintenues. A charge pour les différents acteurs du dossier de s’en
assurer…
[Add 28 mai : voir ce billet pour un
complément]
 

[1] Source de ces éléments factuels : La Nouvelle
République du Centre-Ouest, « SFR veut se séparer de son centre d’appels », Centre Presse, « SFR-Poitiers vendu à un groupe allemand », Les Echos, « SFR transfère trois
centres d’appels chez des sous-traitants », La Tribune, « SFR sous-traite ses centres d’appels » – édition du 24/05/2007 pour les quatre.
[2] Hier soir, j’ai vu en incrustation sur i-télé (ou LCI je
ne sais plus) le message suivant : « SFR décide de la fermeture de trois sites à Poitiers, Toulouse et Lyon ». Ce n’est pas une fermeture, mais une externalisation.
[3] La Nouvelle République, 25/05/2007, p. 3.